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25/02/2022 | FRANCE | N°19NT01850

France | France, Cour administrative d'appel de Nantes, 3ème chambre, 25 février 2022, 19NT01850


Vu la procédure suivante :

Par un arrêt n°19NT01985 du 5 février 2021, la cour, saisie par M. Franck B... d'une requête tendant à l'annulation du jugement n° 1800478 du 24 avril 2019 par lequel le tribunal administratif de Caen a rejeté sa demande indemnitaire dirigée contre le centre hospitalier universitaire (CHU) de Caen, a ordonné une expertise médicale afin de déterminer si sa prise en charge, le 24 septembre 2013 par le CHU de Caen, avait été fautive.

Par une ordonnance du 11 février 2021, le président de la cour administrative d'appel de Nantes a désigné

le docteur A... C..., neurochirurgien, en qualité d'expert.

Le rapport d'ex...

Vu la procédure suivante :

Par un arrêt n°19NT01985 du 5 février 2021, la cour, saisie par M. Franck B... d'une requête tendant à l'annulation du jugement n° 1800478 du 24 avril 2019 par lequel le tribunal administratif de Caen a rejeté sa demande indemnitaire dirigée contre le centre hospitalier universitaire (CHU) de Caen, a ordonné une expertise médicale afin de déterminer si sa prise en charge, le 24 septembre 2013 par le CHU de Caen, avait été fautive.

Par une ordonnance du 11 février 2021, le président de la cour administrative d'appel de Nantes a désigné le docteur A... C..., neurochirurgien, en qualité d'expert.

Le rapport d'expertise a été enregistré le 1er juin 2021 au greffe de la cour.

Par une ordonnance du 10 juin 2021, le président de la cour a liquidé et taxé les frais et honoraires de l'expertise à la somme de 1 500 euros.

Par des mémoires enregistrés les 29 juillet 2021, 10 septembre 2021 et 13 novembre 2021 (non communiqué), M. Franck B..., représenté par Me Barry, demande à la cour de condamner le centre hospitalier universitaire de Caen à lui verser la somme totale de 420 142,71 euros dans l'hypothèse où la pension d'invalidité lui sera toujours versée après la date de l'arrêt à intervenir ou la somme totale de 649 844,59 euros dans l'hypothèse contraire.

Il soutient que :

- l'expert conclut bien à la responsabilité du CHU de Caen pour traitement inadapté et déficience, ce qui engage sa responsabilité sur le fondement des dispositions de l'article

L. 1142-1 du code de la santé publique ;

- le taux de perte de chance fixé à hauteur de 50 % par l'expert devra être retenu ;

- les frais annexes en lien avec l'accident médical devront être remboursés forfaitairement en lui allouant la somme de 3 500 euros ;

- La perte de revenus actuelle jusqu'à la date de consolidation au 21 juin 2017 s'élève à la somme de 21 577,08 euros ;

- contrairement aux conclusions de l'expert, il a bien eu besoins de l'aide d'une tierce personne, en l'occurrence celle de son épouse entre le 28 septembre 2013 et le 25 septembre 2015 ; ce chef de préjudice sera indemnisé à hauteur de 9 020 euros ;

- le déficit fonctionnel temporaire sera indemnisé à hauteur de 5 227,50 euros ;

- les souffrances endurées évaluées par l'expert à 4 sur 7 dont 3 imputables à la mauvaise prise en charge seront évaluées à la somme de 6 000 euros ;

- Il a subi un préjudice professionnel en conséquence de la perte de son emploi ; au titre des arriérages échus pour la période allant de la date de la consolidation à la date de l'arrêt à intervenir, le préjudice financier s'établit, déduction faite de la pension d'invalidité, à la somme de 41 612,94 euros ; pour la période future après la date de l'arrêt à intervenir, le centre hospitalier devra l'indemniser de la somme de 192 843,92 euros si sa pension d'invalidité est maintenue, ou de la somme de 515 407,07 euros dans le cas contraire ;

- l'incidence professionnelle doit être évaluée à la somme de 25 000 euros ;

- le déficit fonctionnel permanent, qui sera évalué à 15 %, sera indemnisé à hauteur de 12 000 euros, le préjudice d'agrément à hauteur de 5 000 euros et le préjudice esthétique permanent à hauteur de 1 000 euros ;

- il a subi un préjudice lié au retentissement psychologique.

