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11/03/2022 | FRANCE | N°21NT03523

France | France, Cour administrative d'appel de Nantes, 6ème chambre, 11 mars 2022, 21NT03523


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

MM. Jean-Achille A..., Thomas Agnez, Eddy Belland, Mme N... O..., MM. Julien Courcol, Yann Delcourt, Patrick Dorange, Michel Durel, Romuald Elizalide, Mmes H... K..., D... I..., G... J..., L... C..., M. E... B..., Mme L... M..., MM. Emile Le Bian, Daniel Lecoffe, Michel Leconte, Christophe Lefrançois, Claude Lenoury, Philippe Lepareur, Xavier Lepigeon, Emmanuel Leveziel, Mickael Lioult, Gwenael Lodiais, Philippe Loudières, Pascal Maade, Christophe Martel, Christophe Renet, Jean-Jacques Ricart, Patrice Sanson, Mme

P... F..., MM. André Turgis et Nicolas Vrac représentés par Me ...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

MM. Jean-Achille A..., Thomas Agnez, Eddy Belland, Mme N... O..., MM. Julien Courcol, Yann Delcourt, Patrick Dorange, Michel Durel, Romuald Elizalide, Mmes H... K..., D... I..., G... J..., L... C..., M. E... B..., Mme L... M..., MM. Emile Le Bian, Daniel Lecoffe, Michel Leconte, Christophe Lefrançois, Claude Lenoury, Philippe Lepareur, Xavier Lepigeon, Emmanuel Leveziel, Mickael Lioult, Gwenael Lodiais, Philippe Loudières, Pascal Maade, Christophe Martel, Christophe Renet, Jean-Jacques Ricart, Patrice Sanson, Mme P... F..., MM. André Turgis et Nicolas Vrac représentés par Me Brand, ont demandé au tribunal administratif de Caen :

1°) d'annuler la décision du 4 juin 2021 par laquelle le directeur régional adjoint de l'économie, de l'emploi, du travail et des solidarités de Normandie a homologué le document unilatéral portant sur le projet de licenciement collectif donnant lieu à la mise en œuvre du plan de sauvegarde de l'emploi (PSE) de l'entreprise CTI-ACPP ;

2°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 500 euros à verser à chacun des requérants en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Par un jugement n° 2101729 du 15 octobre 2021, le tribunal administratif de Caen a rejeté la requête.

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée les 14 décembre 2021, MM. Jean-Achille A..., Thomas Agnez, Eddy Belland, Mme N... O..., MM. Julien Courcol, Yann Delcourt, Patrick Dorange, Michel Durel, Romuald Elizalide, Mmes H... K..., D... I..., G... J..., L... C..., M. E... B..., Mme L... M..., MM. Emile Le Bian, Daniel Lecoffe, Michel Leconte, Christophe Lefrançois, Claude Lenoury, Philippe Lepareur, Xavier Lepigeon, Emmanuel Leveziel, Mickael Lioult, Gwenael Lodiais, Philippe Loudières, Pascal Maade, Christophe Martel, Christophe Renet, Jean-Jacques Ricart, Patrice Sanson, Mme P... F..., MM. André Turgis et Nicolas Vrac, représentés par Me Brand, demandent à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Caen du 15 octobre 2021 ;

2°) d'annuler la décision du 4 juin 2021 par laquelle le directeur régional adjoint de l'économie, de l'emploi, du travail et des solidarités de Normandie a homologué le document unilatéral portant sur le projet de licenciement collectif donnant lieu à la mise en œuvre du plan de sauvegarde de l'emploi (PSE) de l'entreprise CTI-ACPP ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat le versement à chacun des requérants d'une somme de 500 euros, au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Ils soutiennent que :

- les critères d'ordre sont illégaux :

* le critère d'ordre lié à la qualité professionnelle est illégal ; ce critère a été différencié selon les catégories professionnelles des salariés ; les salariés relevant des catégories Acheteur, Assistant Qualité Sécurité Environnement, Contremaître/Chef d'équipe, Fraiseur et Tourneur ont été évalués d'après les entretiens individuels dont ils ont bénéficié ; dans les autres catégories professionnelles, du fait des carences de l'employeur, des salariés n'ont pas été évalués alors que d'autres l'ont été ; ces autres salariés ont été évalués selon la durée dans le poste occupé et l'éventuelle détention d'une compétence ; or, le critère aurait dû être le même pour tous les salariés ;

* le critère de l'expérience dans le poste est insuffisamment déterminé et il se confond avec l'ancienneté, ce qui revient à neutraliser le critère ;

* l'évaluation professionnelle ne peut dépendre du suivi de certaines formations professionnelles ;

* la procédure de collecte des données permettant la mise en œuvre des critères est irrégulière ; le questionnaire destiné à la collecte des données permettant la mise en œuvre des critères est irrégulier ; l'exclusion de l'application des critères d'ordre s'agissant des salariés n'ayant pas remis en temps utile le questionnaire destiné à la collecte des données permettant la mise en œuvre des critères est illégale ;

- les catégories professionnelles ont été " frauduleusement " déterminées ; elles sont trop nombreuses et certains postes auraient pu être regroupés dans une même catégorie ; les remarques de l'administration sur cette question n'ont pas été prises en compte ; l'employeur a contourné l'application des critères d'ordre en créant deux catégories professionnelles artificielles, celles d'agent administratif et de perceur ;

- l'administration n'a pas contrôlé la mise en œuvre du droit des salariés à la portabilité, prévu par le document unilatéral ;

- l'administration n'a pas contrôlé la recherche de moyens par les organes de la procédure collective au niveau du groupe ;

- la décision est insuffisamment motivée en ce qu'elle ne mentionne pas le contrôle effectué par l'administration sur le dispositif de portabilité des droits des salariés et qu'elle ne mentionne pas un contrôle par l'administration de la recherche effectuée par le liquidateur sur les moyens au niveau du groupe ;

- la procédure d'information et de consultations des instances représentatives est irrégulière ;

- le plan de reclassement est insuffisant.

Par un mémoire en défense, enregistré le 21 janvier 2022, la société Ateliers de construction du petit parc (ACPP) et les SELARL C. Basse et BTSG, en qualité de co-mandataires de la société Ateliers de construction du petit parc, concluent au rejet de la requête et demandent à la cour de condamner les requérants au paiement de 500 euros chacun sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Ils font valoir que les moyens soulevés par les requérants ne sont pas fondés.

