Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. F... K..., Mme L... K... épouse G..., M. Q... K..., Mme O... K... épouse E..., Mme M... K... et Mme B... K... épouse C... ont demandé au tribunal administratif d'Orléans de condamner l'Etat à leur verser la somme de 240 000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation de la faute résultant de l'incorporation erronée de leur propriété dans le domaine public fluvial.
Par un jugement n° 1800254 du 11 février 2020, le tribunal administratif d'Orléans a rejeté cette demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête et un mémoire, enregistrés le 23 juillet 2020 et le 4 mars 2021, M. F... K..., Mme L... K... épouse G..., M. Q... K..., Mme O... K... épouse E..., Mme M... K... et Mme B... K... épouse C..., représentés par Me H..., demandent à la cour :
1°) d'annuler le jugement n° 1800254 du tribunal administratif d'Orléans du 11 février 2020 ;
2°) de condamner l'Etat à leur verser la somme de 240 000 euros en réparation de leur préjudice ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 500 euros à verser au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Ils soutiennent que :
- la responsabilité de l'Etat est engagée :
o la responsabilité de l'Etat est engagée en raison d'une erreur dans la consistance du domaine public fluvial en méconnaissance des dispositions des articles L. 2111-7, L. 2111-9, L. 2111-10 et L. 2111-14 du code général de la propriété des personnes publiques ; leur propriété est riveraine du quai Henri Chavigny qui est affecté à la circulation terrestre et relève du domaine public routier ; la limite du domaine public fluvial est située entre la Loire et le quai à hauteur des eaux coulant à pleins bords ; une digue artificielle n'entre pas dans le champ du domaine public fluvial défini par l'article L. 2111-10 du code ; il n'est pas établi que l'arrêt du Conseil d'Etat du Roi du 23 juillet 1783 portant règlement pour la navigation de la Loire a été régulièrement promulgué par le Parlement alors territorialement compétent ; l'immeuble a été édifié avant le plan d'alignement de la traverse de Blois dressé le 25 février 1874 ; ce plan d'alignement n'a pas eu pour effet de délimiter le domaine public fluvial et ne peut être invoqué par le préfet ;
o à titre subsidiaire, à supposer que leur propriété soit effectivement implantée sur le domaine public, la responsabilité de l'Etat est engagée pour méconnaissance des stipulations de l'article 1er du protocole additionnel n° 1 à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ; ils se sont crus légitimement propriétaires du bien, alors que l'administration a toléré la situation pendant cinquante ans sans exiger la signature d'une convention d'occupation précaire ou le versement d'une redevance d'occupation ; ils justifient d'une espérance légitime d'être propriétaires de ce bien ; l'Etat ne justifie d'aucun but d'intérêt général justifiant du maintien de ce bien dans le domaine public fluvial ;
- il existe un lien de causalité avec leur préjudice puisque depuis 2007, ils ont été empêchés de vendre leur maison en raison de l'erreur commise par le préfet de Loir-et-Cher dans la délimitation du domaine public fluvial ;
- en ce qui concerne les préjudices :
o à titre principal, les troubles résultant de l'impossibilité de vendre la maison depuis 2007 doivent être réparés à hauteur de 20 000 euros ;
o à titre subsidiaire, leur préjudice résulte de la privation de la propriété du bien et doit être réparé à hauteur de 240 000 euros, représentant la valeur vénale de l'immeuble.
Par un mémoire en défense, enregistré le 15 décembre 2020, la ministre de la transition écologique et solidaire conclut au rejet de la requête.
