Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
Mme C... B... épouse E... et M. D... E..., son époux, ont demandé au tribunal administratif de Nantes de condamner le centre hospitalier de Saint-Nazaire à leur verser respectivement une indemnité de 47 440,03 euros et de 5 000 euros en réparation des préjudices découlant des conditions dans lesquelles Mme E... a été soignée dans cet établissement.
Par un jugement n° 1800801 du 22 juillet 2020, le tribunal administratif de Nantes a mis à la charge du centre hospitalier de St Nazaire le versement à M. et Mme E... A... la somme de 2 714 euros et à M. E... celle de 400 euros.
Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 11 septembre 2020, Mme C... E... et M. D... E..., représentés par Me Robard, demandent à la cour :
- de réformer ce jugement du 22 juillet 2020 en tant qu'il n'a fait que partiellement droit à leur demande de première instance ;
- de condamner le centre hospitalier de Saint-Nazaire à verser à Mme E... la somme de 47 440,04 euros et à M. E... celle de 5 000 euros ;
- de mettre à la charge du centre hospitalier de St Nazaire les dépens et la somme de 5 900 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Ils soutiennent que :
- le préjudice subi par Mme E... découle non pas d'une perte de chance d'éviter le dommage subi mais d'un manquement du centre hospitalier lié à l'absence de prescription de traitement de nature à prévenir l'apparition d'une maladie thromboembolique et de nature à donner lieu à une réparation intégrale ;
- le préjudice de Mme E... pourra être réparé par le versement des sommes de
222,53 euros pour les frais de transport, de 480 euros pour l'aide par tierce personne, de 2 737,50 euros pour le déficit fonctionnel temporaire, de 3 000 euros pour le préjudice esthétique, de
38 000 euros pour les souffrances endurées, de 3 000 euros pour le déficit fonctionnel permanent ;
- le préjudice d'affection subi par M. E... sera réparé par le versement de la somme de 5 000 euros.
Par un mémoire en défense, enregistré le 25 novembre 2020, le centre hospitalier de Saint-Nazaire, représenté par la Selas Seban Auvergne, conclut au rejet de la requête.
Il soutient que :
- la notion de perte de chance a justement été mise en œuvre par le tribunal ; compte tenu des facteurs de risques présentés par Mme E..., l'administration d'anticoagulants laisse un risque de 80 % de subir une thrombose ;
- un taux de perte de chance de 20 % peut être retenu.
Par un mémoire enregistré le 19 janvier 2021, la caisse primaire d'assurance maladie de la Loire-Atlantique déclare ne pas intervenir à l'instance.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code de la santé publique ;
- le code de la sécurité sociale ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Brisson,
- les conclusions de M. Berthon, rapporteur public.
Considérant ce qui suit :
1. Mme E..., née en 1951, qui souffrait d'une grave dépression, a été hospitalisée le 13 avril 2016, au service des urgences psychiatriques du centre hospitalier de Saint-Nazaire, ce jusqu'au 22 avril suivant, date à laquelle elle a été admise en réanimation consécutivement à l'embolie pulmonaire qu'elle a présentée. Le 24 avril 2016, elle a été admise en cardiologie eu égard au diagnostic d'une thrombose de la jambe gauche et sortira de cet établissement de santé le 4 mai 2016. Le 31 octobre 2017, l'intéressée et son époux ont saisi le centre hospitalier de Saint-Nazaire d'une réclamation indemnitaire préalable tendant à la réparation des préjudices qu'ils estiment avoir subis, laquelle a été implicitement rejetée.
2. Par un jugement du 22 juillet 2020, le tribunal administratif de Nantes a retenu la responsabilité du centre hospitalier de Saint-Nazaire pour la faute consistant à ne pas avoir fait bénéficier l'intéressée de traitements préventifs propres à éviter la survenue de complications thrombo-emboliques et a condamné cet établissement à verser à M. et Mme E... la somme de 2 714 euros et celle de 400 euros à M. E.... M. et Mme E... relèvent appel de ce jugement en tant seulement qu'il s'est prononcé sur le montant des sommes destinées à les indemniser des préjudices qu'ils invoquent. Le centre hospitalier de Saint-Nazaire ne conteste pas le manquement fautif retenu par les premiers juges.