Par un mémoire, enregistré le 26 janvier 2022, la ministre du travail, de l'emploi et de l'insertion conclut au rejet de la requête.

Elle fait valoir que les moyens ne sont pas fondés.

Un mémoire a été enregistré le 10 février 2022, présenté pour MM. Jean-Achille A..., Thomas Agnez, Eddy Belland, Mme N... O..., MM. Julien Courcol, Yann Delcourt, Patrick Dorange, Michel Durel, Romuald Elizalide, Mmes H... K..., D... I..., G... J..., L... C..., M. E... B..., Mme L... M..., MM. Emile Le Bian, Daniel Lecoffe, Michel Leconte, Christophe Lefrançois, Claude Lenoury, Philippe Lepareur, Xavier Lepigeon, Emmanuel Leveziel, Mickael Lioult, Gwenael Lodiais, Philippe Loudières, Pascal Maade, Christophe Martel, Christophe Renet, Jean-Jacques Ricart, Patrice Sanson, Mme P... F..., MM. André Turgis et Nicolas Vrac, représentés par Me Brand, et n'a pas été communiqué.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- le Règlement (UE) n° 2016/679 du Parlement européen et du Conseil du 27 avril 2016 ;

- le code du travail ;

- le code de la sécurité sociale ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Coiffet,

- les conclusions de Mme Malingue, rapporteure publique,

- et les observations de Me Brand, représentant M. A... et autres.

Une note en délibéré, enregistrée le 1er mars 2022, a été produite pour M. A... et autres.

Une note en délibéré, enregistrée le 4 mars 2022, a été produite pour la société Ateliers de construction du petit parc (ACPP) et les SELARL C. Basse et BTSG, en qualité de co-mandataires de la société Ateliers de construction du petit parc.

Considérant ce qui suit :

1. La société Ateliers de construction du petit parc (ACPP) exerce une activité dans le domaine de la chaudronnerie et tuyauterie industrielle, mécano-soudure, soudage et assemblage. Son lieu principal d'exploitation se situe sur le site de Beaumont-Hague à destination, principalement, de la filière du nucléaire et, secondairement, de la défense. La société ACPP est une filiale d'un pôle spécialisé dans ce secteur d'activité nommé CTI-ACPP appartenant au groupe industriel Manoir industries, lui-même filiale d'un investisseur chinois. En 2019, les comptes consolidés de la société Manoir Groupe font apparaître des pertes financières importantes, conséquences d'une forte dégradation de son activité et des difficultés d'exploitation depuis dix ans, période pendant laquelle l'activité a pu se poursuivre grâce au soutien des actionnaires et des pouvoirs publics. Par un jugement du 25 février 2021, le tribunal de commerce spécialisé de Rouen a ouvert une procédure de redressement judiciaire au bénéfice de la société CTI-ACPP. Au même moment, plusieurs procédures de redressement judiciaire étaient également ouvertes à l'égard d'autres sociétés filiales du groupe Manoir Industrie. Une recherche de candidats à la reprise de la société ACPP a été initiée. Par un jugement du 11 mai 2021, la cession totale des actifs de la société ACPP a été ordonnée par le tribunal de commerce spécialisé de Rouen au profit de la société Fives Nordon. Le même jugement précise que, sur 220 emplois, 162 sont repris par Fives Nordon, et autorise les administrateurs judiciaires à procéder à 57 licenciements dans 28 catégories professionnelles différentes.

2. L'administrateur judiciaire de la société ACPP a établi un document unilatéral reprenant ces 57 licenciements dans 28 catégories professionnelles et comportant un projet de plan de sauvegarde de l'emploi (PSE) transmis à l'administration le 7 avril 2021. Deux réunions d'information du comité social et économique (CSE) se sont tenues les 9 et 23 avril 2021. Le 22 avril 2021, l'administration a formulé un certain nombre d'observations. L'administrateur judiciaire a transmis un deuxième projet le 4 mai 2021. Trois réunions d'information et de consultation du CSE sur les mesures sociales d'accompagnement se sont ensuite tenues les 10, 26 et 27 mai 2021. A l'issue de cette dernière réunion, il a été constaté qu'un accord ne pourrait être trouvé. Par une décision du 4 juin 2021, la directrice régionale de l'économie, de l'emploi, du travail et des solidarités de Normandie (DREETS), qui avait été saisie le 1er juin par les administrateurs judiciaires, a homologué le document unilatéral fixant le contenu d'un plan de sauvegarde de l'emploi de l'entreprise Atelier de Construction du Petit Parc (ACPP). M. A... et trente-trois autres salariés ont saisi le tribunal administratif de Caen d'une demande tendant à l'annulation de cette décision. Par un jugement du 15 octobre 2021, cette juridiction a rejeté leurs demandes. Ils relèvent appel de ce jugement.

Sur les conclusions aux fins d'annulation :

En ce qui concerne le contenu du PSE :

S'agissant des critères d'ordre des licenciements :

3. En premier lieu, l'article L. 1233-5 du code du travail prévoit que : " Lorsque l'employeur procède à un licenciement collectif pour motif économique et en l'absence de convention ou accord collectif de travail applicable, il définit les critères retenus pour fixer l'ordre des licenciements, après consultation du comité social et économique. /Ces critères prennent notamment en compte : /1° Les charges de famille, en particulier celles des parents isolés ; / 2° L'ancienneté de service dans l'établissement ou l'entreprise ; / 3° La situation des salariés qui présentent des caractéristiques sociales rendant leur réinsertion professionnelle particulièrement difficile, notamment celle des personnes handicapées et des salariés âgés ; /4° Les qualités professionnelles appréciées par catégorie./L'employeur peut privilégier un de ces critères, à condition de tenir compte de l'ensemble des autres critères prévus au présent article. /Le périmètre d'application des critères d'ordre des licenciements peut être fixé par un accord collectif. /En l'absence d'un tel accord, ce périmètre ne peut être inférieur à celui de chaque zone d'emplois dans laquelle sont situés un ou plusieurs établissements de l'entreprise concernés par les suppressions d'emplois (...) ".

