Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. C... D... a demandé au tribunal administratif d'Orléans, d'une part, d'annuler l'arrêté du 31 octobre 2017 par lequel le ministre de l'éducation nationale a prononcé son licenciement à l'issue de son année de stage, ainsi que la décision implicite de rejet née du silence gardé sur son recours gracieux, d'autre part, d'enjoindre à cette autorité de procéder à la reconstitution de sa carrière, après l'avoir titularisé et de l'affecter dans l'académie de Caen au lycée polyvalent Albert-Sorel à Honfleur, dans un délai qui ne saurait excéder un mois à compter de la notification du jugement à intervenir, sous astreinte de 200 euros par jour, passé ce délai, enfin de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 500 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Par un jugement n° 1802313 du 21 mai 2019, le tribunal administratif d'Orléans a rejeté sa demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête et un mémoire, enregistrés les 8 novembre 2019 et 4 mai 2021, M. D..., représenté par Me E..., demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif d'Orléans du 21 mai 2019 ;
2°) d'annuler l'arrêté du 31 octobre 2017 du ministre de l'éducation nationale ainsi que le rejet implicite de son recours gracieux ;
3°) d'enjoindre au ministre de l'éducation nationale de procéder à la reconstitution de sa carrière, après l'avoir titularisé et de l'affecter dans l'académie de Caen au lycée polyvalent Albert-Sorel à Honfleur, dans un délai qui ne saurait excéder un mois, sous astreinte de 200 euros par jour, passé ce délai à compter de la notification de l'arrêt à intervenir ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat le versement de la somme de 2500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- les premiers juges ont commis une erreur de droit en estimant, d'une part, que ni l'obtention de son Master, ni la réussite au concours du CAPES ne sont de nature à établir son aptitude à enseigner et, d'autre part, en ne prenant pas en compte les appréciations portées sur ses aptitudes pendant ses années accomplies en tant que professeur contractuel ;
- les premiers juges ont commis des erreurs de fait : d'une part, en estimant que les éléments de preuve étaient insuffisants ; il a produit de nombreux éléments - attestations de professeurs, rapports d'évaluation de chefs d'établissement lors de suppléance, attestations de collègues lors de son stage de 2016-2017, témoignages d'anciens professeurs et d'élèves - qui démontrent tant ses compétences de fond en philosophie que ses compétences formelles quant à sa capacité à enseigner ; d'autre part, en estimant que les témoignages d'élèves provenaient " d'élèves particulièrement impliqués " et que les élèves auxquels il avait enseigné au cours de ses précédentes périodes d'enseignement, soit à l'université de Caen, soit au lycée français de Kiev correspondaient à un " public différent " ; enfin, en retenant qu'il " n'avait montré aucun regard réflexif sur sa pratique " ; ce ne sont pas ses compétences qui ont été " sanctionnées " mais son tempérament, " vraisemblablement incompatible avec celui de l'inspecteur ".
- les premiers juges ont inversé la charge de la preuve ;
- la décision ministérielle contestée est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation.
Par un mémoire en défense, enregistré le 3 juin 2021, le ministre de l'éducation nationale et de la jeunesse conclut au rejet de la requête.
Il soutient que les moyens soulevés par M. D... ne sont pas fondés et indique à la cour qu'il entend se référer aux écritures produites devant le tribunal administratif.
M. D... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle partielle par une décision du 9 septembre 2019.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le décret n° 72-581 du 4 juillet 1972 modifié ;
- l'arrêté du 22 août 2014 du ministre de l'éducation nationale, de l'enseignement supérieur et de la recherche fixant les modalités de stage, d'évaluation et de titularisation des professeurs des écoles stagiaires ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. B...,
- les conclusions de M. Lemoine, rapporteur public,
- et les observations de Me E... représentant M. D....
Considérant ce qui suit :
1. M. D..., titulaire d'un Master en sciences humaines et sociales, mention philosophie, obtenu en 2009, a été admis au concours externe du certificat d'aptitude au professorat de l'enseignement du 2nd degré (CAPES), section philosophie, à la session 2016 après avoir exercé pendant quatre années des activités d'enseignement en qualité d'agent contractuel. Il a été affecté en qualité de professeur stagiaire au lycée Rémy-Belleau de Nogent-le-Rotrou au titre de l'année scolaire 2016-2017. A l'issue de son année de stage, le jury académique, réuni le 22 juin 2017, a décidé de ne pas l'inscrire sur la liste des professeurs aptes à être titularisés et a émis un avis défavorable à l'éventuel renouvellement de son stage. La rectrice en a informé l'intéressé le 13 juillet 2017 et a saisi le ministre de l'éducation nationale du refus exprimé par le jury. Par un arrêté du 31 octobre 2017, notifié le 2 novembre 2017, le ministre de l'éducation nationale a prononcé le licenciement de M. D... à l'issue de son année de stage. Ce dernier a formé un recours gracieux auprès du ministre de l'éducation nationale le 2 janvier 2018, en demandant que lui soit accordée la possibilité d'effectuer une seconde année de stage. Cette demande a fait l'objet d'un rejet implicite.
