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19/11/2021 | FRANCE | N°21NT00410

France | France, Cour administrative d'appel de Nantes, 3ème chambre, 19 novembre 2021, 21NT00410


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. B... A... a demandé au tribunal administratif de Caen d'annuler l'arrêté du

25 octobre 2016 par lequel le recteur de l'académie de Caen l'a suspendu de ses fonctions pour une durée de quatre mois, la décision de la même autorité rejetant son recours gracieux et l'arrêté du 16 février 2017 par lequel le recteur de l'académie de Caen l'a suspendu de ses fonctions pour une durée de quatre mois.

Par un jugement n°1700330 du 16 novembre 2017, le tribunal administratif de Caen a annulé l

'arrêté du 16 février 2017 et rejeté le surplus des conclusions de la demande de

M. A.....

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. B... A... a demandé au tribunal administratif de Caen d'annuler l'arrêté du

25 octobre 2016 par lequel le recteur de l'académie de Caen l'a suspendu de ses fonctions pour une durée de quatre mois, la décision de la même autorité rejetant son recours gracieux et l'arrêté du 16 février 2017 par lequel le recteur de l'académie de Caen l'a suspendu de ses fonctions pour une durée de quatre mois.

Par un jugement n°1700330 du 16 novembre 2017, le tribunal administratif de Caen a annulé l'arrêté du 16 février 2017 et rejeté le surplus des conclusions de la demande de

M. A....

Par un arrêt n° 18NT00101 et 18NT00224 du 1er octobre 2019, la cour administrative d'appel de Nantes a rejeté les appels formés contre les articles 1er et 2 de ce jugement par le ministre de l'éducation nationale et de la jeunesse et contre l'article 3 du même jugement par

M. A....

Par une décision n° 436379 du 12 février 2021, le Conseil d'État a annulé l'article 1er de cet arrêt et a renvoyé dans cette mesure devant la cour administrative d'appel de Nantes l'affaire qui porte désormais le n° 21NT00410.

Procédure devant la cour après cassation :

Par des mémoires enregistrés les 7 avril et 12 août 2021, le ministre de l'éducation nationale, de la jeunesse et des sports demande à la cour :

1°) d'annuler les articles 1er et 2 du jugement du tribunal administratif de Caen du 16 novembre 2017 ;

2°) de rejeter les demandes présentées par M. A... devant le tribunal.

Il soutient que :

- le recteur était compétent pour prendre l'arrêté de suspension de fonctions du 16 février 2017 ;

- une décision de suspension qui présente un caractère conservatoire n'a pas à être motivée ;

- les dispositions de l'article 30 de la loi du 13 juillet 1983 n'ont pas été méconnues.

Par un mémoire enregistré le 7 avril 2021, M. A..., représenté par Me Launay, conclut au rejet de la requête et à ce que soit mis à la charge de l'État le versement de la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- l'arrêté du 16 février 2017 est insuffisamment motivé en méconnaissance de l'article

30 de la loi du 13 juillet 1983 ; la note de service invoquée dans cet arrêté n'était pas jointe ;

- l'article 30 de la loi du 13 juillet 1983 a été méconnu dès lors que les faits qui lui sont reprochés concernent les fonctions de directeur de l'Ecole supérieure du professorat et de l'éducation (ESPE) et non celle de professeur certifié qu'il pouvait continuer à exercer.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code de l'éducation ;

- le code des relations entre le public et l'administration ;

- la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 ;

- la loi n° 84-16 du 11 janvier 1984 ;

- le décret n° 72-581 du 4 juillet 1972 ;

- l'arrêté du 9 août 2004 portant délégation de pouvoirs du ministre chargé de l'éducation aux recteurs d'académie en matière de gestion des personnels enseignants, d'éducation, d'information et d'orientation de l'enseignement du second degré ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Brisson,

- et les conclusions de M. Berthon, rapporteur public.