Par des mémoires enregistrés les 15 juillet 2021 et 19 octobre 2021, le CHU de Caen, représenté par Me Le Prado, conclut au rejet de la requête et de la demande de la caisse primaire d'assurance maladie du Puy-de-Dôme.

Il soutient que :

- la précision apportée, à la demande de la cour, par l'expert sur le taux de perte de chance, qu'il fixe à 50 %, est arbitraire et doit être, en réalité, fixé à 30 % afin de tenir compte de l'état antérieur du patient et de ce qu'une intervention chirurgicale était, en tout état de cause, nécessaire ;

- le rapport d'expertise du Dr A... C... contient des incohérences s'agissant du défaut de réalisation d'un bilan IRM lombaire et de l'absence d'un test au corset, qui ne peuvent également justifier le taux de perte de chance de 50 % qu'il propose ;

- la demande portant sur les frais annexes sera rejetée en l'absence de tout justificatif ;

- la demande portant sur la perte de gains professionnels actuels sera rejetée en l'absence de justificatifs probants alors que, de plus, ce poste de préjudice est en lien avec son état antérieur ;

- la demande faite au titre de la tierce personne sera rejetée, l'expert ne retenant pas ce chef de préjudice ;

- la demande faite au titre du déficit fonctionnel temporaire est excessive et doit être évaluée à la somme de 660 euros ;

- la demande de M. B... faite au titre du déficit fonctionnel permanent devra être ramenée à de plus justes proportions en tenant compte d'une perte de chance de 30 % ;

- le préjudice d'agrément allégué par M. B... n'est pas établi alors que son état de santé antérieur ne lui aurait pas permis de poursuivre ses activités ;

- la demande de M. B... faite au titre du préjudice esthétique devra être ramenée à de plus justes proportions ;

- la demande de sursis à statuer formulée par le requérant sur les chefs de préjudice portant sur l'incidence professionnelle et la perte de gains professionnels futurs sera écartée ;

- le retentissement psychologique n'est pas établi ;

- en l'absence pour la caisse primaire d'assurance maladie de justifier de ses débours, sa demande sera rejetée.

Par un mémoire enregistré le 3 août 2021 et 29 octobre 2021, la caisse primaire d'assurance maladie du Puy-de-Dôme, venant aux droit de la Caisse de sécurité sociale des indépendants, représentée par Me Forfeille, demande à la cour de condamner le CHU de Caen à lui verser la somme de 70 189,81 euros au titre de ses débours provisoires, de surseoir à statuer sur la perte de gains professionnels futurs et l'incidence professionnelle, de condamner le CHU de Caen à lui verser la somme de 1 098 euros au titre de l'indemnité forfaitaire de gestion et de mettre à sa charge le paiement de la somme de 2 500 en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- la responsabilité du CHU de Caen est engagée ainsi que l'a relevé l'expert ;

- les débours, que le centre hospitalier sera condamné à lui rembourser, et qui sont justifiés, se décomposent en dépenses de santé actuelle (3 030,61 euros pour les frais médicaux et pharmaceutiques du 24 octobre 2013 au 14 décembre 2015 ; 10 302 euros au titre du poste de frais d'hospitalisation), en perte des gains professionnels actuels (8 371,99 euros du 1er octobre 2014 au 28 février 2015 puis 5 692,86 euros à compter du 1er mars 2015), en dépenses de santé futures pour la somme totale de 9 349,35 euros, en pertes de gains professionnels futurs et en incidence professionnelle pour un montant de 55 301,68 euros, ce qui représente une somme totale de 70 189,81 euros.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code de la santé publique ;

- le code de la sécurité sociale ;

