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05/11/2021 | FRANCE | N°19NT02925

France | France, Cour administrative d'appel de Nantes, 3ème chambre, 05 novembre 2021, 19NT02925


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. A... C... a demandé au tribunal administratif d'Orléans de condamner le centre hospitalier de Chartres à lui verser la somme provisionnelle de 50 000 euros en réparation des préjudices qu'il estime avoir subis du fait des conditions de sa prise en charge en décembre 2015 et février 2016 par cet établissement de santé, et d'ordonner une expertise médicale afin d'évaluer ses préjudices.

Par un jugement n° 1804091 du 23 mai 2019, le tribunal administratif d'Orléans a condamné le centre hospit

alier de Chartres à verser à M. C... la somme de 2 000 euros et a rejeté le surplus...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. A... C... a demandé au tribunal administratif d'Orléans de condamner le centre hospitalier de Chartres à lui verser la somme provisionnelle de 50 000 euros en réparation des préjudices qu'il estime avoir subis du fait des conditions de sa prise en charge en décembre 2015 et février 2016 par cet établissement de santé, et d'ordonner une expertise médicale afin d'évaluer ses préjudices.

Par un jugement n° 1804091 du 23 mai 2019, le tribunal administratif d'Orléans a condamné le centre hospitalier de Chartres à verser à M. C... la somme de 2 000 euros et a rejeté le surplus de sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 23 juillet 2019, M. A... C..., représenté par Me Gheron, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif d'Orléans du 23 mai 2019 en tant qu'il a rejeté le surplus de sa demande ;

2°) de condamner le centre hospitalier de Chartres à lui verser la somme provisionnelle de 50 000 euros assortie des intérêts au taux légal à compter de sa réclamation indemnitaire préalable ;

3°) d'ordonner une expertise avant dire droit afin d'évaluer ses préjudices en lien avec la perforation colique qu'il a subie ;

4°) de mettre à la charge du centre hospitalier de Chartres les entiers dépens et la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- contrairement à ce qu'a jugé le tribunal administratif d'Orléans, la perforation colique dont il a été victime découle directement de la migration de la sonde de l'intestin grêle vers le colon, qui est elle-même la conséquence d'un défaut de surveillance fautif ; il a, à tout le moins, perdu une chance d'échapper à cette perforation colique qui doit être évaluée à 50% ou plus ;

- il a donc droit à la réparation intégrale de ses préjudices en lien avec la migration de la sonde et à l'indemnisation d'au moins 50% de ses préjudices résultant de la perforation colique ;

- ses préjudices en lien avec la perforation colique n'ayant pu être évalués par l'expert mandaté par la commission régionale de conciliation et d'indemnisation en l'absence de consolidation de son état de santé à la date de l'expertise, il y a lieu d'ordonner une expertise complémentaire sur ce point ;

- il a droit à une indemnité provisionnelle de 50 000 euros au titre de ses préjudices (déficit fonctionnel, dépenses de santé, besoin d'assistance par une tierce personne, souffrances endurées et préjudice esthétique) jusqu'au 18 novembre 2016.

Par un mémoire enregistré le 24 juillet 2019 le centre hospitalier de Chartres, représenté par Me Limonta, conclut :

1°) au rejet de la requête ;

2°) par la voie de l'appel incident, à titre principal à la réformation du jugement attaqué en tant qu'il a retenu sa responsabilité pour défaut de surveillance de la sonde ; à titre subsidiaire, à la réformation du jugement attaqué en tant qu'il l'a condamné à réparer intégralement les préjudices d'Alain C... résultant de la migration de la sonde, sans appliquer de taux de perte de chance ; à titre infiniment subsidiaire, à ce que soit retenus des taux de perte de chance de 50% d'éviter la migration de la sonde et de 30% d'éviter la perforation colique et à ce que l'indemnité provisionnelle allouée à M. C... n'excède pas la somme de 2 039,40 euros.

