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21/05/2021 | FRANCE | N°18NT00236

France | France, Cour administrative d'appel de Nantes, 3ème chambre, 21 mai 2021, 18NT00236


Vu la procédure suivante :

Par un arrêt n°18NT00236 du 18 octobre 2019 la cour, saisie par Mme B... A... et M. D... I... d'une requête tendant à la réformation du jugement n°1600439 du

24 novembre 2017 par lequel le tribunal administratif de Caen a condamné le centre hospitalier de Saint-Lô à leur verser la somme de 7 400 euros en réparation des préjudices qui résultent des circonstances de la naissance de leur fils E..., le 30 juin 2008, a ordonné une nouvelle expertise afin de déterminer si les troubles dont ce dernier est atteint sont séquellaires de l'anoxie

dont il a souffert à la naissance et d'évaluer, dans ce cas, l'étendue de s...

Vu la procédure suivante :

Par un arrêt n°18NT00236 du 18 octobre 2019 la cour, saisie par Mme B... A... et M. D... I... d'une requête tendant à la réformation du jugement n°1600439 du

24 novembre 2017 par lequel le tribunal administratif de Caen a condamné le centre hospitalier de Saint-Lô à leur verser la somme de 7 400 euros en réparation des préjudices qui résultent des circonstances de la naissance de leur fils E..., le 30 juin 2008, a ordonné une nouvelle expertise afin de déterminer si les troubles dont ce dernier est atteint sont séquellaires de l'anoxie dont il a souffert à la naissance et d'évaluer, dans ce cas, l'étendue de ses préjudices.

Par une ordonnance du 13 novembre 2019, le président de la cour administrative d'appel de Nantes a désigné un pédiatre en qualité d'expert.

Le rapport d'expertise a été enregistré le 24 décembre 2020 au greffe de la cour.

Par une ordonnance du 14 janvier 2021, le président de la cour a liquidé et taxé les frais et honoraires de l'expertise à la somme de 2 000 euros.

Par un mémoire enregistré le 18 janvier 2021 la CPAM de la Manche, représentée par Me G..., maintient ses conclusions, porte à 15 391,11 euros le montant actualisé des débours exposés pour l'enfant E..., à 1 098 euros le montant de l'indemnité forfaitaire de gestion qu'elle sollicite et à 1 800 euros le montant demandé au titre de l'article L.761-1 du code de justice administrative.

Par des mémoires enregistrés les 5 février et 8 mars 2021 le centre hospitalier de

Saint-Lô, représenté par Me J..., a fait part de ses observations après expertise. Il conclut au rejet de la requête et des conclusions de la CPAM de la Manche.

Il fait valoir que l'anoxie dont a été victime E... à la naissance ne peut être regardée, contrairement à ce qu'a estimé l'expert, comme la cause directe et exclusive de ses troubles actuels et en tout état de cause que les préjudices sont très largement surévalués.

Par un mémoire enregistré le 9 février 2021 Mme A... et M. I..., représentés par Me C..., ont fait part de leurs observations après expertise. Ils demandent désormais à la cour :

1°) de condamner le centre hospitalier de Saint-Lô à leur verser 55 955 euros au titre des préjudices propres de Mme A..., une indemnité provisionnelle de 500 000 euros au titre des préjudices subis par E... I... et une somme provisionnelle totale de 110 000 euros au titre du préjudice d'affection et des troubles dans les conditions d'existence de Mme A..., de M. I... et de leur fille Clémence I... ;

2°) de mettre à la charge du centre hospitalier de Saint-Lô la somme de 7 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Ils soutiennent que :

- le rapport d'expertise démontre le lien de causalité entre l'anoxie dont a souffert E... I... à la naissance et ses troubles actuels ;

- les préjudices de E... I... s'établissent comme suit : 10 400 euros au titre des frais de santé ; 528 720 euros au titre du besoin en assistance par une tierce personne ; 15 000 à 20 000 euros au titre du préjudice scolaire ; 29 704,99 euros au titre du déficit fonctionnel temporaire et 15 000 à 20 000 euros au titre des souffrances endurées ;