2. M. D... a, le 25 juin 2018, saisi le tribunal administratif d'Orléans d'une demande tendant, d'une part, à l'annulation de l'arrêté du 31 octobre 2017 du ministre de l'éducation nationale et de la décision implicite de rejet née du silence gardé sur son recours gracieux et, d'autre part, à ce qu'il soit enjoint à cette autorité de procéder à la reconstitution de sa carrière, après l'avoir titularisé, et de l'affecter dans l'académie de Caen au lycée polyvalent Albert-Sorel à Honfleur. M. D... relève appel du jugement du 21 mai 2019 par lequel cette juridiction a rejeté ses demandes.
Sur la légalité des décisions contestées :
3. Aux termes de l'article 24 du décret du 4 juillet 1972 relatif au statut des professeurs certifiés dans ses dispositions alors en vigueur : " Les candidats reçus aux concours prévus aux articles 6 et 11 ou ayant bénéficié d'une dispense en application du premier alinéa de l'article 23, et remplissant les conditions de nomination dans le corps, sont nommés fonctionnaires stagiaires et affectés pour la durée du stage dans une académie par le ministre chargé de l'éducation./ Le stage a une durée d'un an. Ses prolongations éventuelles sont prononcées par le recteur de l'académie dans le ressort de laquelle il est accompli. / Au cours de leur stage, les professeurs stagiaires bénéficient d'une formation organisée, dans le cadre des orientations définies par l'Etat, par un établissement d'enseignement supérieur, visant l'acquisition des compétences nécessaires à l'exercice du métier. Cette formation alterne des périodes de mise en situation professionnelle dans un établissement scolaire et des périodes de formation au sein de l'établissement d'enseignement supérieur. Elle est accompagnée d'un tutorat et peut être adaptée pour tenir compte du parcours antérieur des professeurs stagiaires. / Les modalités du stage et les conditions de son évaluation par un jury sont arrêtées conjointement par le ministre chargé de l'éducation et par le ministre chargé de la fonction publique. ". Par ailleurs, aux termes de l'article 26 de ce même décret : " A l'issue du stage, la titularisation est prononcée par le recteur de l'académie dans le ressort de laquelle le stage est accompli, sur proposition du jury mentionné à l'article 24. La titularisation confère le certificat d'aptitude au professorat de l'enseignement du second degré ou le certificat d'aptitude au professorat de l'enseignement technique./ Les stagiaires qui n'ont pas été titularisés peuvent être autorisés par le recteur de l'académie dans le ressort de laquelle ils ont accompli leur stage à effectuer une seconde année de stage (...)/ Les stagiaires qui n'ont pas été autorisés à accomplir une seconde année de stage ou qui, à l'issue de la seconde année de stage, n'ont pas été titularisés sont soit licenciés, soit réintégrés dans leur corps ou cadre d'emplois d'origine s'ils avaient la qualité de fonctionnaire. ".
4. Il résulte des dispositions précitées que le jury académique se prononce à l'issue d'une période de formation et de stage. S'agissant non d'un concours ou d'un examen, mais d'une procédure tendant à l'appréciation de la manière de servir qui doit être faite en fin de stage, cette appréciation peut être censurée par le juge de l'excès de pouvoir en cas d'erreur manifeste.
5. Il ressort des pièces du dossier que, pour refuser de titulariser M. D... et le licencier, l'arrêté du 31 octobre 2017 contesté s'est fondé sur des avis convergents émis sur les aptitudes professionnelles montrées au cours de son année de stage, qui font état de l'absence d'acquisition de nombreuses compétences professionnelles de nature à créer " une difficulté importante dans l'exercice quotidien du métier ", notamment s'agissant de la gestion de la classe, de la didactique, de la pédagogie et du positionnement au sein de l'institution. Ainsi, le chef d'établissement, dans son avis du 1er mai 2017, a souligné les difficultés de M. D... à susciter l'intérêt des élèves et à gérer sa classe, ainsi que des programmes partiellement traités. Le directeur de l'école supérieure du professorat et de l'éducation (ESPE) du Centre Val-de-Loire quant à lui, dans son avis défavorable à sa titularisation, a noté ses difficultés à adapter son enseignement à certains publics et à améliorer ses pratiques professionnelles. De la même manière, le rapport d'inspection de l'inspecteur d'académie-inspecteur pédagogique régional de philosophie du 29 mai 2017 caractérise de manière détaillée les difficultés persistantes de l'intéressé dans son exercice professionnel à l'issue de l'année de stage, relatives à l'élaboration et à la transmission des contenus philosophiques mais également à la conduite de classe. Enfin, le rapport de synthèse du jury académique du 27 juin 2017, évaluant le stage de M. D... et donnant un avis sur sa titularisation après entretien avec l'intéressé tenu le même jour, retient de très nombreuses insuffisances en matière de compétences ainsi que, notamment, une absence de réflexion et remise en cause de sa pratique en dépit des conseils de son tuteur.
