La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

28/05/2021 | FRANCE | N°20NT03421

France | France, Cour administrative d'appel de Nantes, 2ème chambre, 28 mai 2021, 20NT03421


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. G... I... D... et Mme E... D..., agissant tant en leur nom personnel qu'au nom de leurs trois enfants mineurs, ont demandé au tribunal administratif de Nantes d'annuler la décision implicite par laquelle la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a rejeté le recours formé contre la décision implicite des autorités consulaires françaises à Islamabad rejetant les demandes de visas d'entrée et de long séjour en France présentées en faveur de leur famille.

Par un jugement n° 1907214 du 2 janvier 2020, le tribunal administratif de Nantes ...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. G... I... D... et Mme E... D..., agissant tant en leur nom personnel qu'au nom de leurs trois enfants mineurs, ont demandé au tribunal administratif de Nantes d'annuler la décision implicite par laquelle la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a rejeté le recours formé contre la décision implicite des autorités consulaires françaises à Islamabad rejetant les demandes de visas d'entrée et de long séjour en France présentées en faveur de leur famille.

Par un jugement n° 1907214 du 2 janvier 2020, le tribunal administratif de Nantes a rejeté leur demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête et un mémoire, enregistrés le 1er novembre 2020 et le 7 mai 2021, M. G... I... D... et Mme E... D..., agissant tant en leur nom personnel qu'au nom de leurs trois enfants mineurs, représentés par Me F..., demandent à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du 2 janvier 2020 ;

2°) d'annuler la décision implicite de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France ;

3°) d'enjoindre, au besoin sous astreinte, au ministre de l'intérieur de leur délivrer les visas sollicités ou, à défaut, de réexaminer leurs demandes de visa dans un délai de deux mois ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 2 500 euros au titre des dispositions des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.

Ils soutiennent que :

­ M. D... a bien déposé une demande de visa, laquelle s'inscrit dans le cadre de la procédure spécifique mise en oeuvre par le dispositif de relocalisation de juin 2015 prévu pour les personnels civils afghans recrutés au service de l'armée française lors de son intervention en Afghanistan ;

­ en considérant la demande irrecevable pour avoir été effectuée hors d'Afghanistan, il a été porté atteinte au principe d'égalité ;

­ la décision contestée est illégale pour ne pas être motivée ;

­ les autorités consulaires n'ont pas procédé à un examen particulier de la situation personnelle de M. et Mme D... ;

­ en refusant de leur assurer une protection fonctionnelle et de leur délivrer, par voie de conséquence, les visas sollicités, la décision contestée méconnaît les dispositions de l'article 11 de la loi du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires alors que M. D..., en raison de sa collaboration avec l'armée française a reçu des menaces de mort dès 2012 ;

­ la décision contestée méconnaît la convention de Genève de 1951 sur le droit d'asile ;

­ elle est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation des conséquences sur la situation personnelle de M. et Mme D....

Par un mémoire en défense, enregistré le 23 mars 2021, le ministre de l'intérieur conclut au rejet de la requête.

Il soutient qu'aucun des moyens de la requête n'est fondé et s'en remet, au surplus, à ses écritures de première instance.

M. D... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 3 août 2020.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu

­ la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 ;

­ le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

­ le code des relations entre le public et l'administration ;

­ la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

­ le code de justice administrative.

Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Le rapport de M. A...'hirondel a été entendu au cours de l'audience publique.

Considérant ce qui suit :

