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09/11/2021 | FRANCE | N°19NT04444

France | France, Cour administrative d'appel de Nantes, 6ème chambre, 09 novembre 2021, 19NT04444


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme B... A... a demandé au tribunal administratif de Caen d'annuler la décision du 17 mars 2018 par laquelle le ministre de l'intérieur a rejeté le recours administratif préalable qu'elle a formé à l'encontre de la décision de rejet de sa demande indemnitaire tendant à la réparation des préjudices subis du fait du harcèlement moral dont elle estime avoir été victime et de condamner l'Etat à lui verser la somme de 187 000 euros en réparation de ses préjudices, somme majorée des intérêts au taux l

égal et de la capitalisation.

Par un jugement n° 1801062 du 18 septembre 2019, le...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme B... A... a demandé au tribunal administratif de Caen d'annuler la décision du 17 mars 2018 par laquelle le ministre de l'intérieur a rejeté le recours administratif préalable qu'elle a formé à l'encontre de la décision de rejet de sa demande indemnitaire tendant à la réparation des préjudices subis du fait du harcèlement moral dont elle estime avoir été victime et de condamner l'Etat à lui verser la somme de 187 000 euros en réparation de ses préjudices, somme majorée des intérêts au taux légal et de la capitalisation.

Par un jugement n° 1801062 du 18 septembre 2019, le tribunal administratif de Caen a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête et des mémoires, enregistrée les 19 novembre 2019, 14 avril 2021 et 30 avril 2021, Mme A..., représentée par Me Moutoussamy, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement ;

2°) d'annuler la décision du 17 mars 2018 de rejet implicite de sa demande indemnitaire ;

3°) de condamner l'Etat à lui verser la somme de 187 000 euros ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 1 200 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- en omettant de se prononcer sur l'ensemble des agissements dénoncés, le jugement est insuffisamment motivé et entaché d'erreur de droit ; en se bornant à souligner que les sanctions répétées qui lui ont été infligées ont été confirmées par le Conseil d'Etat à l'exception d'une seule qui a été annulée, les juges ont omis de statuer sur les agissements graves dont l'administration a fait preuve pour justifier ces sanctions ;

- les premiers juges ont manqué d'impartialité en niant la systématicité, la globalité et la gravité des faits commis par l'administration et ont commis une erreur d'appréciation ;

- le jugement est entaché d'erreurs de fait ; les premiers juges affirment à tort qu'elle n'impute à aucun supérieur hiérarchique des agissements vexatoires ou humiliants, que les dons de jours de permission lui ont été accordés dès qu'elle en a eu besoin et qu'elle n'a pas été en mesure de mener à bien ses missions ;

- les premiers juges ont fait pesé sur elle une charge excessive de preuve au regard des exigences jurisprudentielles ;

- les premiers juges n'ont pas fait usage de leur pouvoir d'instruction alors qu'ils en avaient l'obligation au regard des faits précis qu'elle exposait ;

- la responsabilité de l'administration est engagée en raison d'agissements de harcèlement moral ; sa mutation d'office était injustifiée et illégale et, contrairement à ce qu'ont jugé les premiers juges, sa situation personnelle n'a fait l'objet d'aucune bienveillance ; elle a été maintenue dans un bureau isolé en dépit des préconisations du médecin militaire spécialisé ; sa hiérarchie n'a pas répondu à sa demande de changement de matériel obsolète ; elle est restée près d'une année sans activité puis s'est vue confier des missions sans consistance ; ses notations comportent des mentions dégradantes et ne sont pas en cohérence avec les notations des années 2010 à 2013 ; elle a fait l'objet de lourdes mesures de rétorsion à compter de la saisine de la plateforme Stop Discri, notamment une série de sanctions disciplinaires ; l'administration ne justifie pas de la privation d'un téléphone portable ; le fait de rédiger une fiche d'observation sur son comportement pour saisir le service de psychiatrie de l'hôpital d'instruction des armées pour une expertise psychiatrique et refuser de lui communiquer ce document en ayant recours à des justifications mensongères et contradictoires constitue un agissement constitutif de harcèlement moral ; la diffusion d'un courriel mentionnant son inaptitude au port d'arme constitue une humiliation ; le refus du bénéfice de dons de jours de permission a été jugé illégal par la cour ; l'exigence de demandes d'autorisation d'absence à l'avance et la mise en place d'un régime d'autorisations d'absence propre à sa situation relève de l'exercice anormal du pouvoir hiérarchique ; elle s'est vue imposer un régime horaire excédant le volume normal d'un officier affecté en état-major ; elle a subi des propos insultants et dégradants et a été privée d'une formation utile ;

