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29/06/2021 | FRANCE | N°20NT03254

France | France, Cour administrative d'appel de Nantes, 6ème chambre, 29 juin 2021, 20NT03254


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. C... E... a demandé au tribunal administratif de Nantes d'annuler la décision du 15 mars 2016 par laquelle le ministre chargé du travail a, d'une part, annulé la décision du 17 juillet 2015 de l'inspecteur du travail de la 36ème section de l'unité territoriale de Loire-Atlantique refusant à la société nationale d'exploitation industrielle des tabacs et allumettes (SEITA) l'autorisation de le licencier et, d'autre part, accordé cette autorisation.

Par un jugement nos 1602133, 1604622 du 13 juin

2017, le tribunal administratif de Nantes a rejeté sa demande.

Par un arrêt no...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. C... E... a demandé au tribunal administratif de Nantes d'annuler la décision du 15 mars 2016 par laquelle le ministre chargé du travail a, d'une part, annulé la décision du 17 juillet 2015 de l'inspecteur du travail de la 36ème section de l'unité territoriale de Loire-Atlantique refusant à la société nationale d'exploitation industrielle des tabacs et allumettes (SEITA) l'autorisation de le licencier et, d'autre part, accordé cette autorisation.

Par un jugement nos 1602133, 1604622 du 13 juin 2017, le tribunal administratif de Nantes a rejeté sa demande.

Par un arrêt nos 17NT02451 à 17NT02457, 17NT02745, 17NT03136 du 26 décembre 2018, la cour administrative d'appel de Nantes a annulé le jugement du tribunal administratif ainsi que l'autorisation de licenciement du 15 mars 2016.

Par une décision n° 428431 du 9 octobre 2020, le Conseil d'Etat, statuant au contentieux, saisi d'un pourvoi formé par la SEITA, a annulé cet arrêt et a renvoyé devant la cour l'affaire, qui porte désormais le n° 20NT03254.

Procédure devant la cour :

Avant cassation :

Par une requête, enregistrée le 3 août 2017, M. E..., représenté par Me B..., demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de Nantes du 13 juin 2017 ;

2°) d'annuler la décision du 15 mars 2016 ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat le versement d'une somme de 1 500 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- en faisant référence alternativement aux difficultés économiques de l'entreprise ou à sa réorganisation en vue de sauvegarder la compétitivité, l'administration ne l'a pas mis à même de connaître le motif retenu pour autoriser le licenciement ;

- l'administration n'a pas procédé au contrôle de la réalité du motif économique et a retenu des données erronées ; la menace sur la compétitivité est à relativiser car la baisse du chiffre d'affaires se limite aux marchés européens, alors que le marché mondial du tabac connaît une croissance continue ;

- le groupe Imperial Tobacco a un seul et unique secteur d'activité correspondant au secteur du tabac ;

- une réorganisation ne doit pas être justifiée par le seul souci de réaliser des économies ou d'augmenter la rentabilité dans une entreprise financièrement saine alors que la valeur de l'action et les dividendes distribués ont augmenté.

Par un mémoire en défense, enregistré le 31 janvier 2018, la SEITA, représentée par Me G..., conclut au rejet de la requête et à ce qu'une somme de 3 000 euros soit mise à la charge de M. E... au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que les moyens ne sont pas fondés.

Après cassation :

Par des mémoires, enregistrés les 20 janvier 2021 et 1er avril 2021, la SEITA, représentée par Me A... de la Naulte, conclut aux mêmes fins par les mêmes moyens.

Par un mémoire, enregistré le 12 mars 2021, M. E..., représenté par Me B..., conclut aux mêmes fins par les mêmes moyens et soutient, en outre, que la décision du 15 mars 2016 est insuffisamment motivée.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code du travail ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme F...,

- les conclusions de M. Lemoine, rapporteur public,

- et les observations de Me D..., substituant Me A... de la Naulte, représentant la SEITA.

Considérant ce qui suit :

1. La Société nationale d'exploitation industrielle des tabacs et allumettes (SEITA), filiale française du groupe Imperial Tobacco, a sollicité l'autorisation de licencier pour motif économique M. E..., salarié protégé de la société, dans le cadre du projet de fermeture de son site de production situé à Carquefou. Par une décision du 17 juillet 2015, l'inspecteur du travail de la 36ème section de l'unité territoriale de Loire-Atlantique a refusé d'autoriser la SEITA à licencier M. E.... Toutefois, par une décision du 15 mars 2016, le ministre du travail, de l'emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social a annulé cette décision de l'inspecteur du travail et accordé l'autorisation de licenciement sollicitée. Par un jugement du 13 juin 2017, le tribunal administratif de Nantes a rejeté la demande de M. E... tendant à l'annulation de la décision du ministre du travail. Par un arrêt du 26 décembre 2018, la cour administrative d'appel de Nantes a annulé le jugement ainsi que la décision du ministre. Par une décision n° 428431 du 9 octobre 2020, le Conseil d'Etat, saisi d'un pourvoi formé par la SEITA, a annulé cet arrêt et a renvoyé devant la cour l'affaire.

