Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
La société à responsabilité limitée (SARL) La Ferme des Epis a demandé au tribunal administratif de Caen de prononcer la décharge, en droits et pénalités, des cotisations supplémentaires à l'impôt sur les sociétés auxquelles elle a été assujettie au titre des exercices clos en 2011, 2012 et 2013 et des rappels de taxe sur la valeur ajoutée mis à sa charge au titre de la période du 1er janvier 2011 au 31 décembre 2013.
Par un jugement n° 1801430 du 12 juin 2019, le tribunal administratif de Caen a rejeté sa demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 12 août 2019, la SARL La Ferme des Epis, représentée par Me E..., demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement en tant qu'il a rejeté ses conclusions tendant à la décharge, en droits et pénalités, des cotisations supplémentaires à l'impôt sur les sociétés au titre des exercices clos en 2011, 2012 et 2013 ;
2°) de prononcer cette décharge.
Elle soutient que :
- la proposition de rectification contient une contradiction entre, d'une part, le fait que le service a déclaré les fichiers informatiques des écritures comptables remis par elle sous forme dématérialisée conformes à l'article L. 47 A du livre des procédures fiscales et, d'autre part, sa demande d'une mise en conformité des mêmes fichiers ;
- la procédure d'imposition est irrégulière dès lors que la durée de la vérification de comptabilité s'est prolongée au-delà de trois mois ;
- compte tenu du caractère mineur et du faible nombre des anomalies comptables, l'administration n'aurait pas dû rejeter sa comptabilité ;
- ses comptes ont été équilibrés du fait des apports successifs de MM. Pascal et Bruno C... ;
- la mise à disposition des sommes de 48 632,98 euros et 41 991,78 euros, qui sont des apports des associés en compte courant, couvre le capital de 18 000 euros ; ainsi, le capital a été entièrement libéré ; le taux de taxe sur la valeur ajoutée à 15% doit ainsi être appliqué dans la limite de 38 120 euros ;
- la majoration pour manquement délibéré n'est pas justifiée ; elle doit être ramenée au taux de 10%.
Par un mémoire en défense, enregistré le 13 février 2020, le ministre de l'économie, des finances et de la relance conclut au rejet de la requête.
Il soutient que :
- les moyens soulevés par la SARL La Ferme des Epis ne sont pas fondés ;
- compte tenu de l'importance du montant des rectifications, de l'existence de graves anomalies, de la majoration volontaire du montant des charges portées sur la liasse fiscale, de la volonté d'inscrire des dettes pour rééquilibrer les comptes sans justificatifs et du caractère répétitif de ces faits, la majoration pour manquement délibéré est justifiée.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. D...,
- et les conclusions de Mme Chollet, rapporteure publique.
Considérant ce qui suit :
1. La société à responsabilité limitée (SARL) La Ferme des Epis, qui exerçait une première activité d'offre de location de salles, de yourtes et de gîtes et d'organisation de mariage avec un service de traiteur à Ouffières (Calvados) et une seconde activité consistant à organiser des thés et repas dansants avec guinguette et bar ouvert à Hom (Calvados), a fait l'objet d'une vérification de comptabilité qui a porté sur la période du 1er janvier 2011 au 31 décembre 2013. L'administration fiscale, par une proposition de rectification du 21 juillet 2014, a rejeté la comptabilité de la société, reconstitué son chiffre d'affaires et procédé à des redressements en matière d'impôt sur les sociétés au titre des exercices clos en 2011, 2012 et 2013 et à des rappels de taxe sur la valeur ajoutée au titre de la période du 1er janvier 2011 au 31 décembre 2013. Par un jugement du 12 juin 2019, le tribunal administratif de Caen a rejeté sa demande tendant à la décharge, en droits et pénalités, de ces impositions. La société relève appel du jugement en tant qu'il a rejeté ses conclusions relatives à l'impôt sur les sociétés.
Sur la régularité de la procédure d'imposition :
2. En premier lieu, aux termes de l'article L. 47 A du livre des procédures fiscales : " I.- Lorsque la comptabilité est tenue au moyen de systèmes informatisés, le contribuable peut satisfaire à l'obligation de représentation des documents comptables mentionnés au premier alinéa de l'article 54 du code général des impôts en remettant au début des opérations de contrôle, sous forme dématérialisée répondant à des normes fixées par arrêté du ministre chargé du budget, une copie des fichiers des écritures comptables définies aux articles 420-1 et suivants du plan comptable général. (...). ".