3°) à ce que soit mise à la charge de M. C... la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- c'est à tort que les premiers juges ont retenu sa responsabilité pour défaut de surveillance, cette surveillance étant attestée par les feuilles de soins qu'il a produites ; si sa responsabilité devait néanmoins être confirmée, et dès lors qu'une migration de la sonde le 24 décembre 2015, alors que M. C... était à son domicile, ne peut être exclue, il y aurait lieu de retenir une perte de chance d'éviter le dommage n'excédant pas 50% ;

- le jugement attaqué doit être confirmé en tant qu'il a retenu que la perforation colique subie par M. C... ne présentait aucun lien de causalité avec la migration de la sonde ; si un tel lien devait néanmoins être admis, il ne pourrait donner lieu qu'à une indemnisation sur la base d'un taux de perte de chance de 30% ;

- le taux de perte de chance applicable à l'indemnisation des préjudices de M. C... ne saurait donc excéder 15% (50% de 30%), et l'indemnité provisionnelle due la somme de 2 039,40 euros.

Par un arrêt du 18 décembre 2020, la cour a constaté qu'il n'y avait pas lieu, en l'état, de statuer sur la requête de M C..., décédé en cours d'instance et ses ayants-droits n'ayant pas à ce stade, déclaré reprendre l'instance

Par un mémoire, enregistré le 8 juin 2021, Mme D... B..., veuve C..., représentée par Me Gheron, déclare reprendre l'instance qui avait été engagée par son époux décédé le

4 avril 2020 et s'en rapporte aux écritures et pièces alors produites.

Par un mémoire, enregistré le 8 juillet 2021, le centre hospitalier de Chartres, représenté par Me Limonta, conclut aux mêmes fins que dans ses écritures antérieures par les mêmes moyens.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code de la santé publique ;

- le code de la sécurité sociale ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Brisson,

- les conclusions de M. Berthon, rapporteur public,

- et les observations de Me Grogan pour le centre hospitalier de Chartres.

Considérant ce qui suit :

1. Alain C..., né le 1er mars 1938, a été opéré le 15 octobre 2015 au centre hospitalier de Chartres d'une péritonite généralisée. Le 19 novembre 2015, il a été transféré à l'hôpital Forcilles, où une sonde à ballonnet lui a été posée pour permettre une alimentation entérale.

Le 7 décembre 2015 il a été transféré au centre hospitalier de La Loupe dans le cadre d'un rapprochement familial. Les suites ont été marquées par des épisodes de vomissement qui ont justifié, le 11 décembre 2015, une nouvelle hospitalisation au centre hospitalier de Chartres afin que soit réalisée une exploration digestive. Le 25 décembre 2015, un scanner a révélé que la sonde posée à l'hôpital de Forcilles avait migré dans le côlon gauche. Sur sa demande, Alain C... a été transféré à la Nouvelle clinique Saint-François où a été réalisée une coloscopie qui a permis de constater la présence d'une sténose du côlon. Alain C... est rentré chez lui le

30 décembre 2015 mais a dû être admis une nouvelle fois en urgence à la Nouvelle clinique Saint-François le 31 janvier 2016 en raison de l'altération de son état général.

Une nouvelle coloscopie a été réalisée le 4 février 2016 afin de retirer la sonde à ballonnet, opération qui a échoué en raison de la sténose. Les suites ont été marquées par de fortes douleurs abdominales. Alain C... a été transféré au centre hospitalier de Chartres le 8 février 2016 et immédiatement opéré d'une péritonite stercorale provoquée par une perforation colique.

La sonde a été retirée à cette occasion. Alain C... est rentré à son domicile le 8 juin 2016.

2. Le 4 mars 2016, Alain C... a saisi la commission de conciliation et d'indemnisation (CCI) de la région Centre-Val de Loire, qui a diligenté une expertise confiée à un chirurgien viscéral, lequel a rendu son rapport le 21 novembre 2016. La victime a adressé, par lettre du

1er octobre 2018, une réclamation indemnitaire au centre hospitalier de Chartres, qui l'a rejetée par une décision du 5 octobre 2018. Alain C... a saisi le tribunal administratif d'Orléans d'un recours tendant à ce que le centre hospitalier de Chartres soit condamné à lui verser une indemnité provisionnelle de 50 000 euros et à ce que soit ordonnée une expertise pour évaluer ses préjudices en lien avec la perforation colique qu'il a subie. Le tribunal, après avoir uniquement retenu la responsabilité pour faute du centre hospitalier de Chartres pour défaut de surveillance de la sonde, a indemnisé l'intéressé à hauteur de 2 000 euros et a rejeté le surplus de ses conclusions. Alain C... qui a relevé appel de ce jugement est décédé le 4 avril 2020 et par un arrêt du 18 décembre 2020, la cour a constaté qu'il n'y avait pas lieu, en l'état, de statuer sur la requête qu'il avait présentée. Mme B..., sa veuve, a, le 8 juin 2021, déclaré reprendre l'instance engagée par feu son époux en sa qualité d'ayant-droit.

