Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. B... A... a demandé au tribunal administratif d'Orléans de condamner la communauté d'agglomération de Blois (Agglopolys) d'une part, à lui verser la somme de 36 494,16 euros en réparation des préjudices découlant de la présence et du fonctionnement d'une déchèterie à proximité de son habitation et d'autre part, de déplacer les zones de manipulation et de déversement des déchets vers l'arrière de la déchetterie ou à mettre en place un écran destiné à masquer cette zone.
Par un jugement n° 1801557 du 23 juin 2020, le tribunal administratif d'Orléans a condamné la communauté d'agglomération de Blois à verser à M. A... la somme de 33 001 euros et, avant de statuer sur les conclusions à fin d'injonction, a ordonné un supplément d'instruction.
Procédure devant la cour :
Par une requête et un mémoire, enregistrés les 28 août 2020 et 30 décembre 2020, la communauté d'agglomération de Blois Agglopolys, représentée par Me Micou, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif d'Orléans du 23 juin 2020 et de rejeter la demande présentée par M. A... devant le tribunal ;
2°) de mettre à la charge de M. A... la somme de 3 000 euros à lui verser au titre de l'article L 761-1 du code de justice administrative ainsi que les dépens.
Elle soutient que :
- l'action engagée par M. A... est prescrite, la déchetterie avait vocation, dès sa création en 1997, à collecter du verre ; les colonnes de dépôt de verre n'ont été que peu déplacées lors de l'agrandissement en 2010-2011 ;
- le préjudice allégué n'est pas établi ; aucune infraction en matière de bruit ne peut être constatée et n'a été observée par l'expert ; celui-ci n'a pas observé de poussières lors de l'évacuation des déchets ; le préjudice en matière de vues ne présente pas de caractère anormal et spécial ;
- il n'est pas établi que le fonctionnement de la déchetterie excèderait les gênes et inconvénients devant être supportés sans indemnité ; la parcelle du requérant est située à proximité d'une voie départementale et d'entreprises ;
- le trouble allégué ne présente pas de caractère de spécialité ;
- le préjudice de jouissance subi par les filles du requérant n'est pas démontré ;
- la demande tendant à ce que soit déplacées les zones de manipulation et de déversement des déchets ne peut être accueillie ;
- la perte de valeur vénale de l'immeuble n'est pas démontrée ; l'implantation de la déchetterie n'étant pas nouvelle ;
- en l'absence de tout préjudice anormal et spécial, M. A... ne peut se prévaloir d'aucun préjudice moral.
Par des mémoires en défense, enregistrés les 21 janvier et 6 avril 2021, M. B... A..., représenté par Me Benoit, conclut :
1°) au rejet de la requête de la communauté d'agglomération Blois Agglopolys ;
2°) par la voie de l'appel incident à ce qu'il soit fait droit à l'intégralité de sa demande de première instance en condamnant la communauté d'agglomération de Blois à lui verser la somme de 37 966,16 euros en réparation de ses préjudices ;
3°) à ce qu'il soit enjoint à la communauté d'agglomération de déplacer les zones de manipulation et de déversement des déchets vers l'arrière de la déchetterie ou de mettre en place un écran masquant cette zone et de poser des panneaux devant le quai de déchargement des gravats ;
4°) de mettre à la charge de la communauté d'agglomération Blois Agglopolys la somme de 5 000 euros en application de l'article L 761-1 du code de justice administrative et aux dépens
Il soutient que :
* aucune prescription de sa demande d'indemnisation ne peut être constatée ;
* il subit un préjudice anormal et spécial qui doit être réparé à hauteur des sommes qu'il demande ;
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la loi n° 68-1234 du 31 décembre 1968 ;
- l'arrêté du 23 janvier 1997 relatif à la limitation des bruits émis dans l'environnement par les installations classées pour la protection de l'environnement ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Brisson, rapporteure,
- et les conclusions de M. Berthon, rapporteur public.
