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23/11/2021 | FRANCE | N°20NT03830

France | France, Cour administrative d'appel de Nantes, 6ème chambre, 23 novembre 2021, 20NT03830


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. B... C... a demandé au tribunal administratif de Rennes d'annuler la décision du 10 avril 2018 par laquelle le préfet délégué pour la défense et la sécurité de la zone Ouest a confirmé sa décision du 19 janvier 2018 refusant de lui accorder le bénéfice de la protection fonctionnelle.

Par un jugement n° 1802683 du 5 septembre 2020, le tribunal administratif de Rennes a annulé les décisions du 19 janvier 2018 et du 10 avril 2018 (article 1er), a enjoint au préfet délégué pour la défense

et la sécurité de la zone Ouest d'accorder à M. C... le bénéfice de la protection due au...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. B... C... a demandé au tribunal administratif de Rennes d'annuler la décision du 10 avril 2018 par laquelle le préfet délégué pour la défense et la sécurité de la zone Ouest a confirmé sa décision du 19 janvier 2018 refusant de lui accorder le bénéfice de la protection fonctionnelle.

Par un jugement n° 1802683 du 5 septembre 2020, le tribunal administratif de Rennes a annulé les décisions du 19 janvier 2018 et du 10 avril 2018 (article 1er), a enjoint au préfet délégué pour la défense et la sécurité de la zone Ouest d'accorder à M. C... le bénéfice de la protection due aux collaborateurs occasionnels du service public pour les poursuites pénales dont il fait l'objet dans un délai d'un mois (article 2) et a mis à la charge de l'Etat une somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative (article 3).

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 8 décembre 2020, le ministre de l'intérieur demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement ;

2°) de rejeter la demande de M. C....

Il soutient que :

- à titre principal, le préfet délégué pour la défense et la sécurité de la zone Ouest n'était pas compétent pour statuer sur la demande de protection fonctionnelle de M. C... qui a agi en tant que collaborateur occasionnel du service public de la justice dès lors qu'il a été réquisitionné par un officier de police judiciaire en exécution d'une commission rogatoire délivrée le 16 février 2009 par le juge d'instruction du tribunal de grande instance de Rouen dans le cadre d'une information judiciaire ; sa demande relevait de la seule compétence de la direction des services judiciaires du ministère de la justice ; il sollicite une substitution de motif dès lors que le préfet aurait pris la même décision de refus s'il s'était initialement fondé sur le motif tiré de son incompétence ;

- la circonstance que le préfet ne soit pas compétent pour statuer sur la demande de protection de M. C... fait légalement obstacle à ce qu'il lui soit enjoint de prendre une mesure qui est du seul ressort du ministre de la justice s'agissant d'un collaborateur occasionnel du service public de la justice ;

- à titre subsidiaire, si la cour estimait que l'auteur des décisions était compétent, les décisions de refus sont justifiées par la particulière gravité des faits commis par M. C..., constitutifs d'une faute personnelle détachable de la mission qui lui avait été confiée lors de sa réquisition, qui ont entraîné le décès de la personne placée en garde à vue auprès de laquelle il est intervenu ; M. C... a été déclaré coupable d'homicide involontaire par un jugement du 17 mars 2016 de la 31ème chambre correctionnelle du tribunal de grande instance de Paris et l'autorité de la chose jugée au pénal s'impose en ce qui concerne les constatations de fait retenues par le juge répressif et qui sont le support nécessaire de sa décision.

Par un mémoire en défense, enregistré le 23 février 2021, M. C..., représenté par la SCP Fischer, Tandeau de Marsac, Sur et associés, conclut au rejet de la requête et demande à la cour de :

1°) prononcer l'annulation de la décision du 10 avril 2018 ;

2°) enjoindre à l'administration de lui accorder le bénéfice de la protection juridique de l'Etat ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 4 500 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- les décisions de rejet sont insuffisamment motivées ;

- les décisions de rejet méconnaissent le principe général du droit accordant le bénéfice de la protection fonctionnelle à toute personne à laquelle la qualité de collaborateur occasionnel de service public dès lors, d'une part, qu'il avait cette qualité lorsqu'il a procédé à l'examen médical de la personne en garde à vue et, d'autre part, son comportement, qui a donné lieu à une condamnation pour homicide involontaire, ne saurait être assimilé à une faute personnelle ;

