Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. A... B... et Mme D... C..., épouse B..., ont demandé au tribunal administratif de Rennes d'annuler les arrêtés des 13 et 23 novembre 2020 du préfet
d'Ille-et-Vilaine leur refusant la délivrance de titres de séjour, les obligeant à quitter le territoire français dans un délai de trente jours et fixant le pays de destination.
Par un jugement nos 2005808, 2005809 du 17 mars 2021, le tribunal administratif de Rennes a rejeté leurs demandes.
Procédure devant la cour :
Par une requête enregistrée le 19 octobre 2021, M. et Mme B..., représentés par Me Le Bourhis, demandent à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Rennes du 17 mars 2021 ;
2°) d'annuler ces arrêtés ;
3°) d'enjoindre au préfet d'Ille-et-Vilaine, à titre principal, de leur délivrer des titres de séjour dans un délai de trois jours à compter de la notification de l'arrêt à intervenir ou, à titre subsidiaire, de réexaminer leur situation et de leur délivrer dans l'attente des autorisations provisoires de séjour ;
4°) de mettre à la charge de l'État, au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, la somme de 2 000 euros à verser à leur conseil dans les conditions fixées à l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Ils soutiennent que :
- les premiers juges ont omis de répondre au moyen tiré de la violation des dispositions de l'article L. 313-14 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- les arrêtés contestés sont entachés d'un défaut d'examen de leur situation ;
- ces arrêtés méconnaissent leur droit au respect de leur vie privée et familiale, protégé par les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- ces arrêtés ont été pris en méconnaissance des dispositions du 7° de l'article
L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- en leur opposant une absence de visas de long séjour et la circonstance qu'ils ne justifiaient pas d'une impossibilité d'exercer dans leur pays d'origine le même emploi que celui exercé en France, le préfet a commis des erreurs de droit ;
- ils pouvaient prétendre à la délivrance de titres de séjour en qualité de salariés sur le fondement de ces dispositions ;
- en édictant des mesures d'éloignement à leur encontre, le préfet a méconnu les stipulations de l'article 3-1 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant ;
- eu égard aux discriminations auxquelles ils risquent d'être exposés, les décisions fixant le pays de renvoi ont été prises en méconnaissance des stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
La requête a été communiquée le 6 décembre 2021 au préfet d'Ille-et-Vilaine qui n'a pas produit de mémoire en défense.
M. et Mme B... ont été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par deux décisions du 2 septembre 2021.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- la convention internationale relative aux droits de l'enfant ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le rapport de Mme Brisson a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. M. et Mme B..., ressortissants albanais nés respectivement les 19 août 1987 et 24 septembre 1993, sont entrés en France avec leurs enfants mineurs le 15 septembre 2013, selon leurs déclarations. Le bénéfice de l'asile leur a été refusé par des décisions du 18 juin 2014 du directeur de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides, confirmée par des décisions du 19 décembre 2014 de la Cour nationale du droit d'asile. Les intéressés ont fait l'objet de refus de titres de séjour et d'obligations de quitter le territoire français par des arrêtés pris les 24 mars 2015 par le préfet d'Ille-et-Vilaine. Une mesure d'assignation à résidence a également été prise le 3 septembre 2015 à l'encontre de M. B.... Les demandes de réexamen des demandes d'asile présentées par M. et Mme B... ont été rejetées par des décisions du 9 mai 2016 du directeur de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides, confirmées par des décisions du 21 octobre 2016 de la Cour nationale du droit d'asile. Mme B... a sollicité la délivrance d'un titre de séjour pour raisons médicales le 27 avril 2017, qui lui a été refusée par une décision du 7 février 2018 du préfet d'Ille-et-Vilaine. M. B... a présenté une première demande de titre de séjour le 15 janvier 2018 et Mme B... a présenté une nouvelle demande le 25 février 2019. Par des arrêtés des 13 et 23 novembre 2020, le préfet d'Ille-et-Vilaine a rejeté leurs demandes, les a obligés à quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays à destination duquel ils seraient reconduits l'issue de ce délai. M. et Mme B... relèvent appel du jugement du
17 mars 2021 par lequel le tribunal administratif de Rennes a rejeté leurs demandes respectives.
