Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
Mme A... E... a demandé au tribunal administratif de Rennes d'annuler la décision du 16 avril 2018 par laquelle le recteur de l'académie de Rennes lui a infligé une sanction disciplinaire consistant en un déplacement d'office à l'intérieur du département.
Par un jugement n° 1802750 du 16 novembre 2020, le tribunal administratif de Rennes a annulé cette décision et mis à la charge de l'Etat le versement à Mme E... G... la somme de 1 500 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 17 décembre 2020, le ministre de l'éducation nationale, de la jeunesse et des sports demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du 16 novembre 2020 du tribunal administratif de Rennes ;
2°) de rejeter la demande présentée par Mme E... devant le tribunal administratif.
Il soutient que le recteur de l'académie de Rennes n'a pas commis d'erreur d'appréciation en infligeant une sanction de déplacement d'office à Mme E... dès lors que l'intéressée a manqué à ses obligations professionnelles de surveillance continue, de prudence et de vigilance et a contribué à l'insécurité affective d'un élève ainsi qu'à sa dévalorisation par l'instauration d'un cercle de paroles focalisé sur sa situation.
Par un mémoire en défense, enregistré le 22 mars 2021, Mme E..., représentée par Me Gicquel, conclut au rejet de la requête et à ce que soit mis à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que le moyen soulevé par le ministre de l'éducation nationale, de la jeunesse et des sports n'est pas fondé.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la loi n° 16-84 du 11 janvier 1984 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Gélard, premier conseiller,
- les conclusions de M. Lemoine, rapporteur public,
- et les observations de Me Gicquel, représentant Mme E....
Considérant ce qui suit :
1. Mme E..., professeur des écoles de classe normale affectée à compter du 1er septembre 2017 à l'école primaire Victor Hugo de Surzur (Morbihan), a fait l'objet d'une sanction de déplacement d'office par une décision du recteur de l'académie de Rennes du 16 avril 2018. Au cours de l'année scolaire 2017-2018, des difficultés sont apparues avec le jeune C... F.... Le 7 novembre 2017 et le matin du 8 novembre 2017, Mme E... a décidé de le punir en le plaçant seul dans une salle communiquant avec sa salle de classe en raison de son comportement perturbateur. Le 10 janvier 2018, elle a organisé un échange collectif avec l'ensemble de ses élèves aux fins d'évoquer le malaise exprimé à nouveau par ce même élève. Ce dernier a subitement quitté la salle durant cette activité. Mme D..., qui est restée dans la classe pour surveiller les autres enfants, a alors demandé à deux élèves de suivre le jeune C... B...-Decressin afin de lui rapporter les faits et gestes de l'enfant. Ils y sont revenus quelques instants plus tard pour l'informer de la sortie de l'école de leur camarade. Mme D... a cherché à contacter la police municipale sans succès, avant que la directrice de l'école n'y parvienne finalement. Quelques minutes après l'appel téléphonique de la directrice, un agent de la police municipale a retrouvé l'enfant à une distance d'un kilomètre et demi de l'école. Suite à ces faits, le recteur de l'académie de Rennes a prononcé, par un arrêté en date du 16 avril 2018, la sanction disciplinaire consistant en un déplacement d'office à l'intérieur du département, à l'encontre de la requérante. Le ministre de l'éducation nationale, de la jeunesse et des sports relève appel du jugement du 16 novembre 2020, par lequel le tribunal administratif de Rennes a annulé cette décision au motif que la sanction disciplinaire prononcée présentait un caractère disproportionné.
Sur la légalité de la décision du 16 avril 2018 :
2. Aux termes de l'article 66 de la loi du 11 janvier 1984 susvisée portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique de l'Etat : " Les sanctions disciplinaires sont réparties en quatre groupes. Premier groupe : - l'avertissement ; - le blâme ; - l'exclusion temporaire de fonctions pour une durée maximale de trois jours. Deuxième groupe : - la radiation du tableau d'avancement ; - l'abaissement d'échelon à l'échelon immédiatement inférieur à celui détenu par l'agent ; - l'exclusion temporaire de fonctions pour une durée de quatre à quinze jours ; - le déplacement d'office. Troisième groupe : - la rétrogradation au grade immédiatement inférieur et à l'échelon correspondant à un indice égal ou, à défaut, immédiatement inférieur à celui afférent à l'échelon détenu par l'agent ; - l'exclusion temporaire de fonctions pour une durée de seize jours à deux ans. Quatrième groupe : - la mise à la retraite d'office ; - la révocation (...) "
3. Il appartient au juge de l'excès de pouvoir, saisi de moyens en ce sens, de rechercher si les faits reprochés à un agent public ayant fait l'objet d'une sanction disciplinaire constituent des fautes de nature à justifier une sanction et si la sanction retenue est proportionnée à la gravité de ces fautes.