- elle renvoie aux moyens développés dans sa requête de première instance ;

- elle a été privée d'avancement, ce qui porte atteinte à sa carrière professionnelle et à sa réputation ;

- elle a subi une " mise au placard " pendant plus de cinq années, qui a porté atteinte à sa carrière professionnelle ;

- elle a souffert et souffre encore moralement des conséquences de ces agissements.

Par des mémoires, enregistrés les 11 mars 2021 et 6 mai 2021, le ministre de l'intérieur conclut au rejet de la requête.

Il fait valoir que :

- les moyens tirés de l'erreur de droit, de l'erreur de fait, de l'erreur de qualification juridique des faits et de dénaturation des pièces du dossier sont inopérants dans la mesure où ils ne ressortissent pas à la compétence du juge d'appel ;

- le moyen tiré de l'insuffisante motivation du jugement n'est pas fondé ;

- il s'en remet à ses écritures de première instance et à la motivation du jugement querellé et ajoute que l'annulation de la sanction disciplinaire par le Conseil d'Etat n'emporte pas reconnaissance d'une affectation sur des missions sans intérêt, que l'augmentation de sa durée de travail n'est pas justifiée, qu'elle a été autorisée à conserver à sa concession de logement par nécessité absolue de service à Deauville alors qu'elle est affectée à Caen en raison de la situation de son fils et que, si la cour a annulé la décision du 22 janvier 2016 lui refusant l'octroi de dons de jours de permission, l'intéressée ne fait état d'aucun préjudice en lien avec cette décision

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code de la défense ;

- la loi n°83-634 du 13 juillet 1983 ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Malingue,

- les conclusions de M. Lemoine, rapporteur public,

- et les observations de Me Moscardini, représentant Mme A....

Une note en délibéré, enregistrée le 19 octobre 2021, a été produite pour Mme A....

Considérant ce qui suit :

1. Mme A..., nommée par décret du 10 novembre 2005 dans le corps des officiers de gendarmerie et titulaire du grade de capitaine, a été affectée à compter du 1er avril 2013 en qualité de commandant en second de la compagnie de gendarmerie de Deauville puis, par décision du 30 décembre 2014, détachée en sureffectif au bureau de la performance et de la cohérence opérationnelle à Caen avant d'être affectée, placée pour emploi auprès du commandant adjoint de la région de gendarmerie de Normandie en qualité de chargé de projet à compter du 1er décembre 2015 jusqu'à l'été 2018 où elle a été mutée dans les Yvelines. Par un courrier du 19 juillet 2017, Mme A... a sollicité la réparation des préjudices subis à raison des faits de harcèlement moral dont elle estime avoir été victime depuis le 1er avril 2013. A la suite du rejet implicite de sa demande, elle a saisi le 17 novembre 2017 la commission des recours des militaires puis, après le rejet implicite de son recours préalable, elle a sollicité du tribunal administratif de Caen la condamnation de l'Etat à lui verser la somme de 187 000 euros en réparation des préjudices subis. Elle relève appel du jugement du 18 septembre 2019 par lequel ce tribunal a rejeté sa demande.