Considérant ce qui suit :
1. M. A... est propriétaire d'une maison d'habitation sise 1, chemin Charlemagne à Cellettes (Loir-et-Cher) à proximité de la déchetterie appartenant à la communauté d'agglomération de Blois Agglopolys. Le 23 avril 2015, il a demandé au juge des référés du tribunal administratif d'Orléans l'organisation d'une expertise relatives aux nuisances subies du fait d'une telle installation. Par une ordonnance du 12 mai 2015 le juge des référés du tribunal a fait droit à cette demande et le rapport de l'expert a été déposé le 2 décembre 2016. M. A... a, le 23 décembre 2017, présenté à la communauté d'agglomération une réclamation indemnitaire préalable. Par un jugement du 23 juin 2020, dont la communauté d'agglomération de Blois Agglopolys relève appel, le tribunal administratif d'Orléans a condamné la communauté d'agglomération à payer à M. A... la somme de 33 001 euros en réparation des troubles dans ses conditions d'existence et, avant de statuer sur les conclusions à fin d'injonction, a ordonné un supplément d'instruction.
Sur l'exception de prescription quadriennale :
2. Aux termes de l'article 1er de la loi du 31 décembre 1968 relative à la prescription des créances sur l'Etat, les départements, les communes et les établissements publics : " Sont prescrites, au profit de l'Etat, des départements et des communes, sans préjudice des déchéances particulières édictées par la loi, et sous réserve des dispositions de la présente loi, toutes créances qui n'ont pas été payées dans un délai de quatre ans à partir du premier jour de l'année suivant celle au cours de laquelle les droits ont été acquis (...) ". Aux termes de l'article 3 de la même loi : " La prescription ne court ni contre le créancier qui ne peut agir, soit par lui-même ou par l'intermédiaire de son représentant légal, soit pour une cause de force majeure, ni contre celui qui peut être légitimement regardé comme ignorant l'existence de sa créance ou de la créance de celui qu'il représente légalement ". Lorsque la responsabilité d'une personne publique est recherchée, les droits de créance invoqués en vue d'obtenir l'indemnisation des préjudices doivent être regardés comme acquis, au sens de ces dispositions, à la date à laquelle la réalité et l'étendue de ces préjudices ont été entièrement révélées, ces préjudices étant connus et pouvant être exactement mesurés. La créance indemnitaire relative à la réparation d'un préjudice présentant un caractère continu et évolutif doit être rattachée à chacune des années au cours desquelles ce préjudice a été subi. Dans ce cas, le délai de prescription de la créance relative à une année court, sous réserve des cas visés à l'article 3 précité, à compter du 1er janvier de l'année suivante, à la condition qu'à cette date le préjudice subi au cours de cette année puisse être mesuré.
3. En l'espèce, M. A... se prévaut de ce que l'agrandissement de la déchetterie initialement créée en 1997, et dont il est constant que les travaux ont été achevés en avril 2011, est à l'origine d'une aggravation des nuisances sonores, visuelles ou en termes de sécurité, liée au fonctionnement de cette installation en raison, en particulier, des nuisances phoniques provoquées par les dépôts et enlèvements de verre dans des colonnes de récupération dont l'emplacement a été rapproché de sa propriété, par les émissions de poussières provoquées par les dépôts de gravats dont le volume des bacs de récupération est passé de 10 à 200 m3 ainsi que par la vue que les usagers de la déchetterie peuvent désormais avoir sur sa résidence, de nature à en affecter la jouissance et la sécurité. Les préjudices liés à l'exploitation de la déchetterie de Cellettes dont M. A... demande réparation présentent un caractère continu et évolutif et doivent être rattachés à chacune des années au cours desquelles ils ont été subis.