4. En premier lieu, aux termes de l'arrêté litigieux, il est fait grief à Mme D... d'avoir manqué à son obligation de surveillance pour deux motifs. D'abord, en isolant le jeune C... F... pendant une journée et demie les 7 et 8 novembre 2017 dans une salle attenante à sa salle de classe. Selon le ministre, l'enseignante n'aurait pas satisfait à son devoir de surveillance continu de l'élève et n'aurait, ainsi, pas assuré sa sécurité. Il ressort cependant des pièces du dossier que l'enfant n'était pas réellement isolé des autres élèves dans la mesure où il était placé dans une salle contigüe à la salle de classe, la porte de communication entre les deux pièces étant restée ouverte. L'élève ne pouvait ainsi échapper à la surveillance de l'enseignante. Il est ensuite reproché à Mme E... d'avoir, le 10 janvier 2018, laissé le jeune C... F... quitter sa classe sans tenter de le retenir, et de s'être contentée de le faire suivre par deux élèves du même âge, les laissant tous les trois sans surveillance. Toutefois, il est constant que l'élève n'avait pas communiqué sur ses intentions au moment où il est sorti inopinément de la salle de classe, si bien qu'il était impossible pour l'enseignante d'anticiper sa sortie de l'école. Dès qu'elle constaté la fugue de l'enfant, la requérante a fait le nécessaire pour qu'il soit retrouvé au plus vite en cherchant à joindre la police municipale et en prévenant la directrice de l'école. Par ailleurs, il ne peut être établi que l'un des deux élèves en charge de suivre le jeune C... F... aurait lui-même quitté l'enceinte de l'établissement scolaire. Dans ces conditions, on ne saurait reprocher à Mme E... d'avoir manqué à son devoir de surveillance continue, de prudence et de vigilance à l'égard de ses élèves, ni pour les faits en date des 7 et 8 novembre 2017, ni pour ceux s'étant déroulés le 10 janvier 2018. Le ministre n'est, par suite, pas fondé à contester le jugement attaqué en tant que les premiers juges ont estimé que l'intéressée n'avait pas à raison de ces faits manqué à son obligation de surveillance.
5. En deuxième lieu, le second grief retenu dans la décision contestée tient au fait que Mme E... aurait " contribué à l'insécurité affective de l'élève ainsi qu'à sa dévalorisation par l'instauration d'un cercle de paroles focalisé sur sa situation ". Il ressort des pièces du dossier que, le 10 janvier 2018, l'enseignante a pris la décision de mettre en place un échange collectif autour de la situation du jeune C... F... suite à la manifestation de difficultés comportementales et émotionnelles de ce dernier. Il n'est pas contesté que le " cercle de paroles " avait pour seul but de conduire l'élève à s'interroger sur les raisons de son mal-être. Si la situation de l'enfant a été mise au centre des débats devant la classe entière, cette seule circonstance, pour maladroite et inappropriée qu'elle puisse être, ne saurait suffire à caractériser une faute de l'enseignante dans la mesure où les autres élèves étaient d'ores et déjà au courant des difficultés psychologiques rencontrées par leur camarade et s'interrogeaient à ce sujet. Par ailleurs, au cours de l'entretien du 20 décembre 2017, auquel se réfère le ministre, il avait été précisément conseillé à Mme E... d'évoquer les incidents de classe " avec tout le groupe ". Le ministre reproche à Mme E... de n'avoir pas modifié son comportement en ce qui concerne la sécurité des élèves en dépit des conseils qui lui ont été prodigués lors de l'entretien du 20 décembre 2017. Au cours de cet entretien, la directrice académique a indiqué à l'intéressée que les modalités de la punition infligée à C... B...-Decressin n'étaient pas " recevables " compte tenu notamment de sa durée, tout en soulignant la nécessité de réfléchir à un projet afin de valoriser cet enfant. A la suite de cette réunion une simple lettre de mise en garde rappelant le respect des conditions de sécurité et de posture professionnelle a été adressée à Mme E.... Par suite, en punissant le jeune C... les 7 et 8 novembre 2017 et en organisant le 10 janvier 2018 un groupe de parole afin d'évoquer avec l'ensemble des élèves la situation de cet élève, l'enseignante ne peut être regardée comme ayant contribué à " l'insécurité affective de l'enfant et à sa dévalorisation ". Le ministre chargé de l'éducation nationale n'est, dès lors, pas fondé à soutenir que Mme D... aurait commis une faute de nature à justifier une sanction disciplinaire, le rectorat s'étant abstenu, pour sa part, de prendre les mesures appropriées pour apaiser la situation tant vis à vis de l'élève et de ses parents, que vis à vis de l'enseignante, alors que les difficultés comportementales de cet enfant étaient connues de longue date.
6. Il résulte de tout ce qui précède que le ministre de l'éducation nationale, de la jeunesse et des sports n'est pas fondé à se plaindre de ce que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Rennes a annulé l'arrêté litigieux du 16 avril 2018.
Sur les frais liés au litige :
7. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat le versement à Mme E... d'une somme de 1 500 euros sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
DÉCIDE :
Article 1er : La requête du ministre de l'éducation nationale, de la jeunesse et des sports est rejetée.
Article 2 : L'Etat versera la somme de 1 500 euros à Mme E... au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à Mme A... E... et au ministre de l'éducation nationale, de la jeunesse et des sports.
Une copie en sera adressée pour information au recteur de l'académie de Rennes.
Délibéré après l'audience du 3 décembre 2021, à laquelle siégeaient :
- M. Coiffet, président,
- Mme Gélard, première conseillère,
- Mme Malingue, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 21 décembre 2021.
La rapporteure,
V. GELARDLe président,
O. COIFFET
La greffière,
I. PETTON
La République mande et ordonne au ministre de l'éducation nationale, de la jeunesse et des sports en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
N° 20NT03958 4