Elle soutient que :
- l'Etat n'a pas commis de faute dans la détermination du domaine public fluvial en méconnaissance de l'article L. 2111-10 du code général de la propriété des personnes publiques et de l'article L. 2124-18 du même code, qui est issue de l'arrêté du Conseil d'Etat du Roi du 23 juillet 1783 portant règlement pour la navigation de la Loire ;
- les stipulations de l'article 1er du premier protocole additionnel à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales n'ont pas été méconnues compte tenu des principes régissant le domaine public qui poursuivent un but légitime d'intérêt général ; l'Etat a proposé plusieurs fois aux consorts K... une autorisation d'occupation du domaine public moyennant une redevance modique et n'a jamais demandé la démolition de l'immeuble.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le code général de la propriété des personnes publiques ;
- le code des relations entre le public et l'administration ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme R..., première conseillère,
- les conclusions de M. Besse, rapporteur public,
- et les observations de Me D..., représentant les consorts K....
Considérant ce qui suit :
1. M. A... K... a acquis, par jugement d'adjudication du tribunal civil de première instance de Blois du 5 juillet 1956, un ensemble immobilier situé aujourd'hui 65 quai Chavigny à Blois (Loir-et-Cher), sur la parcelle cadastrée CY n° 38 devenue ultérieurement la parcelle CY n° 513 puis CY n° 519. Cette propriété est désormais la propriété indivise de ses héritiers, M. F... K..., Mme L... K... épouse G..., M. Q... K..., Mme O... K..., Mme M... K... et Mme B... K... épouse C.... Par un courrier du 14 juin 2007, le directeur départemental de l'équipement et de l'agriculture de Loir-et-Cher a indiqué aux intéressés que la partie bâtie de la parcelle se situait sur le domaine public fluvial et était frappée d'alignement. Ce courrier a été confirmé, dans le cadre d'une demande de certificat d'urbanisme, par cette même autorité par un courrier du 10 novembre 2009. Par un jugement du 11 juillet 2013, le tribunal administratif d'Orléans a rejeté le recours des propriétaires dirigé contre les courriers du 14 juin 2007 et du 10 novembre 2009. Par un courrier du 2 octobre 2013, le conseil des consorts K... a demandé au préfet de Loir-et-Cher de procéder à la délimitation du domaine public fluvial au droit de la parcelle en cause. Par un courrier du 2 décembre 2013, le directeur départemental des territoires lui a indiqué que la délimitation du domaine public fluvial avait été déjà fixée par le plan d'alignement de la traverse de Blois dressé le 25 février 1874 et validé le 16 novembre 1880 et a confirmé l'implantation de la maison de la parcelle sur le domaine public fluvial. Saisi d'un recours contre cette décision, le tribunal administratif d'Orléans l'a rejeté par un jugement du 16 juin 2015. Par un arrêt du 17 juin 2016, la cour administrative d'appel de Nantes a rejeté l'appel de M. K... dirigé contre ce jugement du tribunal administratif d'Orléans du 16 juin 2015.
2. Postérieurement, par un courrier du 25 août 2016, le conseil des consorts K... a demandé au préfet de Loir-et-Cher de réviser sa position quant à l'implantation de l'immeuble en cause sur le domaine public fluvial. Par un courrier du 14 octobre 2016, le directeur départemental des territoires a rejeté cette demande. Les consorts K... ont saisi, par courrier du 18 septembre 2017 reçu le 21 septembre suivant, le préfet de Loir-et-Cher d'une demande indemnitaire. N'ayant obtenu aucune réponse explicite, les consorts K... ont saisi le tribunal administratif d'Orléans d'une demande tendant à la condamnation de l'Etat à leur verser une somme de 240 000 euros à titre de dommages et intérêts. Ils relèvent appel du jugement du 11 février 2020 par lequel le tribunal administratif d'Orléans a rejeté leur demande.