3. La SARL La Ferme des Epis soutient que la proposition de rectification contient une contradiction entre, d'une part, le fait que le service a déclaré les fichiers informatiques des écritures comptables remis par la SARL sous forme dématérialisée conformes à l'article L. 47 A du livre des procédures fiscales et, d'autre part, le fait qu'il ait demandé une mise en conformité des mêmes fichiers. Toutefois, l'accusé de réception du 6 février 2014 ne constitue pas une reconnaissance par le service d'une conformité des fichiers informatisés présentés par la société. Au contraire, après avoir constaté leur non-conformité, l'administration a demandé le 10 février 2014 la communication de fichiers conformes des écritures comptables des exercices 2010 à 2012. Faute pour la société d'avoir transmis des fichiers conformes, le service a pu valablement dresser un procès-verbal le 26 février 2014 pour défaut de présentation du fichier clos en 2012. Dès lors, le moyen manque en fait.
4. En second lieu, aux termes du II de l'article L. 52 du livre des procédures fiscales : " Par dérogation au I, l'expiration du délai de trois mois n'est pas opposable à l'administration : (...) / 4° En cas de graves irrégularités privant de valeur probante la comptabilité. Dans ce cas, la vérification sur place ne peut s'étendre sur une durée supérieure à six mois. "
5. D'une part, de graves irrégularités ont été constatées dans la comptabilité de la société requérante, caractérisée par des absences de valeur probante de documents comptables, de billetterie pour l'activité de la guinguette, d'affichage du tarif d'entrée, de tout justificatif de recettes provenant des repas-dansant, thé dansant et bar et de caisse enregistreuse pour délivrer des tickets de caisse de la guinguette ainsi que des facturations inférieures au nombre de réservations pour la journée du 19 juillet 2013 et des anomalies dans l'inventaire de stock en 2012 en ce qui concerne l'inscription de vins acquis l'année suivante et un prélèvement d'une somme de 25 596 euros sans aucune justification. Compte tenu de ces éléments, le service a pu valablement porter la durée de la vérification de comptabilité à six mois en application du II de l'article L. 52 du livre des procédures fiscales. De plus, et contrairement à ce que soutient la société requérante, dès sa demande de mise en conformité des fichiers, le service avait prévenu la société que l'absence de production de ces fichiers entraînerait des conséquences sur le délai du contrôle. Puis, par les deux procès-verbaux des 18 mars et 28 mai 2014, il a informé la société que le délai de trois mois, qui est prévu à l'article L. 52 du livre des procédures fiscales, n'était pas opposable et, par le procès-verbal du 12 juin 2014, contresigné par la société, celle-ci a été informée que le délai avait été porté de trois à six mois.
6. D'autre part, la vérification de comptabilité portant sur l'exercice clos en 2013 s'est déroulée dans un délai inférieur à trois mois dès lors que la première intervention sur place a eu lieu le 28 mai 2014 et la fin de la vérification lors de la réunion de synthèse le 3 juillet 2014. Dès lors, le moyen tiré de la prolongation irrégulière de cette vérification manque en tout état de cause en fait.
Sur le bien-fondé des impositions supplémentaires d'impôt sur les sociétés :
En ce qui concerne le rejet de la comptabilité :
7. Contrairement à ce que soutient la société requérante, les irrégularités de la comptabilité, rappelées au point 5, ne sont ni rares ni mineures et justifient le rejet de la comptabilité par l'administration.
En ce qui concerne la réintégration du solde créditeur des comptes courants d'associé de M. B... C... et M. A... C... dans les résultats de l'exercice clos en 2012 :
8. Aux termes du 2 de l'article 38 du code général des impôts, applicable en matière d'impôt sur les sociétés en vertu de l'article 209 du même code : " Le bénéfice net est constitué par la différence entre les valeurs de l'actif net à la clôture et à l'ouverture de la période dont les résultats doivent servir de base à l'impôt diminuée des suppléments d'apport et augmentée des prélèvements effectués au cours de cette période par l'exploitant ou par les associés. L'actif net s'entend de l'excédent des valeurs d'actif sur le total formé au passif par les créances des tiers, les amortissements et les provisions justifiés ".
9. Il appartient au contribuable, pour l'application de ces dispositions, de justifier, par la production de tous éléments suffisamment précis, l'inscription d'une dette au passif du bilan de son entreprise.
S'agissant des apports de M. B... C... :
10. L'achat de matériel du 1er décembre 2005 pour 6 500 euros, la facture d'électricité du 26 octobre 2006 pour 50,54 euros, la facture Agrial du 25 janvier 2007 pour 367,44 euros et la facture Agrigestion du 30 janvier 2007 pour 215 euros sont de simples paiements par M. B... C... et non des apports de celui-ci à la SARL La Ferme des Epis. Le virement de 30 000 euros le 15 janvier 2007 et celui de 10 000 euros le 24 janvier 2007 ont été effectués non par apports de M. B... C... mais par celui de la société civile immobilière (SCI) Adèle. Les " apports par compte de l'exploitant " des 1er décembre 2006 d'un montant de 1 500 euros et 9 mars 2007 d'un montant de 10 000 euros manquent de précisions permettant de savoir si c'est M. B... C... qui a effectivement effectué de tels apports.
