Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. B... A... a demandé au tribunal administratif de Caen, d'une part, d'annuler l'arrêté du 30 octobre 2018, par lequel le ministre de l'intérieur l'a révoqué de ses fonctions, d'autre part, de mettre à la charge de l'Etat une somme de 1500 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Par un jugement n° 1900417 du 20 février 2020, le tribunal administratif de Caen a rejeté sa demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 30 avril 2020, M. B... A..., représenté par Me Gernez, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Caen du 20 février 2020 ;
2°) d'annuler l'arrêté 30 octobre 2018 du ministre de l'intérieur prononçant sa révocation ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat le versement de la somme de 1500 euros sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- l'arrêté du 30 octobre 2018 du ministre de l'intérieur prononçant sa révocation repose sur des faits qui méritent d'être discutés ; s'agissant des faits qui ont donné lieu à une condamnation par le tribunal correctionnel de Caen, ils se sont déroulés dans un cadre associatif hors du service, sont la conséquence exclusivement d'une gestion hasardeuse de l'association dont il était le président, n'ont donné lieu à aucune publicité en dehors des services de police ; toutes les sommes litigieuses ont été remboursées ; les dysfonctionnements apparus dans la gestion de l'association ont donné lieu à un traitement différent des différentes personnes mises en cause ; s'agissant des faits reprochés hors enquête judiciaire, il n'a pas détourné une journée de décharge à des fins personnelles ; il conteste s'être rendu dans un établissement bancaire ; à supposer qu'il l'ait fait, cela correspondait aux instructions du directeur départemental de la sécurité publique de la Manche ainsi que cela ressort de l'échange de mails du 23 mars 2015 ;
- la sanction de révocation est disproportionnée eu égard à l'ancienneté des faits qui lui sont reprochés, sa personnalité et son parcours au sein de la police nationale comme l'attestent ses notations et ses lettres de félicitation ; il est victime d'une inégalité de traitement.
Par un mémoire en défense, enregistré le 14 mai 2021, le ministre de l'intérieur conclut au rejet de la requête.
Il soutient que les moyens soulevés par M. A... ne sont pas fondés.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code de la sécurité intérieure ;
- la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 ;
- le décret n° 95-654 du 9 mai 1995 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Coiffet,
- et les conclusions de M. Lemoine, rapporteur public.
Considérant ce qui suit :
1. M. B... A..., entré dans la police nationale en qualité de gardien de la paix le 3 janvier 1995, a été titularisé le 1er janvier 1997 et promu au grade de brigadier de police le 19 juillet 2012. Il était affecté, depuis le 1er mars 2014, à la circonscription de sécurité publique de Cherbourg. M. A... a été condamné par le tribunal correctionnel de Caen le 20 février 2018 à une peine d'emprisonnement de trois mois assortie d'un sursis complet, pour abus de confiance, altération frauduleuse de la vérité dans un écrit et usage de faux en écriture pour des faits commis alors qu'il était président de l'association sportive de police de Cherbourg sur la période du 1er janvier 2014 au 31 janvier 2017. Pendant cette période, l'enquête diligentée par l'inspection générale de la police nationale a, par ailleurs, relevé à l'encontre de cet agent différents manquements professionnels et déontologiques. Le 28 juin 2018, M. A... a comparu devant la commission administrative paritaire compétente à l'égard des fonctionnaires du corps d'encadrement et d'application de la police nationale siégeant en formation disciplinaire qui a émis un avis favorable à une révocation. Par un arrêté du 30 octobre 2018, notifié à l'intéressé le 2 janvier 2019, le ministre de l'intérieur l'a révoqué de ses fonctions.
2. M. A... a, le 1er mars 2019, saisi le tribunal administratif de Caen d'une demande tendant à l'annulation de cette décision. Il relève appel du jugement du 20 février 2020 par lequel cette juridiction a rejeté sa demande.
Sur la légalité de l'arrêté du 30 octobre 2018 :
3. Aux termes, d'une part, de l'article 29 de la loi du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires : " Toute faute commise par un fonctionnaire dans l'exercice de ses fonctions l'expose à une sanction disciplinaire sans préjudice, le cas échéant, des peines prévues par la loi pénale " et de l'article 66 de la loi du 11 janvier 1984 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique de l'Etat : " Les sanctions disciplinaires sont réparties en quatre groupes. Premier groupe : l'avertissement ; le blâme. Deuxième groupe : la radiation du tableau d'avancement ; l'abaissement d'échelon ; l'exclusion temporaire de fonctions pour une durée maximale de quinze jours ; le déplacement d'office. Troisième groupe : la rétrogradation ; l'exclusion temporaire de fonctions pour une durée de trois mois à deux ans. Quatrième groupe : la mise à la retraite d'office ; la révocation ".