Considérant ce qui suit :

1. M. B... A..., professeur certifié, nommé le 16 janvier 2014 directeur de l'école supérieure du professorat et de l'éducation (ESPÉ) de l'université de Caen par les ministres de l'éducation nationale et de l'enseignement supérieur, a été suspendu de toutes ses fonctions pour une durée de quatre mois par un arrêté du 25 octobre 2016 du recteur de l'académie de Caen, décision contre laquelle il a formé un recours gracieux resté sans réponse. Par des arrêtés ultérieurs, M. A... a été placé en congé de maladie du 25 octobre au 30 novembre 2016. Le recteur de l'académie de Caen a par la suite pris, le 16 février 2017, un nouvel arrêté suspendant M. A... de toutes ses fonctions pour une durée de quatre mois. Saisi d'un recours contre les arrêtés de suspension et le rejet de son recours gracieux, le tribunal administratif de Caen a, par un jugement du 16 novembre 2017, annulé l'arrêté du 16 février 2017 et rejeté le surplus des conclusions de M. A.... La cour administrative d'appel a, par un arrêt du 1er octobre 2019, rejeté les recours formés par le ministre de l'éducation nationale et l'intéressé contre ce jugement. Par sa décision du 12 février 2021, le Conseil d'État statuant au contentieux, a annulé l'article 1er de cet arrêt ayant rejeté le recours du ministre et a renvoyé dans cette mesure l'affaire à la cour.

Sur le moyen d'annulation retenu par le tribunal administratif de Caen :

2. D'une part, aux termes de l'article 30 de la loi du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires : " En cas de faute grave commise par un fonctionnaire, qu'il s'agisse d'un manquement à ses obligations professionnelles ou d'une infraction de droit commun, l'auteur de cette faute peut être suspendu par l'autorité ayant pouvoir disciplinaire qui saisit, sans délai, le conseil de discipline. (...) ". Aux termes de l'article 67 de la loi du 11 janvier 1984 portant dispositions statutaires applicables à la fonction publique de l'État : " Le pouvoir disciplinaire appartient à l'autorité investie du pouvoir de nomination (...). / (...) Le pouvoir de prononcer les sanctions du premier et du deuxième groupe peut être délégué indépendamment du pouvoir de nomination. Les conditions d'application du présent alinéa sont fixées par des décrets en Conseil d'État (...) ".

3. D'autre part, aux termes de l'article R. 911-82 du code de l'éducation : " Le ministre chargé de l'éducation peut déléguer par arrêté aux recteurs d'académie tout ou partie de ses pouvoirs en matière de recrutement et de gestion des personnels titulaires, stagiaires, élèves et non titulaires de l'État qui relèvent de son autorité ". L'article R. 911-84 du même code dispose que : " Ne peuvent faire l'objet de la délégation prévue à l'article R. 911-82, pour les personnels de la catégorie A désignée à l'article 29 de la loi n° 84-16 du 11 janvier 1984 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique de l'État, les décisions relatives à la nomination, à l'avancement de grade, à la mise à disposition, au détachement lorsque celui-ci nécessite un arrêté interministériel ou l'accord d'un ou de plusieurs ministres, à la mise en position hors cadres, à l'exercice du pouvoir disciplinaire et à la cessation de fonctions.

/ Toutefois, peuvent faire l'objet de la délégation prévue à l'article R. 911-82 :/ (...) 3° Pour les personnels enseignants, d'éducation, d'information et d'orientation :/ (...) d) Les sanctions disciplinaires des premier et deuxième groupes (...) ". Enfin, aux termes de l'article 1er de l'arrêté du 9 août 2004 portant délégation de pouvoirs du ministre chargé de l'éducation aux recteurs d'académie en matière de gestion des personnels enseignants, d'éducation, d'information et d'orientation de l'enseignement du second degré : " Délégation permanente de pouvoirs du ministre chargé de l'éducation est donnée aux recteurs d'académie : I.- Pour prononcer à l'égard des personnels enseignants, d'éducation, d'information et d'orientation de l'enseignement du second degré et des personnels stagiaires de ces mêmes corps, sous réserve des dispositions de l'article 2 ci-dessous (...) :/ (...) Les sanctions disciplinaires des premier et deuxième groupes (...) ". L'article 2 du même arrêté précise que : " Les dispositions du I de l'article 1er ci-dessus ne sont pas applicables aux personnels :/ - en position de détachement ;

/ (...) - en fonction dans un établissement d'enseignement supérieur, pour ce qui concerne le congé de longue durée (...) ".

