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04/02/2022 | FRANCE | N°21NT00174

France | France, Cour administrative d'appel de Nantes, 3ème chambre, 04 février 2022, 21NT00174


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme B... C... a demandé au tribunal administratif de Nantes de condamner le centre hospitalier universitaire (CHU) d'Angers et la Société hospitalière d'assurances mutuelles (SHAM) à lui verser la somme de 390 748,60 euros en réparation des préjudices résultant de sa prise en charge le 30 juin 2008.

Par un jugement n° 1610486 du 9 décembre 2020, le tribunal administratif de Nantes a condamné le CHU d'Angers et la SHAM à lui verser la somme de 64 640,37 euros, sous déduction de la provision de 1

5 000 euros déjà versée, outre les sommes correspondant à ses frais futurs de san...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme B... C... a demandé au tribunal administratif de Nantes de condamner le centre hospitalier universitaire (CHU) d'Angers et la Société hospitalière d'assurances mutuelles (SHAM) à lui verser la somme de 390 748,60 euros en réparation des préjudices résultant de sa prise en charge le 30 juin 2008.

Par un jugement n° 1610486 du 9 décembre 2020, le tribunal administratif de Nantes a condamné le CHU d'Angers et la SHAM à lui verser la somme de 64 640,37 euros, sous déduction de la provision de 15 000 euros déjà versée, outre les sommes correspondant à ses frais futurs de santé.

Procédure devant la cour :

Par une requête et un mémoire, enregistrés les 20 janvier 2021 et 28 juillet 2021, Mme B... C..., représentée par Me Cappato, demande à la cour :

1°) de réformer ce jugement du 9 décembre 2020 en tant qu'il n'a fait que partiellement droit à sa demande ;

2°) de condamner le CHU d'Angers et la SHAM à lui verser une somme totale de 309 390,52 euros en réparation des préjudices postérieurs à la consolidation de son état de santé ; subsidiairement de condamner le CHU d'Angers et la SHAM à lui verser, en sus des sommes mises à leur charge par le jugement, la somme de 3 635 euros en remboursement des consultations de psychologue jusqu'au mois de juin 2019 outre, sur production de justificatifs, de celles postérieures au mois de juillet 2019 ;

- de rejeter les demandes du CHU d'Angers et de la SHAM ;

- de mettre à la charge du CHU d'Angers et de la SHAM la somme de 10 000 euros au titre de l'article L 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- compte tenu des nombreuses complications qu'elle subit, son besoin d'accompagnement par un psychologue est de longue durée et devra être réparé par le versement d'une somme de 15 625 euros ;

- les frais de déplacement exposés après la consolidation s'élèvent à 3 710,42 euros ;

- le forfait hospitalier resté à sa charge s'élève à 75 euros ;

- son état de santé fait obstacle à ce qu'elle puisse travailler à plein temps de sorte qu'elle subit ainsi une perte de gains professionnels pouvant être évaluée à 35 748 euros jusqu'au jour de l'arrêt à intervenir et de 224 970,10 euros postérieurement à cette date ; subsidiairement, si une rente devait lui être allouée à ce titre, ce préjudice doit être évalué à 145 904,42 euros jusqu'à l'âge de départ à la retraite et à 78 049,44 euros s'agissant de la perte de droits à la retraite ;

- l'incidence professionnelle est certaine puisqu'elle subit une dévalorisation sur le marché du travail et devra être réparée par le versement d'une somme de 50 000 euros ;

- les souffrances endurées ont été sous-évaluées par le tribunal compte tenu des difficultés liées à une autre grossesse et doivent être réparées par le versement d'une somme complémentaire de 7 000 euros.

Par un mémoire en défense enregistré le 8 juin 2021, le centre hospitalier universitaire d'Angers et la SHAM, représentés par Me Le Prado, concluent à la réformation du jugement attaqué en limitant leur condamnation au titre de la réparation du préjudice lié à la nécessité de recourir à une fécondation in vitro à 50 % et au rejet du surplus des conclusions de la requête.