Sur le bien-fondé du jugement attaqué :
En ce qui concerne la responsabilité :
3. L'article L. 2111-10 du code général de la propriété des personnes publiques dispose que : " Le domaine public fluvial artificiel est constitué : (...) 2° Des ouvrages ou installations appartenant à l'une de ces personnes publiques, qui sont destinés à assurer l'alimentation en eau des canaux et plans d'eau ainsi que la sécurité et la facilité de la navigation, du halage ou de l'exploitation ; (...) ". Par ailleurs, l'article L. 2124-18 du code général de la propriété des personnes publiques dispose que : " L'édification de toute construction est interdite sur les terrains compris entre les digues et la rivière, sur les digues et levées, ou sur les îles. / Du côté du val, les ouvrages, plantations, constructions, excavations et clôtures situés à moins de 19,50 mètres du pied des levées sont soumis à autorisation préfectorale. L'autorisation prescrit les mesures nécessaires pour assurer, en toutes circonstances, la sécurité des biens et des personnes, l'accès aux ouvrages de protection, leur entretien ou leur fonctionnement. / En cas de non-respect de ces dispositions, le contrevenant est passible d'une amende de 150 à 12 000 euros. Il doit, après mise en demeure préalable, procéder à la remise en état des lieux ". Cet article a remplacé, à partir de l'année 2006, les dispositions de l'article 59 du code du domaine public fluvial et de la navigation intérieure, antérieurement code des voies navigables et de la navigation intérieure, qui elles-mêmes procédaient à la codification des dispositions adoptées par l'arrêt du Conseil d'Etat du Roi du 23 juillet 1783.
4. Il est constant que le quai Henri Chavigny, au droit duquel se trouve la parcelle qui abrite l'immeuble d'habitation appartenant aux consorts K..., a été réalisé au XIXème siècle sur une levée érigée le long de la Loire en traversée de la commune de Blois, cette levée ayant elle-même été construite à la fin du XVIIIème siècle ou au début du XIXème siècle. Le long de ce quai sont édifiés plusieurs immeubles, la plupart en retrait de la voie, et certains, comme l'immeuble des consorts K..., en bordure de l'emprise de la voie publique. La levée dressée le long de la Loire pour en canaliser le flot peut être regardée comme un ouvrage destiné à assurer la sécurité et la facilité de la navigation et est donc susceptible de faire partie du domaine public fluvial artificiel à condition d'appartenir à une personne publique, comme le précise le 2° de l'article L. 2111-10 du code général de la propriété des personnes publiques. En l'espèce, à supposer même que l'immeuble litigieux soit implanté sur la levée elle-même, il résulte de l'instruction et notamment des différents titres de propriété produits, que la parcelle sur laquelle la maison d'habitation en cause est construite n'est pas la propriété de l'Etat, ni d'aucune autre personne publique. Il résulte en effet de l'instruction que le terrain vierge, inclus dans un ensemble plus grand de plus d'un hectare, appartenait dans la première moitié du XIXème siècle à M. P... qui l'a vendu en 1852 à M. J..., lequel a procédé à la construction de plusieurs bâtiments, dont une usine de fabrication de poterie, sur la base d'une autorisation délivrée par arrêté du préfet de Loir-et-Cher du 8 novembre 1859. L'ensemble a de nouveau été cédé en 1864 à M. N.... La portion de ce terrain sur laquelle avait été érigée la maison litigieuse a été cédée à M. I... puis ultérieurement par voie d'adjudication, en 1956 à M. A... K..., père de M. F... K..., premier appelant dans la présente instance. Dans ces conditions, il ne résulte aucunement de l'instruction que la parcelle située au 65 quai Henri Chavigny à Blois serait la propriété de l'Etat ou d'une autre personne publique.