- l'arrêté du 14 décembre 2021 relatif aux montants minimal et maximal de l'indemnité forfaitaire de gestion prévue aux articles L. 376-1 et L. 454-1 du code de la sécurité sociale pour 2022 ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. L'hirondel,

- et les conclusions de M. Berthon, rapporteur public,

Considérant ce qui suit :

1. M. Franck B..., né le 14 octobre 1971, qui souffrait de lombalgies anciennes récidivantes rachidiennes et sciatiques, a subi le 24 septembre 2013 une arthrodèse au centre hospitalier universitaire (CHU) de Caen. Mécontent des résultats de cette intervention, il a saisi d'une demande d'indemnisation la commission de conciliation et d'indemnisation des accidents médicaux (CCI) des Pays de la Loire. Après avoir nommé un expert neurochirurgien, qui a remis son rapport le 30 juin 2016, la CCI a rejeté la demande de M. B... le 16 décembre 2016. L'intéressé a alors saisi le tribunal administratif de Caen d'une demande tendant à ce que soit reconnue la responsabilité du CHU de Caen et à ce que soit ordonnée une expertise avant dire droit. Le tribunal a rejeté sa demande par un jugement du 24 avril 2019 dont M. B... relève appel. La caisse locale déléguée pour la sécurité sociale des travailleurs indépendants, aux droits de laquelle est venue en cours d'instance la caisse primaire d'assurance maladie (CPAM) du

Puy-de-Dôme, demande, quant à elle, le remboursement de ses débours. Par un arrêt avant dire droit du 5 février 2021, la cour a ordonné une nouvelle expertise, confiée à un neurochirurgien dont le rapport a été enregistré le 1er juin 2021 au greffe de la cour.

Sur la responsabilité du CHU de Caen :

2. Aux termes de l'article L. 1142-1 du code de la santé publique : " I. - Hors le cas où leur responsabilité est encourue en raison d'un défaut d'un produit de santé, les professionnels de santé mentionnés à la quatrième partie du présent code, ainsi que tout établissement, service ou organisme dans lesquels sont réalisés des actes individuels de prévention, de diagnostic ou de soins ne sont responsables des conséquences dommageables d'actes de prévention, de diagnostic ou de soins qu'en cas de faute. ".

3. Il résulte de l'instruction, en particulier du rapport de l'expert mandaté par la cour, que M. B... souffre, depuis l'âge de 25 ans, de crises de lombalgies qui durent quelques jours. En octobre 2012, alors âgé de 41 ans, il présente une crise de lombosciatique droite. Son médecin traitant prescrit un scanner lombaire et les douleurs vont régresser sous l'effet du traitement médical et de séances de kinésithérapie. Toutefois, quelques mois plus tard, le 27 juillet 2013, M. B... est atteint d'une nouvelle crise de lombosciatique droite. Pris en charge par le service des urgences de l'hôpital de Flers, qui lui prescrit un traitement médical, il lui est conseillé de s'orienter vers un spécialiste en chirurgie du rachis. C'est dans ces conditions que M. B... consulte, le 8 août 2013, un chirurgien du service de neurochirurgie du CHU de Caen. Ce chirurgien diagnostique " des lombalgies chroniques ainsi qu'une sciatique S1 droite avec paresthésies L. 5 droites " et une " hernie discale volumineuse en L5-S1 droite avec une discopathie importante " pour laquelle une " arthrodèse circonférentielle est de rigueur ". Le chirurgien décide d'opérer rapidement le patient. M. B... sera opéré le 24 septembre 2013 et regagnera son domicile le 27 septembre suivant. Toutefois, en raison de la persistance des douleurs, il sera revu en consultation les 18 et 24 octobre 2013 par le chirurgien puis par la cheffe du service de neurologie et un médecin de l'hôpital spécialisé dans la douleur. A compter du 14 août 2014, le requérant est pris en charge par un nouveau chirurgien de l'hôpital qui, après avoir réalisé un bilan par imagerie par résonance magnétique (IRM) complémentaire, propose une reprise chirurgicale. L'opération sera effectuée le 22 juin 2015. M. B... quittera le service quatre jours après l'intervention, sans complication. Selon M. B..., il a ressenti, grâce à cette opération, une amélioration quant aux douleurs lombaires mais une persistance des douleurs neuropathiques séquellaires et une raideur du dos avec des lombalgies, ce qui nécessite une prise en charge kinésithérapeutique régulière.