Sur la régularité du jugement attaqué :
2. Les premiers juges, qui n'étaient pas tenus de répondre à tous les arguments développés par les parties devant eux, ont examiné l'ensemble des moyens soulevés et, notamment, aux points 8 et 9 du jugement attaqué, ceux tirés de l'illégalité des arrêtés contestés au regard des dispositions relatives à l'admission au séjour pour raisons professionnelles des articles L. 313-10 et L. 313-14 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile alors en vigueur. Par suite, le moyen tiré de ce que le tribunal administratif de Rennes aurait omis de se prononcer sur un moyen manque en fait.
Sur les conclusions à fin d'annulation :
3. Aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1° Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance ; / 2° Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale ou à la protection des droits et libertés d'autrui ". Aux termes de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, alors en vigueur : " Sauf si sa présence constitue une menace pour l'ordre public, la carte de séjour temporaire portant la mention "vie privée et familiale" est délivrée de plein droit : (...) / 7° A l'étranger ne vivant pas en état de polygamie, qui n'entre pas dans les catégories précédentes ou dans celles qui ouvrent droit au regroupement familial, dont les liens personnels et familiaux en France, appréciés notamment au regard de leur intensité, de leur ancienneté et de leur stabilité, des conditions d'existence de l'intéressé, de son insertion dans la société française ainsi que de la nature de ses liens avec la famille restée dans le pays d'origine, sont tels que le refus d'autoriser son séjour porterait à son droit au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée au regard des motifs du refus, sans que la condition prévue à l'article L. 313-2 soit exigée. L'insertion de l'étranger dans la société française est évaluée en tenant compte notamment de sa connaissance des valeurs de la République (...) ".
4. M. et Mme B..., qui font valoir leur présence sur le territoire français depuis 2013, avec leurs enfants nés en 2009, 2012, 2017 et 2020, soutiennent qu'ils y ont établi le centre de leurs intérêts et que leur intégration est démontrée notamment par les témoignages de leur entourage, par la scolarisation de leurs enfants alors qu'eux-mêmes n'ont jamais été scolarisés ainsi que par les emplois d'ouvriers de découpe qu'ils occupent dans un abattoir depuis respectivement août 2018 et mai 2019. Il ressort toutefois des pièces du dossier que les intéressés, qui ne justifient pas d'une entrée régulière en France, y ont séjourné principalement au titre de l'examen de leurs demandes tendant à obtenir le bénéfice de l'asile et la délivrance de titres de séjour et s'y sont également maintenus irrégulièrement en dépit des mesures d'éloignement prises à leur encontre. Les requérants ne justifient pas d'une intégration particulièrement intense en France, occupent un logement de deux pièces dont la jouissance est subordonnée à leur emploi, n'établissent ni être dépourvus de toute attache dans leur pays d'origine, où ils ont vécu l'essentiel de leur existence, ni être dans l'impossibilité d'y reconstituer leur cellule familiale et d'y trouver un emploi. Compte tenu de l'ensemble des circonstances de l'espèce et notamment des conditions de séjour en France de M. et
Mme B..., les arrêtés contestés n'ont pas porté à leur droit au respect de leur vie privée et familiale une atteinte disproportionnée aux buts en vue desquels ils ont été pris. Dès lors, en prenant ces arrêtés, le préfet d'Ille-et-Vilaine n'a méconnu ni les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ni les dispositions du 7° de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.
5. Aux termes de l'article L. 313-14 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, alors en vigueur: " La carte de séjour temporaire mentionnée à l'article
L. 313-11 ou la carte de séjour temporaire mentionnée aux 1° et 2° de l'article L. 313-10 peut être délivrée, sauf si sa présence constitue une menace pour l'ordre public, à l'étranger ne vivant pas en état de polygamie dont l'admission au séjour répond à des considérations humanitaires ou se justifie au regard des motifs exceptionnels qu'il fait valoir, sans que soit opposable la condition prévue à l'article L. 313-2 (...) ".
