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07/01/2022 | FRANCE | N°21NT00609

France | France, Cour administrative d'appel de Nantes, 4ème chambre, 07 janvier 2022, 21NT00609


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La fédération nationale des syndicats de marins CGT et la fédération des officiers de la marine marchande - UGICT-CGT ont demandé au tribunal administratif de Nantes d'annuler l'arrêté du 19 juillet 2017 par lequel la préfète de la Loire-Atlantique a procédé à la réquisition de personnels de l'entreprise Boluda, pour assurer l'appareillage de deux navires durant la grève des agents de cette société et de condamner l'Etat à leur verser la somme de 25 000 euros chacune au titre des préjudices subis.



Par un jugement n° 1708122 du 14 janvier 2021, le tribunal administratif de N...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La fédération nationale des syndicats de marins CGT et la fédération des officiers de la marine marchande - UGICT-CGT ont demandé au tribunal administratif de Nantes d'annuler l'arrêté du 19 juillet 2017 par lequel la préfète de la Loire-Atlantique a procédé à la réquisition de personnels de l'entreprise Boluda, pour assurer l'appareillage de deux navires durant la grève des agents de cette société et de condamner l'Etat à leur verser la somme de 25 000 euros chacune au titre des préjudices subis.

Par un jugement n° 1708122 du 14 janvier 2021, le tribunal administratif de Nantes a rejeté la demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête et un mémoire, enregistrés les 5 mars et 22 septembre 2021, la fédération nationale des syndicats de marins CGT et la fédération des officiers de la marine marchande - UGICT-CGT, représentées par Me Jarry, demandent à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du 14 janvier 2021 du tribunal administratif de Nantes ;

2°) d'annuler l'arrêté du 19 juillet 2017 par lequel la préfète de la Loire-Atlantique a procédé à la réquisition de personnels de l'entreprise Boluda, pour assurer l'appareillage de deux navires pendant la grève des agents de cette société, et de condamner l'Etat à leur verser la somme de 25 000 euros chacune au titre du préjudice subi ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 2 400 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elles soutiennent que :

- l'arrêté préfectoral est intervenu en méconnaissance du 4° de l'article L. 2215-1 du code général des collectivités territoriales dès lors que les conditions requises pour une réquisition n'étaient pas remplies, s'agissant de la condition d'urgence et de l'atteinte à la sécurité publique ; l'atteinte à l'autonomie des stocks obligatoires n'a pas été démontrée ; le préfet disposait d'autres possibilités de palier les conséquences de l'exercice du droit de grève à valeur constitutionnelle ;

- l'arrêté contesté est entaché de détournement de pouvoir car il avait pour seul but de satisfaire les intérêts privés de la société Total ;

- il convient de les indemniser du préjudice porté à l'intérêt collectif de la profession de marin du fait de la violation constatée du droit de grève.

Par un mémoire en défense, enregistré le 8 septembre 2021, le ministre de l'intérieur conclut au rejet de la requête.

Il soutient que :

- les conclusions indemnitaires présentées sont irrecevables en l'absence de réclamation préalable ;

- les moyens soulevés par les requérantes ne sont pas fondés.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la Constitution ;

- le code général des collectivités territoriales ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Rivas,

- les conclusions de M. Pons, rapporteur public,

- et les observations de Me Jarry, représentant la fédération nationale des syndicats de marins CGT et la fédération des officiers de la marine marchande - UGICT-CGT.

Considérant ce qui suit :

1. La société de remorquage Boluda, située à Saint-Nazaire (Loire-Atlantique), assure, pour le compte d'opérateurs de terminaux privés, l'escorte des navires, l'assistance à l'accostage et à l'appareillage. Les salariés de cette société ont déposé un préavis de grève le 13 juillet 2017 prenant effet le 19 juillet 2017 pour une durée illimitée. A cette dernière date, la préfète de la Loire-Atlantique a réquisitionné, par un arrêté intervenu sur le fondement du 4° de l'article L. 2215-1 du code général des collectivités territoriales, quatre salariés de cette société aux fins de permettre la montée et l'accostage de deux navires assurant le transport d'hydrocarbures, le même jour de 18 heures à minuit. La fédération nationale des syndicats de marins CGT et la fédération des officiers de la marine marchande - UGICT-CGT relèvent appel du jugement du 14 janvier 2021 du tribunal administratif de Nantes rejetant leur demande d'annulation de cet arrêté et de réparation du préjudice qu'elles estiment avoir subi du fait de cette réquisition préfectorale.

Sur le bien-fondé du jugement attaqué :

2. Aux termes du 4° de l'article L. 2215-1 du code général des collectivités territoriales : " (...) En cas d'urgence, lorsque l'atteinte constatée ou prévisible au bon ordre, à la salubrité, à la tranquillité et à la sécurité publiques l'exige et que les moyens dont dispose le préfet ne permettent plus de poursuivre les objectifs pour lesquels il détient des pouvoirs de police, celui-ci peut, par arrêté motivé, pour toutes les communes du département ou plusieurs ou une seule d'entre elles, réquisitionner tout bien ou service, requérir toute personne nécessaire au fonctionnement de ce service ou à l'usage de ce bien et prescrire toute mesure utile jusqu'à ce que l'atteinte à l'ordre public ait pris fin ou que les conditions de son maintien soient assurées./ L'arrêté motivé fixe la nature des prestations requises, la durée de la mesure de réquisition ainsi que les modalités de son application. ".