4. Il résulte du rapport du même expert que, pour la pathologie dont souffrait M. B..., il est proposé préalablement à toute intervention chirurgicale, une prise en charge rééducative avec éventuellement des infiltrations qui doivent être prescrites par le médecin spécialiste alors même que le médecin traitant ne l'aurait pas conseillé. Surtout, en présence d'un patient relativement jeune souffrant d'une lombosciatique, il n'est pas proposé d'emblée, comme en l'espèce, une arthrodèse avec laminectomie, qui connaît un taux d'échec de l'ordre de 20 à 25 %, mais une chirurgie plus simple de discectomie ou, éventuellement, une prise en charge médicale et rééducative. Il suit de là que l'opération réalisée le 24 septembre 2013 était inadaptée à la pathologie dont souffrait M. B... pour avoir été proposée d'emblée alors qu'une autre thérapie présentant moins de risque aurait dû être mise en œuvre. Enfin, il résulte également de l'expertise judiciaire que, selon le rapport du médecin de la douleur du CHU de Caen du 3 avril 2014, cette opération s'est avérée incomplète du fait que les foramens n'ont pas été libérés convenablement et que le montage était insuffisant, ce qui a nécessité une nouvelle opération, le 22 juin 2015, avec une reprise d'arthrodèse, l'ablation du matériel d'ostéosynthèse postérieure et la mise en place d'une cage intersomatique.

5. Il résulte de ce qui précède que le choix thérapeutique inadapté décidé lors de la prise en charge de M. B... le 24 septembre 2013, qui était en outre insuffisante tant dans sa préparation que dans son exécution, constitue une faute de nature à engager la responsabilité du CHU de Caen.

Sur la perte de chance :

6. Dans le cas où la faute commise lors de la prise en charge ou le traitement d'un patient dans un établissement public de santé a compromis ses chances d'obtenir une amélioration de son état de santé ou d'échapper à son aggravation, le préjudice résultant directement de la faute commise par l'établissement et qui doit être intégralement réparé n'est pas le dommage corporel constaté, mais la perte de chance d'éviter que ce dommage advienne. La réparation qui incombe à l'hôpital doit alors être évaluée à une fraction du dommage corporel, déterminée en fonction de l'ampleur de la chance perdue

7. Il résulte de l'instruction, notamment du rapport d'expertise judiciaire, que la prise en charge proposée d'emblée à M. B..., telle que rappelée au point 4, n'était pas adaptée à sa pathologie et lui a fait perdre une chance, que l'expert a estimé, selon son courrier du 27 juin 2021 qui a été communiqué aux parties, à 50 %, d'améliorer son état de santé et d'échapper à son aggravation. La circonstance que l'intéressé souffrait déjà de crise de lombalgies de courte durée s'intensifiant dans le temps, qu'il aurait dû, en tout état de cause, subir une intervention chirurgicale et que, contrairement à ce qu'a retenu l'expert, un bilan IRM lombaire et la pose d'un corset auraient été réalisés, est sans incidence pour apprécier la perte de chance de M. B... de voir son état de santé s'améliorer ou de ne pas s'aggraver du fait d'une prise en charge inadaptée et insuffisante. Dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu d'évaluer l'ampleur de cette perte de chance à 50 % et de mettre à la charge du CHU de Caen la réparation de cette fraction du dommage.

En ce qui concerne les préjudices patrimoniaux :

S'agissant des frais divers :

8. Si M. B... demande à être indemnisé forfaitairement des " frais annexes " auxquels il aurait été exposés et tenant en des frais de transport, de stationnement, ainsi que de courriers dans ses démarches médicales et de rendez-vous médicaux en lien avec son dommage corporel, il ne produit toutefois aucun justificatif de nature à établir la réalité des dépenses qu'il a engagées et restées à sa charge. Par suite, la demande indemnitaire de M. B... relative à ce chef de préjudice ne peut être accueillie.