4. Aux termes, d'autre part, de l'article R. 434-3 du code de la sécurité intérieure, qui s'insère au sein des dispositions constituant le code de déontologie de la police nationale et de la gendarmerie nationale : " Les règles déontologiques énoncées par le présent code de déontologie (...) définissent les devoirs qui incombent aux policiers et aux gendarmes dans l'exercice de leurs missions de sécurité intérieure pendant ou en dehors du service et s'appliquent sans préjudice des règles statutaires et autres obligations auxquelles ils sont respectivement soumis (...) ". Aux termes de l'article R. 434-9 du même code : " Le policier ou le gendarme exerce ses fonctions avec probité. Il ne se prévaut pas de sa qualité pour en tirer un avantage personnel et n'utilise pas à des fins étrangères à sa mission les informations dont il a connaissance dans le cadre de ses fonctions. (...) Il n'accorde aucun avantage pour des raisons d'ordre privé ". Aux termes de l'article R. 434-27 de ce code : " Tout manquement du policier ou du gendarme aux règles et principes définis par le présent code de déontologie l'expose à une sanction disciplinaire en application des règles propres à son statut, indépendamment des sanctions pénales encourues le cas échéant ". Aux termes de l'article 29 du décret du 9 mai 1995 fixant les dispositions communes applicables aux fonctionnaires actifs des services de la police nationale : " Le fonctionnaire actif des services de la police nationale doit, en tout temps, qu'il soit ou non en service, s'abstenir en public de tout acte ou propos de nature à porter la déconsidération sur le corps auquel il appartient ou à troubler l'ordre public ".
5. Tout d'abord, en application des dispositions précitées, les faits commis par un fonctionnaire en dehors du service peuvent constituer une faute passible d'une sanction disciplinaire lorsque, eu égard à leur gravité, à la nature des fonctions de l'intéressé et à l'étendue de ses responsabilités, ils ont eu un retentissement sur le service, jeté le discrédit sur la fonction exercée par l'agent ou sur l'administration. Il appartient ensuite au juge de l'excès de pouvoir, saisi de moyens en ce sens, de rechercher si les faits reprochés à un agent public ayant fait l'objet d'une sanction disciplinaire constituent des fautes de nature à justifier une sanction et si la sanction retenue est proportionnée à la gravité de ces fautes.
6. L'autorité absolue de la chose jugée par les juridictions répressives ne s'attache qu'aux constatations de fait qui sont le soutien nécessaire des jugements définitifs et statuant sur le fond de l'action publique.
En ce qui concerne la matérialité des faits :
7. M. A... soutient en premier lieu que les faits qui lui sont reprochés doivent être replacés dans leur contexte.
8. Pour prononcer la révocation de M. A..., le ministre de l'intérieur s'est fondé, tout d'abord, sur le fait que cet agent, en qualité de président de l'association sportive de la police de Cherbourg (ASPC), a, d'une part, entre le 1er janvier 2014 et le 31 janvier 2017, utilisé à des fins personnelles des fonds de l'association pour un montant de 5 457 euros, encaissant sur son compte personnel dix-huit chèques tirés du compte de l'association, et utilisant la carte bancaire de l'association pour réaliser des achats personnels - achats en ligne, de carburants, règlement de dépenses personnelles pendant ses congés d'été en août 2014 - et effectuer des retraits d'espèce sur le compte de cette dernière. Il a également été relevé que la perquisition effectuée à son domicile avait conduit à la découverte d'un téléviseur, de jeux vidéo, de consoles de jeux et de documents de l'association. Le ministre de l'intérieur a retenu, d'autre part, que M. A... a, le 23 octobre 2015, signé en lieu et place du vice-président de l'association un document demandant la clôture du compte bancaire de la section judo de l'ASPC. La matérialité de ces différents faits a été établie par le jugement définitif rendu par le tribunal correctionnel de Caen le 20 février 2018 mais M. A..., qui n'en conteste pas la matérialité, estime que ces faits doivent être relativisés. Toutefois, la circonstance invoquée à cet égard par cet agent qu'il aurait remboursé les sommes litigieuses demeure sans incidence sur ce constat. Il en va de même de la circonstance, à la supposer établie, qu'un autre fonctionnaire de police, ayant participé aux faits reprochés au requérant, n'aurait pas été puni avec la même sévérité, laquelle est en tout état de cause inopérante quant à l'appréciation de la légalité de la décision de révocation contestée. Enfin, si le requérant ajoute que les faits incriminés sont exclusivement la " conséquence d'une gestion hasardeuse ", comme l'aurait indiqué son chef de service lors de la première enquête administrative, l'arrêté contesté qui ne reprend pas dans ses motifs cette appréciation, a cependant relevé que " les opérations litigieuses réalisées par l'intéressé pendant trois années en dehors de toute décision collective des organes du bureau [de l'association] illustr[ai]ent le caractère intentionnel de ses actes commis en pleine connaissance de cause et sa gestion des compte de manière individuelle et sans aucune transparence ".