6. Contrairement à ce que soutiennent les requérants, le préfet d'Ille-et-Vilaine, qui a examiné leurs demandes de titres de séjour au regard non seulement des dispositions de l'article L. 313-14 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile mais également de celles de l'article L. 313-10 alors en vigueur du même code n'a pas commis d'erreur de droit en se fondant, au titre de ces dernières dispositions, sur une absence de possession de visas de long séjour. En indiquant que les intéressés ne justifiaient pas d'une impossibilité d'exercer dans leur pays d'origine le même emploi que celui exercé en France, le préfet n'a pas davantage commis d'erreur de droit au regard des dispositions de l'article R. 5221-20 du code du travail, cette circonstance n'ayant été relevée qu'au titre de l'appréciation globale de la situation personnelle des intéressés.
7. En se prévalant de leur situation telle qu'exposée au point 4, de leur origine rom qui les aurait empêchés de bénéficié d'une scolarisation et qui risquerait de les placer dans une situation de précarité professionnelle, M. et Mme B... n'établissent pas que le préfet d'Ille-et-Vilaine aurait commis une erreur manifeste d'appréciation en estimant que leur admission au séjour en qualité de salariés ne répondait pas à des considérations humanitaires et ne se justifiait pas au regard de motifs exceptionnels, au sens de l'article L. 313-14 précité du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.
8. Aux termes de l'article 3-1 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant du 26 janvier 1990 : " Dans toutes les décisions qui concernent les enfants, qu'elles soient le fait d'institutions publiques ou privées de protection sociale, des tribunaux, des autorités administratives ou des organes législatifs, l'intérêt supérieur de l'enfant doit être une considération primordiale ". Il résulte de ces stipulations que, dans l'exercice de son pouvoir d'appréciation, l'autorité administrative doit accorder une attention primordiale à l'intérêt supérieur des enfants dans toutes les décisions les concernant.
9. Si M. et Mme B... font valoir que deux de leurs enfants sont nés en France, que trois d'entre eux y sont scolarisés et que l'aîné, scolarisé en 6ème, bénéficie d'un accompagnement adapté attribué par la maison départementale des personnes handicapées (MDPH), ces circonstances ne suffisent pas à établir que leurs enfants, qui vivent dans une famille albanophone, seraient dans l'impossibilité de suivre une scolarité en Albanie. Les requérants n'établissent pas davantage, en se prévalant de leur propre expérience et de rapports généraux faisant état de difficultés et de discriminations dans l'accès des enfants d'origine rom à l'éducation en Albanie, que leurs enfants se trouveraient eux-mêmes dans l'impossibilité d'y être scolarisés. Par suite, le moyen tiré de ce que les décisions portant obligation de quitter le territoire français auraient été prises en méconnaissance des stipulations de l'article 3-1 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant doit être écarté.
10. Il y a lieu d'écarter, par adoption des motifs retenus à bon droit par les premiers juges, les moyens tirés du défaut de motivation des arrêtés en litige et de ce que le préfet d'Ille-et-Vilaine n'aurait pas procédé à un examen suffisant de la situation des requérants et de ce que les décisions fixant le pays de renvoi auraient été prises en méconnaissance des stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
11. Il résulte de ce qui précède que M. et Mme B... ne sont pas fondés à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Rennes a rejeté leurs demandes. Par voie de conséquence, leurs conclusions à fin d'injonction et celles tendant à l'application des dispositions des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991 doivent également être rejetées.
D E C I D E :
Article 1er : La requête de M. et Mme B... est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. A... B..., à Mme D... C..., épouse B... et au ministre de l'intérieur.
Copie en sera adressée, pour information, au préfet d'Ille-et-Vilaine.
Délibéré après l'audience du 10 mars 2022, à laquelle siégeaient :
- M. Salvi, président,
- Mme Brisson, présidente-assesseure,
- M. Catroux, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition du greffe le 25 mars 2022.
La rapporteure,
C. Brisson
Le président,
D. Salvi
Le greffier,
R. Mageau
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
N° 21NT029272