Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
Mme B... D... a demandé au tribunal administratif de Nantes, d'une part, d'annuler les arrêtés du 27 mai 2021 du préfet de Maine-et-Loire décidant son transfert aux autorités italiennes et l'assignant à résidence pour une durée de quarante-cinq jours, d'autre part, d'enjoindre à cette autorité, à titre principal, d'enregistrer sa demande d'asile dans un délai de quinze jours à compter du jugement à intervenir, sous astreinte de 200 euros par jour de retard, ou subsidiairement, de procéder au réexamen de sa situation dans les mêmes conditions, enfin de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 500 euros au titre des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Par un jugement n° 2106105 du 9 juin 2021, la magistrate désignée par le président du tribunal administratif de Nantes a rejeté sa demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 7 juillet 2021, Mme D..., représentée par Me Lavenant, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du 9 juin 2021 ;
2°) d'annuler l'arrêté du 27 mai 2021 du préfet de Maine-et-Loire décidant son transfert aux autorités italiennes ;
3°) d'annuler l'arrêté du 27 mai 2021 du préfet de Maine-et-Loire décidant son assignation à résidence ;
4°) d'enjoindre au préfet de Maine-et-Loire, à titre principal, d'enregistrer sa demande d'asile dans un délai de quinze jours à compter de la décision à intervenir, sous astreinte de 200 euros par jour de retard, ou subsidiairement, de procéder au réexamen de sa situation dans les mêmes conditions ;
5°) de mettre à la charge de l'Etat le versement à son conseil de la somme de 1500 euros sur le fondement des dispositions combinées des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991.
Il soutient que :
- l'arrêté de transfert est insuffisamment motivé ;
- l'arrêté de transfert méconnait les dispositions de l'article 5 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 ;
- l'arrêté de transfert est entaché d'une erreur manifeste d'appréciation au regard de l'article 17 du règlement n° 604/2013 du 26 juin 2013 ;
- l'arrêté de transfert méconnait les dispositions de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- l'arrêté d'assignation à résidence est insuffisamment motivé ;
- l'arrêté d'assignation à résidence est illégal en raison de l'illégalité de l'arrêté de transfert ;
- l'arrêté d'assignation à résidence méconnait l'article L.751-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.
Par un mémoire en défense et un mémoire complémentaire, enregistrés les 11 octobre et 13 décembre 2021, le préfet de Maine-et-Loire conclut à ce qu'il soit prononcé un non-lieu à statuer sur l'arrêté de transfert de Mme D... aux autorités italiennes et au rejet du surplus de la requête.
Il soutient que les moyens soulevés ne sont pas fondés et informe la cour que l'Italie est désormais libérée de son obligation de reprise en charge de Mme D....
Par un mémoire complémentaire, enregistré le 4 janvier 2022, Mme D..., représentée par Me Lavenant, demande à la cour de constater le non-lieu à statuer et maintient sa demande au titre des frais d'instance.
Mme D... a été admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 13 octobre 2021.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ;
- le règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le décret n° 2020-1717 du 28 décembre 2020 ;
- le décret n° 2019-38 du 23 janvier 2019 ;
- l'arrêté du 10 mai 2019 désignant les préfets compétents pour enregistrer les demandes d'asile et déterminer l'Etat responsable de leur traitement ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le rapport de M. Coiffet a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. Mme D..., de nationalité russe née le 30 septembre 1989, entrée en France le 29 novembre 2020, a présenté une demande d'asile auprès de la préfecture de Loire-Atlantique le 23 mars 2021. Les recherches entreprises sur le fichier Visabio ont révélé qu'elle était en possession d'un visa de court séjour en cours de validité, délivré par les autorités italiennes le 8 février 2021. Les autorités italiennes ont été saisies le 29 mars 2021 sur le fondement de l'article 12-2 du règlement (UE) du Parlement européen et du Conseil n° 604/2013 du 26 juin 2013 pour une reprise en charge de l'intéressée. Les autorités italiennes ont fait connaître leur accord explicite le 30 avril suivant. Par deux arrêtés du 27 mai 2021, le préfet de Maine-et-Loire a ordonné le transfert de Mme D... en Italie et l'a assignée à résidence pour une durée de quarante-cinq jours. Mme D... a demandé au tribunal administratif de Nantes l'annulation de ces deux arrêtés. Par un jugement du 9 juin 2021, la magistrate désignée par le président du tribunal administratif de Nantes a rejeté sa requête. Mme D... relève appel de ce jugement de ce jugement.