5. Pour établir que l'immeuble érigé sur cette parcelle serait situé sur le domaine public fluvial, le préfet de Loir-et-Cher invoque un " plan d'alignement de la traverse de Blois " établi en 1874. Sur ce plan, qui procède à l'alignement de la voie publique constituée par le quai Henri Chavigny, figurent, matérialisée par une ligne rouge en-deçà de laquelle se situe l'immeuble alors appartenant à la famille N..., les limites résultant, comme le précise la légende du plan, de l'application de l'arrêt du Conseil d'Etat du Roi du 23 juillet 1783. Néanmoins, les dispositions de l'arrêt du Conseil d'Etat du Roi du 23 juillet 1783, ultérieurement codifiées dans le code du domaine public fluvial et de la navigation puis à l'article L. 2124-18 du code général de la propriété des personnes publiques, ont pour objet d'interdire ou de soumettre à autorisation la construction d'immeubles dans des zones définies parallèlement aux levées longeant la Loire ou d'instituer des servitudes de reculement par rapport à un tel ouvrage. Ces dispositions n'ont ni pour objet ni pour effet d'entrainer la propriété de l'Etat sur les terrains compris dans les délimitations qu'elles instituent, ni par voie de conséquence leur intégration automatique dans le domaine public fluvial artificiel. Dans ces conditions, la circonstance que l'immeuble appartenant désormais aux consorts K... figure pour sa plus grande partie au sein de la bande définie par le plan d'alignement précité de 1874 dressé pour l'application de l'arrêt du Conseil d'Etat du Roi de 1783 ne saurait avoir entraîné son classement dans le domaine public fluvial, dès lors que la parcelle sur laquelle l'immeuble est implanté n'appartient pas à une personne publique.
6. Il résulte de tout ce qui précède que les consorts K... sont fondés à soutenir que c'est à tort que par le jugement attaqué, le tribunal administratif d'Orléans a considéré que les services de la direction départementale des territoires du Loir-et-Cher n'avaient pas commis de faute en affirmant, en dernier lieu par le courrier du 14 octobre 2016, que l'immeuble appartenant aux consorts K... était implanté sur le domaine public fluvial.
En ce qui concerne la réparation :
7. Il résulte de l'instruction qu'en affirmant, depuis 2007, que la maison située 65 quai Henri Chavigny était implantée sur le domaine public fluvial et en demandant que d'éventuels acheteurs soient informés de cette circonstance afin qu'une convention d'occupation du domaine public soit conclue avec ces derniers, l'action des services de la préfecture de Loir-et-Cher a rendu beaucoup plus difficile la vente de leur immeuble par les consorts K... qui souhaitaient procéder à cette vente depuis l'année 2007, comme ils en justifient notamment en produisant une promesse de vente conclue cette année-là. Il sera fait une juste appréciation du préjudice subi par les consorts K... du fait des difficultés ayant surgi sur le statut de la parcelle en leur allouant la somme de 10 000 euros.
Sur les frais du litige :
8. Il y a lieu dans les circonstances de l'espèce de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 500 euros à verser aux consorts K... en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
DECIDE :
Article 1er : Le jugement n° 1800254 du tribunal administratif d'Orléans du 11 février 2020 est annulé.
Article 2 : L'Etat est condamné à verser à M. F... K..., à Mme L... K... épouse G..., M. Q... K..., Mme O... K..., Mme M... K... et Mme B... K... épouse C... la somme de 10 000 euros à titre de dommages et intérêts.
Article 3 : L'Etat versera à M. F... K..., à Mme L... K... épouse G..., M. Q... K..., Mme O... K..., Mme M... K... et Mme B... K... épouse C... la somme de 1 500 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Le surplus des demandes des consorts K... devant le tribunal administratif d'Orléans et de leurs conclusions d'appel est rejeté.
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à M. F... K..., représentant unique désigné par la SELARL Casadei-Jung et associés, mandataire, et à la ministre de la transition écologique et solidaire.
Une copie sera adressée pour information au préfet de Loir-et-Cher.
Délibéré après l'audience du 18 mai 2021, à laquelle siégeaient :
- M. Lainé, président de chambre,
- M. Rivas, président-assesseur,
- Mme R..., première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 4 juin 2021.
La rapporteure,
M. R...Le président,
L. LAINÉ
La greffière,
V. DESBOUILLONS
La République mande et ordonne à la ministre de la transition écologique et solidaire en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 20NT02191