S'agissant des pertes de revenus :

Du 1er mars 2015 à la date du présent arrêt :

9. Il résulte de l'instruction qu'avant sa prise en charge par le centre hospitalier, si M. B... se plaignait de crises lombosciatiques récurrentes, il pouvait néanmoins continuer à exercer une activité professionnelle de peintre en bâtiment sous le régime auto-entrepreneur. Si l'opération de reprise, réalisée le 22 juin 2015, a permis, selon l'expert, une " relative amélioration " de l'état antérieur du patient, c'était au regard des conséquences de " la première chirurgie mal adaptée et mal préparée ". L'expert conclut que la faute commise par le centre hospitalier a eu pour le requérant un retentissement professionnel important avec la perte de ses activités professionnelles et une mise en invalidité définitive. Ainsi, depuis la première opération du 24 septembre 2013, à l'origine de son dommage corporel, M. B... n'a pu reprendre son travail et a été mis en invalidité à compter du 1er mars 2015. Selon les avis d'imposition sur le revenu qu'il produit, M. B... a déclaré, pour son activité professionnelle, un revenu de 17 032 euros au titre de l'année 2012 et un revenu de 16 332 euros au titre de l'année 2013, ce qui représente un revenu moyen annuel de 16 682 euros (soit 45,70 euros par jour). A compter du 1er mars 2015, il a perçu une pension d'invalidité d'un montant mensuel de 619,55 euros, soit 20,65 euros par jour. La perte de revenu quotidienne s'élève ainsi à la somme de 25,05 euros (45,70 - 20,65). Par suite, sur la période du 1er mars 2015 au 25 février 2022, date du présent arrêt, soit 2 554 jours, la perte de gains professionnels s'élève à la somme totale de 63 977,70 euros.

De la date du présent arrêt au jour de la retraite :

10. Pour la période allant du 25 février 2022 au 14 octobre 2033, date à laquelle M. B... atteindra l'âge théorique de la retraite, soit 62 ans, il y a lieu de capitaliser le manque à gagner annuel de 9 143,25 euros (25,05 x 365) par application du taux de l'euro de rente viagère fixé à 11,560 par le barème publié par la Gazette du Palais en 2020 applicable pour un homme de 50 ans, âge de M. B... à la date d'attribution de cette rente. La somme correspondante s'élève ainsi à 105 695,97 euros.

A compter de la retraite :

11. M. B... soutient que la perte de revenus à laquelle il doit faire face aura une incidence sur le montant de sa pension de retraite et demande, en l'état de ses dernières écritures, la condamnation du CHU de Caen à lui verser la somme de 285 705,19 euros dans l'hypothèse où la pension d'invalidité lui serait toujours servie ou celle de 515 407,07 euros dans l'hypothèse inverse. Toutefois, dans son mémoire enregistré le 10 septembre 2021, le requérant demandait à la cour de sursoir à statuer sur ce chef de préjudice en faisant valoir qu'il était dans l'incapacité d'en connaître l'ampleur en l'absence de chiffrage par les services de la caisse de la pension de vieillesse pour inaptitude. M. B... ne produit aucun document de ce service ou tout autre document permettant d'apprécier l'incidence des pertes de revenus en lien avec la faute retenue à l'encontre du centre hospitalier sur le montant de sa pension de retraite. Dans ces conditions, en l'absence de pouvoir actuellement évaluer ce préjudice, qui présente un caractère futur, il appartiendra à M. B..., s'il y croit fondé, de saisir la personne publique compétente, et le cas échéant les juridictions compétentes, pour faire valoir sa demande d'indemnisation à ce titre le moment venu.