Ils soutiennent que c'est à tort que le tribunal n'a pas tenu compte de l'état antérieur de Mme C... s'agissant de la nécessité pour elle de recourir à la PMA pour avoir un autre enfant ; la requérante ne justifie pas des frais de déplacement exposés pour se rendre chez son généraliste ou un dermatologue ; il n'est pas justifié que des frais hospitaliers seraient restés à sa charge ; Mme C... n'est pas inapte à toute activité professionnelle et ne peut demander une indemnité au titre d'une perte de gains professionnels et il n'y a pas lieu en l'espèce de majorer la somme allouée par le tribunal au titre de l'incidence professionnelle.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code de la santé publique ;

- le code de la sécurité sociale ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Brisson,

- et les conclusions de M. Pons, rapporteur public.

Considérant ce qui suit :

1. Mme C..., née le 19 janvier 1990, a été admise le 30 juin 2008 au centre hospitalier universitaire (CHU) d'Angers pour y subir une interruption volontaire de grossesse sous anesthésie locale. Au cours de l'intervention, une suspicion de perforation utérine a nécessité son transfert immédiat au bloc opératoire de chirurgie gynécologique pour une intervention sous anesthésie générale. Devant l'échec d'une nouvelle tentative d'aspiration curetage, une cœlioscopie a été réalisée et a fait apparaître une perforation utérine avec incarcération et plaie de l'intestin grêle. Une malformation à type d'utérus unicorne gauche, associée à une trompe droite rudimentaire a concomitamment été mise en évidence. Mme C... a alors subi une laparoconversion pour désincarcération et résection de l'intestin grêle. L'intéressée a saisi la commission de conciliation et d'indemnisation des accidents médicaux (CCI) des Pays de la Loire qui, après expertise, a émis un avis le 25 septembre 2013 concluant à la responsabilité du CHU d'Angers. La SHAM a adressé à Mme C... une proposition indemnitaire que cette dernière a jugée insuffisante.

2. Par un jugement avant-dire droit du 27 juin 2018, le tribunal administratif de Nantes, après avoir constaté que l'utilisation d'une pince à faux germes, en présence d'une perforation utérine et avant tout contrôle par coelioscopie, a provoqué une plaie de l'anse intestinale incarcérée dans la brèche utérine et que ce geste opératoire inapproprié constitue une faute de nature à engager la responsabilité du CHU d'Angers, a ordonné une expertise afin de déterminer si les difficultés que Mme C... rencontrait pour concevoir un enfant provenaient des suites de cette intervention chirurgicale. L'expert a rendu son rapport le 8 mars 2019. Par un jugement n° 1610486 du 9 décembre 2020, ce même tribunal a condamné solidairement le CHU d'Angers et la SHAM à verser à Mme C... la somme de 64 640,37 euros, sous déduction de la provision de 15 000 euros déjà versée, ainsi que, sur justificatifs, les sommes correspondant aux dépenses futures de santé.

3. Mme C... relève appel de ce jugement en tant qu'il n'a fait que partiellement droit à sa demande indemnitaire. Par la voie de l'appel incident, le CHU d'Angers et la SHAM demandent la réformation de ce jugement en tant qu'il n'a pas retenu un taux de perte de chance partiel pour la victime d'échapper aux conséquences dommageables qui l'affectent.

Sur le taux de perte de chance :

4. Dans le cas où la faute commise lors de la prise en charge ou le traitement d'un patient dans un établissement public hospitalier a compromis ses chances d'obtenir une amélioration de son état de santé ou d'échapper à son aggravation, le préjudice résultant directement de la faute commise par l'établissement et qui doit être intégralement réparé n'est pas le dommage corporel constaté, mais la perte de chance d'éviter ce dommage. La réparation qui incombe à l'hôpital doit alors être évaluée par le juge à une fraction du dommage corporel déterminée en fonction de l'ampleur de la chance perdue.

5. Il résulte de l'instruction et en particulier du rapport d'expertise établi le 8 mars 2019 que la manipulation à l'aveugle de la pince à faux germe consécutivement à la blessure utérine a perforé l'intestin grêle de Mme C... à l'origine d'une infection pelvienne avec comme séquelles l'obturation de la trompe gauche et des adhérences péri-ovariennes gauches avec dystrophie ovarienne kystique. Cette plaie a nécessité la résection partielle de l'intestin grêle. Si l'intéressée présentait un utérus unicorne associé à une trompe droite rudimentaire, il ne résulte pas de l'instruction que cet état antérieur fût, même partiellement, à l'origine des complications qu'elle a rencontrées à la suite de l'interruption volontaire de grossesse pratiquée en 2008. La plaie du grêle ayant affecté Mme C..., outre les répercussions sur son métabolisme intestinal, a pour effet que l'intéressée ne peut désormais concevoir que par fécondation in vitro.

