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25/03/2022 | FRANCE | N°21NT00330

France | France, Cour administrative d'appel de Nantes, 3ème chambre, 25 mars 2022, 21NT00330


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme B... A... a demandé au tribunal administratif de Rennes de condamner la chambre de commerce et d'industrie (CCI) Métropolitaine Bretagne Ouest, ou, à défaut, la CCI de Bretagne à lui verser la somme de 50 000 euros en réparation du préjudice moral du fait du harcèlement moral qu'elle estime avoir subi, ainsi que, après avoir ordonné une expertise, la somme de 100 000 euros en réparation des préjudices patrimoniaux et extrapatrimoniaux subis résultant de sa maladie professionnelle.

Par un ju

gement n°1801906 du 3 décembre 2020, le tribunal administratif de Rennes a rejeté...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme B... A... a demandé au tribunal administratif de Rennes de condamner la chambre de commerce et d'industrie (CCI) Métropolitaine Bretagne Ouest, ou, à défaut, la CCI de Bretagne à lui verser la somme de 50 000 euros en réparation du préjudice moral du fait du harcèlement moral qu'elle estime avoir subi, ainsi que, après avoir ordonné une expertise, la somme de 100 000 euros en réparation des préjudices patrimoniaux et extrapatrimoniaux subis résultant de sa maladie professionnelle.

Par un jugement n°1801906 du 3 décembre 2020, le tribunal administratif de Rennes a rejeté la demande de Mme A... à fin d'expertise et d'indemnisation des préjudices subis résultant de sa maladie professionnelle, comme portée devant une juridiction incompétente pour en connaître et a condamné la CCI de Bretagne à lui verser la somme de 6 000 euros en réparation du préjudice résultant du harcèlement moral subi.

Procédure devant la cour :

Par une requête et un mémoire, enregistrés les 5 février et 14 septembre 2021, la chambre de commerce et d'industrie de Bretagne, représentée par Me Michel, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du 3 décembre 2020 du tribunal administratif de Rennes en tant qu'il l'a condamnée à verser la somme de 6 000 euros à Mme A... en réparation de son préjudice moral et a mis à sa charge la somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

2°) de rejeter la demande de Mme A... devant le tribunal tendant à sa condamnation au versement de la somme de 50 000 euros en réparation du préjudice moral causé par le harcèlement moral subi et les conclusions de cette dernière présentées par la voie de l'appel incident ;

3°) de mettre à la charge de Mme A... la somme de 3 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- des éléments de fait permettant de présumer que Mme A... aurait été victime d'un harcèlement moral ne sont pas établis :

* les missions attachées à son poste ne lui ont pas été retirées, même si elles ont évolué, et son contrat de travail n'a pas été modifié ;

* elle avait une réelle charge de travail, puisqu'elle a été remplacée lors d'un arrêt de travail ;

* le sentiment d'isolement de Mme A..., dans un contexte de réorganisation des services, n'est pas le fait de la direction de l'établissement ;

* le supérieur hiérarchique n'a eu connaissance du mal être professionnel de

Mme A... qu'à compter de décembre 2013 et, dès qu'elle en a eu connaissance, la direction de l'établissement a financé un bilan de compétences ;

- il n'existe aucun lien de causalité entre les difficultés psychiques de Mme A... et l'attitude de sa hiérarchie à son égard ; ces difficultés ont une origine personnelle, dès lors notamment que l'intéressée élève seule un adolescent déscolarisé ;

- le montant de 6 000 euros alloué par les premiers juges et le montant de 50 000 euros sollicité par Mme A... ne sont pas justifiés, dès lors qu'il n'existe pas de lien entre les conséquences de la dépression dont se prévaut cette dernière et ses conditions de travail.

Par des mémoires en défense, enregistrés les 28 avril et 21 septembre 2021,

Mme A..., représentée par Me Gourdin, conclut au rejet de la requête et demande à la cour, par la voie de l'appel incident :

1°) de réformer le jugement du 3 décembre 2020 en ce qu'il a limité à 6 000 euros la somme que la CCI de Bretagne est condamnée à lui verser en réparation des préjudices subis du fait du harcèlement moral et de porter cette somme à 50 000 euros ;

2°) de mettre à la charge de la CCI de Bretagne la somme de 3 000 euros u titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle fait valoir que :

- la CCI a commis des fautes en ne respectant pas ses engagements contractuels envers elle, en ne mettant pas en œuvre à son égard son obligation d'assurer sa sécurité qui est une obligation de moyen renforcée et en lui faisant subir des agissements relevant du harcèlement moral ;

- les fautes commises par l'établissement public lui ont causé un préjudice moral important ainsi que des troubles dans ses conditions d'existence, qui doivent être indemnisés par le versement d'une somme de 50 000 euros.

Par une ordonnance du 21 septembre 2021, la clôture de l'instruction a été fixée au 21 octobre 2021.