Sur les conclusions indemnitaires :
En ce qui concerne le taux de perte de chance :
3. Dans le cas où une faute commise lors de la prise en charge d'un patient dans un établissement de santé a seulement compromis ses chances d'obtenir une amélioration de son état de santé ou d'échapper à son aggravation, parce que le dommage corporel avait une certaine probabilité de survenir en l'absence de faute commise par l'établissement, le préjudice résultant de cette faute n'est pas le dommage corporel constaté, mais la perte de chance d'éviter que ce dommage soit advenu. En revanche, lorsque le dommage corporel ne serait pas survenu en l'absence de la faute commise par l'établissement, le préjudice qui en résulte doit être intégralement réparé.
4. Il résulte de l'instruction et notamment du rapport d'expertise du 23 juin 2017 qu'un alitement de plus de 3 jours constitue un facteur de risque majeur de développer une
thrombo-embolie veineuse et que ce risque est majoré chez un patient qui, comme
Mme E..., est âgé de plus de 45 ans, en surpoids, en akinésie totale, se voyant administrer un traitement à base d'oestrogène et n'ayant pas bénéficié de mesures de prévention par administration d'anticoagulant ou par un port de bas de contention.
5. Eu égard aux antécédents rappelés au point précédent que présentait l'intéressée, facteurs de risques de survenue d'une pathologie thrombo-embolique, les fautes commises par le centre hospitalier de Saint-Nazaire ont seulement fait perdre à Mme E... une chance d'éviter la complication thrombolique dont elle a été victime. L'ampleur de cette perte de chance peut en l'espèce être fixée à 20 %. Il y a lieu, par suite de confirmer le taux de perte de chance retenu par les premiers juges.
En ce qui concerne les préjudices :
S'agissant des frais de déplacement :
6. M. E... est fondé à demander le remboursement des frais de déplacement exposés pour se rendre à l'expertise organisée à Saint-Grégoire (Ille-et-Vilaine). Ces dépenses seront indemnisées sur la base d'une distance aller-retour de 270 km entre le lieu de résidence des requérants et celui de l'expertise et du barème kilométrique applicable en 2016 pour un véhicule de plus de 7 chevaux. Selon ces modalités, et compte tenu du taux de perte de chance, une somme de 32 euros pourra être allouée à ce titre (270 km x 0,595 x 20 %).
7. Par ailleurs, M. E... a exposé, à compter de la survenue de la complication le
22 avril 2016 jusqu'au 4 mai 2016, date de sortie du centre hospitalier, des frais de transport pour se rendre au chevet de son épouse. Il y a lieu, en l'espèce, d'évaluer, compte tenu à la fois de la distance entre le domicile de l'intéressé et le centre hospitalier de Saint-Nazaire et la puissance fiscale du véhicule, et du taux de perte de chance de 20 %, à la somme de 13 euros ce chef de préjudice.
S'agissant de l'assistance par tierce personne :
8. Il résulte de l'instruction et notamment du rapport d'expertise que Mme E... a eu besoin de l'assistance par une tierce personne non spécialisée d'une heure par jour pendant les 15 jours ayant suivi sa sortie du centre hospitalier soit du 4 au 19 mai 2016. Sur la base de
15 jours indemnisables et d'un taux horaire moyen de rémunération incluant les charges patronales et les majorations de rémunération pour travail du dimanche fixé à 13,54 euros et d'une année de 412 jours pour tenir compte des congés payés et des jours fériés (soit un coefficient de 1,128), ce préjudice s'élève pour cette période, compte tenu du taux de perte de chance, à la somme de 46 euros.
9. Par ailleurs si l'expert a également mentionné que Mme E... avait besoin, à hauteur d'une heure par jour, de l'assistance d'une infirmière, les requérants ne justifient pas avoir exposé des frais médicaux de cette nature. Par suite, il n'y a pas lieu de faire droit aux conclusions indemnitaires présentées à raison de ce chef de préjudice.