4. Il résulte des dispositions citées au point 2 que la délégation d'une partie du pouvoir disciplinaire entraîne nécessairement qu'aussi bien l'autorité délégataire que l'autorité délégante ont le pouvoir de suspendre les agents concernés. Dès lors, s'agissant des membres du corps des professeurs certifiés, les dispositions de l'arrêté du 9 août 2004, prises sur le fondement de celles du décret du 21 août 1985 relatif à la déconcentration de certaines opérations de gestion du personnel relevant du ministère de l'éducation nationale, codifiées aux articles R. 911-82 et R. 911-84 du code de l'éducation, autorisent aussi bien les recteurs d'académie que le ministre chargé de l'éducation nationale à prononcer la suspension des professeurs certifiés.

5. Il en résulte que le recteur de l'académie de Caen était compétent pour prononcer la suspension de M. A..., professeur certifié. Ce dernier n'est pas fondé à soutenir que sa suspension n'aurait pu être prononcée que par arrêté conjoint des ministres chargés de l'enseignement supérieur et de l'éducation nationale, au motif que les directeurs d'ESPÉ sont nommés par un tel arrêté conjoint en vertu de l'article L. 721-3 du code de l'éducation, dès lors que ces dispositions ne font pas obstacle à l'application à M. A... des règles statutaires régissant le corps des professeurs certifiés et que cette désignation n'a pas eu pour effet de placer M. A... en détachement hors de ce corps. L'intéressé ne saurait davantage se prévaloir de ce qu'il était susceptible de faire l'objet d'une procédure devant la section disciplinaire du conseil académique de l'université à laquelle était rattachée l'ESPÉ, dès lors qu'aux termes de l'article L. 952-7 du même code : " (...)/ Les sanctions prononcées à l'encontre des enseignants par la section disciplinaire ne font pas obstacle à ce que ces enseignants soient traduits, en raison des mêmes faits, devant les instances disciplinaires prévues par les statuts qui leur sont applicables dans leur corps d'origine ".

6. Il s'ensuit que c'est à tort que le tribunal administratif de Caen s'est fondé sur un vice d'incompétence pour annuler l'arrêté litigieux du recteur de l'académie de Caen du 16 février 2017 ayant suspendu M. A... temporairement de ses fonctions.

7. Il appartient toutefois à la cour, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés par M. A... tant en première instance qu'en appel.

Sur les autres moyens invoqués par M. A... :

8. Dès lors qu'une mesure de suspension prise à l'encontre d'un fonctionnaire est une mesure conservatoire prononcée dans l'intérêt du service et ne constitue pas une sanction disciplinaire, elle n'est pas au nombre des décisions qui doivent être motivées par application de l'article L. 211-2 du code des relations entre le public et l'administration. Le moyen tiré de l'insuffisance de motivation de l'arrêté du 16 février 2017, qui présente un caractère inopérant, doit par suite, être écarté.

9. Une mesure de suspension de fonctions ne peut être prononcée à l'encontre d'un fonctionnaire que lorsque les faits imputables à l'intéressé présentent un caractère suffisant de vraisemblance et de gravité et que l'éloignement de l'intéressé se justifie au regard de l'intérêt du service. Eu égard à la nature conservatoire d'une mesure de suspension et à la nécessité d'apprécier, à la date à laquelle cet acte a été pris, la condition tenant au caractère vraisemblable des faits, il appartient au juge de l'excès de pouvoir de statuer au vu des informations dont disposait effectivement l'autorité administrative au jour de sa décision.

10. A la suite de plusieurs témoignages d'enseignants, de personnel administratifs ou d'étudiants et de stagiaires, une enquête administrative sur la situation de l'ESPE de Caen a été diligentée par la ministre de l'éducation nationale et le rapport, établi en mars 2017 par l'inspection générale de l'éducation nationale et de la recherche, a été soumis à l'avis de médecine préventive de l'université.