Un mémoire présenté pour la chambre de commerce et d'industrie de Bretagne a été enregistré le 1er mars 2022.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la loi n° 52-1311 du 10 décembre 1952 ;

- l'arrêté du 25 juillet 1997 relatif au statut du personnel de l'assemblée des chambres françaises de commerce et d'industrie, des chambres régionales de commerce et d'industrie et des groupements inter consulaires ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Catroux,

- les conclusions de M. Berthon, rapporteur public,

- et les observations de Me Lepigoché, représentant la CCI de Bretagne et de

Me Gourdin, représentant Mme A....

Considérant ce qui suit :

1. Mme A... a été recrutée en 2007 et titularisée à compter du 1er avril 2010 en qualité d'assistante au sein du département entrepreneuriat et territoire de la Chambre de commerce et d'industrie (CCI) de Quimper. A compter du mois de juin 2014, elle a été placée en arrêt de travail, compte tenu de son état de santé. La dépression dont elle souffre a été reconnue comme maladie professionnelle le 12 avril 2017. Mme A..., estimant avoir subi des agissements relevant du harcèlement moral de la part de l'établissement public, a présenté, le

27 décembre 2017, une demande préalable d'indemnisation au président de la CCI de Quimper, qui a fait l'objet d'une décision implicite de rejet. Mme A... a demandé au tribunal administratif de Rennes d'ordonner une expertise et de condamner la CCI Métropolitaine Bretagne Ouest, ou, à défaut, la CCI de Bretagne à l'indemniser des préjudices qu'elle estime avoir subis résultant des fautes commises. Par un jugement du 3 décembre 2020, le tribunal a rejeté la demande de Mme A... à fin d'expertise et d'indemnisation des préjudices subis résultant de sa maladie professionnelle, comme portée devant une juridiction incompétente pour en connaître et a condamné la CCI de Bretagne à lui verser la somme de 6 000 euros en réparation du préjudice résultant du harcèlement moral subi. La CCI de Bretagne relève appel de ce jugement en tant qu'il l'a condamné à verser à Mme A... la somme de 6 000 euros et par la voie de l'appel incident, cette dernière demande que cette somme soit portée à 50 000 euros.

Sur la responsabilité de la CCI de Bretagne :

2. En premier lieu, aucun agent public ne doit subir des agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel.

3. Il appartient à un agent public qui soutient avoir été victime d'agissements constitutifs de harcèlement moral de soumettre au juge des éléments de fait susceptibles de faire présumer l'existence d'un tel harcèlement. Il incombe à l'administration de produire, en sens contraire, une argumentation de nature à démontrer que les agissements en cause sont justifiés par des considérations étrangères à tout harcèlement. La conviction du juge, à qui il revient d'apprécier si les agissements de harcèlement sont ou non établis, se détermine au vu de ces échanges contradictoires, qu'il peut compléter, en cas de doute, en ordonnant toute mesure d'instruction utile.

4. Il résulte de l'instruction que Mme A... a exercé, à compter d'avril 2010, des fonctions d'assistante pour le département " entreprise et territoire " de la CCI. Dans ce cadre, elle était chargée notamment d'assurer le suivi des actions et des projets de ce département, de contribuer aux projets sur les plans administratif et logistique, de coordonner les agendas, les déplacements, les plannings, les échanges d'information, de proposer des outils d'aide à la décision et au contrôle, de concevoir différents types de documents, de mettre à jour la documentation et les fichiers et de constituer le dossier des réunions. Elle fait valoir qu'à compter du mois d'octobre 2012, son supérieur hiérarchique, mécontent des doutes qu'elle avait exprimés sur un projet de création de poste, lui a confié beaucoup moins de tâches relevant de ses attributions et a cantonné son travail à des activités de secrétariat telles que la distribution du courrier, l'édition des bons de commande ou la relecture de documents. Mme A... fait également valoir qu'elle a été de plus en plus isolée tant de ce supérieur hiérarchique que de ses autres collègues de travail. Mme A... ayant été placée en arrêt de travail du 21 au 27 mai 2014, puis à compter du 16 juin suivant, en raison d'une situation de stress au travail, les éléments ainsi avancés par cette dernière sont de nature à faire présumer l'existence d'un harcèlement moral.

