Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. A... B... et Mme B... ont demandé au tribunal administratif d'Orléans à titre principal, de condamner le département d'Eure-et-Loir à réaliser un écran anti-bruit de nature à supprimer les nuisances sonores qu'ils subissent, à titre subsidiaire, de condamner le département d'Eure-et-Loir à leur verser la somme de 95 000 euros au titre de la perte vénale de leur maison d'habitation et, en tout état de cause, de condamner le département d'Eure-et-Loir à leur verser la somme de 150 000 euros en réparation de leur préjudice moral et de leur préjudice de jouissance de leur bien.
Par un jugement no1800980 du 24 décembre 2019, le tribunal administratif d'Orléans a rejeté leur demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête et un mémoire, enregistrés les 24 février 2020 et 10 décembre 2020, M. et Mme B..., représentés par Me Cruchaudet, demandent à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du 24 décembre 2019 du tribunal administratif d'Orléans ;
2°) à titre principal, de condamner, sous astreinte, le département d'Eure-et-Loir à réaliser un écran anti-bruit de nature à supprimer les nuisances sonores qu'ils subissent ;
3°) à titre subsidiaire, de condamner le département d'Eure-et-Loir à leur verser la somme de 95 000 euros au titre de la perte vénale de leur maison d'habitation ;
4°) en tout état de cause, de condamner le département d'Eure-et-Loir à leur verser la somme de 150 000 euros en réparation de leur préjudice moral et de leur préjudice de jouissance de leur bien ;
5°) de condamner le département d'Eure-et-Loir aux entiers dépens de l'instance ainsi qu'à la prise en charge du coût de l'expertise judiciaire ;
6°) de mettre à la charge du département d'Eure-et-Loir la somme de 6 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Ils soutiennent que :
- la créance qu'ils détiennent sur le département n'est pas prescrite, dès lors que :
* la réalité et l'étendue du préjudice résultant des nuisances entraînées par l'intense circulation sur la rocade située à moins de 40 mètres de leur habitation ne se sont entièrement révélées qu'après 2013,
* la prescription quadriennale ne leur a pas été valablement opposée par le département d'Eure-et-Loir ou la personne ayant régulièrement reçu délégation à cet effet, qui avaient seules qualité pour ce faire,
* la prescription quadriennale a été interrompue par des correspondances adressées par eux au département en 2013, 2014 et 2015, par un courrier adressé à eux par le président du Conseil général et reconnaissant leur droit ainsi que par la saisine par eux, le 1er juillet 2016, du juge des référés du tribunal administratif d'Orléans ; la prescription a été suspendue par la mesure d'expertise ordonnée par le tribunal administratif d'Orléans, le 13 octobre 2016,
- les préjudices qu'ils subissent, et notamment le trouble de jouissance, revêtent un caractère anormal et spécial, selon les conclusions de l'expert judiciaire ;
- les préjudices qu'ils subissent doivent être réparés, à titre principal, par la construction d'un écran antibruit d'une longueur de 200 mètres et d'une hauteur de 3 mètres et, à titre subsidiaire, par le versement d'une indemnité de 95 000 euros, correspondant à la perte de la valeur vénale de leur propriété qui doit être évaluée à 50 % de sa valeur actuelle ;
- en tout état de cause, ils sont bienfondés à demander l'indemnisation d'un préjudice moral et de troubles dans les conditions d'existence qui doivent être évalués à la somme de 150 000 euros.
Par un mémoire en défense, enregistré le 19 mai 2020, le département d'Eure-et-Loir, représenté par Me Rainaud, conclut au rejet de la requête et à ce que la somme de 2 000 euros soit mise à la charge des requérants sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- la requête est tardive ;
- l'action en réparation de la perte de la valeur vénale de la maison des requérants est prescrite ;
- aucun des moyens de la requête n'est fondé.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code de l'urbanisme ;
- le code de l'environnement ;
- la loi n° 68-1250 du 31 décembre 1968 ;
- l'arrêté du 5 mai 1995 relatif au bruit des infrastructures routières ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Catroux,
- les conclusions de M. Berthon, rapporteur public,
- et les observations de Me Cruchaudet, représentant M. et Mme B..., et de
Me Rainaud, représentant le département d'Eure-et-Loir.