S'agissant du déficit fonctionnel temporaire :
10. Mme E... a subi, du fait de l'embolie pulmonaire dont elle a été atteinte, un déficit fonctionnel temporaire partiel de classe 4 (75 %) du 22 avril au 4 mai 2016, période au cours de laquelle elle était hospitalisée, de classe 3 (50 %) du 5 au 19 mai 2016 et de classe 2 (25 %) du 20 au 23 mai 2017. Il sera fait une juste appréciation du déficit fonctionnel temporaire imputable à la faute du centre hospitalier de Saint-Nazaire en l'évaluant, après application du taux de perte de chance, à la somme de 300 euros.
S'agissant du préjudice esthétique temporaire :
11. Le préjudice esthétique temporaire subie par l'intéressée au cours de son hospitalisation lié à la dégradation de son apparence physique et à l'image qu'elle pouvait avoir d'elle-même à raison de son état de dépendance, peut en l'espèce être évalué, après application du taux de perte de chance, à 200 euros.
S'agissant des souffrances endurées :
12. Les souffrances endurées par Mme E... en raison de l'embolie dont elle a été victime et du collapsus cardiovasculaire et de la défaillance cardiaque qui en ont découlés, ont été à l'origine d'une angoisse qualifiée d'importante par l'expert. Ce chef de préjudice pourra être réparé par le versement de la somme de 4 000 euros, après application du taux de perte de chance.
S'agissant du déficit fonctionnel permanent :
13. S'il ressort également de l'expertise que Mme E... qui ne présente pas de séquelles somatiques a néanmoins besoin d'un surveillance cardiologique régulière et d'un traitement anticoagulant, ces circonstances ne peuvent en l'espèce être qualifiées de déficit fonctionnel permanent. Par suite l'intéressée ne saurait en être indemnisée.
S'agissant du préjudice d'affection :
14. M. E... a subi en raison de l'inquiétude suscitée par l'état de santé de son épouse un préjudice d'affection. Dans les circonstances de l'espèce, les premiers juges en ont fait une équitable appréciation en évaluant ce préjudice à la somme de 400 euros après application du taux de perte de chance mentionné ci-dessus.
15. Il résulte de ce qui précède que le préjudice subi par M. et Mme E... doit être évalué à la somme de 4 991 euros dont 4 546 euros reviennent à Mme E... et 445 euros à
M. E....
Sur les frais de l'instance :
16. En application de l'article R. 761-1 du code de justice administrative, il y a lieu de laisser les frais de l'expertise, tels que liquidés et taxés par le président du tribunal administratif de Nantes aux termes de son ordonnance du 12 septembre 2017 à la somme de 3 141,95 euros à la charge définitive du centre hospitalier de Saint-Nazaire.
17. Dans les circonstances de l'espèce, le centre hospitalier de Saint- Nazaire étant tenu aux dépens, il y a également lieu de mettre à sa charge la somme de 1 500 euros qui sera versée à M. et Mme E... au titre de l'article L 761-1 du code de justice administrative.
DECIDE :
Article 1er : Les sommes de 2 714 euros et de 400 euros que le centre hospitalier de
Saint-Nazaire a été condamné à verser respectivement à Mme E... et à M. E... par le jugement n°1800801 du 22 juillet 2020 du tribunal administratif de Nantes sont portées à 4 546 euros s'agissant de Mme E... et à 445 euros s'agissant de M. E....
Article 2 : Le jugement est réformé en ce qu'il a de contraire au présent arrêt.
Article 3 : Le centre hospitalier de Saint- Nazaire versera à M. et Mme E... la somme de 1 500 euros au titre de l'article L 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à Mme C... E..., à M. D... E..., au centre hospitalier de Saint-Nazaire et à la caisse primaire d'assurance maladie de Loire-Atlantique.
Délibéré après l'audience du 2 décembre 2021, à laquelle siégeaient :
- M. Salvi, président
- Mme Brisson, présidente-assesseure,
- M. L'hirondel premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition du greffe le 17 décembre 2021.
La rapporteure,
C. BRISSON
Le président,
D. SALVI
Le greffier,
R. MAGEAU
La République mande et ordonne au ministre des solidarités et de la santé en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 20NT02861