Sur la responsabilité du centre hospitalier de Chartres :

3. Aux termes de l'article L. 1142-1 du code de la santé publique : " I. - Hors le cas où leur responsabilité est encourue en raison d'un défaut d'un produit de santé, les professionnels de santé mentionnés à la quatrième partie du présent code, ainsi que tout établissement, service ou organisme dans lesquels sont réalisés des actes individuels de prévention, de diagnostic ou de soins ne sont responsables des conséquences dommageables d'actes de prévention, de diagnostic ou de soins qu'en cas de faute. ".

4. Il résulte de l'instruction qu'au cours de son hospitalisation du 19 novembre au

7 décembre 2015 à l'hôpital de Forcilles, une sonde à ballonnet a été implantée par jéjunostomie chez le patient en vue d'une alimentation entérale. Alain C... a ensuite été transféré au centre hospitalier de La Loupe, puis au centre hospitalier de Chartres le 11 décembre 2015.

Le 25 décembre 2015, un scanner a mis en évidence la présence de la sonde dans le côlon du patient. Or, l'alimentation entérale ayant été maintenue jusqu'au 15 décembre 2015, la sonde était nécessairement en place lors de l'admission d'Alain C... au centre hospitalier de Chartres, quatre jours auparavant. La migration de ce dispositif ne peut, par conséquent, que résulter d'un défaut de surveillance fautif du centre hospitalier de Chartres entre le 11 et

le 25 décembre 2015. A cet égard, les documents de surveillance produits par l'établissement hospitalier, qui ne portent aucune information en regard de la mention " sonde à ballonnet ", ne permettent pas d'établir qu'une surveillance spécifique a été effectivement réalisée à compter du 11 décembre 2015. Si le centre hospitalier de Chartres fait valoir que la sonde aurait pu migrer le 24 décembre 2015, alors que l'intéressé était à son domicile pour la fête de Noël, il résulte des constatations non contestées de l'expert que la sonde a migré d'abord de manière lente dans le grêle, puis plus rapidement dans le côlon, et n'a donc pu atteindre ce dernier organe en une seule journée, entre le 24 et le 25 décembre 2015, date à laquelle elle y a été observée. Par suite, la faute du centre hospitalier, relevée par les premiers juges, doit être confirmée.

Sur le lien de causalité direct entre le défaut de surveillance et les préjudices :

5. Dans les suites immédiates de la coloscopie du 4 février 2016, réalisée pour extraire la sonde à ballonnet du côlon, Alain C... a souffert d'une perforation colique à l'origine d'une péritonite dont il a été opéré le 8 février 2016 au centre hospitalier de Chartres ayant entraîné des soins et des douleurs prolongés ainsi que des interventions supplémentaires. Il résulte du rapport de l'expert mandaté par la CCI que cette perforation colique, si elle est en rapport avec l'état antérieur du patient, qui présentait une diverticulite abcédée, a été causée par la coloscopie du 4 février 2016. Ce lien de causalité est confirmé par un courrier du 8 février 2016 que le chirurgien de la Nouvelle clinique Saint-François a adressé au centre hospitalier de Chartres, selon lequel : " (...) il est probable qu'il y ait eu une perforation au cours de la coloscopie, merci de le prendre en charge (...) ". C'est donc à tort que les premiers juges ont écarté tout lien de causalité entre la présence de la sonde dans le côlon, qui a nécessité deux coloscopies dont celle du 4 février 2016, et la perforation colique dont a été atteint le patient. Dans ces conditions, la faute commise par le centre hospitalier de Chartres a été à l'origine pour Alain C... d'une perte totale de chance de se soustraire aux complications qu'il a présentées.