Sur la responsabilité à raison des faits de harcèlement moral :

2. Aux termes de l'article L. 4123-10-2 du code de la défense applicable aux militaires de la gendarmerie nationale en vertu de l'article L. 421-4 du code de la sécurité intérieure: " Aucun militaire ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel. Aucune mesure concernant notamment le recrutement, la titularisation, la formation, la notation, la discipline, la promotion, l'affectation et la mutation ne peut être prise à l'égard d'un militaire en prenant en considération : 1° Le fait qu'il ait subi ou refusé de subir les agissements de harcèlement moral mentionnés au premier alinéa ; 2° Le fait qu'il ait exercé un recours auprès d'un supérieur hiérarchique ou engagé une action en justice visant à faire cesser ces agissements ; 3° Ou le fait qu'il ait témoigné de tels agissements ou qu'il les ait relatés. Est passible d'une sanction disciplinaire tout agent ou militaire ayant procédé ou ayant enjoint de procéder aux agissements définis ci-dessus. ". Pour être qualifiés de harcèlement moral, de tels faits répétés doivent excéder les limites de l'exercice normal du pouvoir hiérarchique. Dès lors qu'elle n'excède pas ces limites, une simple diminution des attributions justifiée par l'intérêt du service, en raison d'une manière de servir inadéquate ou de difficultés relationnelles, n'est pas constitutive de harcèlement moral.

3. D'une part, il appartient à un agent public qui soutient avoir été victime d'agissements constitutifs de harcèlement moral, de soumettre au juge des éléments de fait susceptibles de faire présumer l'existence d'un tel harcèlement. Il incombe à l'administration de produire, en sens contraire, une argumentation de nature à démontrer que les agissements en cause sont justifiés par des considérations étrangères à tout harcèlement. La conviction du juge, à qui il revient d'apprécier si les agissements de harcèlement sont ou non établis, se détermine au vu de ces échanges contradictoires, qu'il peut compléter, en cas de doute, en ordonnant toute mesure d'instruction utile.

4. D'autre part, pour apprécier si des agissements dont il est allégué qu'ils sont constitutifs d'un harcèlement moral revêtent un tel caractère, le juge administratif doit tenir compte des comportements respectifs de l'agent auquel il est reproché d'avoir exercé de tels agissements et de l'agent qui estime avoir été victime d'un harcèlement moral. En revanche, la nature même des agissements en cause exclut, lorsque l'existence d'un harcèlement moral est établie, qu'il puisse être tenu compte du comportement de l'agent qui en a été victime pour atténuer les conséquences dommageables qui en ont résulté pour lui. Le préjudice résultant de ces agissements pour l'agent victime doit alors être intégralement réparé.

5. Mme A... soutient qu'elle a été victime d'agissements constitutifs de harcèlement moral de la part de ses supérieurs successifs à compter du mois d'avril 2013, consistant en des mutations d'office, une privation de responsabilités, missions et moyens, une diminution de ses notations, une gestion anormale de ses horaires, congés et absences ainsi que de sa situation médicale, le prononcé de sanctions, notamment très rapprochées dans le temps entre le mois de décembre 2017 et le mois d'avril 2018, ainsi que l'absence de réponse de sa hiérarchie à ses alertes, qui ont conduit à une dégradation de ses conditions de travail et à une altération de son état de santé dans la mesure où elle a développé un syndrome anxio-dépressif à compter de décembre 2013 ayant nécessité une prise en charge psychologique et des arrêts de travail.

6. En premier lieu, Mme A... soutient que, ses supérieurs hiérarchiques nourrissant le souhait de l'évincer afin d'affecter un autre agent sur le poste de commandant en second à la compagnie de gendarmerie de Deauville qu'elle occupe à compter du mois d'avril 2013, elle a fait l'objet d'une affectation d'office, brutale, injustifiée et illégale, par décision du 30 décembre 2014 portant ordre de détachement en sureffectif au bureau de la performance et de la cohérence opérationnelle (BPCO) au siège de la région de gendarmerie à Caen. Toutefois, par un arrêt n°17NT02080 du 2 avril 2019, devenu définitif à la suite du rejet du pourvoi en cassation introduit par Mme A... le 25 mars 2020, la cour, qui a notamment mentionné qu'il résultait des pièces du dossier que la mutation de Mme A... au BPCO de Caen est intervenue en raison des dysfonctionnements de la compagnie dont elle avait la charge en qualité de commandant en second, lesquels résultaient de son comportement tant avec ses subordonnés qu'avec ses supérieurs hiérarchiques ainsi qu'avec les autorités judiciaires, a jugé que les moyens invoqués au soutien de l'illégalité de cette décision devaient être écartés.