- l'incompétence du préfet n'est pas avérée dès lors, d'une part, qu'il dépendait de l'Etat et que le préfet représente autant le ministre de la justice que le ministre de l'intérieur et que, d'autre part, il avait la qualité de collaborateur occasionnel du ministre de l'intérieur dès lors que la réquisition à personne qui a fondé son intervention a été édictée par une autorité relevant de la direction générale de la police nationale et est détachable de l'exercice de la fonction juridictionnelle ; la cour d'appel de Paris l'a qualifié de collaborateur occasionnel du service public en des termes qui révèlent qu'il dépendait du service public de la police et non de la justice ;

- à supposer que le préfet ait été incompétent, il serait inéquitable qu'il subisse les effets négatifs de son absence de diligence et un déni de protection alors qu'il revenait au préfet de l'inviter à formuler sa demande auprès du service, selon lui, compétent ;

- les faits qui lui sont reprochés ne caractérisent aucune faute personnelle détachable des fonctions.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code des relations entre le public et l'administration ;

- le code de la sécurité intérieure ;

- la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Malingue,

- les conclusions de M. Lemoine, rapporteur public,

- et les observations de Mme A..., représentant le ministre de l'intérieur, et de Me Bougrine, représentant M. C....

Considérant ce qui suit :

1. M. C..., médecin légiste, a été réquisitionné le 7 avril 2009 à deux reprises par un officier de police judiciaire du commissariat de Rouen, agissant en vertu d'une commission rogatoire délivrée par un juge d'instruction du tribunal de grande instance de Rouen dans le cadre d'une information judiciaire ouverte des chefs de violence sur mineur de moins de quinze ans ayant entraîné la mort sans intention de la donner, pour procéder à l'examen médical d'un individu placé en garde à vue, auprès de qui il est intervenu ce jour-là à 11h35 puis 16h20. L'état de santé de cet homme s'est dégradé dans la soirée et son décès a été constaté à 7h16 le lendemain matin. M. C..., mis en examen dans le cadre d'une information judiciaire ouverte le 8 juillet 2009 du chef d'homicide involontaire, a été condamné à une peine de quatre mois d'emprisonnement avec sursis par jugement correctionnel du tribunal de grande instance de Paris, qui a été confirmée par un arrêt de la cour d'appel de Paris du 15 mai 2018. Le 5 janvier 2018, M. C... a sollicité le bénéfice de la protection fonctionnelle auprès du préfet délégué pour la défense et la sécurité de la zone Ouest qui, par une décision du 19 janvier 2018, a rejeté sa demande au motif que les faits commis constituent une faute personnelle détachable de la mission qui lui avait été confiée lors de la réquisition. Par courrier du 10 avril 2018, à la suite du recours gracieux exercé le 12 mars 2018, le préfet délégué pour la défense et la sécurité de la zone Ouest a confirmé sa décision. Par jugement du 5 septembre 2020, dont le ministre de l'intérieur relève appel, le tribunal administratif de Rennes, après avoir requalifié les conclusions de M. C... comme également dirigées contre la décision du 19 janvier 2018, a annulé ces deux décisions au motif que le préfet avait commis une illégalité en retenant que les fautes commises pouvaient être qualifiées de fautes personnelles détachables du service et en lui refusant pour ce motif le bénéfice de la protection fonctionnelle et a enjoint au préfet délégué pour la défense et la sécurité de la zone Ouest d'accorder à M. C... le bénéfice de la protection due aux collaborateurs occasionnels du service public pour les poursuites pénales dont il a fait l'objet.

Sur les conclusions aux fins d'annulation des décisions du 19 janvier 2018 et 10 avril 2018 :

2. Il résulte d'un principe général du droit que, lorsqu'un agent public est mis en cause par un tiers à raison de ses fonctions, il incombe à la collectivité dont il dépend de le couvrir des condamnations civiles prononcées contre lui, dans la mesure où une faute personnelle détachable du service ne lui est pas imputable, de lui accorder sa protection dans le cas où il fait l'objet de poursuites pénales, sauf s'il a commis une faute personnelle et, à moins qu'un motif d'intérêt général ne s'y oppose, de le protéger contre les menaces, violences, voies de fait, injures, diffamations ou outrages dont il est l'objet. Ce principe général du droit s'étend à toute personne à laquelle la qualité de collaborateur occasionnel du service public est reconnue.

