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21/01/2022 | FRANCE | N°20NT02744

France | France, Cour administrative d'appel de Nantes, 4ème chambre, 21 janvier 2022, 20NT02744


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La métropole " Orléans Métropole " a demandé au tribunal administratif d'Orléans de condamner solidairement les sociétés Systra et Travaux du Sud-Ouest (TSO) à lui verser la somme globale de 11 390 932, 33 euros avec intérêts au taux légal au titre des préjudices subis à raison de désordres affectant la ligne A du tramway, dont d'une part, la somme de 9 524 729, 33 euros TTC pour la réalisation des travaux incluant les coûts de maitrise d'œuvre et d'autre part, la somme de 1 866 203 euros au titr

e des pertes d'exploitation et mettre à la charge des sociétés Systra et Travau...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La métropole " Orléans Métropole " a demandé au tribunal administratif d'Orléans de condamner solidairement les sociétés Systra et Travaux du Sud-Ouest (TSO) à lui verser la somme globale de 11 390 932, 33 euros avec intérêts au taux légal au titre des préjudices subis à raison de désordres affectant la ligne A du tramway, dont d'une part, la somme de 9 524 729, 33 euros TTC pour la réalisation des travaux incluant les coûts de maitrise d'œuvre et d'autre part, la somme de 1 866 203 euros au titre des pertes d'exploitation et mettre à la charge des sociétés Systra et Travaux du Sud-Ouest la somme de 167 084, 84 euros TTC au titre des frais d'expertise.

Par un jugement n° 1704315 du 2 juillet 2020, le tribunal administratif d'Orléans a rejeté les demandes d'Orléans Métropole.

Procédure devant la cour :

Par une requête et un mémoire, enregistrés le 1er septembre 2020 et le 14 avril 2021, la métropole " Orléans Métropole ", représentée par Me Communier, demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement n° 1704315 du tribunal administratif d'Orléans du 2 juillet 2020 ;

2°) ; de condamner solidairement la société Systra et la société Travaux du Sud-Ouest à lui verser la somme globale de 11 390 932, 33 euros, avec intérêts au taux légal et capitalisation des intérêts, soit :

- 9 524 729, 33 euros TTC au titre des travaux incluant les coûts de maîtrise d'œuvre ;

- 1 866 203 euros au titre des pertes d'exploitation ;

3°) de mettre à la charge solidaire de la société Systra et de la société Travaux du Sud-Ouest la somme globale de 167 084, 84 euros au titre des frais d'expertise ;

4°) de mettre à la charge de la société Systra et de la société Travaux du Sud-Ouest la somme de cinq mille euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

Elle soutient que :

- la responsabilité de la société Systra, maître d'œuvre, et de la société Travaux du Sud-Ouest, constructeur, est engagée en raison des fautes commises assimilables à un dol :

o la société Systra a commis une faute assimilable à un dol :

* elle a intentionnellement violé ses obligations contractuelles ; elle a commis une erreur dans le choix du dispositif d'implantation des selles de rail, alors qu'elle avait été mise en garde, à la fois par la note d'Ingérop qui l'informait de l'insuffisance du dispositif envisagé et par des essais en laboratoire défavorables ; la société Systra est internationalement reconnue comme une spécialiste de la conception des infrastructures ferroviaires et devait donc savoir pertinemment qu'elle homologuait un dispositif insuffisant ce qui, en tant que spécialiste, caractérise une violation grave de ses obligations contractuelles, à l'origine directe et certaine des désordres constatés sur l'infrastructure du tramway ;

* la gravité des conséquences est établie, notamment en raison de la perturbation du fonctionnement de la ligne A du tramway dans sa partie sud ; la situation a mis en danger les usagers du service public avec un risque d'accident ; les désordres ont rendu l'ouvrage impropre à sa destination ; les selles ont dû être changées sur une distance représentant entre un quart et un tiers de la longueur des sections 1 et 2 ;

* ni l'augmentation de la fréquentation du tramway, ni une défaillance de la maintenance ne sont à l'origine des désordres ;

o la société Travaux du Sud-Ouest a commis une faute assimilable à un dol :

* sa défaillance prend en partie sa source dans un défaut de conseil ;

* elle a commis une faute dans l'exécution des travaux puisqu'il lui appartenait de contrôler la fourniture des matériaux utilisés sur le chantier ;

* la société Travaux du Sud-Ouest ne pouvait ignorer les conséquences de son comportement dommageable puisqu'elle a été alertée par les résultats des études d'exécution alors qu'elle est une entreprise spécialisée dans la pose de rail ;