7. En deuxième lieu, Mme A... fait valoir que, trois mois seulement après son affectation au BPCO de Caen, elle a fait l'objet, par décision du 12 mars 2015 prenant effet le 1er août 2015, d'une mutation dans l'intérêt du service à compter du 1er août 2015 au sein de l'antenne de l'école de gendarmerie de Rosny-sous-Bois et que l'exécution de cette décision, qui ne prenait pas, selon elle, en compte sa situation personnelle de mère isolée d'un enfant autiste en bas âge bénéficiant d'une prise en charge médicale spécifique à Deauville, a été suspendue par ordonnance du 29 mai 2015 du juge des référés du tribunal administratif de Montreuil.

8. En troisième lieu, la requérante soutient que son affectation à Caen relève d'une " mise au placard " en raison des missions sans consistance ou non conformes à son grade qui lui ont été confiées et de la privation de tout commandement ou responsabilité. Dans son arrêt n°17NT02080 du 2 avril 2019 devenu définitif, la cour avait toutefois jugé que la décision d'affectation à Caen ne constituait pas une " mise au placard " ou une sanction déguisée au regard des missions qui lui étaient dévolues.

9. En quatrième lieu, Mme A... fait valoir, sans être contestée, qu'à compter du 1er décembre 2015, date à laquelle elle a été placée pour emploi auprès du commandant adjoint de la région de gendarmerie de Normandie, elle a été mise à l'écart en raison d'un changement de bureau vers un bureau isolé, situé entre le local archives, le local entretien et les sanitaires, borné par trois portes coupe-feu, et doté d'un équipement matériel vétuste et qu'elle a été maintenue dans ce bureau alors que celui qu'elle occupait précédemment demeurait libre et en dépit d'un avis médical en sollicitant le changement. Elle fait également état de ce qu'elle n'apparaissait plus dans l'annuaire du service et qu'elle a été privée de la dotation, à l'instar des autres officiers de l'état-major, d'un téléphone de service, ce qui n'est toutefois avéré au regard des pièces du dossier que pour la période de janvier à septembre 2015, ainsi que d'une arme de service en dépit de sa demande de port d'arme hors service et alors que son inaptitude au port d'arme n'a porté que sur une période très brève d'un mois.

10. En cinquième lieu, Mme A... souligne que les appréciations portées dans ses notations de 2014 à 2017 contrastent singulièrement avec ses notations antérieures, de 2010 à 2013, et ne sont pas justifiées. Toutefois, il ressort des pièces du dossier que les notations relatives aux années 2015 et 2016 ont été annulées pour vice de forme à la suite de la saisine de la commission de recours des militaires, de sorte que la portée utile de cette argumentation ne peut se limiter qu'aux années 2014, année pour laquelle la réclamation préalable obligatoire avait été rejetée en raison de sa tardiveté, et 2017, année au cours de laquelle son niveau de note a été diminué.

11. En sixième lieu, Mme A... fait valoir, sans être contestée, qu'elle a été proposée à l'avancement au grade de chef d'escadron au titre de l'année 2014 puis ne l'a plus été et n'en a été informée qu'au mois de mars 2017.