3. D'une part, aux termes de l'article R. 122-2 du code de la sécurité intérieure : " Le représentant de l'Etat dans la zone de défense et de sécurité prévu à l'article L. 1311-1 du code de la défense est le préfet du département où se trouve le chef-lieu de celle-ci. Il porte le titre de préfet de zone de défense et de sécurité. / Sous l'autorité du Premier ministre et sous réserve des compétences du ministre de la défense et de l'autorité judiciaire, le préfet de zone de défense et de sécurité est le délégué des ministres dans l'exercice de leurs attributions en matière de défense et de sécurité nationale. / A cet effet, il dirige l'action des services des administrations civiles de l'Etat et des unités de la gendarmerie nationale dans le cadre de la zone de défense et de sécurité et exerce les attributions fixées par la présente section. ".

4. D'autre part, aux termes de l'article L. 114-2 du code des relations entre le public et l'administration : " Lorsqu'une demande est adressée à une administration incompétente, cette dernière la transmet à l'administration compétente et en avise l'intéressé. ".

5. Il ressort des pièces du dossier que M. C... a été réquisitionné, sur le fondement de l'article 63-3 du code de procédure pénale, le 7 avril 2009 à deux reprises pour examiner une personne gardée à vue dans les locaux de l'hôtel de police de Rouen par un officier de police judiciaire agissant en vertu d'une commission rogatoire délivrée par un juge d'instruction du tribunal de grande instance de Rouen. Ce faisant, il a agi à ce titre en qualité de collaborateur occasionnel du service public de la justice. Par suite, et ainsi que le soutient pour la première fois en appel le ministre de l'intérieur, il n'appartenait pas au préfet de zone de défense et de sécurité, qui est le délégué des ministres dans l'exercice de leurs attributions en matière de défense et de sécurité nationale ainsi que le prévoit l'article R. 122-22 du code de la sécurité intérieure, de se prononcer sur le bien-fondé de la demande de protection fonctionnelle que M. C... avait présentée le 5 janvier 2018 en évoquant son procès en appel pour homicide involontaire. Dès lors, la décision du 19 janvier 2018 par laquelle le préfet délégué pour la défense et la sécurité de la zone Ouest a rejeté cette demande en raison de la faute personnelle détachable du service de M. C... et la décision du 10 avril 2018 de rejet de son recours gracieux pour ce même motif, sont entachées d'incompétence.

6. L'administration peut, en première instance comme en appel, faire valoir devant le juge de l'excès de pouvoir que la décision dont l'annulation est demandée est légalement justifiée par un motif, de droit ou de fait, autre que celui initialement indiqué, mais également fondée sur la situation existante à la date de cette décision. Il appartient alors au juge, après avoir mis à même l'auteur du recours de présenter ses observations sur la substitution ainsi sollicitée, de rechercher si un tel motif est de nature à fonder légalement la décision, puis d'apprécier s'il résulte de l'instruction que l'administration aurait pris la même décision si elle s'était fondée initialement sur ce motif. Dans l'affirmative, il peut procéder à la substitution demandée, sous réserve toutefois qu'elle ne prive pas le requérant d'une garantie procédurale liée au motif substitué.

7. Le ministre de l'intérieur sollicite, à titre principal, en appel, une substitution du motif tiré de l'existence d'une faute personnelle commise par M. C... détachable de la mission qui lui avait été confiée lors de la réquisition par celui tiré de l'incompétence et soutient que le préfet aurait pris la même décision de refus s'il s'était initialement fondé sur ce motif.