En ce qui concerne l'arrêté de transfert :
2. D'une part, aux termes de l'article 29 du règlement n° 604-2013 du Parlement européen et du Conseil en date du 26 juin 2013 : " Le transfert du demandeur ou d'une autre personne visée à l'article 18, paragraphe 1, point c) ou d), de l'Etat membre requérant vers l'Etat membre responsable s'effectue conformément au droit national de l'Etat membre requérant, après concertation entre les Etats membres concernés, dès qu'il est matériellement possible et, au plus tard, dans un délai de six mois à compter de l'acceptation par un autre Etat membre de la requête aux fins de prise en charge ou de reprise en charge de la personne concernée ou de la décision définitive sur le recours ou la révision lorsque l'effet suspensif est accordé conformément à l'article 27, paragraphe 3. /2. Si le transfert n'est pas exécuté dans le délai de six mois, l'Etat membre responsable est libéré de son obligation de prendre en charge ou de reprendre en charge la personne concernée et la responsabilité est alors transférée à l'Etat membre requérant. Ce délai peut être porté à un an au maximum s'il n'a pas pu être procédé au transfert en raison d'un emprisonnement de la personne concernée ou à dix-huit mois au maximum si la personne concernée prend la fuite. ".
3. D'autre part, l'introduction d'un recours devant le tribunal administratif contre la décision de transfert a pour effet d'interrompre le délai de six mois fixé à l'article 29 du règlement (UE) n° 604/2013, qui courait à compter de l'acceptation du transfert par l'Etat requis, délai qui recommence à courir intégralement à compter de la date à laquelle le tribunal administratif statue au principal sur cette demande, quel que soit le sens de sa décision. Ni un appel, ni d'ailleurs le sursis à exécution du jugement accordé par le juge d'appel sur une demande présentée en application de l'article R. 811-15 du code de justice administrative n'ont pour effet d'interrompre ce nouveau délai. Son expiration a pour conséquence qu'en application des dispositions du paragraphe 2 de l'article 29 du règlement, l'Etat requérant devient responsable de l'examen de la demande de protection internationale.
4. Le délai initial de six mois dont disposait le préfet de Maine-et-Loire pour procéder à l'exécution du transfert de Mme D... vers l'Italie a été interrompu par la saisine du tribunal administratif de Nantes. Ce délai a recommencé à courir à compter de la notification à l'administration du jugement du 9 juin 2021 rendu par ce dernier. Il ressort des pièces du dossier que ce délai n'a pas fait l'objet d'une prolongation et que cet arrêté n'a pas reçu exécution pendant sa période de validité. Par suite, la décision de transfert litigieuse est devenue caduque sans avoir reçu de commencement d'exécution à la date du présent arrêt et la France est devenue responsable de la demande d'asile sur le fondement des dispositions du 2 de l'article 29 du règlement n° 604-2013 rappelées ci-dessus. Par suite, les conclusions de Mme D... tendant à l'annulation de l'arrêté de transfert et du jugement du magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Nantes en tant qu'il a rejeté les conclusions dirigées contre cet arrêté sont devenues sans objet. Il n'y a plus lieu d'y statuer.
En ce qui concerne l'arrêté portant assignation à résidence :
5. L'arrêté portant assignation à résidence de Mme D... ayant reçu exécution, les conclusions tendant à son annulation conservent leur objet et il y a dès lors lieu d'y statuer.
