Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
Mme A... C... B... a demandé au tribunal administratif de Paris, lequel a transmis, par une ordonnance du 18 novembre 2020 du président de ce tribunal, prise sur le fondement de l'article R. 351-3 du code de justice administrative, cette demande au tribunal administratif de Nantes, d'annuler la décision du 31 juillet 2019 par laquelle le préfet de la Seine-Saint-Denis a déclaré sa demande de naturalisation irrecevable et la décision implicite par laquelle le ministre de l'intérieur a rejeté son recours formé contre cette décision.
Par une ordonnance n° 2011701 du 22 janvier 2021, le président de la 5ème chambre du tribunal administratif de Nantes a rejeté sa demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête et un mémoire enregistrés les 1er mars et 10 mai 2021, Mme B..., représentée par Me Keita, demande à la cour :
1°) d'annuler l'ordonnance du 22 janvier 2021 du président de la 5ème chambre du tribunal administratif de Nantes ;
2°) d'annuler la décision du 31 juillet 2019 du préfet de la Seine-Saint-Denis et la décision implicite du ministre de l'intérieur a rejeté son recours formé contre cette décision ;
3°) d'enjoindre au préfet de la Seine-Saint-Denis d'accéder à sa demande de naturalisation en enregistrant sa demande dans un délai d'un mois à compter de la notification de l'arrêt à intervenir, sous astreinte de 50 euros par jour de retard en vue de lui attribuer la nationalité française, à défaut de lui enjoindre de réexaminer sa demande, dans les mêmes conditions de délais et d'astreinte ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat le versement d'une somme de 1 500 euros sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- l'ordonnance attaquée est entachée d'irrégularité ; non accompagnée dans cette procédure par un conseil, elle n'a pas compris que l'invitation à régulariser qui lui avait été adressée par le tribunal lui demandait de démontrer que son recours avait été effectivement envoyé au ministre de l'intérieur ; elle produit l'accusé de réception du 17 septembre 2019 de son recours adressé, le 16 septembre 2019, à la sous-direction de l'accès à la nationalité française ;
- il est invraisemblable, au regard du cadre de vie et de son parcours personnel, qu'elle n'ait pu apporter de réponse aux questions qui lui ont été posées lors de l'entretien d'assimilation.
Par des mémoires en défense, enregistrés les 12 avril et 11 juin 2021, le ministre de l'intérieur conclut au rejet de la requête.
Il soutient que les moyens soulevés par Mme B... ne sont pas fondés.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code civil ;
- le décret n° 93-1362 du 30 décembre 1993 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Buffet,
- les conclusions de M. Mas, rapporteur public.
1. Par une ordonnance du 22 janvier 2021, le président de la 5ème chambre du tribunal administratif de Nantes a rejeté, sur le fondement de l'article R. 222-1 du code de justice administrative, comme manifestement irrecevable, la demande Mme B... tendant à l'annulation de la décision du 31 juillet 2019 par laquelle le préfet de la Seine-Saint-Denis a déclaré sa demande de naturalisation irrecevable, ainsi que la décision implicite par laquelle le ministre de l'intérieur a rejeté son recours formé contre cette décision. Mme B... relève appel de cette ordonnance.
Sur la régularité de l'ordonnance attaquée :
2. Aux termes de l'article R. 222-1 du code de justice administrative: " Les présidents de tribunal administratif (...), les premiers vice-présidents des tribunaux (...) et les présidents de formation de jugement des tribunaux (...) peuvent, par ordonnance : (...) / 4° Rejeter les requêtes manifestement irrecevables, lorsque la juridiction n'est pas tenue d'inviter leur auteur â les régulariser ou qu'elles n'ont pas été régularisées à l'expiration du délai imparti par une demande en ce sens ".
3. En vertu de l'article 45 du décret du 30 décembre 1993 susvisé relatif aux déclarations de nationalité, aux décisions de naturalisation, de réintégration, de perte, de déchéance et de retrait de la nationalité française, la décision d'un préfet déclarant irrecevable, ajournant ou rejetant une demande de naturalisation peut faire l'objet, dans les deux mois suivant sa notification, d'un recours auprès du ministre chargé des naturalisations, à l'exclusion de tout autre recours administratif. Aux termes du deuxième alinéa de cet article, ce recours " constitue un préalable obligatoire à l'exercice d'un recours contentieux, à peine d'irrecevabilité de ce dernier ".