6. En premier lieu, M. D... soutient que le ministre a commis des erreurs de fait s'agissant tant de la leçon dispensée le 5 mai 2017 devant les élèves que de l'appréciation des nombreux éléments - attestations et témoignages d'élèves et de professeurs - soulignant ses compétences et son aptitude à enseigner. Toutefois, d'une part, les rapports précis établis les 1er mai et 29 mai 2017 respectivement par son tuteur et par l'inspecteur d'académie-inspecteur pédagogique régional (IA-IPR), qui a assisté le 5 mai 2017 à la leçon devant les élèves et dont le rapport ne peut, pour cette raison, être regardé comme erroné, font le même constat s'agissant de la tendance de l'intéressé à nier ses difficultés, notamment d'adaptation afin de faire évoluer sa pratique professionnelle et son enseignement à certains publics et, enfin, à remettre en cause sa pratique en dépit des conseils prodigués et des compléments de formation proposés. D'autre part, M. D... ne saurait, pour contester ces appréciations précises et détaillées, utilement se prévaloir des évaluations, témoignages d'élèves, attestations plus favorables portées sur ses aptitudes dont il a bénéficié au cours des années antérieures en qualité d'enseignant contractuel dès lors que l'appréciation portée par l'autorité compétente sur l'aptitude à exercer les fonctions de professeur certifié de philosophie et sur la manière de servir ne se rapporte qu'au stage effectué par le candidat admis au concours de recrutement et doit également prendre en compte des critères spécifiques d'adaptation à l'institution et non seulement des critères disciplinaires ou didactiques. Le requérant ne peut ainsi utilement invoquer le bénéfice des appréciations formulées lors de ses précédentes périodes d'enseignement à l'université de Caen ou au lycée français de Kiev, dispensées en outre, comme l'ont à juste titre rappelé les premiers juges, à un " public différent ". De la même façon, les circonstances qu'il a obtenu un Master et a réussi les épreuves du concours du CAPES demeurent sans incidence sur l'appréciation de son aptitude à enseigner sa discipline à des élèves, s'agissant notamment - ce qui est une compétence parmi d'autres également évaluées et commune à tous les professeurs - de construire, de mettre en œuvre et d'animer des situations d'enseignement et d'apprentissage, et en conséquence sur son aptitude à être titularisé au terme de son stage. Il s'ensuit que doit être écarté le moyen tiré par M. D... de ce que les décisions contestées seraient entachées d'erreurs de fait sur ces différents points.
7. En second lieu, si M. D... soutient que c'est à tort que le jury de titularisation a estimé " qu'il ne montrait aucun regard réflexif sur sa pratique " et " qu'il présentait de très nombreuses insuffisances en termes de compétences non validées ", cette appréciation résulte cependant très clairement des avis motivés, circonstanciés et convergents sur sa pratique professionnelle, évoqués aux points 5 et 6, émanant de son tuteur, du chef d'établissement, de l'inspecteur d'académie-inspecteur pédagogique régional de philosophie et du jury de titularisation, qu'aucun élément versé aux débats par le requérant ne permet de remettre sérieusement en cause. De même, si M. D... ajoute que ce ne sont pas ses compétences qui ont été " sanctionnées " mais son tempérament, " vraisemblablement incompatible avec celui de l'inspecteur ", de telles allégations ne sont corroborées par aucun élément. Ainsi, au vu de l'ensemble des constatations concordantes sur l'insuffisance des aptitudes de l'intéressé à l'exercice des fonctions de professeur certifié et eu égard à son absence de remise en question au sujet de sa pratique professionnelle, en prononçant, par l'arrêté du 31 octobre 2017, le licenciement de M. D... et en refusant la prolongation de son stage pour une année supplémentaire, le ministre de l'éducation nationale n'a pas entaché sa décision d'une erreur manifeste d'appréciation de la situation de l'intéressé.
8. Il résulte de tout ce qui précède, que M. D... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif d'Orléans, qui ne s'est pas mépris sur l'application des principes énoncés aux points 3 et 4 et n'a pas inversé la charge de la preuve, a rejeté sa demande dirigée contre l'arrêté du 31 octobre 2017 du ministre de l'éducation nationale et le rejet implicite de son recours gracieux. Ses conclusions à fin d'injonction doivent, de même, par voie de conséquence, être rejetées.
Sur les frais liés au litige :
9. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mis à la charge de l'Etat, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, le versement à M. D... de la somme qu'il demande au titre des frais exposés et non compris dans les dépens.
DÉCIDE :
Article 1er : La requête de M. D... est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. C... D... et au ministre de l'éducation nationale, de la jeunesse et des sports.
Une copie sera adressée à la rectrice de l'académie de Normandie.
Délibéré après l'audience du 9 juillet 2021, à laquelle siégeaient :
- M. Gaspon, président de chambre,
- M. B..., président-assesseur,
- Mme A..., première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 20 juillet 2021.
Le rapporteur,
O. B...Le président,
O. GASPON
La greffière,
P. CHAVEROUX
La République mande et ordonne au ministre de l'éducation nationale, de la jeunesse et des sports en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
N° 19NT04297 2