4. Il résulte des termes mêmes des dispositions citées au point précédent qu'en l'absence d'accord collectif en ayant disposé autrement, l'employeur qui procède à un licenciement collectif pour motif économique est tenu, pour déterminer l'ordre des licenciements, de se fonder sur des critères prenant en compte l'ensemble des critères d'appréciation mentionnés aux 1° à 4° ci-dessus. Par suite, en l'absence d'accord collectif ayant fixé les critères d'ordre des licenciements, le document unilatéral de l'employeur fixant le plan de sauvegarde de l'emploi ne saurait légalement fixer des critères d'ordre des licenciements qui omettraient l'un de ces quatre critères d'appréciation ou neutraliseraient ses effets. Il n'en va autrement que s'il est établi de manière certaine, dès l'élaboration du plan de sauvegarde de l'emploi, que, dans la situation particulière de l'entreprise et pour l'ensemble des personnes susceptibles d'être licenciées, aucune des modulations légalement envisageables pour le critère d'appréciation en question ne pourra être matériellement mise en œuvre lors de la détermination de l'ordre des licenciements.

5. Le PSE du 1er juin 2021 reprend les critères d'ordre des licenciements prévus à l'article L. 1233-5 du code du travail. Le premier critère est le volontariat, le deuxième les charges de famille, avec 2 points par personne à charge, plafonné à trois points par personnes à charge, et un point supplémentaire pour les parents isolés, le troisième l'ancienneté, avec 2 points pour une ancienneté de moins de 5 ans, 3 points de 5 à 9 ans, 4 points de 10 à 14 ans, 5 points de 15 à 20 ans et 6 points au-delà de 20 ans, le quatrième les difficultés de réinsertion, avec 3 points de 45 à moins de 50 ans, 4 points de 50 à moins de 55 ans, 5 points pour les 55 ans et plus et 3 points en cas de handicap et le cinquième les qualités professionnelles.

6. Il ressort des pièces versées au dossier que le critère de la qualité professionnelle a été différencié selon les catégories professionnelles des salariés. Les salariés relevant des catégories Acheteur, Assistant Qualité Sécurité Environnement, Contremaître/Chef d'équipe, Fraiseur et Tourneur ont été évalués d'après les entretiens individuels dont ils ont bénéficié, l'ancienneté dans le poste occupé et l'éventuelle détention d'une compétence spécifique parmi celles déterminées par le PSE. Les salariés relevant des autres catégories professionnelles, qui n'ont pas tous bénéficié d'entretien d'évaluation, ont été évalués selon la durée dans le poste occupé et l'éventuelle détention d'une compétence parmi celles déterminées par le PSE.

7. Pour estimer que les critères d'ordre sont illégaux les requérants soutiennent tout d'abord que le critère des qualités professionnelles n'a pas été apprécié de la même façon pour l'ensemble des catégories professionnelles. Cependant, ce critère qui, en application du 4° de l'article L. 1233-5 précité du code du travail doit être apprécié par catégorie, peut reposer sur des éléments qui diffèrent selon les catégories. En l'absence d'un système d'évaluation pouvant être regardé comme objectif et vérifiable, au regard notamment de son caractère lacunaire, et du fait des contraintes chronologiques attachées à la mise en œuvre des procédures collectives, l'appréciation du critère des qualités professionnelles peut, sans méconnaître les dispositions du 4° de l'article L. 1233-5 du code du travail, citées au point 3, reposer sur d'autres indicateurs également objectifs et vérifiables. Au cas d'espèce, le système d'évaluation de la société ACPP n'était pas complet pour l'ensemble des salariés au moment de l'élaboration du PSE et il ne ressort d'aucun élément du dossier qu'il aurait été possible dans le cadre de la procédure de redressement puis de liquidation judiciaire engagée à l'encontre de cette société de procéder aux entretiens des salariés non encore évalués au sein de la même catégorie dans les délais restreints de ces procédures. Dans ces conditions, le système d'évaluation mis en place pouvait être retenu pour les salariés appartenant aux catégories professionnelles ayant bénéficié d'entretiens professionnels alors que, pour les salariés appartenant aux catégories professionnelles n'ayant pas bénéficié de tels entretiens, l'appréciation du critère des qualités professionnelles pouvait être fondée sur d'autres indicateurs tenant à " l'expérience dans le poste " et " aux compétences complémentaires ". Par suite, ce dispositif différencié selon les catégories en raison de leurs différences objectives de situation n'est pas illégal.

8. Les requérants critiquent ensuite l'indicateur tiré de " l'expérience dans le poste ", retenu pour apprécier, à défaut des entretiens d'évaluation, le critère des qualités professionnelles, indicateur qui ne serait pas clair, se confondrait avec celui de l'ancienneté et serait inapproprié. Toutefois, l'expérience acquise dans l'exercice de compétences attachées à un poste de travail ne saurait être sérieusement confondue avec le critère de l'ancienneté dans l'entreprise dont elle est distincte, même si les deux notions peuvent conjoncturellement se recouper dans le cas de salariés n'ayant connu aucune évolution professionnelle au sein de la même entreprise. Ainsi, c'est clairement l'expérience dans le poste occupé, définie comme la durée, continue ou non, d'affectation sur ce poste défini par l'exécution de tâches particulières et la mise en œuvre de compétences précises, et non l'ancienneté dans l'entreprise, qui est visée. Cet indicateur est, au demeurant, complété par celui des " compétences complémentaires " ou " spécifiques " - lié notamment aux formations suivies - susceptible d'apporter un point maximum par compétence et dont la liste était donnée à l'annexe 5 du document unilatéral. De plus, contrairement à ce que soutiennent les requérants, l'acquisition de compétences professionnelles particulières par le suivi d'une formation complémentaire -nécessairement distincte de la formation initiale qui est un pré requis identique pour tous les salariés appartenant à la même catégorie - peut être retenue pour apprécier les qualités professionnelles d'un salarié dès lors que ces compétences ne sont pas sans lien avec l'amélioration des qualités professionnelles. Il en résulte que les deux items objectifs et vérifiables retenus pour apprécier les qualités professionnelles des salariés étaient adaptés aux catégories dont les salariés n'avaient pas été évalués et non dépourvus de lien avec le critère d'appréciation des qualités professionnelles par catégorie.

9. Enfin, les requérants soutiennent que la procédure de collecte des données individuelles permettant la mise en œuvre des critères d'ordre est irrégulière. Ils critiquent en particulier le questionnaire de mise à jour des dossiers du personnel - Annexe 1 au document unilatéral - qui a été adressé aux salariés par l'employeur, devait être renseigné dans un délai impératif, ce qui constitue selon les requérants un facteur d'exclusion de certains salariés, et dont certaines mentions seraient imprécises, critiquables voire illégales comme celles tenant à la situation de grossesse éventuelle d'une salariée, de parent isolé ou de travailleur handicapé.