* la gravité des conséquences est établie pour les mêmes raisons que pour la société Systra ;

- en ce qui concerne le partage de responsabilité entre la société Systra et la société Travaux du Sud-Ouest, elle s'en remet à la cour ; l'expert a proposé une imputabilité technique à parts égales entre les deux sociétés ;

- en ce qui concerne son préjudice subi, il comprend :

o le coût des travaux estimé à 9 524 729, 33 euros TTC ; le coût est plus élevé que le montant estimé par l'expert, le coût des trois marchés passés pour les réparations ayant été supérieur ;

o les pertes d'exploitation, estimées à un montant de 1 866 203 euros, plus élevé que celui retenu par l'expert ; elle a pris en charge les surcoûts d'exploitation subis par son délégataire à la suite des désordres par la voie d'avenants adoptés par le conseil communautaire ; le risque supporté par son délégataire est limité à l'exploitation du service et non aux conséquences financières des désordres ;

- elle a entièrement réglé les frais d'expertise, y compris dans le cadre du référé constat, à hauteur globale de 167 084, 84 euros TTC.

Par un mémoire en défense, enregistré le 22 février 2021, la société Travaux du Sud-Ouest, représentée par Me Forté, demande à la cour :

1°) à titre principal, de rejeter la requête d'Orléans Métropole en tant qu'elle est dirigée contre elle ;

2°) à titre subsidiaire, de mettre à la charge de la société Systra 90 % des condamnations éventuellement prononcées ;

3°) à titre très subsidiaire, en cas de condamnation solidaire, de condamner la société Systra à la garantir à hauteur de 90 % des condamnations éventuellement prononcées ;

4°) de mettre à la charge d'Orléans Métropole la somme de 15 000 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- elle n'a commis aucun manquement frauduleux ou dolosif au titre de son obligation de conseil ;

o les essais ont été prescrits dans le cahier des clauses techniques particulières (CCTP) et relèvent de la responsabilité du maître d'œuvre ; le dossier de conception a été identique sur l'ensemble de la construction des six sections et les mêmes selles Synertech, seul fabricant de selles en résine, ont été utilisées sur l'ensemble de la voie ; elle n'était pas en mesure de relever, à la lecture des documents techniques, les insuffisances alléguées ni le fait que ces insuffisances pouvaient conduire à des désordres ;

o en outre, le fait que les premiers désordres, ponctuels, sont intervenus plus de dix ans après la réception des travaux démontre que la conception du projet n'a pas à être remise en cause ;

o elle a pris la précaution de commander une étude structurelle de la plateforme en plus des essais préconisés par le CCTP ;

- elle n'a commis aucun manquement frauduleux ou dolosif au titre de l'exécution des travaux ;

o elle n'a pas trompé le maître d'ouvrage par dissimulation intentionnelle sur la qualité du matériau fourni ; les selles fournies correspondaient strictement à la fiche technique des selles Synertech 35 G au demeurant seul matériau alors disponible ; le choix des selles et du dispositif de fixation était celui du maître d'œuvre ; ses travaux ont été validés par le maître d'œuvre et étaient strictement conformes au CCTP ;

o la faute qui lui est reprochée n'a pas de caractère de gravité et n'était pas prévisible ; les désordres sont apparus après plus de dix ans et ont consisté en un enfoncement ponctuel du rail sur un tronçon et la cassure de quelques selles, soit des désordres très limités dans leur étendue ; le réseau n'a pas connu d'autre dysfonctionnement à l'exception du sinistre de 2010 ;

o la cause réelle des désordres n'est pas techniquement établie ; les désordres sont probablement dus à un effet de fatigue à l'utilisation ; d'autres éléments causals peuvent être à l'origine des dommages, notamment une insuffisance des opérations de maintenance ;

- en ce qui concerne le montant du préjudice :

o le caractère réel et personnel du préjudice d'exploitation subi par Orléans Métropole n'est pas établi dès lors que l'exploitation du service public de transport a été confiée à un tiers ; le préjudice d'exploitation devrait en tout état de cause être limité à la somme de 379 696 euros HT, montant validé par l'expert ;

o le montant demandé au titre du préjudice matériel apparait excessif ; les pourcentages fixés par l'expert ne sont pas justifiés ;

- en ce qui concerne le partage de responsabilité, 90 % des condamnations éventuellement prononcées doivent être mises à la charge de la société Systra qui a établi le CCTP, a homologué le dossier d'accréditation Synertech et a prononcé la réception des travaux sans réserves ;

- à titre très subsidiaire, en cas de condamnation solidaire, la société Systra doit être condamnée à l'indemniser à hauteur de 90 % des condamnations.

