Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
La caisse primaire d'assurance maladie de l'Orne a demandé au tribunal administratif de Caen de condamner le centre hospitalier intercommunal d'Alençon-Mamers à lui verser la somme de 80 369,35 euros majorée des intérêts de droit et de leur capitalisation, en remboursement des débours versés à son assurée, Mme E... C....
Par un jugement n°1702128 du 4 décembre 2019, le tribunal administratif de Caen a fait en totalité droit à sa demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête et des mémoires enregistrés les 6 février, 4 mars et 19 mai 2020 le centre hospitalier intercommunal d'Alençon-Mamers, représenté par Me D..., demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du 4 décembre 2019 ;
2°) de rejeter la demande de la caisse primaire d'assurance maladie.
Il soutient que :
- le jugement n'est pas suffisamment motivé ;
- l'infection contractée par Mme C... ne peut être regardée comme présentant un caractère nosocomial ; l'infection n'est pas en lien avec l'intervention chirurgicale du 23 décembre 2006 dont les suites ont été simples ; l'infection s'est déclarée au centre hospitalier de Mortagne en janvier 2007 ;
- l'état antérieur de la patiente a joué un rôle causal dans la survenue de l'infection à hauteur de 80% ;
- les débours antérieurs au 24 mars 2007, non justifiés, ne peuvent être remboursés ;
- subsidiairement, il appartenait au tribunal administratif d'appliquer le coefficient de perte de chance de 20% à la créance de la CPAM.
Par un mémoire en défense enregistré le 16 avril 2020 la caisse primaire d'assurance maladie de l'Orne, représentée par Me A..., conclut au rejet de la requête et à ce que soit mise à la charge du centre hospitalier intercommunal d'Alençon-Mamers la somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient qu'aucun moyen invoqué par le centre hospitalier intercommunal d'Alençon-Mamers n'est fondé.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code de la santé publique ;
- le code de la sécurité sociale ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme B...,
- et les conclusions de M. Gauthier, rapporteur public.
Considérant ce qui suit :
1. Mme E... C... a été victime le 23 décembre 2006 d'un accident de la voie publique qui a occasionné une grave fracture-luxation de l'extrémité supérieure du tibia gauche. Elle a été opérée le jour même au centre hospitalier intercommunal (CHI) d'Alençon-Mamers. Des complications infectieuses étant survenues, elle a saisi la commission de conciliation et d'indemnisation (CCI) de Basse-Normandie afin d'obtenir l'indemnisation de ses préjudices. Par un avis du 12 mai 2011, la CCI a estimé que l'intéressée avait contracté une infection nosocomiale au sein du centre hospitalier intercommunal d'Alençon-Mamers et qu'en l'absence de cause étrangère la réparation des préjudices incombait à celui-ci à concurrence de 20 %. L'indemnisation de Mme C... a été prise en charge par l'ONIAM. Par un jugement du 4 décembre 2019, le tribunal administratif de Caen, saisi par la caisse primaire d'assurance maladie de l'Orne, a fait droit en totalité à sa demande et condamné le centre hospitalier intercommunal d'Alençon-Mamers à lui verser la somme de 80 369,35 euros, majorée des intérêts et de leur capitalisation, en remboursement des débours exposés pour son assurée. Le centre hospitalier intercommunal d'Alençon-Mamers relève appel de ce jugement.
Sur les droits de la caisse primaire d'assurance maladie de l'Orne :
2. D'une part, aux termes du I de l'article L. 1142-1 du code de la santé publique : " (...) les professionnels de santé (...) ainsi que tout établissement, service ou organisme dans lesquels sont réalisés des actes individuels de prévention, de diagnostic ou de soins ne sont responsables des conséquences dommageables d'actes de prévention, de diagnostic ou de soins qu'en cas de faute. / Les établissements, services et organismes susmentionnés sont responsables des dommages résultant d'infections nosocomiales, sauf s'ils rapportent la preuve d'une cause étrangère. ". Aux termes de l'article L. 1142-1-1 de ce code : " Sans préjudice des dispositions du septième alinéa de l'article L. 1142-17, ouvrent droit à réparation au titre de la solidarité nationale / : 1° Les dommages résultant d'infections nosocomiales dans les établissements, services ou organismes mentionnés au premier alinéa du I de l'article L. 1142-1 correspondant à un taux d'atteinte permanente à l'intégrité physique ou psychique supérieur à 25 % déterminé par référence au barème mentionné au II du même article, ainsi que les décès provoqués par ces infections nosocomiales (...) ". L'article D.1142-1 du code précise enfin : " Le pourcentage mentionné au dernier alinéa de l'article L. 1142-1 est fixé à 24 %. / Présente également le caractère de gravité mentionné au II de l'article L. 1142-1 un accident médical, une affection iatrogène ou une infection nosocomiale ayant entraîné, pendant une durée au moins égale à six mois consécutifs ou à six mois non consécutifs sur une période de douze mois, un arrêt temporaire des activités professionnelles ou des gênes temporaires constitutives d'un déficit fonctionnel temporaire supérieur ou égal à un taux de 50 %(...) ".