Sur l'exception d'illégalité de l'arrêté de transfert :
6. En premier lieu, aux termes de l'article 17 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 : " 1. Par dérogation à l'article 3, paragraphe 1, chaque État membre peut décider d'examiner une demande de protection internationale qui lui est présentée par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, même si cet examen ne lui incombe pas en vertu des critères fixés dans le présent règlement. / L'État membre qui décide d'examiner une demande de protection internationale en vertu du présent paragraphe devient l'État membre responsable et assume les obligations qui sont liées à cette responsabilité (...) ". La faculté laissée aux autorités françaises, par les dispositions de l'article 17 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013, de décider d'examiner une demande de protection internationale qui lui est présentée par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, même si cet examen ne lui incombe pas en vertu des critères fixés dans le règlement précité, est discrétionnaire et ne constitue nullement un droit pour les demandeurs d'asile. Ces dispositions doivent être appliquées dans le respect des droits garantis par la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne et la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
7. Mme D... soutient, tout d'abord, qu'elle a dû fuir la Russie où elle encourt des risques personnels après avoir soutenu un député de l'opposition qui a fait l'objet d'une peine d'emprisonnement. Toutefois, l'arrêté de transfert contesté n'a ni pour objet ni pour effet de la transférer aux autorités russes. Par ailleurs aucun élément produit au dossier ne permet de tenir pour établi que sa demande d'asile serait exposée à un risque sérieux de ne pas être traitée par les autorités italiennes dans des conditions conformes à l'ensemble des garanties exigées par le respect du droit d'asile, alors que l'Italie est un Etat membre de l'Union européenne, partie tant à la convention de Genève du 28 juillet 1951 sur le statut des réfugiés, complétée par le protocole de New-York, qu'à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. A supposer enfin qu'une décision d'éloignement soit prise à son encontre et revête un caractère définitif, il ne ressort d'aucune pièce du dossier que Mme D... ne serait pas en mesure de faire valoir auprès des autorités italiennes tout élément nouveau relatif à l'évolution de sa situation personnelle et à la situation qui prévaut en Russie, ni que les autorités italiennes n'évalueront pas d'office les risques réels de mauvais traitements auxquels elle serait exposée en cas de renvoi dans son pays d'origine. Elle soutient ensuite qu'elle fait partie des personnes vulnérables du fait de son état de grossesse. Toutefois, il ne ressort pas des éléments médicaux versés au dossier que sa grossesse, dont le début est estimé au 27 mars 2021 et dont elle s'est prévalue pour la première fois dans ses écritures devant le tribunal, aurait présenté alors des conditions difficiles ou particulières imposant que son suivi se déroule en France. Enfin, si Mme D... soutient qu'elle vit avec le père de son enfant à naitre, M. A... C..., qui réside depuis plusieurs années en France, il ne ressort cependant pas de la teneur des attestations produites par la requérante, laquelle avait d'ailleurs au cours de l'entretien individuel indiqué qu'elle était célibataire sans donner davantage de précisions sur sa situation, la preuve de l'existence d'une communauté de vie effective, ancienne et stable. Dans ces conditions, le préfet de Maine-et-Loire n'a pas commis d'erreur manifeste d'appréciation en ne se saisissant pas de la faculté d'instruire la demande d'asile en France que lui offrait l'article 17 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013. Pour les mêmes motifs, il n'a pas méconnu le droit au respect de la vie privée et familiale de Mme D... garanti par l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
8. En second et dernier lieu, pour le surplus, Mme D... se borne à reprendre devant le juge d'appel les mêmes moyens que ceux invoqués en première instance sans plus de précisions ou de justifications et sans les assortir d'éléments nouveaux. Il y a lieu d'écarter ces moyens par adoption des motifs retenus par le premier juge et tirés de ce que l'arrêté du 27 mai 2021 décidant son transfert aux autorités italiennes est suffisamment motivé et ne méconnaît pas les dispositions de l'article 5 du règlement n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013.