10. Aux termes de l'article L. 1233-57-3 du code du travail, applicable en cas de redressement ou liquidation judiciaire en application de l'article L. 1233-58 du même code et sous la réserve apportée par ces dispositions : " (...) l'autorité administrative homologue le document élaboré par l'employeur mentionné à l'article L. 1233-24-4, après avoir vérifié la conformité de son contenu aux dispositions législatives et aux stipulations conventionnelles relatives aux éléments mentionnés aux 1° à 5° de l'article L. 1233-24-2, la régularité de la procédure d'information et de consultation du comité social et économique, le respect, le cas échéant, des obligations prévues aux articles L. 1233-57-9 à L. 1233-57-16, L. 1233-57-19 et L. 1233-57-20 et le respect par le plan de sauvegarde de l'emploi des articles L. 1233-61 à L. 1233-63 en fonction des critères suivants : 1° Les moyens dont disposent l'entreprise, l'unité économique et sociale et le groupe ; 2° Les mesures d'accompagnement prévues au regard de l'importance du projet de licenciement ; 3° Les efforts de formation et d'adaptation tels que mentionnés aux articles L. 1233-4 et L. 6321-1. Elle s'assure que l'employeur a prévu le recours au contrat de sécurisation professionnelle mentionné à l'article L. 1233-65 ou la mise en place du congé de reclassement mentionné à l'article L. 1233-71. ".

11. Il ne résulte pas de ces dispositions ni d'aucune autre disposition du code du travail qu'il appartiendrait à l'autorité administrative dans le cadre du contrôle qu'elle opère en matière de critères d'ordre de se prononcer sur les modalités concrètes de collecte des informations permettant une bonne application de ces critères. La circonstance que le PSE ne comportait pas de disposition permettant de s'assurer que l'ensemble des salariés avait reçu ce questionnaire destiné à collecter des informations utiles à la mise en œuvre des critères d'ordre des licenciements est ainsi sans incidence sur la légalité de la décision d'homologation en litige. De même, la circonstance que le questionnaire en question comporterait des questions allant au-delà de ce qu'exigent les dispositions des articles 5 et 13 du Règlement (UE) n° 2016/679 du Parlement européen et du Conseil du 27 avril 2016, relatif à la protection des personnes physiques à l'égard du traitement des données à caractère personnel et à la libre circulation de ces données, et abrogeant la directive n° 95/46/CE (RGPD) demeure sans incidence sur la légalité de la décision d'homologation.

12. Il résulte de ce qui a été dit aux points précédents que l'homologation par l'administration du document unilatéral repose sur des éléments qui établissent que les critères d'ordre des licenciements, qui ont été évoqués, comme l'attestent les différents procès-verbaux, à l'occasion de chacune des réunions des 23 avril, 10 et 26 mai, et 1er juin 2021 organisées avec les élus du CSE, ont bien été pris en compte. Le moyen sera écarté dans toutes ses branches.

S'agissant des catégories professionnelles :

13. Les requérants soutiennent que la décision d'homologation contestée serait irrégulière en ce que deux catégories professionnelles - agent administratif et perceur -auraient été artificiellement créées dans le but d'éviter l'application des critères d'ordre et de supprimer tous les postes. Pour ces deux catégories, le CSE qui, à la suite des observations formulées le 22 avril 2021 par l'administration, s'est réuni pour apprécier la répartition des effectifs par catégories professionnelles au regard des critères jurisprudentiels, a émis un avis défavorable.

14. Aux termes du troisième alinéa de l'article L. 642-5 du code de commerce : " Le jugement qui arrête le plan en rend les dispositions applicables à tous " et aux termes du deuxième alinéa de l'article R. 642-3 du même code : " Lorsque le plan de cession prévoit des licenciements pour motif économique, le liquidateur, ou l'administrateur lorsqu'il en a été désigné, produit à l'audience les documents mentionnés à l'article R. 631-36. Le jugement arrêtant le plan indique le nombre de salariés dont le licenciement est autorisé ainsi que les activités et catégories professionnelles concernées ". Il résulte de ces dispositions que les catégories professionnelles déterminées par le jugement qui arrête le plan de cession et fixe le nombre de licenciements s'imposent au liquidateur ou à l'administrateur judiciaire pour le choix des salariés à licencier, ainsi qu'à l'autorité administrative chargée d'homologuer le document unilatéral de l'employeur déterminant le contenu du plan de sauvegarde de l'emploi.

15. Au cas d'espèce, il convient de constater que le jugement du tribunal de commerce spécialisé de Rouen du 11 mai 2021, produit au dossier, a autorisé, sur le fondement de l'article L. 642-5 du code de commerce, les administrateurs judiciaires à procéder au licenciement de 57 salariés occupant un poste dans 28 catégories, parmi lesquelles figurent les catégories " Agent administratif ", " Assistant administratif ", " Assistant commercial et projet " et " Perceur ". Les éléments du dossier permettent de constater que les catégories professionnelles retenues dans le document unilatéral des administrateurs judiciaires ayant fait l'objet de la décision d'homologation litigieuse sont identiques à celles qui ont été arrêtées par le jugement précité du tribunal de commerce de Rouen du 11 mai 2021, qui a ordonné la cession totale des actifs de la société ACPP et fixé le nombre de licenciements. Par suite, et en conséquence du principe rappelé au point précédent, les requérants ne sauraient utilement soutenir que la catégorie " Agent administratif " serait illégale, au motif qu'elle serait redondante avec celle des " Assistants administratifs ", que les catégories " Assistant commercial et projet " et " Perceur ", comme d'ailleurs 32 catégories professionnelles sur 56, seraient illégales au seul motif qu'elles ne concernent qu'un salarié et que l'autorité administrative aurait ainsi, en validant l'existence de ces catégories, entaché d'illégalité sa décision d'homologation du PSE. Eu égard aux voies de recours ouvertes contre le jugement du tribunal de commerce qui arrête le plan de cession, les requérants ne sont pas davantage fondés à soutenir que la décision contestée du 4 juin 2021 homologuant le document unilatéral fixant le contenu d'un plan de sauvegarde de l'emploi de l'entreprise ACPP serait intervenue en méconnaissance du droit au procès équitable garanti par l'article 6-1 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. Le moyen sera écarté.