12. En septième lieu, Mme A... fait état de ce qu'elle a fait l'objet, dans un très court délai, de plusieurs sanctions disciplinaires dont le caractère réitéré témoigne d'agissements répétés de harcèlement moral. Par des décisions du 1er avril 2019, le Conseil d'Etat a annulé la décision du 16 avril 2018 par laquelle le commandant en second de la région de gendarmerie de Basse-Normandie et du groupement départemental de gendarmerie du Calvados lui a infligé une sanction du premier groupe de dix jours d'arrêts au motif que si le motif tiré de ce que la note relative à la réserve citoyenne rendue par Mme A... le 15 septembre 2017, malgré les conseils prodigués et les délais supplémentaires accordés par sa hiérarchie, ne répondait pas aux instructions données et n'était pas conforme à ce qui est attendu de la part d'un officier était de nature à révéler, de la part de l'intéressée, une insuffisance professionnelle, il n'est pas à lui seul, en l'absence d'autres circonstances susceptibles de caractériser un manquement aux devoirs, sujétions et obligations de l'état militaire, de nature à justifier une sanction disciplinaire. Le Conseil d'Etat a toutefois aussi rejeté, en écartant notamment les moyens tirés du détournement de pouvoir ou de mesure de rétorsion, les recours tendant à l'annulation de la décision du 13 juillet 2016 par laquelle lui a été infligée la sanction de la réprimande en raison de sa reprise de service tardive les 22 et 30 mars 2016, de la décision du 22 décembre 2017 par laquelle lui a été infligée une sanction du premier groupe de vingt jours d'arrêts aux motifs, d'une part, qu'elle a apposé le 7 août 2017 une affiche à la caserne de gendarmerie de Deauville comprenant des propos insultants à l'égard d'un collègue officier et, d'autre part, qu'elle a forcé l'ouverture du portail d'accès de cette même caserne avec son véhicule de service à deux reprises durant l'année 2017, et de la décision du 23 février 2018 lui infligeant une sanction du premier groupe de dix jours d'arrêts fondée sur son refus de se rendre à une réunion de travail prévue le 29 mai 2017 à 14h15 ayant pour objet de faire un point sur l'évolution de ses missions, la réitération de son refus devant son supérieur hiérarchique direct, son attitude irrespectueuse à son égard ainsi qu'à celui d'un autre supérieur hiérarchique ainsi que son départ soudain et sans autorisation de cette réunion. Par suite, Mme A... ne peut encore arguer que les sanctions prononcées par décision du 13 juillet 2016, 22 décembre 2017 et 23 février 2018, qui ont été confirmées par des décisions du Conseil d'Etat, excéderaient les limites de l'exercice normal du pouvoir hiérarchique. La portée utile de son argumentation sur ce point au regard des faits de harcèlement qu'elle invoque doit donc être limitée à la sanction du 16 avril 2018 qui a fait l'objet d'une annulation.

13. En huitième lieu, Mme A... se plaint d'avoir fait l'objet de nombre de mesures réitérées de gestion de carrière défavorables, en matière notamment d'aménagements d'horaire, de service externe, de visites médicales, d'octroi de jours de permission ou d'absence et de dons de congés, d'interdiction de pratique sportive et de refus de communication de certains documents la concernant. Si l'absence de communication de la fiche d'observation sur son comportement transmise au service médical résulte, ainsi qu'il ressort de la décision de la CADA, d'une indisponibilité, le refus d'octroi de dons de jours de permission a été annulé par décision du 19 janvier 2021 de la cour, tandis qu'il ne ressort pas des pièces produites que les autres mesures ont donné lieu à des instances contentieuses engagées devant les juridictions administratives.

14. En neuvième lieu, alors que la saisine invoquée de la cellule Stop Discri en décembre 2014 n'est pas établie par les pièces produites, il ressort de ces dernières qu'à la suite de la saisine du 30 mars 2016, le chef de l'inspection générale de la gendarmerie nationale a adressé un courrier à Mme A... le 19 juillet 2016. Par suite, la passivité de l'administration qu'évoque l'intéressée à l'égard de sa situation n'est pas établie.

15. En dixième lieu, la requérante soutient que la décision partielle de rejet de sa demande de protection fonctionnelle, portant sur le contentieux administratif qu'elle a engagé au titre du harcèlement, n'est pas justifiée et n'est pas cohérente avec la protection qui lui a été accordée pour le volet pénal de ce contentieux introduit à la suite de la plainte qu'elle a déposée le 19 juin 2017.