- Mme A... a droit à 95% des sommes suivantes : 50 000 euros au titre du préjudice moral et des troubles dans les conditions d'existence ; 15 000 euros au titre des souffrances endurées ; 8 900 euros au titre du déficit fonctionnel permanent, 15 000 euros au titre du préjudice sexuel et 20 000 euros au titre du préjudice d'établissement ;

- M. I... a droit à 50 000 euros au titre du préjudice moral et des troubles dans les conditions d'existence ;

- le préjudice de Clémence I... au titre du préjudice moral et des troubles dans les conditions d'existence s'établit à la somme de 10 000 euros.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code de la santé publique ;

- le code de la sécurité sociale ;

- l'arrêté du 4 décembre 2020 relatif aux montants minimal et maximal de l'indemnité forfaitaire de gestion ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. F...,

- les conclusions de M. Gauthier, rapporteur public,

- et les observations de Me H..., représentant le centre hospitalier de Saint-Lô.

Considérant ce qui suit :

Sur les préjudices de Mme A... :

1. Les experts ont évalué à 2,5 sur 7 les souffrances physiques endurées par Mme A... jusqu'à la date de consolidation de son état de santé, qu'ils ont fixée au 1er septembre 2008, mais ont omis d'évaluer ses souffrances psychiques, alors même qu'ils les ont décrites comme importantes et durables. Dans ces conditions, il y a lieu de porter la somme de 2 900 euros allouée par les premiers juges sur le seul fondement de l'évaluation partielle des experts à 7 600 euros, après application du taux de perte de chance de 95% déjà confirmé par l'arrêt du 18 octobre 2019.

2. Les experts ont évalué à 5% le déficit fonctionnel permanent de Mme A... en raison des séquelles psychiques et fonctionnelles qu'elle a conservées. Eu égard à son âge (23 ans) à la date de consolidation de son état de santé et alors même qu'elle ne manifesterait pas la volonté de se soigner, Mme A... peut prétendre à une indemnité de 5 700 euros au titre de ce chef de préjudice, après prise en compte du taux de perte de chance de 95%.

3. Les experts ont retenu l'existence d'un préjudice lié aux douleurs dont souffre

Mme A... lors des rapports sexuels. Il y a lieu à cet égard de confirmer la somme de 1 500 euros accordée à ce titre par les premiers juges.

4. Il résulte de l'instruction que Mme A... a subi un important préjudice moral, lié en particulier aux circonstances qui ont entouré la naissance de son enfant et aux séquelles de l'anoxie dont il a souffert. Il y a donc lieu de réformer sur ce point le jugement attaqué en lui accordant une indemnité de 4 750 euros tenant compte du taux de perte de chance de 95%.

5. Les experts n'ont pas écarté toute possibilité pour Mme A... de mener à bien une nouvelle grossesse. Par conséquent, comme l'a jugé à bon droit le tribunal administratif de Caen, celle-ci n'établit pas la réalité du préjudice d'établissement dont elle demande la réparation.

6. Il résulte de ce qui précède que l'indemnité due par le centre hospitalier de Saint-Lô à Mme A... au titre de ses préjudices propres doit être portée à la somme de 19 550 euros.

Sur les préjudices de E... I... :

7. Il résulte de l'expertise ordonnée par la cour que E... I..., aujourd'hui âgé de 12 ans, présente des troubles du comportement (agitation, opposition, hyperactivité et impulsivité), de l'attention, de la concentration et de la motricité générale et fine, qui sont la conséquence directe de l'anoxie sévère et prolongée dont il a souffert à la naissance par la faute du centre hospitalier de Saint-Lô, alors même que ces troubles ne sont apparus que progressivement après l'âge de 20 mois. Les requérants sont donc fondés à demander que l'établissement de santé répare, à hauteur de 95%, les préjudices que leur enfant a subis en raison de ces troubles.