9. Pour prononcer la révocation de M. A..., le ministre de l'intérieur s'est ensuite fondé sur les circonstances que, le 27 avril 2016, bénéficiant d'une décharge de service de deux jours pour organiser un championnat régional de tir le lendemain 28 avril, M. A... ne s'y rendait pas le premier jour, occupant une partie de son temps à effectuer un achat personnel et que, le 23 avril 2015, il s'est rendu à la banque en uniforme et porteur de son arme de service pour exiger d'être reçu par le conseiller financier de l'association pour clôturer le compte de la section judo. Si M. A... remet en cause l'existence des deux séries de faits qui lui sont reprochés, il y a lieu toutefois de constater, d'une part et sur le premier point, qu'il ne conteste pas, indépendamment des démarches effectuées pour la préparation du championnat, avoir effectivement utilisé la première journée de décharge pour effectuer un achat personnel dans un magasin de bricolage, et ce, ainsi que le rappelle l'arrêté contesté, " sans avoir rendu compte à sa hiérarchie d'un changement d'emploi du temps ". Son ancienne compagne a également indiqué lors des auditions menées dans le cadre de l'enquête diligentée par l'inspection générale de la police nationale (IGPN) qu'ils avaient passé tous les deux l'après-midi en question à " se promener ". D'autre part, sur le second point, la même enquête a établi les faits reprochés au requérant sur la base du témoignage du directeur de l'agence bancaire, qui donne les détails de la visite de M. A... le 23 avril 2015 pour clôturer le compte de la section judo. Le courriel du 23 mars 2015 adressé par le directeur départemental de la sécurité publique de la Manche au chef de service de M. A..., et dont ce dernier se prévaut, qui rappelle l'obligation de porter l'uniforme à propos de la publicité donnée dans la presse locale à un partenariat entre l'ACEF - Association Crédit Epargne des Fonctionnaires - et une association sportive de police, est sans rapport avec le comportement reproché au requérant.
10. Il résulte de ce qui a été rappelé aux points 8 et 9 que les faits sur lesquels le ministre de l'intérieur fonde la décision de révocation contestée doivent ainsi être regardés comme établis. Les agissements auxquels M. A... s'est livré constituent des fautes justifiant, bien que commis hors du service et, ce conformément aux dispositions des article R. 434-9 et R. 434-27 du code de la sécurité intérieure et de l'article 29 du décret du 9 mai 1995 rappelées précisément au point 4, le prononcé d'une sanction disciplinaire.
11. M. A... soutient ensuite que la sanction de la révocation prononcée à son encontre est disproportionnée. Il se prévaut à cet égard des notations dont il a fait l'objet au cours de sa carrière, de l'absence de sanction disciplinaire antérieure, des félicitations, à titres individuel et collectif, qui lui ont été adressées par la hiérarchie ainsi que du fait que les agissements incriminés, connus des seuls cercles policiers, n'ont pas été révélés au public. Toutefois, ces éléments sont sans incidence sur la gravité des manquements caractérisés qui lui sont reprochés aux obligations professionnelles et déontologiques lui incombant en sa qualité de policier, dont certains ont été réitérés sur une période de trois années. La différence de traitement dont il serait victime en raison du fait que plusieurs hauts fonctionnaires du ministère de l'intérieur, " coupables de manquements de nature comparable aux siens ", auraient bénéficié de l'indulgence du ministre, demeure en tout état de cause sans incidence sur la légalité de la sanction prononcée. Par suite, la sanction de la révocation prononcée à l'encontre de M. A..., qui est proportionnée à la gravité des fautes qu'il a commises, n'est pas entachée d'une erreur d'appréciation.
12. Il résulte de ce qui vient d'être dit que M. A... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Caen a rejeté sa demande tendant à l'annulation de la sanction de la révocation du 30 octobre 2018 qui lui a été infligée.
Sur les frais liés au litige :
13. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mis à la charge de l'Etat qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance la somme que M. A... demande au titre des frais exposés et non compris dans les dépens.
DECIDE :
Article 1er : La requête de M. A... est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. B... A... et au ministre de l'intérieur.
Délibéré après l'audience du 19 novembre 2021, à laquelle siégeaient :
- M. Gaspon, président de chambre,
- M. Coiffet, président-assesseur,
- Mme Gélard, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe, le 7 décembre 2021.
Le rapporteur,
O. COIFFETLe président,
O. GASPON
La greffière,
P. CHAVEROUX
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
N° 20NT01407 6