Considérant ce qui suit :
1. M. et Mme B... sont propriétaires d'un pavillon à usage d'habitation qu'ils ont fait construire en 1972 sur le territoire de la commune de Margon (Eure-et-Loir). Une rocade de contournement de la commune de Nogent-le- Rotrou, la route départementale (RD) n° 923, a été implantée, en 1982, à près de 40 mètres de leur pavillon. Un expert acousticien a été désigné, le 13 octobre 2016, à la demande des requérants, par le juge des référés du tribunal administratif d'Orléans. A la suite de la remise du rapport de l'expert, le 31 mars 2017, les requérants ont, par lettre du 9 novembre 2017, reçue le 13 novembre suivant, mis en demeure le département de réaliser les travaux préconisés par l'expert judiciaire et, à défaut, lui ont demandé de les indemniser à hauteur de 250 000 euros en réparation de leur préjudice moral, des troubles dans leurs conditions d'existence et de la perte de la valeur vénale de leur maison. Cette demande a été implicitement rejetée par le département le 13 janvier 2018. M. et Mme B... ont demandé au tribunal administratif d'Orléans, à titre principal, d'enjoindre au département de procéder à la mise en place d'un écran de protection acoustique et de condamner le département à leur verser une indemnité de 150 000 euros en réparation de leur préjudice moral et des troubles de jouissance de leur maison et, à titre subsidiaire, de condamner le département à leur verser une indemnité globale de 245 000 euros en réparation des préjudices liés à la dépréciation de leur propriété, de leur préjudice moral et des troubles de jouissance de leur bien. Par un jugement du 24 décembre 2019, dont M. et Mme B... relèvent appel, le tribunal administratif d'Orléans, a rejeté cette demande.
2. D'une part, le maître de l'ouvrage est responsable, même en l'absence de faute, des dommages que les ouvrages publics dont il a la garde peuvent causer aux tiers tant en raison de leur existence que de leur fonctionnement. Il ne peut dégager sa responsabilité que s'il établit que ces dommages résultent de la faute de la victime ou d'un cas de force majeure. La victime doit toutefois apporter la preuve de la réalité des préjudices qu'elle allègue avoir subis, et de l'existence d'un lien de causalité entre cet ouvrage et lesdits préjudices, qui doivent en outre présenter un caractère grave et spécial.
3. D'autre part, lorsque le juge administratif condamne une personne publique responsable de dommages qui trouvent leur origine dans l'exécution de travaux publics ou dans l'existence ou le fonctionnement d'un ouvrage public, il peut, saisi de conclusions en ce sens, s'il constate qu'un dommage perdure à la date à laquelle il statue du fait de la faute que commet, en s'abstenant de prendre les mesures de nature à y mettre fin ou à en pallier les effets, la personne publique, enjoindre à celle-ci de prendre de telles mesures. Pour apprécier si la personne publique commet, par son abstention, une faute, il lui incombe, en prenant en compte l'ensemble des circonstances de fait à la date de sa décision, de vérifier d'abord si la persistance du dommage trouve son origine non dans la seule réalisation de travaux ou la seule existence d'un ouvrage, mais dans l'exécution défectueuse des travaux ou dans un défaut ou un fonctionnement anormal de l'ouvrage et, si tel est le cas, de s'assurer qu'aucun motif d'intérêt général, qui peut tenir au coût manifestement disproportionné des mesures à prendre par rapport au préjudice subi, ou aucun droit de tiers ne justifie l'abstention de la personne publique. En l'absence de toute abstention fautive de la personne publique, le juge ne peut faire droit à une demande d'injonction, mais il peut décider que l'administration aura le choix entre le versement d'une indemnité dont il fixe le montant et la réalisation de mesures dont il définit la nature et les délais d'exécution.
4. Les requérants soutiennent que les nuisances sonores entrainées par la route départementale n° 923 leur causent des troubles dans la jouissance de leur bien immobilier ainsi qu'un préjudice moral, ces préjudices devant être réparés, à titre principal, par la construction d'un écran antibruit et par le versement d'une somme de 150 000 euros ou, à titre subsidiaire, par l'indemnisation de la perte de la valeur vénale de leur maison par le versement d'une somme de 95 000 euros. Dans son rapport du 31 mars 2017, l'expert désigné par le juge des référés du tribunal administratif d'Orléans a conclu, ainsi qu'ils le font valoir, que les nuisances sonores dont ils se plaignent provenaient exclusivement du trafic routier sur la rocade RD n° 923, qu'elles constituaient, par leur continuité et leur niveau sonore, un trouble de jouissance de la chambre et de la véranda du pavillon, dès lors qu'elles étaient de nature à troubler la tranquillité et le repos dans ces pièces et qu'elles dépassaient les niveaux réglementaires d'émergence sonore.