S'agissant du moyen tiré de l'absence de contrôle de la portabilité :

16. Les requérants soutiennent que la portabilité des garanties des frais de santé et de prévoyance des salariés aurait dû être assurée par l'employeur et font reproche à l'administration d'avoir omis de contrôler le droit des salariés à la portabilité relevant, selon eux, du contenu du plan de sauvegarde de l'emploi au titre de l'obligation posée par l'article L. 4121-1 du code du travail.

17. Tout d'abord, d'une part, aux termes de l'article L. 1233-58 du code du travail auquel renvoie l'article L. 1233-57-3 du même code cité au point 10 : " I.- En cas de redressement ou de liquidation judiciaire, l'employeur, l'administrateur ou le liquidateur, selon le cas, qui envisage des licenciements économiques, met en œuvre un plan de licenciement dans les conditions prévues aux articles L. 1233-24-1 à L. 1233-24-4. / L'employeur, l'administrateur ou le liquidateur, selon le cas, réunit et consulte le comité social et économique dans les conditions prévues à l'article L. 2323-31 ainsi qu'aux articles : / 3° L. 1233-30, I à l'exception du dernier alinéa, et dernier alinéa du II, pour un licenciement d'au moins dix salariés dans une entreprise d'au moins cinquante salariés ; ". L'article L. 1233-30 du même code dispose que : " Dans les entreprises ou établissements employant habituellement au moins cinquante salariés, l'employeur réunit et consulte le comité social et économique sur : / 1° L'opération projetée et ses modalités d'application, conformément à l'article L. 2323-31 ; / 2° Le projet de licenciement collectif : le nombre de suppressions d'emploi, les catégories professionnelles concernées, les critères d'ordre et le calendrier prévisionnel des licenciements, les mesures sociales d'accompagnement prévues par le plan de sauvegarde de l'emploi et, le cas échéant, les conséquences des licenciements projetés en matière de santé, de sécurité ou de conditions de travail [...] ".

18. D'autre part, l'article L. 4121-1 dispose que : " L'employeur prend les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs. Ces mesures comprennent : 1° Des actions de prévention des risques professionnels, y compris ceux mentionnés à l'article L. 4161-1 ; 2° Des actions d'information et de formation ; 3° La mise en place d'une organisation et de moyens adaptés. / L'employeur veille à l'adaptation de ces mesures pour tenir compte du changement des circonstances et tendre à l'amélioration des situations existantes." et selon l'article L. 4121-2 du même code : " L'employeur met en oeuvre les mesures prévues à l'article L. 4121-1 sur le fondement des principes généraux de prévention suivants : 1° Eviter les risques ; 2° Evaluer les risques qui ne peuvent pas être évités ; 3° Combattre les risques à la source ; 4° Adapter le travail à l'homme, en particulier en ce qui concerne la conception des postes de travail ainsi que le choix des équipements de travail et des méthodes de travail et de production, en vue notamment de limiter le travail monotone et le travail cadencé et de réduire les effets de ceux-ci sur la santé ; 5° Tenir compte de l'état d'évolution de la technique ; 6° Remplacer ce qui est dangereux par ce qui n'est pas dangereux ou par ce qui est moins dangereux ; 7° Planifier la prévention en y intégrant, dans un ensemble cohérent, la technique, l'organisation du travail, les conditions de travail, les relations sociales et l'influence des facteurs ambiants, notamment les risques liés au harcèlement moral et au harcèlement sexuel, tels qu'ils sont définis aux articles L. 1152-1 et L. 1153-1, ainsi que ceux liés aux agissements sexistes définis à l'article L. 1142-2-1 ; 8° Prendre des mesures de protection collective en leur donnant la priorité sur les mesures de protection individuelle ; 9° Donner les instructions appropriées aux travailleurs. ".

19. Ensuite, il convient de rappeler que l'article L. 911-8 du code de la sécurité sociale, qui revêt un caractère d'ordre public, a dans sa version issue de l'article 1er de la loi n° 2013-504 du 14 juin 2013 relative à la sécurisation de l'emploi, repris en l'étendant le dispositif de portabilité institué par les stipulations de l'article 14 modifié de l'accord national interprofessionnel du 11 janvier 2008. Aux termes de cet article du code de la sécurité sociale : " Les salariés garantis collectivement, dans les conditions prévues à l'article L. 911-1, contre le risque décès, les risques portant atteinte à l'intégrité physique de la personne ou liés à la maternité ou les risques d'incapacité de travail ou d'invalidité bénéficient du maintien à titre gratuit de cette couverture en cas de cessation du contrat de travail, non consécutive à une faute lourde, ouvrant droit à prise en charge par le régime d'assurance chômage, selon les conditions suivantes : 1° Le maintien des garanties est applicable à compter de la date de cessation du contrat de travail et pendant une durée égale à la période d'indemnisation du chômage, dans la limite de la durée du dernier contrat de travail ou, le cas échéant, des derniers contrats de travail lorsqu'ils sont consécutifs chez le même employeur. Cette durée est appréciée en mois, le cas échéant arrondie au nombre supérieur, sans pouvoir excéder douze mois ; / (...) 6° l'employeur signale le maintien de ces garanties dans le certificat de travail et informe l'organisme assureur de la cessation du contrat de travail mentionnée au premier alinéa. ".

20. Enfin, le tribunal des conflits, dans sa décision n° 4189 du 8 juin 2020, précise qu'il appartient à l'autorité administrative, sous le contrôle de la juridiction administrative, de vérifier le respect, par l'employeur, de ses obligations en matière de prévention des risques pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs et qu'à cette fin elle doit contrôler notamment les mesures auxquelles l'employeur est tenu en application de l'article L. 4121-1 du code du travail au titre des modalités d'application de l'opération projetée dès lors que ce contrôle n'est pas séparable de ceux résultant des articles L. 1233-57-2 et L. 1233-57-3 du code du travail. Il est également précisé dans cette décision que le juge judiciaire est, pour sa part, compétent pour assurer le respect par l'employeur de son obligation de sécurité lorsque la situation à l'origine du litige est, notamment, liée à la mise en œuvre de l'accord ou du document ou de l'opération de réorganisation.