S'agissant de l'incidence professionnelle :

12. M. B..., qui exerçait l'activité professionnelle de peintre en bâtiment sous le statut d'autoentrepreneur, sollicite le versement d'une somme de 25 000 euros au titre de l'incidence professionnelle. Toutefois, en se bornant à faire valoir, sans autre précision, son âge de 50 ans, sa formation professionnelle et les restrictions médicales, il ne résulte pas de l'instruction que le requérant aurait justifié d'une chance sérieuse d'augmenter ses revenus professionnels, dont la privation serait constitutive d'une incidence professionnelle, distincte de la perte de ses revenus.

S'agissant de l'assistance d'une tierce personne :

13. Lorsque le juge administratif indemnise dans le chef de la victime d'un dommage corporel la nécessité de recourir à l'aide d'une tierce personne, il détermine le montant de l'indemnité réparant ce préjudice en fonction des besoins de la victime et des dépenses nécessaires pour y pourvoir. Il doit à cette fin se fonder sur un taux horaire déterminé, au vu des pièces du dossier, par référence, soit au montant des salaires des personnes à employer augmentés des cotisations sociales dues par l'employeur, soit aux tarifs des organismes offrant de telles prestations, en permettant le recours à l'aide professionnelle d'une tierce personne d'un niveau de qualification adéquat et sans être lié par les débours effectifs dont la victime peut justifier. Il n'appartient notamment pas au juge, pour déterminer cette indemnisation, de tenir compte de la circonstance que l'aide a été ou pourrait être apportée par un membre de la famille ou un proche de la victime.

14. Il résulte du rapport de l'expert judiciaire que l'état de santé du requérant ne nécessite pas l'assistance d'une tierce personne. Si M. B... soutient, néanmoins, qu'il a eu besoin d'une telle aide apportée pour son épouse pour le lavage du bas du corps et le laçage de ses chaussures à raison d'une heure par jour du 28 septembre 2013 au 28 décembre 2013 puis de quatre heures par semaine entre le 29 décembre 2013 et le 20 juin 2015 et entre le 26 juin 2015 et le 25 septembre 2015, il n'apporte aucun élément de nature à justifier cette aide, ni au demeurant le temps de prise en charge allégué compte tenu des tâches décrites par l'intéressé. Par suite, ce chef de préjudice doit être écarté.

En ce qui concerne les préjudices extra-patrimoniaux :

S'agissant du déficit fonctionnel temporaire :

15. Il résulte du rapport d'expertise du Dr A... C... que, d'une part, du 23 septembre 2013 au 27 septembre 2013 puis du 22 juin 2015 au 26 juin 2015, correspondant aux période d'hospitalisation, M. B... a subi un déficit fonctionnel temporaire de 100% et jusqu'au 21 juin 2017, date de consolidation retenue par l'expert, un déficit temporaire évalué à 25%. Toutefois, il n'y a pas lieu de tenir compte s'agissant des périodes d'hospitalisation, d'une durée de 48 heures correspondant à une durée normale d'hospitalisation pour une hernie discale lombaire et, s'agissant du déficit fonctionnel temporaire fixé à 25 %, d'une période de deux mois correspondant à une évolution normale après une intervention simple de discectomie habituellement réalisée avec une reprise d'activité par la suite. Il sera ainsi fait une juste appréciation de ce poste de préjudice en le fixant à la somme de 3 200 euros.

S'agissant des souffrances endurées :

16. Les souffrances endurées par le requérant en raison de sa mauvaise prise en charge par le CHU de Caen ont été fixées par l'expert à 4 sur une échelle de 7 avant consolidation dont 3 sur 7 imputable à la mauvaise prise en charge du patient et qui a nécessité une deuxième intervention chirurgicale. Il sera fait une juste appréciation de ce poste de préjudice en fixant son indemnisation à la somme de 6 000 euros.