3. D'autre part, il résulte des dispositions du septième alinéa de l'article L. 1142-17 et du deuxième alinéa de l'article L. 1142-21 du code de la santé publique que le législateur, dérogeant dans cette hypothèse aux dispositions du second alinéa du I de l'article L. 1142-1, qui prévoit un régime de responsabilité de plein droit des établissements de santé en cas d'infection nosocomiale, a entendu que la responsabilité de l'établissement où a été contractée une infection nosocomiale dont les conséquences présentent le caractère de gravité défini à l'article L. 1142-1-1 ne puisse être recherchée qu'en cas de faute établie à l'origine du dommage, notamment un manquement caractérisé aux obligations posées par la réglementation en matière de lutte contre les infections nosocomiales. Il suit de là que, lorsque le degré de gravité des dommages résultant de l'infection nosocomiale excède le seuil prévu à l'article L. 1142-1-1, c'est seulement au titre d'une telle faute qu'une caisse de sécurité sociale ayant versé des prestations à la victime peut exercer une action subrogatoire contre l'établissement où l'infection a été contractée.
4. Il résulte de l'instruction, et en particulier des conclusions du rapport des experts missionnés par la commission régionale de conciliation et d'indemnisation des accidents médicaux de Basse-Normandie et de l'avis rendu par cette dernière, que l'intervention d'ostéosynthèse de la fracture luxation dont était atteinte Mme C... est à l'origine d'une infection qui ne peut être rattachée à une cause étrangère et dont les suites ont entraîné pour la victime un déficit fonctionnel temporaire d'au moins 50% pour une durée supérieure à six mois. Par suite, l'obligation de l'ONIAM au titre de la solidarité nationale était engagée à l'égard de Mme C..., mais pas du ou des tiers payeurs.
5. Il résulte également de l'appréciation portée par les experts mentionnés ci-dessus, qui n'est contredite par aucun des éléments du dossier, que l'indication opératoire, la réalisation de l'intervention chirurgicale, ainsi que le suivi et les thérapeutiques mises en oeuvre étaient justifiées et ont été conformes aux données de la science médicale. Ainsi aucun élément de l'instruction n'établit que l'infection dont a été atteinte Mme C... serait imputable à une faute du centre hospitalier d'Alençon Mamers, notamment à un manquement caractérisé aux obligations posées par la réglementation en matière de lutte contre les infections nosocomiales. Dans ces conditions, le recours subrogatoire de la CPAM à l'encontre du centre hospitalier, subordonné à l'existence d'une faute commise par ce dernier, ne pouvait être accueilli.
6. Il résulte de ce qui précède que le centre hospitalier intercommunal Alençon-Mamers est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Caen a mis à sa charge le versement à la caisse primaire d'assurance maladie de l'Orne de la somme de 80 369,35 euros majorée des intérêts capitalisés.
Sur les frais liés au litige :
7. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mis à la charge du centre hospitalier intercommunal d'Alençon-Mamers qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, le versement d'une somme au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Les conclusions présentées à ce titre par la caisse primaire d'assurance maladie de l'Orne ne peuvent dès lors être accueillies.
8. En revanche, dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de mettre à la charge de la caisse primaire d'assurance maladie de l'Orne la somme de 1 500 euros qui sera versée au centre hospitalier intercommunal d'Alençon-Mamers au titre des frais exposés et non compris dans les dépens.
DECIDE :
Article 1er : Le jugement n° n°1702128 du tribunal administratif de Caen du 4 décembre 2019 est annulé.
Article 2 : La demande présentée par la caisse primaire d'assurance maladie de l'Orne devant le tribunal administratif de Caen est rejetée.
Article 3 : La caisse primaire d'assurance maladie de l'Orne versera au centre hospitalier intercommunal d'Alençon-Mamers la somme de 1 500 euros au titre de l'article L 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié au centre hospitalier intercommunal d'Alençon-Mamers et à la caisse primaire d'assurance maladie du Calvados.
Délibéré après l'audience du 20 mai 2021, à laquelle siégeaient :
- Mme Perrot présidente,
- Mme B..., présidente-assesseure,
- M. Berthon, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 4 juin 2021.
La rapporteure
C. B...
La présidente
I. Perrot
La greffière
A Martin
La République mande et ordonne au ministre des solidarités et de la santé en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 20NT00413