11. Il ressort des témoignages recueillis, qui sont circonstanciés et qui se corroborent, que M. A... a eu, à de nombreuses reprises, un comportement irrespectueux et humiliant à l'égard tant des enseignants, des personnels administratifs que des étudiants et des stagiaires. Il a, en particulier, tenu des propos ou envoyé des messages électroniques agressifs, déplacés ou ambigus, notamment à connotation sexuelle, aux personnes fréquentant l'ESPE ; il a dénigré publiquement certaines personnes par des jugements de valeur négatifs sur leur comportement ou manière de travailler et s'est ingéré dans la vie privée de plusieurs personnes.

12. Il ressort également de ce rapport d'enquête que M. A... a adopté un comportement managérial inadapté et inintelligible en ne suivant pas les procédures administratives prévues dans le cadre de la gestion de l'établissement d'enseignement, en fixant aux agents des objectifs irréalistes et changeants, en désorganisant les services par un non-respect des missions imparties à ses collaborateurs et en les dévalorisant, en divulguant de fausses informations pour peser sur le recrutement ou la carrière des personnes placées sous son autorité ou en mettant en œuvre une politique discrétionnaire et discriminatoire dans la gestion des emplois.

13. Ce rapport d'enquête relève en outre des manquements aux obligations professionnelles et déontologiques s'imposant à M. A... tels que le non-respect de l'anonymat des copies d'examen, la communication des notes en dehors de toute procédure officielle ou la composition irrégulière des jurys.

14. M. A... qui se borne à faire état de ce que les faits qui lui sont reprochés ont été commis dans le cadre de l'exercice de ses fonctions de directeur de l'ESPE de sorte qu'il aurait pu continuer à exercer ses missions d'enseignant, alors au demeurant qu'il s'est abstenu de donner les cours qu'il devait assurer sans pour autant les remplacer, ne remet pas sérieusement en cause le caractère suffisant de vraisemblance et de gravité des faits qui lui sont imputés et qui sont de nature à justifier la mesure de suspension de ses fonctions.

15. Il résulte de tout ce qui précède que le ministre de l'éducation nationale, de la jeunesse et des sports est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Caen a annulé l'arrêté du 16 février 2017 par lequel le recteur de l'académie de Caen a suspendu M. A... de ses fonctions à titre conservatoire et a mis à la charge de l'État la somme de 1 500 euros au titre des frais exposés par M. A... et non compris dans les dépens.

Sur les frais liés au litige :

16. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mis à la charge de l'État qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, le versement d'une somme au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Les conclusions présentées à ce titre par M A... ne peuvent dès lors être accueillies.

DECIDE :

Article 1er : Les articles 1er et 2 du jugement du tribunal administratif de Caen du 16 novembre 2017 sont annulés.

Article 2 : La demande présentée par M. A... devant le tribunal administratif de Caen et dirigée contre l'arrêté du 16 février 2017 du recteur de l'académie de Caen ainsi que ses conclusions présentées en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l'éducation nationale, de la jeunesse et des sports et à M. B... A....

Copie en sera transmise au recteur de l'académie de Caen

Délibéré après l'audience du 4 novembre 2021, à laquelle siégeaient :

- M. Salvi président,

- Mme Brisson, présidente-assesseure,

- M. Catroux, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 19 novembre 2021.

La rapporteure,

C. BRISSON

Le président,

D. SALVI

La greffière,

A. MARTIN

La République mande et ordonne au ministre de l'éducation nationale et de la jeunesse, en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

N° 21NT00410


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Nantes
Formation : 3ème chambre
Numéro d'arrêt : 21NT00410
Date de la décision : 19/11/2021
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : M. SALVI
Rapporteur ?: Mme Christiane BRISSON
Rapporteur public ?: M. BERTHON
Avocat(s) : SELARL CHRISTOPHE LAUNAY

Origine de la décision
Date de l'import : 30/11/2021
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.nantes;arret;2021-11-19;21nt00410 ?
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