S'agissant du déficit fonctionnel permanent :

17. Il résulte de l'instruction et notamment du rapport d'expertise que la seconde opération réalisée le 22 juin 2015, qui est la conséquence de l'échec de celle intervenue le

24 septembre 2013 qui était mal adaptée et mal préparée, n'a donné lieu qu'à une relative amélioration de l'état antérieur du patient qui se plaint de la persistance de douleurs neuropathiques séquellaires et d'une raideur du dos avec des lombalgies nécessitant une prise en charge kinésithérapique régulière. Dans ces conditions et compte tenu de l'âge de M. B... à la date de la consolidation, il sera fait une juste appréciation de ce chef de préjudice, dont une part de 10 % peut être imputée à la mauvaise prise en charge du patient par le CHU de Caen, en le fixant à la somme de 15 000 euros.

S'agissant du préjudice esthétique :

18. L'expert a retenu un préjudice esthétique permanent de " 2 sur 7 dont 1 sur 7 est imputable à la mauvaise prise en charge nécessitant une deuxième intervention par voie antérieure ". Il note dans son rapport une cicatrice lombaire basse de 11 cm de qualité moyenne et une cicatrice abdominale de 10 cm de bonne qualité. Il résulte également de ce rapport, et ainsi qu'il a été dit au point 4, qu'une chirurgie plus simple de discectomie aurait pu être réalisée, ce qui, aurait néanmoins entrainé au moins une cicatrice. Dans ces conditions, il y a lieu d'allouer à ce titre une somme de 1 000 euros. Il ne résulte pas, en revanche, de l'instruction que M. B... aurait subi un préjudice esthétique temporaire.

S'agissant du préjudice d'agrément :

19. M. B... soutient souffrir d'un préjudice d'agrément pour ne plus pouvoir s'adonner à la moto et au cyclisme, avoir des difficultés pour pratiquer la natation et avoir une marche limitée. Toutefois, il ne résulte pas de l'instruction, alors qu'au surplus il souffrait déjà depuis l'âge de 25 ans, de crises de lombalgies récurrentes, que l'intéressé aurait, avant son opération, pratiqué régulièrement de telles activités avec une intensité particulière. Il n'y a pas lieu, par suite, de faire droit à la demande indemnitaire présentée à ce titre, la privation des activités étant déjà indemnisée au titre du déficit fonctionnel.

20. Il résulte de tout ce qui précède que le montant total des préjudices subis par M. B... du fait de sa mauvaise prise en charge par le CHU de Caen le 24 septembre 2013 doit être évalué à la somme totale de 194 873,67 euros. Par suite, le requérant est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Caen a rejeté sa demande et à obtenir, compte tenu du taux de perte de chance retenu, que le CHU de Caen soit condamné à lui verser la somme totale de 97 436,84 euros en réparation des divers préjudices ayant résulté de l'intervention qu'il a subie.

En ce qui concerne les droits de la caisse :

21. La caisse primaire d'assurance maladie (CPAM) du Puy-de-Dôme, venant aux droits de la caisse locale déléguée pour la sécurité sociale des travailleurs indépendants, justifie par l'attestation détaillée du médecin-conseil du 12 octobre 2021 et de l'état des débours du même jour, avoir exposé pour le compte de son assuré les sommes de 4 120,80 euros au titre des frais hospitaliers correspondant à l'hospitalisations du 26 au 27 septembre 2013, de 2 922,79 euros au titre des frais médicaux pour la période du 24 octobre 2013 au 7 février 2017, de 7 549,19 euros au titre des indemnités journalières versées en raison des pertes de gain professionnels actuels, de 295,35 euros au titre des soins post-consolidation et de 55 301,68 euros au titre des arrérages échus en invalidité, ce qui représente une somme totale de 70 189,81 euros. Par suite, compte tenu du taux de perte de chance retenu, il y a lieu de condamner le CHU de Caen à verser à la CPAM du Puy-de-Dôme la somme de 35 094,91euros.