16. En onzième lieu, Mme A... a été placée en arrêt de travail du 2 décembre 2013 au 12 janvier 2014, du 23 septembre 2015 au 8 octobre 2015, du 29 janvier 2016 au 14 mars 2016, du 6 au 21 juillet 2017 et du 22 au 24 août 2017 et est suivie par un psychologue clinicien de l'hôpital d'instruction des armées Percy à compter du 30 janvier 2014 dans le cadre d'une prise en charge d'une dépression sévère " survenue dans le cadre d'un vécu de harcèlement professionnel sur le lieu de travail ". Les pièces médicales produites font état de difficultés d'ordre professionnel.

17. L'ensemble des éléments évoqués aux points 7, 9, 10, 11, 12, 13, 15 et 16 produits par Mme A... au soutien de ses allégations est susceptible de faire présumer l'existence du harcèlement moral allégué.

18. Pour démontrer que les agissements en cause sont justifiés par des considérations étrangères à tout harcèlement, le ministre de l'intérieur fait valoir que la légalité de certaines mesures a été confirmée par les juridictions administratives, que la mutation à Rosny-sous-Bois, qui était conforme à l'intérêt du service, a été retirée à titre exceptionnel et n'a produit aucun effet, que l'intéressée n'a été ni isolée géographiquement ni ostracisée dès lors que des missions essentielles pour la gendarmerie lui ont été confiées, que ses notations reflètent de manière objective l'appréciation portée sur ses qualités et aptitudes ainsi que sa manière de servir, que les mesures relatives aux absences, communication de document administratif, port d'arme constituent l'exercice normal du pouvoir hiérarchique et qu'elle n'était pas tenue d'accorder à Mme A... le bénéfice de la protection fonctionnelle.

19. Il ressort de l'ensemble des pièces produites au dossier que l'affectation à Caen de Mme A... ne procède pas d'un autre motif que celui tiré des difficultés rencontrées par l'intéressée dans l'exercice de ses fonctions sur le poste de commandant en second à la compagnie de gendarmerie de Deauville et que les relations de travail de l'intéressée avec ses supérieurs hiérarchiques au sein de l'état-major de la région Normandie ont été affectés par des tensions, le comportement de ces derniers ne pouvant être apprécié sans tenir compte de l'attitude de Mme A..., qui se caractérisait par des difficultés relationnelles, des refus d'obéissance aux instructions qui lui étaient données et une attitude contestataire.

20. Eu égard à son comportement, ses difficultés relationnelles et son insatisfaisante manière de servir, notamment au regard des missions qui lui étaient confiées, dont la requérante se plaint de la faiblesse en nombre ou en contenu mais qu'elle ne parvenait toutefois pas à mener à bien dans les délais, les supérieurs de Mme A... pouvaient légitimement, dans le cadre de l'exercice normal du pouvoir hiérarchique, s'abstenir de lui adresser des lettres de félicitations et sanctionner les manquements dans la limite de ce qui a été dit au point 12, mettre en place un dispositif de suivi particulier de l'exercice de ses missions et de ses absences et droits à congés, solliciter un avis médical sur son aptitude au travail, diminuer ses attributions en lui retirant ses fonctions de commandement opérationnel, modifier à la baisse la notation ou reporter son inscription au tableau d'avancement au grade supérieur sans que ces faits révèlent une situation de harcèlement moral.

21. Par ailleurs, il ne ressort pas de l'ensemble des pièces produites que, dans l'exercice quotidien de ses missions d'officier de gendarmerie, ses supérieurs aient systématiquement refusé de prendre en considération les sujétions liées à sa situation particulière de mère isolée d'un enfant autiste nécessitant une prise en charge spécifique à Deauville. Ainsi, alors qu'elle a été autorisée à conserver sa concession de logement par nécessité absolue de service à Deauville en dépit de son affectation à Caen, les pièces produites n'établissent pas que le refus le 10 décembre 2015 d'un nouvel aménagement d'horaires de travail excédait les limites de l'exercice normal du pouvoir hiérarchique ou qu'elle était assujettie à un horaire quotidien de travail supérieur à ce qui est attendu d'un officier de gendarmerie exerçant à temps plein. Les pièces produites ne relèvent pas davantage, à l'exception du dispositif de dons de jours de permission dont le premier refus a été annulé par décision du 19 janvier 2021 de la cour pour erreur de droit, de refus réitérés de prise de jours de permission, de jours de repos compensateurs ou de jours au titre de la garde d'enfants malades.