4. Il résulte de l'instruction que, le 23 avril 2015, M. A... a saisi le tribunal administratif d'Orléans d'une requête en référé-expertise, à laquelle le juge des référés a fait droit par une ordonnance du 12 mai 2015 aux fins de déterminer la nature et l'étendue des nuisances engendrées par le fonctionnement de ce site depuis la réalisation des travaux mentionnés sur le récépissé du 22 octobre 2010 de déclaration de travaux d'aménagement et d'exploitation de l'installation classée. Le rapport d'expertise a été déposé le 2 décembre 2016. Cette demande en référé a ainsi interrompu le délai de prescription ayant commencé à courir
le 1er janvier 2012 et qui a couru à nouveau à compter du 1er janvier 2017. La réclamation indemnitaire préalable de M. A... du 23 décembre 2017 aux fins de réparation des divers préjudices qu'il invoque a été reçue par la communauté d'agglomération avant la fin du délai de quatre ans courant à compter du 1er janvier 2017. Dans ces conditions, la créance invoquée par M. A... n'était pas prescrite à la date à laquelle l'intéressé a saisi le tribunal administratif d'Orléans.
Sur les conclusions indemnitaires :
5. La mise en jeu de la responsabilité sans faute d'une collectivité publique pour dommages de travaux publics à l'égard d'un justiciable qui est tiers par rapport à un ouvrage public ou une opération de travaux publics est subordonnée à la démonstration par cet administré de l'existence d'un dommage anormal et spécial directement en lien avec cet ouvrage ou cette opération. Les personnes mises en cause doivent alors, pour dégager leur responsabilité, établir que le dommage est imputable à la faute de la victime ou à un cas de force majeure, sans que puisse utilement être invoqué le fait du tiers.
En ce qui concerne les troubles dans les conditions d'existence :
6. Il résulte de l'instruction et notamment du rapport d'expertise du 2 décembre 2016 que consécutivement à l'agrandissement de la déchetterie, opéré au cours de l'année 2011, la propriété de M. A... n'en est séparée que par la parcelle AM n° 770 soit par une distance de 6 mètres. A l'extrémité de l'ouvrage maçonné d'une hauteur totale de 2,60 m qui surplombe la résidence de M. A... et à proximité de la limite parcellaire de l'emprise de la déchetterie, ont été installés des containers pour la collecte sélective des déchets et le dépôt de gravats.
7. Il ressort en particulier du rapport d'expertise que les opérations de dépôt puis de collecte du verre par des pelles hydrauliques sont à l'origine de nuisances phoniques pour les riverains. Si l'expert relève que les niveaux sonores observés ne sont pas constitutifs d'une infraction pénale, il observe néanmoins que des dépassements de la limite réglementaire de relèvement instituée par l'arrêté ministériel du 23 janvier 1997 peuvent être observés.
8. Par ailleurs, compte tenu de la surélévation de la plateforme par rapport au sol naturel, les usagers de la déchetterie ont une vue surplombante sur la propriété de M. A... qui subit ainsi, notamment aux beaux jours, un préjudice de jouissance dès lors qu'il est privé d'une partie de l'agrément de sa propriété et particulièrement de son jardin et qu'il peut, en outre, se sentir moins en sécurité à son domicile.
9. Il résulte également de l'instruction qu'alors même qu'un contrat de maintenance a été conclu par la communauté d'agglomération afin de procéder à l'entretien de l'équipement, la présence de déchets emportés par le vent et se déposant sur la parcelle séparant la déchetterie de la propriété de M. A... ainsi que sur son bien a pu être constatée à plusieurs reprises et en dernier lieu par le procès-verbal d'huissier établi à la demande du requérant le
13 janvier 2021 ainsi que par les attestations établies par les voisins confrontés à la même situation de pollution visuelle. L'expert a également relevé des émissions de poussières notamment lors des opérations d'évacuation des déchets.
10. Dans ces conditions, bien que que le plan local d'urbanisme a dorénavant classé sa propriété en zone d'activité artisanale, les préjudices qui résultent pour M. A..., riverain immédiat, des inconvénients liés à la présence et au fonctionnement de la déchetterie présentent un caractère anormal et spécial.
11. Par suite, compte tenu de la persistance des nuisances supportées par M. A..., il y a lieu de porter à 3 600 euros le montant de la somme destinée à réparer ce chef de préjudice.