5. Il résulte toutefois de l'instruction que les niveaux sonores relevés dans la propriété des requérants, à la demande du département, les 17 et 18 juin 2015, par la société Acouplus, étaient de 57,5 dB(A) en période diurne et 52,5 dB(A) en période nocturne. De même, selon les relevés acoustiques effectués le 9 janvier 2017, entre 14 et 16 heures, par l'expert désigné par le tribunal, les niveaux sonores étaient de 58 dB(A) dans le jardin, de 42 dB(A) dans la véranda et de 54 dB(A) dans la chambre, fenêtre ouverte, avec des pics lors de passages de camions, de 58 dB(A) dans la chambre, fenêtre ouverte, et de 63 dB(A) dans le jardin. Ces niveaux sonores présentaient donc une amélioration par rapport à ceux constatés en 2001, qui étaient globalement proches de 60 dB (A) avec quelques mesures comprises entre 60 et 65 dB(A), ne dépassant pas le seuil de 65 dB (A). L'expert a certes estimé que, dans le jardin, la véranda ou la chambre, fenêtre ouverte, les émergences sonores étaient de l'ordre de 10 à 15 dB(A) et donc excessives par référence aux dispositions des articles R. 1336-4 et suivants du code de la santé publique qui cependant ne s'appliquent pas aux nuisances sonores provenant, comme en l'espèce, des infrastructures de transport et des véhicules qui y circulent. L'expert acousticien a, en revanche, également relevé que le niveau de bruit dans la chambre, fenêtre fermée, ne représentait pas un trouble de jouissance anormal. Les conclusions de l'expert ne permettent donc pas de remettre en cause la caractérisation de l'ambiance sonore affectant le bien immobilier des requérants comme modérée. Dans ces conditions et eu égard à la fréquence des passages de véhicule sur la route départementale, ils n'établissement pas que l'ouvrage en cause est à l'origine d'une gêne sonore leur causant un trouble de jouissance qui excède par son importance celui que doivent normalement supporter, dans l'intérêt général, les riverains des voies publiques.
6. Il résulte de ce qui précède, et sans qu'il soit besoin d'examiner l'exception de prescription quadriennale opposée en défense, que M. et Mme B... ne sont pas fondés à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif d'Orléans a rejeté leurs demandes de réparation.
7. Aux termes de l'article R. 761-1 du code de justice administrative : " Les dépens comprennent les frais d'expertise, d'enquête et de toute autre mesure d'instruction dont les frais ne sont pas à la charge de l'Etat. Sous réserve de dispositions particulières, ils sont mis à la charge de toute partie perdante sauf si les circonstances particulières de l'affaire justifient qu'ils soient mis à la charge d'une autre partie ou partagés entre les parties (...) ".
8. Dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de mettre les frais d'expertise, taxés et liquidés à la somme de 2 439,87 euros par ordonnance du président du tribunal du 26 juillet 2017, à la charge définitive de M. et Mme B....
9. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge du département d'Eure-et-Loir, qui n'est pas dans la présente instance la partie perdante, la somme demandée par M. et Mme B..., au titre des frais exposés par eux et non compris dans les dépens. Dans les circonstances de l'espèce, il n'y a pas lieu de mettre à la charge de M. et Mme B... la somme réclamée par le département d'Eure-et-Loir, au même titre.
DÉCIDE :
Article 1er : La requête de M. et Mme B... est rejetée.
Article 2 : Les frais d'expertise liquidés et taxés par ordonnance du 26 juillet 2017 à la somme de 2 439,87 euros sont mis à la charge définitive de M. et Mme B....
Article 3 : Les conclusions présentées par le département d'Eure-et-Loir sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à M. et Mme B... et au département
d'Eure-et-Loir.
Délibéré après l'audience du 30 septembre 2021, à laquelle siégeaient :
- M. Salvi, président,
- Mme Brisson, présidente assesseure,
- M. Catroux, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 15 octobre 2021.
Le rapporteur
X. Catroux
Le président
D. Salvi
Le greffier,
R. Mageau
La République mande et ordonne à la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales en ce qui la concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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No 20NT006934