9. Il résulte de ce qui a été dit aux points 6 à 8 que Mme D... n'est pas fondée à exciper de l'illégalité de la décision de transfert aux autorités italiennes contre l'arrêté l'assignant à résidence.
Sur les autres moyens dirigés contre l'arrêté d'assignation à résidence :
10. Aux termes de l'article L. 561-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " I. - L'autorité administrative peut prendre une décision d'assignation à résidence à l'égard de l'étranger qui ne peut quitter immédiatement le territoire français mais dont l'éloignement demeure une perspective raisonnable, lorsque cet étranger : (...) 1° bis Fait l'objet d'une décision de transfert en application de l'article L. 742-3 ou d'une requête aux fins de prise en charge ou de reprise en charge en application du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissant les critères et mécanismes de détermination de l'Etat membre responsable de l'examen d'une demande de protection internationale introduite dans l'un des Etats membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride ; (...) ".
11. En premier lieu, la décision portant assignation à résidence de Mme D... vise l'article L. 561-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile dont il est fait application, ainsi que l'arrêté du 27 mai 2021 par lequel le préfet de Maine-et-Loire a décidé son transfert aux autorités italiennes et expose les conditions actuelles de sa présence sur le territoire français. Il fait état notamment de ce qu'il est nécessaire de s'assurer de sa disponibilité pour la mise en œuvre du transfert vers l'Etat membre requis dont elle fait l'objet. La décision contestée est ainsi suffisamment motivée en droit comme en fait.
12. En second lieu, Mme D... soutient que l'arrêté d'assignation en litige est entaché d'une erreur de droit dès lors que le préfet ne justifie pas de ce que son éloignement demeure une perspective raisonnable. Toutefois, cet arrêté, qui se fonde sur la circonstance que Mme D... fait l'objet d'une décision de transfert aux autorités italiennes, lesquelles n'ont pas entendu suspendre l'exécution des transferts pour raisons sanitaires, et qu'elle justifie, par son adresse domiciliaire, de garanties de représentation suffisantes, satisfait aux conditions prévues à l'article L. 751-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et apparaît adapté, nécessaire et proportionné à la finalité qu'il poursuit. Par suite, le moyen tiré de l'erreur de droit entachant cette décision doit être écarté.
13. Il résulte de tout ce qui précède que Mme D... n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, la magistrate désignée du tribunal administratif de Nantes a rejeté sa demande tendant à l'annulation de l'arrêté du 27 mai 2021 décidant son assignation à résidence.
Sur les conclusions à fin d'injonction :
14. Si, compte tenu de la caducité de la décision de transfert contestée, la France est l'Etat membre responsable de l'examen de la demande d'asile présentée par Mme D..., le présent arrêt, n'implique, par lui-même, aucune mesure d'exécution. Par suite, les conclusions aux fins d'injonction doivent être rejetées.
Sur les frais liés au litige :
15. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire droit aux conclusions présentées par Mme D... au profit de son avocate au titre des dispositions des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.
DECIDE :
Article 1er : Il n'a pas lieu de statuer sur les conclusions aux fins d'annulation en tant qu'elles se rapportent à l'arrêté du 27 mai 2021 du préfet de Maine-et-Loire décidant du transfert de Mme D... aux autorités italiennes.
Article 2 : Le surplus des conclusions de la requête de Mme D... est rejeté.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à Mme B... D... et au ministre de l'intérieur.
Une copie en sera adressée pour information au préfet de Maine-et-Loire.
Délibéré après l'audience du 4 février 2022, à laquelle siégeaient :
- M. Gaspon, président de chambre,
- M. Coiffet, président-assesseur,
- Mme Gélard, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 1er mars 2022.
Le rapporteur, Le président,
O. COIFFET O. GASPON
La greffière,
I. PETTON
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
N°21NT01830 2
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