22. Toutefois, si l'administration estimait que Mme A... ne présentait pas les compétences et comportement attendus d'un officier de gendarmerie, ce qui peut motiver les mesures mentionnées au point 20, cette appréciation n'était pas de nature à justifier qu'elle fasse l'objet, compte tenu des spécificités de sa vie familiale et trois mois seulement après avoir rejoint ses nouvelles fonctions à Caen, d'une mutation le 12 mars 2015 à Rosny-sous-Bois (93) à compter du 1er août 2015 sur un poste dont l'intérêt du service à y affecter de manière urgente l'intéressée n'est pas démontré. Cette mutation n'a certes pas produit d'effet dès lors que son exécution a été suspendue par décision du juge des référés du 29 mai 2015 puis retirée par décision du 2 mars 2017 mais, maintenue à Caen sur un poste de chargée de missions sans fiche de poste et ne figurant pas dans l'annuaire selon les dires non contestés de l'intéressée. Mme A... a été privée, quand bien même cette attribution n'est pas de droit mais que l'ensemble des autres officiers de l'état-major en disposait, d'un téléphone de service pour la période de janvier à septembre 2015 et, surtout, de la détention d'une arme de service pour des raisons qui varient puisque l'administration, qui a d'abord objecté l'absence de demande motivée puis l'inaptitude au port d'arme de Mme A... alors que cette inaptitude n'a été prononcée que pour un mois puis l'absence de disponibilité d'une arme, mentionne également une précaution, non étayée, de nature médicale, tout en faisant également état désormais, sans toutefois en justifier, que n'en sont dotés que les officiers de permanence, au nombre desquels Mme A... ne figure pas. Cette situation n'était pas davantage de nature à justifier qu'à compter du mois de décembre 2015, Mme A... soit placée, sans qu'aucune nécessité de service ne l'explique, et maintenue, en dépit d'un avis médical, dans un bureau excentré, dont il n'est pas contesté qu'il était antérieurement affecté au stockage de meubles et de plantes, et alors que son précédent bureau demeurait vacant ni que ses demandes de bénéfice de dons de jours de permission soient systématiquement rejetées ni qu'elle fasse l'objet d'une sanction par décision du 16 avril 2018 de dix jours d'arrêts en raison de l'insuffisance de la note relative à la réserve citoyenne rendue par Mme A... le 15 septembre 2017.

23. Ainsi, compte tenu du caractère personnel et réitéré des agissements évoqués au point précédent, revêtant au surplus un caractère vexatoire s'agissant de la privation de moyens et de l'isolement géographique, les faits mentionnés au point 22, qui portent sur la période du mois de janvier 2015 à l'été 2018, ont, quand bien même le comportement de Mme A... pouvait ne pas être regardé comme exemplaire, excédé les limites de l'exercice normal du pouvoir hiérarchique. Mme A... doit ainsi être regardée comme établissant à son encontre une situation de harcèlement moral constitutive d'une faute commise par l'Etat. Par suite, et sans qu'il soit besoin de se prononcer sur les moyens relatifs à la régularité du jugement attaqué, elle est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Caen a rejeté sa demande tendant à l'engagement de la responsabilité pour faute de l'Etat pour ce motif.