Par des mémoires en défense, enregistrés le 26 février 2021 et le 10 septembre 2021, la société Systra, représentée par Me Hotellier, demande à la cour :

1°) à titre principal, de rejeter la requête d'Orléans Métropole ;

2°) à titre subsidiaire :

- de limiter l'indemnisation maximale d'Orléans Métropole à la somme de 1 416 984 euros HT ;

- de reconnaitre la responsabilité de la société Travaux du Sud-Ouest à hauteur d'au moins 80% et en conséquence, de la condamner à une somme maximale de 283 397 euros HT ;

3°) de mettre les dépens à la charge d'Orléans Métropole ;

4°) de mettre à la charge d'Orléans Métropole la somme de 40 000 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- elle n'a commis ni dol ni fraude :

o elle n'a pas méconnu ses obligations contractuelles ; un essai de fatigue du laboratoire Génie civil du 17 novembre 1998 a permis de tester le dispositif complet de selles-rails selon des normes techniques toujours en vigueur ; il n'était plus utile de réaliser un essai de résistance à la traction, l'essai de fatigue ayant permis d'écarter l'hypothèse d'une fragilité intrinsèque du matériau ;

o l'origine des désordres peut tenir à la spécificité des sections 1 et 2 du tramway, aucun désordre n'ayant été relevé dans les autres sections ;

o elle n'a pas commis de faute dolosive ayant un caractère intentionnel, n'ayant eu aucune intention de tromper la collectivité ; sa qualification dans le domaine ferroviaire ne saurait constituer l'élément intentionnel ;

o les désordres ne présentent pas un caractère de gravité ; l'ouvrage n'a pas représenté de danger pour les usagers ; seul un nombre limité de selles a dû être remplacé, alors que les conditions d'utilisation de la ligne A ont fortement augmenté dans les années 2000 ;

- à titre subsidiaire, sa responsabilité doit être limitée à 20 %, la société Travaux du Sud-Ouest n'ayant pas contrôlé la fourniture des matériaux y compris des selles Synertech et ayant trop serré les attaches des lames ;

- la demande indemnitaire d'Orléans Métropole est disproportionnée, alors que l'expert avait fixé le montant total de l'indemnisation à 4 785 840 euros ; le montant alloué ne saurait dépasser 1 416 984 euros HT ;

o en ce qui concerne le coût des réparations, Orléans Métropole avait une idée précise des coûts en 2017 et n'en a pas fait part à l'expert ;

o en ce qui concerne la perte d'exploitation, Orléans Métropole ne justifie pas les raisons pour lesquelles elle aurait versé une indemnisation à ce titre à son délégataire ; une partie des postes intégrés à cette demande a déjà été indemnisée dans le cadre des travaux ou correspond à des coûts classiques de maintenance ; l'évaluation de l'expert est elle-même contestable.

Un mémoire en défense, enregistré le 15 septembre 2021, présenté pour la société Travaux du Sud-Ouest n'a pas été communiqué.

Par une ordonnance du 20 juillet 2021, la clôture de l'instruction a été fixée au 15 septembre 2021.

Un mémoire, enregistré le 29 septembre 2021 postérieurement à la clôture de l'instruction, présenté pour Orléans Métropole, n'a pas été communiqué.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code civil ;

- le code des marchés publics ;

- le décret n °93-1268 du 29 novembre 1993 relatif aux missions de maîtrise d'œuvre confiées par des maîtres d'ouvrage publics à des prestataires de droit privé ;

- l'arrêté du 21 décembre 1993 précisant les modalités techniques d'exécution des éléments de mission de maîtrise d'œuvre confiés par des maîtres d'ouvrage publics à des prestataires de droit privé ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Béria-Guillaumie, première conseillère,

- les conclusions de M. Pons, rapporteur public,

- et les observations de Me Communier, représentant Orléans Métropole, de Me Polat, représentant la société Systra, et de Me Dailly, représentant la société Travaux du Sud-Ouest.