21. Il ne résulte pas des dispositions combinées des articles L. 4121-1, 3° et L. 4121-2, 8° du code du travail, énoncées précisément au point 18 ni d'aucune autre disposition du code du travail qu'il appartiendrait à l'administration de contrôler les diligences mises en œuvre par l'employeur en matière de droit à la portabilité des garanties des frais de santé et de prévoyance de salariés dans le cadre du contrôle effectué sur le document unilatéral portant PSE. Le moyen, fondé sur l'article L. 4121-1 du code du travail et qui ne peut donc être utilement invoqué, doit être écarté.

22. Au demeurant, il ressort des pièces du dossier que la directrice régionale de l'économie, de l'emploi, du travail et des solidarités de Normandie a visé dans la décision contestée d'homologation les échanges de courrier intervenus antérieurement au dépôt du projet de PSE, en particulier la lettre d'observations du 22 avril 2021, évoquée plus haut au point 2, par laquelle l'administration du travail demandait aux administrateurs judiciaires " de lui indiquer les modalités de portabilité de la prévoyance et mutuelle " et il est constant que les administrateurs y ont répondu, par un courrier du 3 mai 2021, que " les conditions de la portabilité étaient rappelées en page 39 et 40 du projet de PSE et qu'un courrier avait été envoyé aux organismes le 26 avril 2021 afin d'assurer la portabilité aux salariés concernés par la procédure de licenciement ". Il y a d'ailleurs lieu de relever que le PSE comportait bien en ses pages 42 et 43 les modalités de la portabilité de la prévoyance et de la mutuelle, en particulier la portabilité des droits en cas de liquidation judiciaire.

S'agissant du moyen tiré de l'absence de contrôle des moyens du groupe :

23. Les requérants soutiennent que les entreprises appartenant au groupe n'ont pas été sollicitées et que l'obligation portant sur le contrôle des moyens du groupe n'aurait pas été assurée par l'administration.

24. Aux termes de l'article L. 1233-58 du code du travail : " I.- En cas de redressement ou de liquidation judiciaire, l'employeur, l'administrateur ou le liquidateur, selon le cas, qui envisage des licenciements économiques, met en œuvre un plan de licenciement dans les conditions prévues aux articles L. 1233-24-1 à L. 1233-24-4../ II.- Pour un licenciement d'au moins dix salariés dans une entreprise d'au moins cinquante salariés, l'accord mentionné à l'article L. 1233-24-1 est validé et le document mentionné à l'article L. 1233-24-4, élaboré par l'employeur, l'administrateur ou le liquidateur, est homologué dans les conditions fixées aux articles L. 1233-57-1 à L. 1233-57-3, aux deuxième et troisième alinéas de l'article L. 1233-57-4 et à l'article L. 1233-57-7./ Par dérogation au 1° de l'article L. 1233-57-3, sans préjudice de la recherche, selon le cas, par l'administrateur, le liquidateur ou l'employeur, en cas de redressement ou de liquidation judiciaire, des moyens du groupe auquel l'employeur appartient pour l'établissement du plan de sauvegarde de l'emploi, l'autorité administrative homologue le plan de sauvegarde de l'emploi après s'être assurée du respect par celui-ci des articles L. 1233-61 à L. 1233-63 au regard des moyens dont dispose l'entreprise. ".

25. Il ressort des dispositions précitées que le contrôle de l'administration du travail, dans le cas des entreprises en liquidation ou en redressement judiciaire, porte, sans préjudice de la recherche, selon le cas, par l'administrateur, le liquidateur ou l'employeur, en cas de redressement ou de liquidation judiciaire, des moyens du groupe auquel l'employeur appartient pour l'établissement du plan de sauvegarde de l'emploi, sur les moyens dont dispose l'entreprise, et non le groupe. En revanche, ces dispositions ne dispensent pas l'administration du travail de vérifier, dans le cadre des relations avec le liquidateur ayant engagé la procédure de licenciement économique, si ce dernier a recherché les moyens du groupe auquel l'employeur appartient pour l'établissement du plan de sauvegarde de l'emploi.

26. Il ressort des pièces du dossier, d'une part, que les administrateurs judiciaires désignés par le tribunal de commerce de Rouen ont, par un courrier du 29 mars 2021 adressé à l'administrateur provisoire de Manoir Industries (Manoir Engrenage SAS), d'abord rappelé que des procédures de redressement judiciaire avaient été ouvertes à l'égard des sociétés Agriandre CTI SAS, CTI-ACDN SAS, CTI-ACPP SAS, Manoir Industries SAS et Manoir Pitres SAS, que la jurisprudence imposait que " la pertinence du plan social soit appréciée en fonction des moyens dont dispose l'entreprise et le groupe auquel elle est éventuellement intégrée ", et que l'article L. 1233-57-3 du code du travail imposait à l'administration saisie d'une demande d'homologation d'un PSE d'apprécier " si les mesures prévues par ce plan (...) étaient proportionnées au regard des moyens de l'entreprise, de l'unité économique et sociale ou du groupe auquel elle appartient, le cas échéant ". Les administrateurs judiciaires ont ensuite expressément demandé qu'il leur soit indiqué " les moyens (financiers, logistiques et/ou humains) que le groupe Manoir Industries serait en mesure de consentir pour permettre au bénéfice de l'ensemble des salariés dont l'emploi est menacé, la mise en œuvre de mesures d'accompagnement appropriées aux personnels des sociétés en cause ". Des courriers de relance des administrateurs judiciaires portant notamment sur l'abondement des mesures d'accompagnement ont, ainsi qu'en attestent les pièces versées aux débats, été adressés le 20 avril 2021 aux dirigeants de Manoir Groupe SAS et TTM SAS FR. D'autre part, il ressort de la décision d'homologation contestée du 4 juin 2021, en particulier de ses visas, que la directrice régionale de l'économie, de l'emploi, du travail et des solidarités de Normandie a relevé " l'absence de moyens financiers de l'entreprise et du groupe ", l'existence de " recherches de reclassement au niveau de la société CTI-ACPP, au niveau du groupe et en particulier auprès des sociétés du groupe ainsi que des actionnaires ", se référant aux courriers des 29 mars et 20 avril 2021 - évoqués ci-dessus - " justifiant des démarches engagées ". Il résulte de l'ensemble de ce qui vient d'être rappelé qu'aucun manquement ne saurait être reproché à l'administration dans le contrôle et les vérifications qu'elle a opérés des obligations pesant sur l'administrateur judiciaire.