8. Mme A... et M. I... justifient avoir exposé, entre 2018 et 2020, des frais de santé restés à leur charge pour le suivi de E... par un psychologue et un psychomotricien, pour une somme totale de 2 210 euros. Ils ne produisent pour les autres frais dont ils demandent le remboursement que des devis, qui ne constituent pas des justificatifs suffisants. Il y a donc lieu de leur allouer la seule somme de 2 210 euros, sans préjudice des autres frais qu'ils pourront, le cas échéant, exposer à l'avenir.

9. Il résulte de l'instruction que E..., dont l'état de santé n'est pas consolidé, a subi un déficit fonctionnel temporaire de 100% pendant dix jours après sa naissance, puis de 10% du 14 juillet 2008 au 1er mars 2010, de 25% du 2 mars 2010 au 22 mai 2017 et de 50% depuis le

23 mai 2017. Ce préjudice doit être évalué à 18 680 euros jusqu'à la date du présent arrêt.

10. Si l'expert mandaté par la cour a estimé que E... nécessite, au titre du besoin en assistance par une tierce personne, un accompagnement permanent " pour accomplir les actes non seulement élémentaires mais plus élaborés de sa vie quotidienne ", il résulte de l'instruction qu'il accomplit de manière autonome l'ensemble des gestes de la vie quotidienne et que son besoin en assistance est seulement d'ordre médical et scolaire. Il n'y a donc pas lieu d'allouer une indemnité aux requérants au titre de ce chef de préjudice.

11. Il résulte de l'instruction que E... est scolarisé depuis 2011-2012 à temps plein mais que les troubles dont il souffre, décrits au point 7, limitent de manière importante ses facultés d'apprentissage en dépit du soutien dont il a pu bénéficier au sein du dispositif RASED (réseau d'aides spécialisées aux élèves en difficultés), ou qui lui est apporté depuis la classe de CP par des psychologues spécialisés. Son préjudice scolaire doit être évalué à 10 000 euros jusqu'à la date du présent arrêt.

12. Les souffrances physiques et psychologiques endurées par E... depuis sa naissance ont été évaluées à 5/7 par l'expert. En l'absence de consolidation de son état de santé, il y a lieu d'évaluer ce préjudice à 10 000 euros jusqu'à la date du présent arrêt, les requérants conservant la possibilité de solliciter une indemnité supplémentaire pour la période comprise entre cette date et celle de la consolidation de l'état de santé de leur fils.

13. Il résulte de ce qui précède que le préjudice de E... I... s'élève à la somme totale de 40 890 euros, qui ouvre droit à une indemnité de 38 845,50 euros après application du taux de perte de chance de 95%.

Sur les préjudices de M. D... I... et de Clémence I... :

14. M. D... I... et Clémence I..., le père et la soeur K... E... I..., ont subi un préjudice moral en raison des circonstances particulièrement dramatiques qui ont entourées la naissance de ce dernier. Il y a lieu de leur accorder à ce titre une somme globale de 4 750 euros après application du taux de perte de chance de 95%.

15. Il résulte de tout ce qui précède que la somme totale de 7 400 euros que le tribunal administratif de Caen a condamné le centre hospitalier de Saint-Lô à verser à Mme A... et M. I... doit être portée à 63 145,50 euros.

Sur les droits de la CPAM de la Manche :

16. La CPAM de la Manche justifie avoir exposé, une fois déduites les sommes qu'elle aurait en tout état de cause engagées en cas d'accouchement par voie basse sans complication, des frais d'hospitalisation, médicaux et pharmaceutiques pour l'accouchement de Mme A... pour un montant total de 8 196,34 euros. Elle justifie également avoir exposé pour E... I... des frais d'hospitalisation en service de néonatologie du 30 juin au 13 juillet 2008, des frais médicaux, de surveillance et de prise en charge psychologique du 30 juillet 2008 au 4 juillet 2016 et des frais pharmaceutiques du 29 juillet 2008 au 30 novembre 2015 pour un montant total de 14 075,26 euros. Les frais à prendre en compte s'élèvent donc à 22 271,60 euros et l'indemnité qu'il y a lieu de mettre à la charge du centre hospitalier de Saint-Lô à 95% de cette somme, soit 21 158,02 euros.