4. Il ressort des pièces du dossier que, par une requête enregistrée le 12 octobre 2020 au greffe du tribunal administratif de Paris, Mme B... a demandé au tribunal d'annuler la décision du 31 juillet 2019 du préfet de la Seine-Saint-Denis constatant l'irrecevabilité de sa requête ainsi que la décision implicite du ministre de l'intérieur rejetant son recours préalable contre cette décision. Il ressort, également, des pièces du dossier que sa requête était accompagnée de la décision du 31 juillet 2019 du préfet de la Seine-Saint-Denis et du recours préalable qu'elle avait formé le 16 septembre 2019 auprès du ministre de l'intérieur. Par une lettre du 16 novembre 2020, le tribunal a accusé réception de sa requête et a invité Mme B... à la régulariser en lui adressant le recours formé auprès du ministère de l'intérieur contre la décision du 31 juillet 2020 du préfet de la Seine-Saint-Denis. Cette invitation lui précisait " qu'à défaut de régularisation avant le mardi 1er décembre 2020 (...) la requête pourra être rejetée par ordonnance pour irrecevabilité manifeste dès l'expiration de ce délai ". Par une ordonnance du 18 novembre 2020, le président du tribunal administratif de Paris a, sur le fondement de l'article R. 351-3 du code de justice administratif, transmis la requête au tribunal administratif de Nantes, où elle a été enregistrée le 19 novembre 2020. Par une lettre datée du même jour, ce tribunal a rappelé à l'intéressée que " Dans les deux mois suivant leur notification, les décisions prises en application des articles 43 et 44 [ du décret n°93-1362] peuvent faire l'objet d'un recours auprès du ministre chargé des naturalisations, à l'exclusion de tout autre recours administratif. / Ce recours, pour lequel le demandeur peut se faire assister ou être représenté par toute personne de son choix, doit exposer les raisons pour lesquelles le réexamen de la demande est sollicité. Il constitue un préalable obligatoire à l'exercice d'un recours contentieux, à peine d'irrecevabilité de ce dernier. (...) ". Cette invitation à régulariser précisait également à la requérante qu'elle devait " avant d'intenter une procédure devant le tribunal, effectuer un recours préalable devant le ministre et (...) fournir la réponse donnée à ce recours, et qu'en " l'absence de production de cette décision ", sa requête " encourt l'irrecevabilité, conformément aux termes de l'article R. 412-1 du code de justice administrative ". Cette lettre l'invitait à régulariser sa requête dans un délai de 15 jours en adressant au tribunal " la copie du recours administratif préalable obligatoire adressé au ministre de l'intérieur et/ou l'accusé-réception et/ou la décision que le ministre a donné à ce recours. ".
5. Toutefois, ainsi qu'il a été dit plus haut, la requête de Mme B... contenait bien la copie du recours qu'elle avait formé auprès du ministre de l'intérieur, conformément aux dispositions précitées. En outre, l'invitation qui lui a été faite le 19 novembre 2020 par le tribunal administratif de Nantes, qui ne lui précisait pas, dans des termes dépourvus de toute ambigüité, qu'elle devait produire, outre son recours, le justificatif de l'envoi de ce recours, a été de nature à induire l'intéressée en erreur sur la pièce nécessaire à la régularisation de sa requête, alors au surplus que Mme B... justifie devant la cour de l'envoi en recommandé avec avis de réception de son recours administratif préalable obligatoire et de l'avis de réception de ce recours, en date du 17 septembre 2019. Il suit de là que Mme B..., faute d'avoir été informée par un document lui indiquant avec une précision suffisante les modalités de régularisation de sa requête, est fondée à soutenir que l'ordonnance attaquée par laquelle le président de la 5ème chambre du tribunal administratif de Nantes a rejeté, sur le fondement du 4° de l'article R. 222-1 du code de justice administrative, sa demande comme manifestement irrecevable au motif qu'elle n'avait pas, dans le délai de quinze jours qui lui était imparti, justifié de l'envoi de ce recours préalable obligatoire, est entachée d'irrégularité et à en demander l'annulation.
6. Il y a lieu d'évoquer et de statuer immédiatement sur les conclusions de la demande présentée par Mme B... devant le tribunal administratif de Nantes.
Sur la légalité de la décision du 31 juillet 2019 du préfet de la Seine-Saint-Denis déclarant la demande de naturalisation irrecevable et la décision implicite du ministre de l'intérieur rejetant le recours formé contre cette décision :
7. En vertu des dispositions citées au point 2, la décision implicite du ministre, prise sur recours préalable obligatoire, s'est substituée à la décision du 31 juillet 2019 du préfet de la Seine-Saint-Denis déclarant irrecevable la demande de naturalisation de Mme B.... Il suit de là que les conclusions à fin d'annulation présentées par la requérante doivent être regardées comme dirigées contre la seule décision implicite du ministre de l'intérieur.