Sur la motivation de la décision du 15 mars 2016 :

2. La décision du ministre chargé du travail du 15 mars 2016 vise le code du travail, et notamment son article L. 2411-1 relatif à la protection contre le licenciement dont bénéficient les salariés protégés. Si les dispositions spécifiques de ce code relatives au licenciement pour motif économique et à l'obligation de reclassement ne sont pas expressément visées, une telle omission n'est pas de nature à entacher la motivation d'insuffisance, dès lors que le ministre s'est prononcé de manière précise, tout d'abord, et sans ambiguïté contrairement à ce que soutient M. E..., sur le motif économique du licenciement résultant de la nécessité de procéder à une réorganisation pour sauvegarder sa compétitivité, ensuite, sur le respect par l'employeur de l'obligation de reclassement et, enfin, sur l'absence de lien entre la demande d'autorisation de licenciement avec le mandat exercé par l'intéressé. Ainsi, le requérant qui pouvait à la seule lecture de la décision connaître les motifs de l'annulation de la décision de l'inspecteur du travail et de l'autorisation de licenciement accordée par le ministre n'est pas fondé à soutenir qu'elle serait, en l'espèce, insuffisamment motivée. Par suite, le moyen tiré du caractère insuffisant de la motivation de l'acte en litige doit être écarté.

Sur le motif économique du licenciement :

3. En vertu des dispositions du code du travail, le licenciement des salariés légalement investis de fonctions représentatives, qui bénéficient, dans l'intérêt de l'ensemble des travailleurs qu'ils représentent, d'une protection exceptionnelle, est subordonné à une autorisation de l'inspecteur du travail dont dépend l'établissement. Lorsque le licenciement d'un de ces salariés est envisagé, ce licenciement ne doit pas être en rapport avec les fonctions représentatives normalement exercées ou l'appartenance syndicale de l'intéressé. Dans le cas où la demande d'autorisation de licenciement est fondée sur un motif à caractère économique, il appartient à l'inspecteur du travail et, le cas échéant, au ministre de rechercher, sous le contrôle du juge de l'excès de pouvoir, si la situation de l'entreprise justifie le licenciement, en tenant compte notamment de la nécessité des réductions envisagées d'effectifs et de la possibilité d'assurer le reclassement du salarié dans l'entreprise ou au sein du groupe auquel appartient cette dernière. En outre, pour refuser l'autorisation sollicitée, l'autorité administrative a la faculté de retenir des motifs d'intérêt général relevant de son pouvoir d'appréciation de l'opportunité, sous réserve qu'une atteinte excessive ne soit pas portée à l'un ou l'autre des intérêts en présence.

4. Aux termes de l'article L. 1233-3 du code du travail, dans sa rédaction applicable au litige : " Constitue un licenciement pour motif économique le licenciement effectué par un employeur pour un ou plusieurs motifs non inhérents à la personne du salarié résultant d'une suppression ou transformation d'emploi ou d'une modification, refusée par le salarié, d'un élément essentiel du contrat de travail, consécutives notamment à des difficultés économiques ou à des mutations technologiques ". La sauvegarde de la compétitivité de l'entreprise peut constituer un motif économique, à la condition que soit établie une menace pour la compétitivité de l'entreprise, laquelle s'apprécie, lorsque l'entreprise appartient à un groupe, au niveau du secteur d'activité dont relève l'entreprise en cause au sein du groupe.

En ce qui concerne les erreurs de fait :

5. Après avoir rappelé que la SEITA appartient au groupe Imperial Tobacco et que " la demande de licenciement évoque le secteur des tabacs lequel représente 66% du chiffre d'affaires de l'entreprise SEITA " et avoir mentionné que le chiffre d'affaires mondial du tabac du groupe Imperial Tobacco a baissé de 7,2% en 2014, que le résultat de ce même secteur d'activité s'est déprécié de 4,8% pour la même période et que les mauvais résultats découlent principalement d'une baisse importante du chiffre d'affaires européen qui représente 70% du chiffre d'affaires mondial du groupe, le ministre du travail a estimé que la réalité d'une menace pesant sur la compétitivité du secteur d'activité tabac du groupe Imperial Tobacco était établie.

6. En premier lieu, si le ministre a mentionné par erreur que le tabac représente 66% du chiffre d'affaires de l'entreprise SEITA alors qu'en réalité il en constitue l'intégralité, cette erreur matérielle est restée en l'espèce sans influence sur la détermination du périmètre à prendre en compte pour apprécier la menace pesant sur la compétitivité avancée par la société.

7. En deuxième lieu, les erreurs ayant conduit à mentionner à tort une diminution de 7,2% du chiffre d'affaires mondial de tabac à la place de 6,2% et une dépréciation de 4,8% du résultat de ce secteur d'activité au lieu de 5,1% sont matérielles et n'ont pas eu d'incidence sur le sens de la décision en litige dès lors qu'elles ne modifient substantiellement ni le sens ni l'ampleur de ces variations.