3. Le droit de grève est un droit fondamental reconnu par le Préambule de la Constitution du 4 octobre 1958 auquel le pouvoir règlementaire et les autorités administratives peuvent apporter les limitations strictement nécessaires à la préservation de l'ordre public. Le préfet, dans le cadre des pouvoirs qu'il tient du 4° de l'article L. 2215-1 du code général des collectivités territoriales, peut requérir les salariés en grève d'une entreprise privée dont l'activité présente une importance particulière pour le maintien de l'activité économique, la satisfaction des besoins essentiels de la population ou le fonctionnement des services publics, lorsque les perturbations résultant de la grève créent une menace pour l'ordre public. Ces mesures doivent être toutefois imposées par l'urgence, proportionnées aux nécessités de l'ordre public, et prises après avoir recherché si les besoins essentiels de la population pouvaient être autrement satisfaits.

4. Ainsi qu'il a été exposé au point 1 du présent arrêt un préavis de grève a été déposé par le syndicat CGT le 13 juillet 2017 auprès de la société Boluda dans la perspective d'une grève à durée indéterminée devant débuter le 19 juillet suivant à 9H. Cette société privée est spécialisée dans le remorquage portuaire des navires et est localement seule en mesure d'effectuer ces opérations pour la raffinerie de Donges. Or il ressort des pièces du dossier qu'à cette période la raffinerie disposait d'un stock de butane, résultant de son activité, nécessitant son évacuation rapide en raison de la proche saturation de ses cuves de stockage, sauf à réduire, voire arrêter le processus de raffinage permettant également la production de carburants. La fabrication d'hydrocarbure et de butane notamment est en effet issue d'un même processus. Il n'est pas sérieusement contesté qu'une évacuation de butane par voie maritime s'imposait eu égard aux volumes en présence et que deux navires étaient alors présents à proximité de la raffinerie, nécessitant toutefois l'appui d'une société de remorquage pour rejoindre ce site. Par ailleurs, il est constant que la raffinerie de Donges constitue l'une des premières raffineries françaises par sa capacité de production destinée notamment à assurer l'approvisionnement en hydrocarbures de l'ouest de la France. Une interruption rapide de sa production d'hydrocarbures en conséquence d'une grève à durée indéterminée, en outre en période estivale marquée par une multiplication des déplacements et un accroissement de la population sur les littoraux de l'ouest, était de nature à susciter des troubles sérieux prévisibles à l'ordre public, sachant également qu'en cas d'arrêt du raffinage le retour ultérieur à pleine capacité nécessite un nouveau délai compte tenu du processus de redémarrage des installations. En l'espèce, la mesure de réquisition n'a concerné que quatre salariés de la société Boluda sur un effectif de plus de quatre-vingt personnes, aux fins de permettre la montée et l'accostage de deux navires assurant le transport de butane, entre 18 heures et minuit le 19 juillet 2017. Il ne ressort pas enfin des pièces du dossier que les besoins essentiels de la population en matière de consommation d'hydrocarbures pouvaient alors être autrement satisfaits, sachant que les stocks de produits pétroliers dits stratégiques gérés par le comité professionnel des stocks stratégiques n'ont pas pour objet premier de palier les conséquences de mouvements sociaux affectant le fonctionnement habituel des raffineries. Par suite, et alors même que la décision contestée est intervenue le premier jour de grève, eu égard aux troubles prévisibles à l'ordre public identifiés, cet arrêté est intervenu dans le respect des dispositions législatives citées au point 2 du présent arrêt et ne se trouve dès lors pas entaché des erreurs de droit invoquées.

5. Le détournement de pouvoir allégué au motif que la mesure de réquisition contestée aurait eu pour seul objet de satisfaire les intérêts économiques de la société Total, exploitant de la raffinerie de Donges, n'est pas établi compte tenu de la situation décrite au point précédent.

6. Il résulte de tout ce qui précède que la fédération nationale des syndicats de marins CGT et la fédération des officiers de la marine marchande - UGICT-CGT ne sont pas fondées à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nantes a rejeté leur demande tendant tant à l'annulation de l'arrêté préfectoral du 19 juillet 2017 qu'au versement en conséquence d'une indemnité.

Sur les frais d'instance :

7. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à l'octroi d'une somme au titre des frais exposés et non compris dans les dépens à la partie perdante. Il y a lieu, dès lors, de rejeter les conclusions présentées à ce titre par la fédération nationale des syndicats de marins CGT et la fédération des officiers de la marine marchande - UGICT-CGT.

D E C I D E :

Article 1er : La requête de la fédération nationale des syndicats de marins CGT et de la fédération des officiers de la marine marchande - UGICT-CGT est rejetée.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à la fédération nationale des syndicats de marins CGT, à la fédération des officiers de la marine marchande - UGICT-CGT et au ministre de l'intérieur.

Une copie du présent arrêt sera communiquée pour information au préfet de la Loire-Atlantique.

Délibéré après l'audience du 14 décembre 2021, à laquelle siégeaient :

- M. Lainé, président de chambre,

- M. Rivas, président assesseur,

- Mme Béria-Guillaumie, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 7 janvier 2022.

Le rapporteur,

C. RIVAS

Le président,

L. LAINÉ

La greffière,

S. LEVANT

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

5

N° 21NT00609


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Nantes
Formation : 4ème chambre
Numéro d'arrêt : 21NT00609
Date de la décision : 07/01/2022
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : M. LAINE
Rapporteur ?: M. Christian RIVAS
Rapporteur public ?: M. PONS
Avocat(s) : JARRY

Origine de la décision
Date de l'import : 18/01/2022
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.nantes;arret;2022-01-07;21nt00609 ?
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