Considérant ce qui suit :

1. Le syndicat intercommunal à vocation multiple (SIVOM) de l'agglomération orléanaise a conclu le 21 novembre 1995 avec la société d'économie mixte des transports de l'agglomération orléanaise (SEMTAO), une convention de mandat en vue de lui confier la maitrise d'ouvrage de la réalisation, pour l'agglomération d'Orléans (Loiret), d'un réseau de transport en commun en site propre de type tramway, à la suite d'une délibération du comité syndical du SIVOM du 17 novembre 1995. Ultérieurement, la SEMTAO a été remplacée par un groupement de deux co-mandataires composé d'elle-même et de la TRANSAMO. L'avant-projet concernait une ligne de tramway Nord-Sud reliant Fleury-les-Aubrais à La Source pour une distance d'environ dix-sept kilomètres. Par un acte d'engagement des 1er et 12 avril 1996, la maîtrise d'œuvre a été confiée à un groupement de sociétés, comprenant pour la maitrise d'œuvre ingénierie, la société Systra-Sofretu-Sofrerail et la société SETEC, et pour la maitrise d'œuvre architecture et aménagements urbains, la société Governor SARL, la société civile professionnelle d'architecture Atelier Tudelle, Mme B... A... et la société Groupe d'Etudes pour la Construction. La société Systra a été désignée comme mandataire du groupement de maîtrise d'œuvre. L'ouvrage à réaliser a été divisé en six sections et six sous-ensembles techniques. Les travaux de pose des voies et des revêtements de plateforme de la section 1 de la ligne de tramway, correspondant au trajet entre le centre hospitalier régional et la rue de Châteauroux, ont été confiés par un acte d'engagement du 19 août 1998, accepté le 21 septembre suivant, à un groupement composé de la société Travaux du Sud-Ouest, de la société Gercif Emulithe et de la société Margueritat. La société Travaux du Sud-Ouest était désignée comme mandataire du groupement. Par ailleurs, les travaux de pose des voies et des revêtements de plateforme de la section 2 de la ligne de tramway, correspondant au trajet entre la rue de Châteauroux et la rue Basse Mouillère, ont été confiés par un acte d'engagement du 5 mars 1999 accepté le 15 avril suivant à un groupement composé de la société Travaux du Sud-Ouest, de la société Gercif Emulithe, de la société Margueritat et de la société Colas Centre Ouest. La société Travaux du Sud-Ouest était désignée comme mandataire du groupement. Les travaux de la ligne de tramway, dénommée ligne A, ont été réceptionnés le 15 mai 2000, avec des réserves levées entre mai et octobre 2000. La ligne de tramway a été mise en service cette même année et confiée par affermage successivement à la SEMTAO, la SETAO, la société Transdev et la société Kéolis.

2. Le 6 août 2010, un conducteur de tramway de la Setao-Transdev a constaté un affaissement du rail intérieur entre les arrêts Larry et Victor Hugo. Il a été constaté que plusieurs selles isolantes sur lesquelles repose le rail du tramway étaient brisées, ne reposant plus sur la plate-forme. Des désordres similaires ont également été constatés en octobre 2010 près des arrêts Zénith et Mouillère. En septembre 2014, la communauté d'agglomération d'Orléans, venant aux droits du SIVOM de l'agglomération orléanaise, a saisi le tribunal administratif d'Orléans d'une demande de désignation d'un expert, à laquelle il a été fait droit par une ordonnance du 23 septembre 2014, désignant M. C... en qualité d'expert en vue de constater sans délai les désordres affectant la voie de la ligne A du tramway. Ce dernier a rendu son rapport le 31 octobre 2014. En vue de déterminer les origines des désordres, la communauté d'agglomération a déposé une nouvelle demande de désignation d'un expert en décembre 2014, à laquelle il a été fait droit par une ordonnance du tribunal administratif d'Orléans du 21 avril 2015 désignant à nouveau M. C... en qualité d'expert. Le recours de la société Colas Rail dirigé contre cette ordonnance a été rejeté par une ordonnance de la cour administrative d'appel de Nantes du 15 octobre 2015. M. C... a rendu son rapport le 30 mars 2017. En décembre 2017, la métropole dénommée " Orléans Métropole ", venant aux droits de l'ancienne communauté d'agglomération, a saisi le tribunal administratif d'Orléans d'une demande en référé provision et d'une demande de condamnation des sociétés Systra et Travaux du Sud-Ouest à raison des désordres ayant affecté à compter du mois d'août 2010 la ligne A du tramway. La demande en référé provision d'Orléans Métropole a été rejetée par une ordonnance du juge des référés du tribunal administratif d'Orléans du 8 janvier 2019. Par un jugement du 2 juillet 2020, le tribunal administratif d'Orléans a par ailleurs rejeté la demande de condamnation au fond présentée par Orléans Métropole à l'encontre des sociétés Systra et Travaux du Sud-Ouest. Orléans Métropole relève appel de ce jugement.