8. En troisième lieu, il ressort des pièces du dossier que le pourcentage de 70% de chiffre d'affaires européen mentionné dans la décision en cause n'est pas erroné dès lors qu'il constitue la part des chiffres d'affaires cumulés du Royaume-Uni, de l'Allemagne, de l'Espagne et du reste de l'Union européenne dans le total du chiffre d'affaires du secteur tabac pour l'année 2013 mentionné dans le tableau " anciens secteurs chiffre d'affaires " du rapport d'activité de cette année.

En ce qui concerne le secteur d'activité pris en compte pour l'appréciation de menace pour la compétitivité :

9. Il ressort de la décision en litige que le ministre du travail a estimé que la cause économique alléguée à l'appui de la demande d'autorisation de licenciement devait être appréciée au niveau mondial au niveau du secteur du tabac, qui constitue un secteur d'activité spécifique au sein du groupe Imperial Tobacco. Dès lors qu'il ressort des pièces du dossier que le groupe Imperial Tobacco est composé de deux secteurs d'activités distincts, le secteur de l'activité tabac relatif à la production et à la vente de tabac et de produits liés au tabac qui représente 90% de l'activité du groupe et le secteur de l'activité logistique relatif à la distribution des produits de tabac et de produits et services non liés au tabac, il n'a, ce faisant, pas commis d'erreur d'appréciation en retenant que le secteur du tabac constituait un secteur d'activité spécifique au sein du groupe Imperial Tobacco.

En ce qui concerne l'erreur d'appréciation :

10. Il ressort des pièces du dossier que le groupe Imperial Tobacco, qui réalise plus de la moitié du chiffre d'affaires de son secteur tabac en Europe où la production et la consommation de tabac ont diminué en volume de plus de 30 % entre 2002 et 2013, enregistrait depuis 2009 une diminution significative de ses ventes de cigarettes. Le rapport d'activité de l'année 2014 du groupe mentionne un chiffre d'affaires net tabac de 6 576 millions de livres sterling au titre de l'exercice clos le 30 septembre 2014, révisé ultérieurement à 6 421 millions de livres sterling, alors qu'il était de 7 007 millions de livres sterling l'exercice précédent, soit en diminution dans les proportions évoquées précédemment à périmètre constant, tout en indiquant dans sa synthèse une augmentation de 2% des recettes nettes du tabac, incluant des retraitements comptables liés à une opération exceptionnelle de réduction des stocks et des effets de change. Le rapport d'activité de l'année 2015 mentionne un chiffre d'affaires net tabac de 6 251 millions de livres sterling au titre de l'exercice clos le 30 septembre 2015 alors qu'il était de 6 421 millions de livres sterling l'exercice précédent. Si le chiffre d'affaires, après prise en compte des retraitements conjoncturels précités, avait augmenté de 2 % en 2014 et 3 % en 2015, cette inversion de tendance récente n'était pas de nature à remettre en cause les tendances structurelles de l'activité, caractérisées par une forte et régulière rétractation du marché européen du tabac et par la réduction constante de la consommation de tabac sur ce marché, sur lequel ce secteur d'activité réalise la plus grande part de son chiffre d'affaires. Dans ces conditions, la réalité du motif économique allégué à l'appui de la demande d'autorisation de licenciement est établie. Par suite, le moyen tiré de la méconnaissance de l'article L. 1233-3 du code du travail doit être écarté.

11. Il résulte de tout ce qui précède que M. E... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nantes a rejeté sa demande.

Sur les frais liés au litige :

12. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'une somme soit mise à la charge de la SEITA, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante. Il n'y a par ailleurs pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de M. E... la somme demandée par la SEITA au titre des mêmes dispositions.

DECIDE :

Article 1er : La requête de M. E... est rejetée.

Article 2 : Les conclusions de la SEITA au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à M. C... E..., à la Société nationale d'exploitation industrielle des tabacs et allumettes et au ministre du travail, de l'emploi et de l'insertion.

Délibéré après l'audience du 11 juin 2021, à laquelle siégeaient :

- M. Gaspon, président de chambre,

- M. Coiffet, président-assesseur,

- Mme F..., première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 29 juin 2021.

La rapporteure, Le président,

F. F... O. GASPON

La greffière,

P. CHAVEROUX

La République mande et ordonne au ministre du travail, de l'emploi et de l'insertion en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

N° 20NT032542

1


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Nantes
Formation : 6ème chambre
Numéro d'arrêt : 20NT03254
Date de la décision : 29/06/2021
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : M. GASPON
Rapporteur ?: Mme Fanny MALINGUE
Rapporteur public ?: M. LEMOINE
Avocat(s) : GHENIM

Origine de la décision
Date de l'import : 06/07/2021
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.nantes;arret;2021-06-29;20nt03254 ?
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