6. Dans ces conditions, et alors que les antécédents de Mme C... n'avaient pas fait obstacle à une grossesse antérieure, c'est par une juste appréciation des circonstances de l'espèce que les premiers juges ont considéré que la faute médicale commise par le CHU d'Angers est à l'origine d'un taux de perte de chance de 100 % pour Mme C... de se soustraire aux conséquences de la perforation intestinale. Il s'ensuit que les conclusions d'appel incident présentées par le CHU d'Angers et son assureur tendant à ce que le taux de perte de chance retenu par les premiers juges soit ramené à 50 % ne peuvent être accueillies.

Sur les préjudices :

S'agissant des consultations chez un psychologue :

7. Mme C... fait valoir que le retentissement psychologique résultant de l'image dégradée qu'elle peut avoir d'elle-même à raison des inconvénients induits par les douleurs et les troubles intestinaux qu'elle présente à l'origine de restrictions sociales et professionnelles ainsi que des difficultés rencontrées pour procréer, implique un suivi par un psychologue pendant " plusieurs décennies ". Cependant, si elle produit une attestation de son thérapeute rappelant les complications de l'accident médical dont elle a été victime, ce document, eu égard aux termes dans lesquels il est rédigé, ne saurait être de nature à démontrer le caractère réel et certain de ce besoin pendant plusieurs dizaines d'années. En l'espèce, il ressort des termes du jugement attaqué que les premiers juges ont, non seulement mis à la charge du CHU d'Angers et de son assureur le versement d'une somme de 3 635 euros correspondant au coût des séances suivies auprès d'un psychologue entre 2014 et 2019, mais ont également prévu que les intimés seront tenus de rembourser les séances que la requérante sera amenée à suivre à l'occasion de futurs traitements de stimulation de l'ovulation et de tentatives de fécondation in vitro sur production de justificatifs. Dans ces conditions, Mme C... n'est pas fondée à demander que la somme qui lui a été allouée soit portée à celle de 15 635 euros.

S'agissant des frais de déplacement postérieurs à la consolidation :

8. Mme C... réitère en appel sa demande tendant au remboursement des frais de transport qu'elle a exposés pour consulter un généraliste. Toutefois, ainsi que l'a relevé le tribunal, la requérante ne démontre pas que les consultations d'un généraliste seraient en lien de causalité direct avec la faute commise par le CHU.

9. Si Mme C... produit des ordonnances établies par un dermatologue et des factures d'achat de produits dermatologiques, ces éléments ne sont pas, à eux seuls, de nature à justifier que les consultations chez un tel spécialiste seraient en lien direct avec l'accident médical dont elle a été victime. Par suite, la requérante n'est pas fondée à demander à être indemnisée de ce chef de préjudice.

10. Dans ces conditions, en ayant évalué à la somme totale de 3 280,68 euros, incluant les consultations auprès d'autres professionnels de santé, le montant, non contesté en défense, des frais de déplacement exposés par Mme C... postérieurement à sa consolidation, il a été fait par le tribunal une exacte appréciation de ses frais de déplacement.

S'agissant des frais d'hospitalisation :

11. Si Mme C... soutient qu'un forfait hospitalier de 25 euros est resté à sa charge à l'occasion de chacune des trois hospitalisations ayant eu lieu les 8, 16 et 23 juin 2015, elle ne justifie pas, par les pièces qu'elle produit, avoir dû exposer des frais d'un montant supérieur à la somme de 54 euros qui lui a été allouée à ce titre par les premiers juges.

S'agissant des pertes de gains professionnels futurs :

12. Mme C... fait valoir qu'alors même qu'elle n'exerçait pas d'activité professionnelle compte tenu de son âge à la date à laquelle le fait générateur du préjudice qu'elle subit s'est produit, elle ne peut désormais, eu égard aux séquelles physiologiques qu'elle présente, travailler qu'à mi-temps et uniquement l'après-midi. Toutefois, si l'intéressée présente un déficit fonctionnel permanent évalué à 12 % par l'expertise du 5 juin 2013 et a été reconnue en qualité de travailleur handicapé, il résulte de l'instruction qu'elle n'est pas privée de toute possibilité d'exercer une activité professionnelle, y compris à temps complet. Dans ces conditions, le préjudice allégué, qui ne présente pas de caractère certain, n'est pas de nature à lui ouvrir droit à indemnisation.