8. Toutefois le rejet de la demande de protection fonctionnelle de M. C... pour un motif de légalité interne a conduit le préfet, qui s'est à tort cru compétent pour se prononcer sur le bien-fondé de cette demande, à ne pas transmettre à l'administration compétente cette demande, alors que cette obligation de transmission lui incombait en application de l'article L. 114-2 du code des relations entre le public et l'administration. Il revenait à cette seule administration de porter une appréciation sur les faits de l'espèce et, notamment, d'examiner si les fautes commises par M. C... lors de la prise en charge médicale de la personne gardée à vue, consistant en la prescription inadaptée de méthadone associée à des benzodiazépines et l'absence de mention de ces prescriptions dans le cahier médical, pouvaient être qualifiées de fautes personnelles de nature à entraîner le refus de la protection fonctionnelle sollicitée. En l'absence de manquement délibéré de M. C... à ses obligations professionnelles en sa qualité de médecin, il ne peut être tenu pour acquis que l'administration compétente aurait retenu cette qualification, que les premiers juges ont, au demeurant, écarté à juste titre. L'examen de sa demande par l'administration compétente pour statuer sur les demandes de protection fonctionnelle présentées par les collaborateurs occasionnels du service public de la justice constituait ainsi pour M. C... une garantie, dont il a été privé. Par suite, il n'y a pas lieu de procéder à la substitution demandée.

9. Il résulte de ce qui vient d'être dit que le ministre de l'intérieur n'est pas fondé à se plaindre de ce que, par l'article 1er du jugement attaqué, le tribunal administratif de Rennes a annulé les décisions du 19 janvier 2018 et 10 avril 2018.

Sur les conclusions aux fins d'injonction :

10. Le motif mentionné au point 5 fait obstacle à ce qu'il soit enjoint au préfet délégué pour la défense et la sécurité de la zone Ouest d'accorder à M. C... le bénéfice de la protection due aux collaborateurs occasionnels du service public. Par suite, le ministre de l'intérieur est fondé à demander l'annulation de l'article 2 du jugement attaqué par lequel les premiers juges ont prononcé cette injonction.

11. Les motifs mentionnés aux points 5 et 8 impliquent, toutefois, que le préfet délégué pour la défense et la sécurité de la zone Ouest transmette la demande de M. C... à l'autorité compétente pour statuer sur la demande de protection fonctionnelle d'un collaborateur occasionnel du service public de la justice. Il y a lieu de l'y enjoindre dans un délai d'un mois à compter de la notification du présent arrêt.

Sur les frais liés au litige :

12. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat, partie perdante, une somme de 1 500 euros à verser à M. C... sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

DECIDE :

Article 1er : L'article 2 du jugement du 5 septembre 2020 par lequel le tribunal administratif de Rennes a enjoint au préfet délégué pour la défense et la sécurité de la zone Ouest d'accorder à M. C... le bénéfice de la protection due aux collaborateurs occasionnels du service public pour les poursuites pénales dont il fait l'objet dans un délai d'un mois est annulé.

Article 2 : Il est enjoint au préfet délégué pour la défense et la sécurité de la zone Ouest de transmettre la demande de M. C... à l'administration compétente pour statuer sur la demande de protection fonctionnelle d'un collaborateur occasionnel du service public de la justice dans un délai d'un mois à compter de la notification du présent arrêt.

Article 3 : L'Etat versera à M. C... une somme de 1 500 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : Le surplus des conclusions d'appel du ministre de l'intérieur et de M. C... est rejeté.

Article 5 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l'intérieur et à M. B... C....

Copie en sera adressée, pour information, au préfet délégué pour la défense et la sécurité de la zone Ouest.

Délibéré après l'audience du 5 novembre 2021, à laquelle siégeaient :

- M. Gaspon, président de chambre,

- M. Coiffet, président assesseur,

- Mme Malingue, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 23 novembre 2021.

La rapporteure,

F. MALINGUELe président,

O. GASPON

La greffière,

P. CHAVEROUX

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

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N° 20NT03830 4

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Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Nantes
Formation : 6ème chambre
Numéro d'arrêt : 20NT03830
Date de la décision : 23/11/2021
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : M. GASPON
Rapporteur ?: Mme Fanny MALINGUE
Rapporteur public ?: M. LEMOINE
Avocat(s) : FISCHER, TANDEAU DE MARSAC, SUR et ASSOCIES

Origine de la décision
Date de l'import : 30/11/2021
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.nantes;arret;2021-11-23;20nt03830 ?
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