6. Il résulte de ce qui précède que Mme B... veuve C... a droit à la réparation des préjudices subis par Alain C... en lien avec la perforation colique dont il a souffert. Toutefois, la cour ne dispose pas des éléments lui permettant de procéder à une évaluation de l'intégralité de ces préjudices, sur lesquels le tribunal administratif d'Orléans n'a pas statué.

Il y a lieu en conséquence d'ordonner une expertise aux fins précisées ci-après.

Sur les conclusions à fins de provision :

7. Il résulte de l'instruction et notamment du rapport d'expertise du 12 janvier 2017 établi par la commission de conciliation et d'indemnisation des accidents médicaux qu'Alain C... a subi un déficit fonctionnel temporaire de 100 % du fait de la complication résultant de la présence du corps étranger du 26 décembre 2015 au 25 mars 2016, puis de 50 % du 26 mars au 13 mai 2016 et du 15 juin au 18 novembre 2016. Les souffrances qu'il a endurées à raison de la colostomie gauche qu'il a dû subir ont été évaluées par cette expertise à 4,5/7. Il a également supporté un préjudice esthétique temporaire entre le 8 février et le 18 novembre 2016, jour de l'expertise, ayant pu être évalué à 3/7. Dans ces circonstances, et compte tenu de ce que le tribunal administratif d'Orléans a, dans son jugement du 23 mai 2019, condamné le centre hospitalier de Chartres à verser une somme de 2 000 euros en réparation du déficit fonctionnel temporaire et du préjudice esthétique temporaire supporté par Alain C..., il y a lieu de verser à Mme C... une provision de 10 000 euros qui sera assortie des intérêts au taux légal à compter du 4 octobre 2018, date de réception par le centre hospitalier de Chartres de la réclamation préalable.

DÉCIDE :

Article 1er : Il est ordonné, avant de statuer sur l'évaluation des préjudices subis par Alain C... une expertise, confiée à un chirurgien viscéral, qui aura pour mission :

- de se faire communiquer, en tant que de besoin, tous documents relatifs au suivi médical, interventions soins et traitements dont Alain C... a fait l'objet au centre hospitalier de Chartres, au centre hospitalier de La Loupe et à l'hôpital de Forcilles ;

- d'examiner le dossier d'Alain C... et de retracer, en tant que de besoin, son histoire médicale ;

- de donner toute précision sur la date de consolidation de son état de santé ;

- de déterminer et d'évaluer l'ensemble des préjudices subis par Alain C... à raison de la perforation colique dont il a souffert.

Article 2 : L'expertise sera menée contradictoirement entre Mme B... veuve C... et le centre hospitalier de Chartres.

Article 3 : L'expert sera désigné par le président de la cour. Il accomplira sa mission dans les conditions prévues par les articles R. 621-2 à R. 621-14 du code de justice administrative. Le rapport d'expertise sera déposé en deux exemplaires dans un délai de trois mois à compter de la date de notification du présent arrêt. L'expert en notifiera des copies aux parties intéressées.

Article 4 : Le centre hospitalier de Chartres versera à Mme C... une provision de 10 000 euros laquelle portera intérêts à compter du 4 octobre 2018.

Article 5 : Tous droits et moyens des parties sur lesquels il n'est pas expressément statué par le présent arrêt sont réservés jusqu'à la fin de l'instance.

Article 6 : Le présent arrêt sera notifié à Mme D... B... veuve C..., au centre hospitalier de Chartres et à la Mutualité Sociale Agricole de Picardie.

Délibéré après l'audience du 14 octobre 2021, à laquelle siégeaient :

- M. Salvi, président de chambre,

- Mme Brisson, présidente-assesseure,

- M. Catroux, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 5 novembre 2021.

La rapporteure,

C. BRISSON Le président,

D. SALVI

La greffière,

A. MARTIN La République mande et ordonne au ministre des solidarités et de la santé en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

N°19NT02925


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Nantes
Formation : 3ème chambre
Numéro d'arrêt : 19NT02925
Date de la décision : 05/11/2021
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Composition du Tribunal
Président : Mme la Pdte. PERROT
Rapporteur ?: M. Eric BERTHON
Rapporteur public ?: M. BERTHON
Avocat(s) : LIMONTA

Origine de la décision
Date de l'import : 16/11/2021
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.nantes;arret;2021-11-05;19nt02925 ?
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