1. Il ressort des pièces du dossier que M. G... I... D..., ressortissant afghan, a exercé, de 2008 à 2009, les fonctions d'interprète auprès des forces armées françaises alors déployées en Afghanistan puis, à partir de janvier 2010, celles d'opérateur informatique au sein de la police nationale afghane. En raison, selon les dires de l'intéressé, des menaces qu'il aurait reçu des talibans, à compter de décembre 2012, du fait de sa collaboration avec l'armée française, M. D... a fui son pays en février 2013 avec son épouse Mme E... D... et leur fils, G... C..., né le 30 novembre 2011, pour s'installer en Inde où le couple a donné naissance à deux autres enfants, B... le 31 décembre 2014 et Yasna le 25 septembre 2018. Les autorités françaises ont annoncé au mois de mai 2012 le retrait des forces françaises d'Afghanistan à partir du mois de juillet. M. D... a sollicité auprès des autorités consulaires françaises à Kaboul en juin 2015 la délivrance d'un visa de long séjour dans le cadre du premier dispositif de réinstallation des personnels civils de recrutement local (PCRL) employés par l'armée française en Afghanistan. Sa demande a été implicitement rejetée. Dans le cadre du troisième dispositif mis en place, M. D... soutient avoir déposé le 31 octobre 2018 auprès de l'ambassade de France au Pakistan à Islamabad, une nouvelle demande pour lui, son épouse et ses trois enfants. En l'absence de réponse à cette demande, M. et Mme D... ont saisi le 1er mars 2019 la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France contre la décision implicite de refus des autorités consulaires françaises à Islamabad. Par un courrier du 25 mars 2019, la secrétaire générale de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France, après avoir informé les requérants de l'impossibilité d'identifier la demande de visa en litige, les a invités à compléter leur demande en adressant au secrétariat la copie de la quittance émise par le service consulaire attestant du dépôt du dossier ou une copie de la lettre de refus du visa. M. et Mme D... relèvent appel du jugement du tribunal administratif de Nantes du 2 janvier 2020 qui a rejeté leur demande tendant à l'annulation de la décision implicite par laquelle la commission de recours a rejeté leur recours déposé le 1er mars 2019.

Sur la recevabilité de la demande de première instance :

2. Aux termes de l'article D. 211-5 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Une commission placée auprès du ministre des affaires étrangères et du ministre chargé de l'immigration est chargée d'examiner les recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France prises par les autorités diplomatiques ou consulaires. La saisine de cette commission est un préalable obligatoire à l'exercice d'un recours contentieux, à peine d'irrecevabilité de ce dernier. ".

3. Il résulte d'un principe général du droit que, lorsqu'un agent public est mis en cause par un tiers à raison de ses fonctions, il incombe à la collectivité dont il dépend de le couvrir des condamnations civiles prononcées contre lui, dans la mesure où une faute personnelle détachable du service ne lui est pas imputable, de lui accorder sa protection dans le cas où il fait l'objet de poursuites pénales, sauf s'il a commis une faute personnelle, et, à moins qu'un motif d'intérêt général ne s'y oppose, de le protéger contre les menaces, violences, voies de fait, injures, diffamations ou outrages dont il est l'objet. Ce principe général du droit s'étend aux agents non-titulaires de l'Etat recrutés à l'étranger, alors même que leur contrat est soumis au droit local. La juridiction administrative est compétente pour connaître des recours contre les décisions des autorités de l'Etat refusant aux intéressés le bénéfice de cette protection. Lorsqu'il s'agit, compte tenu de circonstances très particulières, du moyen le plus approprié pour assurer la sécurité d'un agent étranger employé par l'Etat, la protection fonctionnelle peut exceptionnellement conduire à la délivrance d'un visa ou d'un titre de séjour à l'intéressé et à sa famille.

4. La demande formée par M. D... le 31 octobre 2018 auprès de l'ambassade de France au Pakistan à Islamabad, adressée par courriel, était accompagnée du formulaire dédié aux personnels civils de recrutement local dont l'entête précise qu'il est établi " dans le cadre du processus de réexamen des demandes de visa formés par les anciens personnels civils de l'armée française en Afghanistan ", entièrement renseigné par l'intéressé. Dans ces conditions, M. D... doit être regardé comme ayant déposé une demande de visa dans le cadre du troisième dispositif de réinstallation des personnels civils de recrutement local (PCRL), employés par l'armée française en Afghanistan, dispositif qui s'inscrit dans le cadre de la protection fonctionnelle garantie par les dispositions de l'article 11 de la loi n°83-634 du 13 juillet 1983. Le silence gardé par les autorités consulaires françaises sur la demande de visa de M. D... a fait naitre une décision implicite de rejet. Par suite, la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France était compétente, en application des dispositions précitées de l'article D. 211-5 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, pour connaître du recours administratif préalable obligatoire contre cette décision implicite. Il suit de là que la demande des requérants tendant à l'annulation de la décision de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France et enregistrée au greffe du tribunal administratif de Nantes était recevable.