S'agissant des apports de M. A... C... :
11. L'achat de matériel du 1er décembre 2005 pour 6 500 euros, la facture d'honoraires d'avocat du 28 décembre 2007 pour 1 759,94 euros sont de simples paiements par M. A... C... et non des apports de celui-ci à la SARL La Ferme des Epis. L'apport de 4 500 euros le 13 octobre 2006 n'a pas été effectué par M. A... C... mais par son entreprise individuelle. Les travaux réalisés par cette entreprise individuelle les 2 février 2007 et 29 février 2008 sont des factures et non des apports. La vente d'un chapiteau avec installation par M. A... C... n'est pas un apport par celui-ci à la SARL. Compte tenu de l'absence d'un rapprochement des pièces versées et des écritures historiques de son compte courant d'associé, le versement de la somme de 10 000 euros par M. A... C... le 12 mars 2007, soit à une date nettement antérieure à l'exercice de 2012, ne constitue pas un apport personnel à la SARL La Ferme des Epis.
En ce qui concerne l'application du taux réduit d'impôt sur les sociétés de 15 % :
12. Aux termes du I de l'article 219 du code général des impôts : " (...) Le taux normal de l'impôt est fixé à 33,1/3 %. / Toutefois : (...) b. Par exception au deuxième alinéa du présent I et au premier alinéa du a, pour les redevables ayant réalisé un chiffre d'affaires de moins de 7 630 000 euros au cours de l'exercice ou de la période d'imposition, ramené s'il y a lieu à douze mois, le taux de l'impôt applicable au bénéfice imposable est fixé, dans la limite de 38 120 euros de bénéfice imposable par période de douze mois, à 25 % pour les exercices ouverts en 2001 et à 15 % pour les exercices ouverts à compter du 1er janvier 2002. (...) Le capital des sociétés mentionnées au premier alinéa du présent b doit être entièrement libéré (...) ".
13. La SARL La Ferme des Epis se borne à soutenir que la mise à disposition des sommes de 48 632,98 euros et 41 991,78 euros, qui sont des apports des associés en compte courant, couvre le capital de 18 000 euros mais ne contredit pas l'administration lorsque celle-ci soutient que lors de sa constitution, le capital n'a été libéré que partiellement, c'est-à-dire versé seulement à hauteur de 3 600 euros sur 18 000 euros. Par suite la société requérante n'est pas fondée à soutenir qu'elle pouvait bénéficier du taux réduit d'impôt sur les sociétés prévu par les dispositions du b du I de l'article 219 du code général des impôts.
Sur la majoration pour manquement délibéré :
14. En se fondant sur l'importance des recettes omises au titre des exercices clos en 2012 et 2013, soit respectivement 35,26% et 41% de chiffre d'affaires toutes taxes comprises, les importantes anomalies de la comptabilité, y compris l'inscription de dettes en compte courant d'associés sans aucun justificatif, l'importance des rehaussements qui résultent de la majoration à tort de la taxe sur la valeur ajoutée déductible sur la déclaration de taxe et de l'absence de déclaration d'un montant de la taxe devenue exigible, ainsi que le caractère répétitif des infractions relevées, qui n'ont pu échapper à la connaissance de la société requérante, l'administration apporte la preuve, dont la charge lui incombe, de la volonté de la société d'éluder l'impôt et, par suite, du manquement délibéré justifiant la majoration prévue à l'article L. 1729 du code général des impôts.
15. Le juge de l'impôt, après avoir exercé son plein contrôle sur les faits invoqués et la qualification retenue par l'administration, décide, dans chaque cas, selon les résultats de ce contrôle, soit de maintenir la majoration effectivement encourue au taux prévu par la loi, sans pouvoir moduler celui-ci pour tenir compte de la gravité de la faute commise par le contribuable, soit de ne laisser à la charge du contribuable que les intérêts de retard. Dès lors, la société requérante ne peut pas utilement demander que la majoration soit ramenée au taux de 10%.
16. Il résulte de tout ce qui précède que la SARL La Ferme des Epis n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Caen a rejeté sa demande. Par voie de conséquence, ses conclusions relatives aux frais liés au litige doivent être rejetées.
D E C I D E :
Article 1er : La requête de la SARL La Ferme des Epis est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à la société à responsabilité limitée La Ferme des Epis et au ministre de l'économie, des finances et de la relance.
Délibéré après l'audience du 24 juin 2021, à laquelle siégeaient :
- M. Bataille, président de chambre,
- M. D..., président assesseur,
- M. Brasnu, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 8 juillet 2021.
Le rapporteur,
J.E. D...Le président,
F. Bataille
La greffière,
E. Haubois
La République mande et ordonne au ministre de l'économie, des finances et de la relance en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 19NT03327