17. La CPAM de la Manche a droit aux intérêts au taux légal sur la somme de 21 158,02 euros à compter du 6 octobre 2017, date d'enregistrement de sa demande par le greffe du tribunal administratif de Caen. Les intérêts échus à compter du 13 mars 2019 puis à chaque échéance annuelle à compter de cette date seront capitalisés pour produire eux-mêmes intérêts.

18. Il y a lieu de porter la somme de 1 055 euros que le tribunal administratif de Caen a condamné le centre hospitalier de Saint-Lô à verser à la CPAM de la Manche au titre de l'indemnité forfaitaire de gestion à 1 098 euros, montant auquel cette indemnité a été fixée par l'arrêté du 4 décembre 2020 visé ci-dessus.

19. Il résulte de ce qui précède que la somme de 18 274,52 euros que le tribunal administratif de Caen a condamné le centre hospitalier de Saint-Lô à verser à la CPAM de la Manche doit être portée à 21 158,02 euros.

Sur les frais liés au litige :

20. Il y a lieu de mettre définitivement à la charge du centre hospitalier de Saint-Lô les frais des expertises ordonnées en première instance et en appel, taxés et liquidés à la somme totale de 4 011,18 euros.

21. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge du centre hospitalier de Saint-Lô les sommes de 1 500 euros à verser, d'une part, à Mme A... et M. I... et, d'autre part, à la CPAM de la Manche, en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

DÉCIDE :

Article 1er : La somme de 7 400 euros que le tribunal administratif de Caen a condamné le centre hospitalier de Saint-Lô à verser à Mme A... et M. I... est portée à 63 145,50 euros.

Article 2 : La somme de 18 274,52 euros que le tribunal administratif de Caen a condamné le centre hospitalier de Saint-Lô à verser à la CPAM de la Manche est portée 21 158,02 euros. Cette somme portera intérêt à compter du 6 octobre 2017. Les intérêts échus le 13 mars 2019 seront capitalisés à cette date puis à chaque échéance annuelle ultérieure pour produire eux-mêmes des intérêts.

Article 3 : Le jugement n°1600439 du tribunal administratif de Caen du 24 novembre 2017 est réformé en ce qu'il a de contraire au présent arrêt.

Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête et des conclusions présentées par la CPAM de la Manche est rejeté.

Article 5 : Les frais des expertises, taxés et liquidés à la somme totale de 4 011,18 euros, sont mis définitivement à la charge du centre hospitalier de Saint-Lô.

Article 6 : La somme de 1 055 euros mise à la charge du centre hospitalier de Saint-Lô au titre de l'indemnité forfaitaire de gestion prévue par les dispositions de l'article L. 376-1 du code de la sécurité sociale est portée à 1 098 euros.

Article 7 : Le centre hospitalier de Saint-Lô versera à Mme A... et à M. I..., d'une part, et à la CPAM de la Manche, d'autre part, la somme de 1 500 euros chacun au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 8 : Le présent arrêt sera notifié à Mme B... A..., à M. D... I..., au centre hospitalier de Saint-Lô et à la CPAM de la Manche.

Délibéré après l'audience du 22 avril 2021, à laquelle siégeaient :

- Mme Perrot, président de chambre,

- Mme Brisson, président-assesseur,

- M. F..., premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 21 mai 2021.

Le rapporteur

E. F...Le président

I. PerrotLe greffier

R. Mageau

La République mande et ordonne au ministre des solidarités et de la santé en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

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N° 18NT00236


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Nantes
Formation : 3ème chambre
Numéro d'arrêt : 18NT00236
Date de la décision : 21/05/2021
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Composition du Tribunal
Président : Mme TIGER-WINTERHALTER
Rapporteur ?: M. Eric BERTHON
Rapporteur public ?: M. GAUTHIER
Avocat(s) : DUGUEY

Origine de la décision
Date de l'import : 29/05/2021
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.nantes;arret;2021-05-21;18nt00236 ?
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