Sur l'indemnité forfaitaire de gestion :

22. Aux termes de l'article L. 376-1 du code de la sécurité sociale : " (...) En contrepartie des frais qu'elle engage pour obtenir le remboursement mentionné au troisième alinéa ci-dessus, la caisse d'assurance maladie à laquelle est affilié l'assuré social victime de l'accident recouvre une indemnité forfaitaire à la charge du tiers responsable et au profit de l'organisme national d'assurance maladie. (...). A compter du 1er janvier 2007, les montants mentionnés au présent alinéa sont révisés chaque année, par arrêté des ministres chargés de la sécurité sociale et du budget (...) ". Aux termes de l'article 1er de l'arrêté du 14 décembre 2021visé ci-dessus : " Les montants minimal et maximal de l'indemnité forfaitaire de gestion prévue aux articles L. 376-1 et L. 454-1 du code de la sécurité sociale sont fixés respectivement à 110 € et à 1 114 € au titre des remboursements effectués au cours de l'année 2022. ".

23. La CPAM du Puy-de-Dôme, venant aux droits de la caisse locale déléguée pour la sécurité sociale des travailleurs indépendants, demande à ce que l'indemnité forfaitaire de gestion soit mise à la charge du CHU de Caen. Compte tenu de ce que la Caisse obtient en appel gain de cause en ce qui concerne la somme due au titre de ses débours, elle est fondée à demander le versement d'une somme de 1 114 euros au titre de l'indemnité forfaitaire de gestion prévue par les dispositions de l'article L. 376-1 du code de la sécurité sociale

Sur les frais liés au litige :

24. Il y a lieu, en application des dispositions de l'article R. 761-1 du code de justice administrative, de mettre les frais de l'expertise confiée au docteur A... C..., liquidés et taxés à la somme de 1 500 euros par ordonnance du président de la cour du 10 juin 2021, à la charge définitive du CHU de Caen.

25. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire application des dispositions de l'article L.761-1 du code de justice administrative et de mettre à la charge du CHU de Caen une somme de 1 500 euros au titre des frais exposés par M. B... et non compris dans les dépens et une somme de 1 200 euros à verser à la CPAM du Puy-de-Dôme, au même titre.

DÉCIDE :

Article 1er : Le jugement n° 1800478 du 24 avril 2019 du tribunal administratif de Caen est annulé.

Article 2 : Le CHU de Caen versera à M. B... la somme totale de 97 436,84 euros.

Article 3 : Le CHU de Caen versera à la CPAM du Puy-de-Dôme, venant aux droits de la caisse locale déléguée pour la sécurité sociale des travailleurs indépendants, une somme de 35 094,91 euros au titre de ses débours

Article 4 : Les frais de l'expertise, taxés et liquidés à la somme de 1 500 euros, sont mis à la charge du CHU de Caen.

Article 5 : Le CHU de Caen versera, au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, une somme de 1 500 euros à M. B... et une somme de 1 200 euros à la CPAM du Puy-de-Dôme, venant aux droits de la caisse locale déléguée pour la sécurité sociale des travailleurs indépendants.

Article 6 : Le CHU de Caen versera à la CPAM du Puy-de-Dôme, venant aux droits de la caisse locale déléguée pour la sécurité sociale des travailleurs indépendants, la somme de 1 114 euros au titre de l'indemnité forfaitaire de gestion.

Article 7 : Le surplus des conclusions des parties est rejeté.

Article 8 : Le présent arrêt sera notifié à M. Franck B..., au centre hospitalier universitaire de Caen et à la caisse primaire d'assurance maladie du Puy-de-Dôme.

Délibéré après l'audience du 3 février 2022, à laquelle siégeaient :

- Mme Brisson, présidente,

- M. L'hirondel, premier conseiller,

- M. Franck, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 25 février 2022.

Le rapporteur

M. L'HIRONDEL

La présidente

C. BRISSON

Le greffier

R. MAGEAU

La République mande et ordonne au ministre des solidarités et de la santé en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

N° 19NT01850


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Nantes
Formation : 3ème chambre
Numéro d'arrêt : 19NT01850
Date de la décision : 25/02/2022
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : Mme la Pdte. PERROT
Rapporteur ?: M. Eric BERTHON
Rapporteur public ?: M. BERTHON
Avocat(s) : CABINET FORVEILLE MARI LELONG

Origine de la décision
Date de l'import : 08/03/2022
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.nantes;arret;2022-02-25;19nt01850 ?
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