En ce qui concerne le préjudice moral :
12. M. A... subit à raison de la dégradation de son cadre de vie, un préjudice moral dont il est fondé à demander réparation. Il y a lieu d'allouer à M. A... la somme d'un euro qu'il demande de ce chef.
En ce qui concerne la perte de valeur vénale :
13. La proximité de la déchetterie de la propriété de M. A..., accrue par la réalisation des travaux d'agrandissement effectués en 2011, et les nuisances induites par le fonctionnement de l'installation sont à l'origine d'une perte de valeur vénale du bien appartenant à l'intéressé qui a pu être estimée par un notaire puis par l'expert à 30 000 euros. Par suite, en mettant à la charge de la communauté d'agglomération la somme de 30 000 euros en réparation de ce préjudice, les premiers juges en ont fait une équitable appréciation.
En ce qui concerne les frais d'huissier de justice :
14. M. A... justifie s'être acquitté des sommes de 200 euros, de 191,16 et de 299 euros consécutivement aux procès-verbaux d'huissier de justice établis respectivement les 31 juillet 2012, 17 mars 2015 et 13 janvier 2021. Ces constats ayant été utiles dans le cadre du présent litige, il y a lieu de mettre la somme totale de 690,16 euros à la charge de la communauté d'agglomération Blois Agglopolys.
15. Il résulte de tout ce qui précède que la somme de 33 001 euros mise à la charge de la communauté d'agglomération Blois Agglopolys doit être portée à celle de 34 291,16 euros.
Sur les conclusions à fin d'injonction :
16. M. A..., par la voie de l'appel incident, réitère les conclusions présentées devant les premiers juges tendant à ce qu'il soit enjoint à la communauté d'agglomération de déplacer les zones de manipulation et de déversement des déchets vers l'arrière de la déchetterie et de poser devant le quai de déchargement et les containers de récupération de déchets des panneaux occultants. Toutefois le tribunal, avant de statuer sur ces conclusions, a ordonné une mesure d'instruction. Dès lors les conclusions présentées à ce titre sont prématurées et par suite, irrecevables.
Sur les frais liés au litige :
19. Les frais et honoraires de l'expertise taxés et liquidés par l'ordonnance du 8 février 2017 du président du tribunal administratif de Rennes à la somme de 12 618,52 euros doivent être mis à la charge définitive de la communauté d'agglomération Blois Agglopolys, partie perdante à l'instance, en application des dispositions de l'article R. 761-1 du code de justice administrative.
20. Dans les circonstances de l'espèce, il n'apparait pas inéquitable de laisser à la charge de chacune des parties les frais d'instance qu'elles ont exposés et qui ne sont pas compris dans les dépens.
DECIDE :
Article 1er : La requête de la communauté d'agglomération Blois Agglopolys est rejetée.
Article 2 : La somme de 33 001 euros que le tribunal administratif d'Orléans a condamné le communauté d'agglomération Blois Agglopolys à verser à M. A... est portée à 34 291,16 euros.
Article 3 : Les frais de l'expertise taxés et liquidés par l'ordonnance du président du tribunal administratif d'Orléans à la somme de 12 618,52 euros sont mis à la charge de la communauté d'agglomération Blois Agglopolys.
Article 4 : Le jugement n° 1801557 du 23 juin 2020 est réformé en ce qu'il a de contraire au présent arrêt.
Article 5: Le surplus des conclusions d'appel incident de M. A... est rejeté.
Article 6 : Le présent arrêt sera notifié à la communauté d'agglomération Blois Agglopolys et à M. B... A....
Délibéré après l'audience du 4 novembre 2021, à laquelle siégeaient :
- M. Salvi, président,
- Mme Brisson, présidente-assesseure,
- M. Catroux, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition du greffe de la cour le 19 novembre 2021 .
La rapporteure,
C. BRISSON
Le président,
D. SALVI
La greffière,
A. MARTIN
La République mande et ordonne au ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales, en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 20NT02689