8. Aux termes de l'article 21-24 du code civil : " Nul ne peut être naturalisé s'il ne justifie de son assimilation à la communauté française, notamment par une connaissance suffisante, selon sa condition, de la langue, de l'histoire, de la culture et de la société françaises, dont le niveau et les modalités d'évaluation sont fixés par décret en Conseil d'Etat, et des droits et devoirs conférés par la nationalité française ainsi que par l'adhésion aux principes et aux valeurs essentiels de la République. (...) ". Aux termes de l'article 37 du décret visé ci-dessus du 30 décembre 1993, dans sa rédaction applicable au litige : " Pour l'application de l'article 21-24 du code civil : (...)2° Le demandeur doit justifier d'un niveau de connaissance de l'histoire, de la culture et de la société françaises correspondant aux éléments fondamentaux relatifs : / a) Aux grands repères de l'histoire de France : il est attendu que le postulant ait une connaissance élémentaire de la construction historique de la France qui lui permette de connaître et de situer les principaux événements ou personnages auxquels il est fait référence dans la vie sociale ; / b) Aux principes, symboles et institutions de la République : il est attendu du postulant qu'il connaisse les règles de vie en société, notamment en ce qui concerne le respect des lois, des libertés fondamentales, de l'égalité, notamment entre les hommes et les femmes, de la laïcité, ainsi que les principaux éléments de l'organisation politique et administrative de la France au niveau national et territorial ; / c) A l'exercice de la citoyenneté française : il est attendu du postulant qu'il connaisse les principaux droits et devoirs qui lui incomberaient en cas d'acquisition de la nationalité, tels qu'ils sont mentionnés dans la charte des droits et devoirs du citoyen français ; / d) A la place de la France dans l'Europe et dans le monde : il est attendu du postulant une connaissance élémentaire des caractéristiques de la France, la situant dans un environnement mondial, et des principes fondamentaux de l'Union européenne. / Les domaines et le niveau des connaissances attendues sont illustrés dans un livret du citoyen dont le contenu est approuvé par arrêté du ministre chargé des naturalisations. ". Enfin, l'article 41 du même décret, dans sa rédaction applicable au litige, prévoit que : " Le postulant se présente en personne devant un agent désigné nominativement par l'autorité administrative chargée de recevoir la demande. / Lors d'un entretien individuel, l'agent vérifie que le demandeur possède les connaissances attendues de lui, selon sa condition, sur l'histoire, la culture et la société françaises, telles qu'elles sont définies au 2° de l'article 37. /A l'issue de cet entretien individuel, cet agent établit un compte rendu constatant le degré d'assimilation du postulant à la communauté française ainsi que, selon sa condition, son niveau de connaissance des droits et devoirs conférés par la nationalité française. (...) ".
9. Pour déclarer irrecevable la demande de naturalisation présentée par Mme B..., le ministre a estimé que l'intéressée avait, lors de l'entretien d'assimilation du 7 juillet 2015 qui s'était déroulé à la préfecture du Nord, montré " une méconnaissance manifeste de l'histoire, la culture et la société françaises et/ou des droits et devoirs conférés par la nationalité française ".
10. Il ressort du compte-rendu de l'entretien d'assimilation du 14 mars 2019 que Mme B... n'a pas répondu aux questions posées telles que : " quelle est la devise de la République ' ", " quelle est la date de la fête nationale ", " quel fleuve traverse Paris' ", " combien y a-t-il de départements en Ile-de-France " ou encore : " comment se nomme le maire ou la maire de votre commune ' ". Aucun élément au dossier n'est de nature à établir, ainsi que le soutient l'intéressée, qu'il serait " invraisemblable " au regard du cadre de vie et de son parcours personnel qu'elle n'ait pu apporter de réponse à ces questions. Dans ces conditions, le ministre de l'intérieur n'a pas fait une inexacte application des dispositions de l'article 21-24 du code civil en déclarant irrecevable la demande de naturalisation de Mme B... en raison d'une insuffisance d'assimilation à la société française.
11. Il résulte de tout ce qui précède, et sans qu'il soit besoin d'examiner la recevabilité de sa demande, que Mme B... n'est pas fondée à demander l'annulation de la décision implicite du ministre de l'intérieur rejetant le recours formé contre la décision par laquelle le préfet de la Seine-Saint-Denis a déclaré irrecevable sa demande de naturalisation.
Sur les conclusions à fin d'injonction :
12. Le présent arrêt, qui rejette la requête de Mme B..., n'appelle aucune mesure d'exécution. Par suite, les conclusions de l'intéressée tendant à ce qu'il soit enjoint, sous astreinte, au ministre de l'intérieur de lui accorder la nationalité française, doivent être rejetées.
Sur les frais liés au litige :
13. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de l'État, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, la somme que Mme B... demande au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
DÉCIDE :
Article 1er : L'ordonnance du 22 janvier 2021 du président de la 5ème chambre du tribunal administratif de Nantes est annulée.
Article 2 : La demande présentée par Mme B... devant le tribunal administratif de Nantes et le surplus de ses conclusions d'appel sont rejetées.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à Mme A... C... B... et au ministre de l'intérieur.
Délibéré après l'audience du 3 janvier 2022, à laquelle siégeaient :
- M. Francfort, président de chambre,
- Mme Buffet, présidente-assesseure,
- M. Frank, premier conseiller.
Lu en audience publique, le 18 janvier 2022.
La rapporteure,
C. BUFFETLe président,
J. FRANCFORT
Le greffier,
C. GOY
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
2
N° 21NT00588