S'agissant du moyen tiré de l'insuffisance de motivation :

27. Les requérants soutiennent que la décision d'homologation litigieuse serait insuffisamment motivée sur les questions de portabilité des droits des salariés en matière de mutuelle/prévoyance et de recherche des moyens du groupe.

28. Aux termes de l'article L. 1233-57-4 du code du travail : " L'autorité administrative notifie à l'employeur la décision de validation dans un délai de quinze jours (...) et la décision d'homologation dans un délai de vingt et un jours (...). / Elle la notifie, dans les mêmes délais, au comité d'entreprise et, si elle porte sur un accord collectif, aux organisations syndicales représentatives signataires. La décision prise par l'autorité administrative est motivée ". Si ces dispositions impliquent que la décision qui valide un accord collectif portant plan de sauvegarde de l'emploi, ou la décision qui homologue un document fixant le contenu d'un tel plan, doivent énoncer les éléments de droit et de fait qui en constituent le fondement, de sorte que les personnes auxquelles ces décisions sont notifiées puissent à leur seule lecture en connaître les motifs, elles n'impliquent ni que l'administration prenne explicitement parti sur le respect de chacune des règles dont il lui appartient d'assurer le contrôle en application des dispositions des articles L. 1233-57-2 et L. 1233-57-3 du même code, ni qu'elle retrace dans la motivation de sa décision les étapes de la procédure préalable à son édiction. Toutefois, il lui appartient, d'y faire apparaître les éléments essentiels de son examen tels que ceux relatifs à la régularité de la procédure d'information et de consultation des instances représentatives du personnel, ceux tenant au caractère suffisant des mesures contenues dans le plan au regard des moyens de l'entreprise et, le cas échéant, de l'unité économique et sociale ou du groupe ainsi que, à ce titre, ceux relatifs à la recherche, par l'employeur, des postes de reclassement. Il appartient, en outre, le cas échéant, à l'administration d'indiquer dans la motivation de sa décision tout élément sur lequel elle aurait été, en raison des circonstances propres à l'espèce, spécifiquement amenée à porter une appréciation.

29. Toutefois, d'une part, l'administration n'était pas tenue, ainsi qu'il a été dit au point 21, de contrôler les diligences mises en œuvre par l'employeur en matière de droit à la portabilité des garanties des frais de santé et de prévoyance de salariés. Les requérants ne sauraient ainsi utilement lui reprocher de ne pas avoir mentionné plus explicitement une telle vérification dans les motifs de sa décision. D'autre part, ainsi qu'il a été dit au point 26, elle a procédé de façon suffisante aux vérifications qui s'imposaient s'agissant du contrôle des recherches de reclassements, ainsi que l'indiquent les visas de la décision contestée du 4 juin 2021. Le moyen sera écarté dans ses deux branches.

S'agissant du moyen tiré de l'irrégularité de l'information-consultation sur les risques psycho-sociaux :

30. Les requérants soutiennent que l'information-consultation des instances représentatives serait insuffisante sur la santé, la sécurité et les conditions de travail des salariés (SSCT) transférés chez le repreneur.

31. Aux termes de l'article L. 4121-1 du code du travail : " L'employeur prend les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs. / Ces mesures comprennent : / 1° Des actions de prévention des risques professionnels, y compris ceux mentionnés à l'article L. 4161-1 ;/ 2° Des actions d'information et de formation ; / 3° La mise en place d'une organisation et de moyens adaptés. / L'employeur veille à l'adaptation de ces mesures pour tenir compte du changement des circonstances et tendre à l'amélioration des situations existantes ".

32. Dans le cadre d'une cession d'entreprise, l'employeur n'est tenu, en application des dispositions précitées de l'article L. 4121-1 du code du travail, de prendre les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs que jusqu'à la date de cession de l'entreprise, s'agissant de l'éventuel transfert des salariés repris par la société cessionnaire, et/ou du licenciement des salariés de la société cédée qui n'ont pas été repris. Par voie de conséquence, le contrôle qui incombe à l'autorité administrative sur ces mesures, dans le cadre d'un plan de sauvegarde de l'emploi concernant la cession d'une entreprise, ne saurait s'étendre au-delà de la date de cette cession et de ces licenciements.

33. D'une part, il ne ressort pas des pièces du dossier qu'avant l'achèvement de l'opération de cession totale des actifs de la société ACPP ordonnée par un jugement du 11 mai 2021 du tribunal de commerce spécialisé de Rouen, et notamment au cours de la période de prolongation d'activité, les conditions de sécurité dans l'entreprise ou les conditions de travail des salariés ayant vocation à être licenciés auraient été susceptibles d'être affectées par l'opération projetée. D'autre part, il ressort des pièces du dossier que le comité social et économique (CSE) a été consulté pour avis, sur les conséquences de la réorganisation et des licenciements projetés en matière de santé, de sécurité ou de conditions de travail (" SSCT "), et sur les mesures prises dans les domaines qui figurent aux pages 46 à 48 du PSE, notamment la prise en compte des risques psychosociaux et la mise en place d'une cellule d'appui à la sécurisation professionnelle. Enfin, la circonstance que le CSE n'ait pas été informé du " dispositif d'emploi des salariés qui précisément ne seront pas licenciés " et seront repris par la société Fives Nordon demeure sans incidence sur la régularité de la consultation du CSE.

S'agissant du moyen tiré de l'insuffisance du plan de reclassement interne :

34. Les requérants soutiennent que le plan de reclassement serait insuffisant en ce qu'il ne comprend pas les réponses aux sollicitations de l'administrateur judiciaires qui sont parvenues postérieurement à la décision d'homologation.