5. Il résulte de ce qui précède que la fin de non-recevoir opposée par le ministre de l'intérieur tirée de l'absence de demande de visa et donc de décision faisant grief doit être écartée.

Sur les conclusions à fin d'annulation :

6. Aux termes de l'article L. 211-2 du code des relations entre le public et l'administration : " (...) doivent être motivées les décisions qui : / (...) 8° rejettent un recours administratif dont la présentation est obligatoire préalablement à tout recours contentieux en application d'une disposition législative ou réglementaire. ". Aux termes de l'article L. 232-4 du code des relations entre le public et l'administration, " Une décision implicite intervenue dans les cas où la décision explicite aurait dû être motivée n'est pas illégale du seul fait qu'elle n'est pas assortie de cette motivation. / Toutefois, à la demande de l'intéressé, formulée dans les délais du recours contentieux, les motifs de toute décision implicite de rejet devront lui être communiqués dans le mois suivant cette demande. Dans ce cas, le délai du recours contentieux contre ladite décision est prorogé jusqu'à l'expiration de deux mois suivant le jour où les motifs lui auront été communiqués. ".

7. Il résulte de ces dispositions que lorsqu'un recours préalable obligatoire fait l'objet d'une décision implicite de rejet, cette décision se trouve entachée d'illégalité si son auteur n'en communique pas les motifs à l'intéressé dans le délai d'un mois qui suit la demande formée par ce dernier à cette fin dans le délai de recours contentieux. Il ressort des pièces du dossier que M. et Mme D... ont sollicité, par un courrier notifié à la commission le 8 mai 2019, soit à l'intérieur du délai de recours contentieux, la communication des motifs de la décision implicite. Il ne ressort pas, en revanche, des pièces du dossier que la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France aurait communiqué aux intéressés les motifs de sa décision dans le mois suivant la réception de cette demande. Par suite, le moyen tiré du défaut de motivation de la décision implicite en litige doit être accueilli.

8. Il résulte de ce qui précède, et sans qu'il soit besoin de se prononcer sur les autres moyens, que M. et Mme D... sont fondés à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nantes a rejeté leur demande.

Sur les conclusions aux fins d'injonction :

9. Eu égard à ses motifs, le présent arrêt implique seulement le réexamen de la demande de visa de M. D... formée pour lui-même ainsi que pour son épouse et ses trois enfants. Il y a lieu d'enjoindre au ministre de l'intérieur d'y procéder dans un délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt, sans qu'il soit besoin d'assortir cette injonction d'une astreinte.

Sur les frais liés au litige :

10. M. D... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 3 août 2020. Par suite, son avocat peut se prévaloir des dispositions des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'État le versement à Me F... de la somme de 1 200 euros dans les conditions fixées à l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.

D É C I D E :

Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Nantes du 2 janvier 2020 et la décision implicite de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France sont annulés.

Article 2 : Il est enjoint au ministre de l'intérieur de réexaminer la demande de visa formée par M. D... dans un délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt.

Article 3 : L'État versera à Me F... une somme de 1 200 euros dans les conditions fixées à l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.

Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à M. et Mme D... et au ministre de l'intérieur.

Délibéré après l'audience du 11 mai 2021, à laquelle siégeaient :

- Mme Douet, présidente,

- M. A...'hirondel, premier conseiller,

- Mme Bougrine, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 28 mai 2021.

Le rapporteur,

M. H...La présidente,

H. DOUET

Le greffier,

A. BRISSET

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

1

2

N° 20NT03421


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Nantes
Formation : 2ème chambre
Numéro d'arrêt : 20NT03421
Date de la décision : 28/05/2021
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

335-005-01 Étrangers. Entrée en France. Visas.


Composition du Tribunal
Président : Mme DOUET
Rapporteur ?: M. Michel LHIRONDEL
Rapporteur public ?: M. GIRAUD
Avocat(s) : BROISIN

Origine de la décision
Date de l'import : 08/06/2021
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.nantes;arret;2021-05-28;20nt03421 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award