5. Toutefois, d'une part, si l'intéressée a effectivement perdu certaines missions, à compter d'octobre 2012, comme le suivi du dispositif " Reprendre en Bretagne ", ce fait découle, ainsi que le soutient la CCI, d'une réorganisation du service. De même, si Mme A... établit avoir été déchargée en mai 2014 du secrétariat de la direction où elle était affectée, il ne s'agissait, ainsi que le justifie l'établissement public, que d'une décharge ponctuelle pour lui permettre d'occuper plus de temps à une mission urgente. En outre, la seule circonstance que l'intéressée ne soit plus mentionnée en 2012 comme la personne à contacter par courriel au sujet d'une rencontre organisée par la CCI ne démontre pas, à elle seule, une perte d'attributions. Il résulte, en revanche, de l'instruction que Mme A... a été remplacée, lors de son arrêt de travail, par une salariée recrutée à temps plein, par contrat à durée déterminée, ce qui confirme la réalité des fonctions attachées au poste occupé par l'intéressée. Enfin, cette dernière n'a pas fait part, lors de son entretien professionnel, qui s'est déroulé en janvier 2013, de préoccupations relatives à la diminution des missions qui lui étaient confiées, alors même qu'elle a exposé de façon claire à cette occasion les difficultés rencontrées notamment dans la relation aux différents interlocuteurs. Dans ces conditions, il n'est pas établi que les missions de Mme A... auraient été sensiblement diminuées, bien qu'elles aient pu évoluer au cours de la période en cause.

6. D'autre part, s'il est constant que Mme A... s'est sentie isolée dans son travail à compter d'octobre 2012, il ne résulte pas de l'instruction que cet isolement résulterait d'agissements de l'administration ou de personnes de l'entourage professionnel de l'intéressée.

7. Il résulte de ce qui précède que Mme A... ne peut être regardée comme ayant fait l'objet d'agissements répétés constitutifs d'un harcèlement moral, présentant ainsi le caractère d'une faute de nature à engager à son égard la responsabilité de la CCI de Bretagne.

8. En deuxième lieu, dès lors que Mme A... était un agent titulaire relevant du statut du personnel administratif des CCI et non un agent contractuel, elle ne peut pas utilement se prévaloir de manquements à des obligations contractuelles, commis à son égard par l'établissement public auquel l'intéressée fait grief d'avoir cessé de lui confier les tâches relevant de ses missions. Au demeurant, eu égard à ce qui précède, le bien-fondé de ce grief n'est pas établi.

9. En dernier lieu, il ne résulte pas de l'instruction que Mme A... ait formulé une alerte sur son mal-être au travail avant l'entretien qui s'est déroulé le 12 décembre 2013 entre elle et son supérieur hiérarchique direct. Le médecin du travail, qui avait reçu l'intéressée, avait d'ailleurs rendu un avis d'aptitude sans aucune réserve trois mois avant l'entretien du

12 décembre 2013. A la suite de cet entretien, la direction de l'établissement a fait bénéficier Mme A... d'un bilan de compétence pour envisager une nouvelle affectation, qui aurait été susceptible de permettre à l'intéressée de se trouver mieux dans son travail. Dans ces conditions, il n'est pas établi que l'employeur public aurait manqué à son obligation en matière de sécurité au travail, alors même qu'il n'a pas diligenté d'enquête administrative.

10. Il résulte de tout ce qui précède que la CCI de Bretagne est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Rennes l'a condamnée à verser à Mme A... la somme de 6 000 euros en réparation des préjudices que cette dernière estime avoir subis et a mis à sa charge une somme en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Il en résulte également que Mme A... n'est pas fondée à demander que la somme que la CCI de Bretagne a été condamnée à lui verser soit portée à 50 000 euros.

Sur les frais de l'instance :

11. Les dispositions de l'article L. 761-1 font obstacle à ce que soit mise à la charge de la CCI de Bretagne, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, la somme que demande Mme A... au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens.

12. Dans les circonstances de l'espèce, il n'y a pas lieu de mettre à la charge de

Mme A... la somme que la CCI de Bretagne demande à ce même titre.

DÉCIDE :

Article 1er : Les articles 3 et 4 du jugement du 3 décembre 2020 du tribunal administratif de Rennes sont annulés.

Article 2 : La demande présentée par Mme A... devant le tribunal administratif de Rennes et tendant à la condamnation de la CCI de Bretagne à lui verser la somme de 50 000 euros en réparation de son préjudice moral ainsi que ses conclusions présentées par voie d'appel incident sont rejetées.

Article 3 : Le surplus des conclusions de la CCI de Bretagne est rejeté.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à la Chambre de commerce et d'industrie de Bretagne et à Mme B... A....

Délibéré après l'audience du 10 mars 2022, à laquelle siégeaient :

- M. Salvi, président,

- Mme Brisson, présidente-assesseure,

- M. Catroux, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe 25 mars 2022.

Le rapporteur,

X. CATROUXLe président,

D. SALVI

Le greffier

R. MAGEAU

La République mande et ordonne au préfet de la Région Bretagne en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

N° 21NT00330


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Nantes
Formation : 3ème chambre
Numéro d'arrêt : 21NT00330
Date de la décision : 25/03/2022
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Composition du Tribunal
Président : M. SALVI
Rapporteur ?: M. Xavier CATROUX
Rapporteur public ?: M. BERTHON
Avocat(s) : SELARL CORNET VINCENT SEGUREL

Origine de la décision
Date de l'import : 05/04/2022
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.nantes;arret;2022-03-25;21nt00330 ?
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