35. Aux termes, d'une part, de l'article L. 1233-61 du code du travail : " Dans les entreprises d'au moins cinquante salariés, lorsque le projet de licenciement concerne au moins dix salariés dans une même période de trente jours, l'employeur établit et met en œuvre un plan de sauvegarde de l'emploi pour éviter les licenciements ou en limiter le nombre. /Ce plan intègre un plan de reclassement visant à faciliter le reclassement sur le territoire national des salariés dont le licenciement ne pourrait être évité, notamment celui des salariés âgés ou présentant des caractéristiques sociales ou de qualification rendant leur réinsertion professionnelle particulièrement difficile. /Lorsque le plan de sauvegarde de l'emploi comporte, en vue d'éviter la fermeture d'un ou de plusieurs établissements, le transfert d'une ou de plusieurs entités économiques nécessaire à la sauvegarde d'une partie des emplois et lorsque ces entreprises souhaitent accepter une offre de reprise les dispositions de l'article L. 1224-1 relatives au transfert des contrats de travail ne s'appliquent que dans la limite du nombre des emplois qui n'ont pas été supprimés à la suite des licenciements, à la date d'effet de ce transfert. ". Aux termes de l'article L. 1233-62 : " Le plan de sauvegarde de l'emploi prévoit des mesures telles que : 1° Des actions en vue du reclassement interne sur le territoire national, des salariés sur des emplois relevant de la même catégorie d'emplois ou équivalents à ceux qu'ils occupent ou, sous réserve de l'accord exprès des salariés concernés, sur des emplois de catégorie inférieure ; 1° bis Des actions favorisant la reprise de tout ou partie des activités en vue d'éviter la fermeture d'un ou de plusieurs établissements ; 2° Des créations d'activités nouvelles par l'entreprise ; 3° Des actions favorisant le reclassement externe à l'entreprise, notamment par le soutien à la réactivation du bassin d'emploi ; 4° Des actions de soutien à la création d'activités nouvelles ou à la reprise d'activités existantes par les salariés ; 5° Des actions de formation, de validation des acquis de l'expérience ou de reconversion de nature à faciliter le reclassement interne ou externe des salariés sur des emplois équivalents ; (...) ". Aux termes de l'article L. 1233-63 : " Le plan de sauvegarde de l'emploi détermine les modalités de suivi de la mise en œuvre effective des mesures contenues dans le plan de reclassement prévu à l'article L. 1233-61. /Ce suivi fait l'objet d'une consultation régulière et détaillée du comité social et économique dont l'avis est transmis à l'autorité administrative. /L'autorité administrative est associée au suivi de ces mesures et reçoit un bilan, établi par l'employeur, de la mise en œuvre effective du plan de sauvegarde de l'emploi. ".

36. D'autre part, lorsqu'elle est saisie d'une demande d'homologation d'un document élaboré en application de l'article L. 1233-24-4 du code du travail, il appartient à l'administration, sous le contrôle du juge de l'excès de pouvoir, de vérifier la conformité de ce document et du plan de sauvegarde de l'emploi dont il fixe le contenu aux dispositions législatives et aux stipulations conventionnelles applicables, en s'assurant notamment du respect par le plan de sauvegarde de l'emploi des dispositions des articles L. 1233-61 à L. 1233-63 du même code. Il revient notamment à l'autorité administrative de s'assurer que le plan de reclassement intégré au plan de sauvegarde de l'emploi est de nature à faciliter le reclassement des salariés dont le licenciement ne pourrait être évité. L'employeur doit, à cette fin, avoir identifié dans le plan l'ensemble des possibilités de reclassement des salariés dans l'entreprise. En outre, lorsque l'entreprise appartient à un groupe, l'employeur, seul débiteur de l'obligation de reclassement, doit avoir procédé à une recherche sérieuse des postes disponibles pour un reclassement dans les autres entreprises du groupe. Pour l'ensemble des postes de reclassement ainsi identifiés, l'employeur doit avoir indiqué dans le plan leur nombre, leur nature et leur localisation.

37. Au cas d'espèce, la circonstance que la société Manoir industries a par un courrier du 3 juin 2021, soit postérieurement au dépôt de la demande d'homologation du PSE le 1er juin 2021, informé les liquidateurs que, dans le cadre du reclassement des salariés de ACPP, un poste de superviseur assemblage et 5 postes de soudeur à l'assemblage et 3 à 4 soudeurs en finition nucléaire étaient à pourvoir dans la société Manoir Pîtres, demeure sans incidence sur la décision d'homologation contestée, qui ne pouvait prendre en compte un plan de reclassement interne intégrant ces offres d'emploi. Le moyen sera écarté.

38 Il résulte de ce qui a été dit aux points 3 à 37 que l'administration pouvait légalement homologuer le document unilatéral proposé par la société ACPP.

39. Il résulte de l'ensemble de ce qui précède que les requérants ne sont pas fondés à se plaindre de ce que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Caen a rejeté leur demande tendant à l'annulation de la décision du 4 juin 2021 par laquelle la directrice régionale de l'économie, de l'emploi, du travail et des solidarités de Normandie a homologué le document unilatéral fixant le contenu d'un plan de sauvegarde de l'emploi de la société Atelier de Construction du Petit Parc (ACPP).

Sur les frais liés au litige :

40. D'une part, dans les circonstances de l'espèce, il n'y a pas lieu de mettre à la charge des requérants la somme que demandent la société Ateliers de construction du petit parc (ACPP) et les SELARL C. Basse et BTSG, en qualité de co-mandataires de cette société en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. D'autre part, ces dispositions font obstacle à ce que soit mise à la charge de l'Etat, qui n'a pas dans la présente instance la qualité de partie perdante, les sommes que demandent les requérants au titre des frais exposés par eux et non compris dans les dépens.

DECIDE :

Article 1er : La requête de M. A... et autres est rejetée.

Article 2 : Les conclusions présentées par la société Ateliers de construction du petit parc (ACPP) et les SELARL C. Basse et BTSG, en qualité de co-mandataires de cette société au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à M. Q... A... représentant désigné pour l'ensemble des requérants, à la ministre du travail, de l'emploi et de l'insertion, à M. le mandataire liquidateur Marc Senechal, et à M. le mandataire liquidateur Christophe Basse pour la société Ateliers de construction du petit parc.

Copie en sera transmise pour information à la directrice régionale de l'économie, de l'emploi, du travail et des solidarités de Normandie.

Délibéré après l'audience du 25 février 2022, à laquelle siégeaient :

- M. Gaspon, président de chambre,

- M. Coiffet, président-assesseur,

- Mme Gélard, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe, le 11 mars 2022.

Le rapporteur,

O. COIFFETLe président,

O. GASPON

La greffière

P. CHAVEROUX

La République mande et ordonne à la ministre du travail, de l'emploi et de l'insertion en ce qui la concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

N° 21NT03523 2

N° 21NT01666 16


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Nantes
Formation : 6ème chambre
Numéro d'arrêt : 21NT03523
Date de la décision : 11/03/2022
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : M. GASPON
Rapporteur ?: M. Olivier COIFFET
Rapporteur public ?: Mme MALINGUE
Avocat(s) : KEROUAZ

Origine de la décision
Date de l'import : 22/03/2022
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.nantes;arret;2022-03-11;21nt03523 ?
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