S'agissant de l'incidence professionnelle :

13. Il résulte de l'instruction que Mme C... qui souhaitait devenir expert-comptable a dû, en raison de son état de santé, cesser ses études après l'obtention d'un BTS. Les séquelles que l'intéressée présente lui imposent, ainsi qu'il a été constaté par l'expert, une activité professionnelle " relativement sédentaire, à une proximité immédiate des toilettes " Dans ces conditions et alors qu'il n'est ni établi ni même allégué que l'intéressée percevrait une pension d'invalidité, l'incidence professionnelle liée à une restriction des perspectives de carrière de l'intéressée pour toute la durée de sa vie active, pourra être réparée par le versement de la somme de 30 000 euros.

S'agissant des souffrances endurées :

14. Il résulte de l'instruction et notamment des deux rapports d'expertise établis les

5 juin 2013 et 8 mars 2019 que Mme C... a subi à la suite de l'intervention chirurgicale effectuée afin de réséquer l'intestin grêle, de la prolongation de son hospitalisation et de la modification du régime des selles, des souffrances qui ont été évaluées par l'expert à 3,5 sur une échelle allant de 1 à 7. Elle a également supporté des souffrances en raison de l'obligation de suivre des traitements de stimulation de l'ovulation, de fécondations in vitro. En revanche, si la naissance de son enfant en 2018 a rendu nécessaire une césarienne, cette circonstance, ainsi qu'il ressort des précisions apportées par l'expertise, est liée à la présence d'un utérus unicorne et non à la faute commise par le CHU.

15. Ainsi, dans les circonstances particulières de l'espèce, il a été fait par les premiers juges une juste appréciation des souffrances endurées par Mme C... en ayant estimé ce chef de préjudice à la somme 8 000 euros.

16. Il résulte de tout ce qui précède qu'il y a seulement lieu de porter à 30 000 euros le montant de l'indemnité réparant le préjudice lié à l'incidence professionnelle et de réformer le jugement attaqué dans cette mesure.

Sur les frais liés au litige :

17. Il y a lieu en l'espèce de laisser à la charge définitive du CHU d'Angers les frais d'expertise du Dr A..., taxés et liquidés par une ordonnance du 4 avril 2019 du président du tribunal administratif de Nantes à la somme de 3 836,80 euros.

18. Dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu, en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, de mettre à la charge du CHU d'Angers une somme de 1 500 euros qui sera versée à Mme C... au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens.

DECIDE :

Article 1er : La somme de 15 000 euros que le CHU d'Angers et la SHAM ont été solidairement condamnés à verser à Mme C... en réparation du préjudice lié à l'incidence professionnelle est portée à 30 000 euros.

Article 2 : Le jugement attaqué est réformé en ce qu'il a de contraire à l'article 1er du présent arrêt.

Article 3 : Le surplus des conclusions de la requête et les conclusions incidentes présentées par le CHU d'Angers et la SHAM sont rejetés.

Article 4 : Le CHU d'Angers et la SHAM verseront solidairement à Mme C... la somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à Mme B... C..., au centre hospitalier universitaire d'Angers, à la société hospitalière d'assurances mutuelles et à la caisse primaire d'assurance maladie de Loire-Atlantique.

Délibéré après l'audience du 20 janvier 2022, à laquelle siégeaient :

- M. Salvi président de chambre,

- Mme Brisson, présidente-assesseure,

- M. L'Hirondel, premier conseiller.

.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 4 février 2022.

La rapporteure,

C. BRISSON

Le président,

D. SALVI

La greffière,

A. MARTIN

La République mande et ordonne au ministre de la santé et des solidarités, en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

N° 21NT00174


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Nantes
Formation : 3ème chambre
Numéro d'arrêt : 21NT00174
Date de la décision : 04/02/2022
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : M. SALVI
Rapporteur ?: Mme Christiane BRISSON
Rapporteur public ?: M. PONS
Avocat(s) : SELARL CAPPATO et GAUDRE

Origine de la décision
Date de l'import : 15/02/2022
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.nantes;arret;2022-02-04;21nt00174 ?
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