Sur le bien-fondé du jugement attaqué :

3. L'expiration du délai de l'action en garantie décennale ne décharge pas les constructeurs de la responsabilité qu'ils peuvent encourir en cas ou bien de fraude ou de dol dans l'exécution de leur contrat, ou bien d'une faute assimilable à une fraude ou à un dol, caractérisée par la violation grave, par sa nature ou ses conséquences, de leurs obligations contractuelles, commises volontairement et sans qu'ils puissent en ignorer les conséquences.

4. Il résulte de l'instruction, notamment des constatations opérées par l'expert nommé par le juge des référés du tribunal administratif d'Orléans, qu'une grande partie des désordres résulte d'une fragilisation, après dix années d'exploitation du tramway, des selles intégrées dans la dalle en béton qui forme le radier de la voie et sur lesquelles s'insèrent les rails du tramway. L'expert, à la suite d'examens réalisés en laboratoire, a estimé que les désordres résultaient de la conception d'un complexe dalle-selles insuffisamment résistant dans la durée et d'un défaut d'exécution du radier béton notamment au niveau de l'insertion de selles tenant le rail. Si la société Travaux du Sud-Ouest soutient qu'aucune faute ne lui serait imputable, dès lors que le choix des selles Synertech lui aurait été imposé par le CCTP et la maitrise d'œuvre, il résulte de l'instruction que le CCTP des sections 1 et 2 n'imposait que des certifications techniques, tandis que l'annexe 3 du CCTP prévoyait que le constructeur propose lui-même des échantillons des matériaux utilisés sur le chantier au maître d'œuvre pour agrément, ainsi que les résultats des essais menés sur les matériaux. Il résulte d'ailleurs de l'instruction que les essais et tests effectués par Ingérop et le Laboratoire du Génie Civil en novembre et décembre 1998 l'ont été à la demande de la société Travaux du Sud-Ouest, constructeur, en vue du dossier à transmettre à la société Systra, maître d'œuvre.

5. Ainsi qu'il a été dit au point précédent, la société Systra, mandataire du groupement de maître d'oeuvre, a approuvé l'emploi de selles de fixation du rail présentant une certaine fragilité et la société Travaux du Sud-Ouest a proposé et installé de telles selles en les engravant insuffisamment dans le radier béton. Le choix et l'installation de telles selles de fixation du rail, alors en outre que la société Systra et la société Travaux du Sud-Ouest sont spécialisées dans le développement et la construction d'infrastructures ferroviaires, sont susceptibles de constituer des fautes de nature à engager la responsabilité contractuelle de ces sociétés. Néanmoins, il est constant que les travaux en cause ont été réceptionnés le 15 mai 2000, plus de dix ans avant l'apparition du premier désordre en août 2010. Orléans Métropole soutient, à l'appui de ses conclusions tendant à la condamnation solidaire de la société Systra et de la société Travaux du Sud-Ouest que les fautes commises seraient assimilables à une fraude ou à un dol de ces constructeurs, de nature à permettre l'engagement de leur responsabilité contractuelle au-delà de l'expiration du délai de dix ans de la responsabilité décennale, au motif que les deux entreprises auraient été informées de la fragilité des selles de fixation par les tests réalisés en 1998 et 1999 et auraient néanmoins choisi d'homologuer pour l'une et d'installer pour l'autre ces mêmes selles. Il résulte néanmoins de l'instruction que si un essai de résistance à la traction effectué le 15 février 1999 a révélé des résistances des éprouvettes des selles plus faibles que ce qui était exigé, l'expert nommé par le juge des référés du tribunal administratif d'Orléans a relevé que si le résultat pouvait permettre de révéler " l'hétérogénéité de la matrice de la selle ", le standard du test n'était pas approprié. Il résulte également de l'instruction que la société Travaux du Sud-Ouest a ordonné à la société Ingérop une étude structurelle de la plateforme, qui a constitué une approche globale ne portant pas sur l'interaction entre les éléments selles et dalle. Si la note rédigée par cette société le 21 décembre 1998 a conclu à une insuffisance de la résistance du béton sous les efforts latéraux à 30 mégapascals, cette valeur était supérieure à celle exigée par les documents contractuels. Cette société avait également proposé pour mettre fin à cette difficulté de réaliser une étude complémentaire, qui a été exécutée le 17 novembre 1998 par le Laboratoire du Génie Civil et qui a consisté en un test de fatigue des selles Synertech dans une situation analogue à leur utilisation en les soumettant à 3,5 millions de cycles. Si au cours de ses opérations d'expertise, l'expert nommé par le tribunal administratif a estimé que certaines des conditions de réalisation de ce test avaient été plus favorables que les conditions réelles d'utilisation du rail du tramway, il est constant que les résultats du test ont été favorables, seule une cassure d'une lame ressort ayant été constatée. Il résulte enfin de l'instruction que l'expert a reconnu un rôle important de l'usure en relevant que les désordres, qui n'ont affecté que deux sections de la voie du tramway, ne se sont produits dans le temps que par l'effet de fatigue à l'utilisation, la voie ayant subi environ 40 millions de cycles affectant chaque selle en dix ans d'exploitation.