Sur les préjudices :

24. En premier lieu, si Mme A... sollicite la réparation d'un préjudice de carrière résultant, d'une part, du déclassement fonctionnel caractérisé par la perte de responsabilité à l'occasion de son affectation à Caen et, d'autre part, dans la perte de chance sérieuse d'accéder au grade supérieur, ces préjudices ne sont pas en lien direct avec les agissements de harcèlement moral à l'origine de l'engagement de la responsabilité pour faute de l'Etat mentionné au point 23 dès lors que la perte de responsabilité de commandement trouve son origine non dans ces agissements mais dans la décision d'affectation à Caen, dont la légalité a été confirmée un arrêt n°17NT02080 du 2 avril 2019 devenu définitif, et que l'avancement au grade supérieur de chef d'escadron ne pouvait être tenu pour acquis ou sérieusement envisageable compte tenu de ses insuffisances professionnelles ou comportementales.

25. En deuxième lieu, si Mme A... sollicite la réparation de troubles dans les conditions d'existence résultant de son épuisement physique et psychologique, du stress et des difficultés de prise en charge de son fils en raison de l'éloignement géographique entre Caen et son logement à Deauville, ce préjudice est sans lien direct avec les agissements de harcèlement moral à l'origine de l'engagement de la responsabilité pour faute de l'Etat mentionné au point 23 dès lors que cet éloignement trouve son origine non dans ces agissements mais dans la décision d'affectation à Caen, dont la légalité a été confirmée un arrêt n°17NT02080 du 2 avril 2019, devenu définitif à la suite du rejet du pourvoi en cassation introduit par Mme A... le 25 mars 2020. En revanche, les agissements en cause sont à l'origine de la dépression pour laquelle Mme A... a été suivie par un psychologue clinicien de l'hôpital d'instruction des armées Percy ainsi que des arrêts de travail mentionnés au point 16, qui témoignent de la dégradation de son état de santé à compter de janvier 2015. Ils ont également nécessité que Mme A... consacre du temps à la défense de ses droits, au détriment de sa vie familiale. Il sera fait une juste appréciation des troubles dans les conditions d'existence subis par Mme A... durant plusieurs années en lui allouant une somme de 7 000 euros à ce titre.

26. En troisième lieu, les mesures vexatoires citées au point 22 dont Mme A... a fait l'objet ont porté atteinte à sa réputation professionnelle. Il sera fait une juste appréciation du préjudice moral invoqué par Mme A..., résultant de la décrédibilisation à laquelle elle a fait face durant plusieurs années, en lui allouant la somme de 3 000 euros.

27. Il résulte de ce qui a été dit aux points 24 à 26 que Mme A... est fondée à obtenir la condamnation de l'Etat à lui verser la somme de 10 000 euros en réparation de la faute mentionnée au point 23.

Sur les frais liés au litige :

28. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat, partie perdante, la somme de 1 200 euros que Mme A... sollicite au titre des frais liés au litige sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

DECIDE :

Article 1er : Le jugement n°1801062 du 18 septembre 2019 du tribunal administratif de Caen est annulé.

Article 2 : L'Etat est condamné à verser à Mme A... la somme de 10 000 euros en réparation des préjudices subis du fait des agissements de harcèlement moral dont elle a été victime.

Article 3 : L'Etat versera la somme de 1 200 euros à Mme A... sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : Le surplus des conclusions de Mme A... est rejeté.

Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à Mme B... A... et au ministre de l'intérieur.

Délibéré après l'audience du 15 octobre 2021, à laquelle siégeaient :

- M. Gaspon, président de chambre,

- M. Coiffet, président assesseur,

- Mme Malingue, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 9 novembre 2021.

La rapporteure,

F. MALINGUELe président,

O. GASPON

La greffière,

I.PETTON

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

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N°19NT04444

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Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Nantes
Formation : 6ème chambre
Numéro d'arrêt : 19NT04444
Date de la décision : 09/11/2021
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Composition du Tribunal
Président : M. GASPON
Rapporteur ?: Mme Fanny MALINGUE
Rapporteur public ?: M. LEMOINE
Avocat(s) : MOUTOUSSAMY

Origine de la décision
Date de l'import : 23/11/2021
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.nantes;arret;2021-11-09;19nt04444 ?
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