6. Il résulte de tout ce qui précède que la société Systra, mandataire du groupement de maîtrise d'œuvre, ne peut être considérée comme ayant commis volontairement et sans avoir pu ignorer les conséquences de son choix une faute en approuvant les selles fragilisées de fixation du rail du tramway d'Orléans. De son côté, pour les mêmes motifs, la société Travaux du Sud-Ouest, mandataire des groupements de constructeurs en charge de la construction des sections 1 et 2 du tramway, ne peut être considérée comme ayant commis volontairement et sans avoir pu ignorer les conséquences de son choix une faute en choisissant et installant ces mêmes selles. Dès lors les manquements commis par la société Systra et la société Travaux du Sud-Ouest ne constituent pas des fautes assimilables à une fraude ou à un dol.

7. Il résulte de tout ce qui précède qu'Orléans Métropole n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif d'Orléans a rejeté sa demande tendant à la condamnation solidaire de la société Systra et de la société Travaux du Sud-Ouest.

Sur les frais d'expertise :

8. L'article R. 761-1 du code de justice administrative dispose que : " Les dépens comprennent les frais d'expertise, d'enquête et de toute autre mesure d'instruction dont les frais ne sont pas à la charge de l'Etat. / Sous réserve de dispositions particulières, ils sont mis à la charge de toute partie perdante sauf si les circonstances particulières de l'affaire justifient qu'ils soient mis à la charge d'une autre partie ou partagés entre les parties. / L'Etat peut être condamné aux dépens ".

9. Les frais du constat d'urgence et de l'expertise confiés à M. C... ont été liquidés et taxés à la somme globale de 167 084, 84 euros TTC par deux ordonnances du président du tribunal administratif d'Orléans du 17 novembre 2014 et du 2 mai 2017. Il résulte de ce qui a été dit précédemment, les conclusions d'Orléans Métropole tendant à la condamnation de la société Systra et de la société Travaux du Sud-Ouest étant rejetées, que la métropole appelante n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par son article 2, le jugement attaqué a mis les frais d'expertise à sa charge.

Sur les frais du litige :

10. En premier lieu, les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de la société Systra et de la société Travaux du Sud-Ouest, qui ne sont pas les parties perdantes dans la présente instance, la somme qu'Orléans Métropole demande au titre des frais exposés et non compris dans les dépens.

11. En second lieu, il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge d'Orléans Métropole, la somme de 1 000 euros à verser à chacune des sociétés, Systra et Travaux du Sud-Ouest, en application de ces mêmes dispositions.

DECIDE :

Article 1er : La requête d'Orléans Métropole est rejetée.

Article 2 : Orléans Métropole versera à la société Systra et à la société Travaux du Sud-Ouest la somme de 1 000 euros chacune en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à la société Systra, à la société Travaux du Sud-Ouest et à Orléans Métropole.

Délibéré après l'audience du 4 janvier 2022, à laquelle siégeaient :

- M. Lainé, président,

- M. Rivas, président-assesseur,

- Mme Béria-Guillaumie, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 21 janvier 2022.

La rapporteure,

M. Béria-GuillaumieLe président,

L. Lainé

La greffière,

V. Desbouillons

La République mande et ordonne au préfet du Loiret en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

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N° 20NT02744

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Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Nantes
Formation : 4ème chambre
Numéro d'arrêt : 20NT02744
Date de la décision : 21/01/2022
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Composition du Tribunal
Président : M. LAINE
Rapporteur ?: Mme Marie BERIA-GUILLAUMIE
Rapporteur public ?: M. PONS
Avocat(s) : COMMUNIER

Origine de la décision
Date de l'import : 01/02/2022
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.nantes;arret;2022-01-21;20nt02744 ?
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