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19/05/2021 | FRANCE | N°20NT03524

France | France, Cour administrative d'appel de Nantes, 4ème chambre, 19 mai 2021, 20NT03524


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. D... a demandé au tribunal administratif de Rennes d'annuler les deux arrêtés du 5 octobre 2020 par lesquels la préfète d'Ille-et-Vilaine, d'une part, a décidé son transfert aux autorités espagnoles, d'autre part, l'a assigné à résidence.

Par un jugement n° 2004295 du 13 octobre 2020, le tribunal administratif de Rennes a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête et un mémoire, enregistrés les 12 novembre 2020 et 15 avril 2021, M. C... D..., représenté

par Me A..., demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Rennes du ...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. D... a demandé au tribunal administratif de Rennes d'annuler les deux arrêtés du 5 octobre 2020 par lesquels la préfète d'Ille-et-Vilaine, d'une part, a décidé son transfert aux autorités espagnoles, d'autre part, l'a assigné à résidence.

Par un jugement n° 2004295 du 13 octobre 2020, le tribunal administratif de Rennes a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête et un mémoire, enregistrés les 12 novembre 2020 et 15 avril 2021, M. C... D..., représenté par Me A..., demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Rennes du 13 octobre 2020 ;

2°) d'annuler les arrêtés du 5 octobre 2020 de la préfète d'Ille-et-Vilaine ;

3°) d'enjoindre à la préfète d'Ille et Vilaine, d'une part, de lui délivrer une attestation de demande d'asile dans le délai de 15 jours à compter de la notification de la décision à intervenir, sous astreinte de 50 euros par jour de retard passé ce délai et, d'autre part, de lui restituer son passeport et tout document en sa possession qui lui appartiendrait ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat le versement à son conseil d'une somme de 1 500 euros sur le fondement de L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- le décès de M. D... n'emporte pas non-lieu à statuer dès lors que l'affaire est en l'état d'être jugé ;

- le jugement est irrégulier : le tribunal a dénaturé les pièces du dossier en remettant en cause ses pathologies et leur gravité et a omis de statuer sur le risque réel et avéré d'une détérioration significative de son état de santé qu'il avait soulevé ; eu égard à la réalité de son état de santé, il est entaché d'erreur de droit, d'erreur manifeste d'appréciation au regard de l'article 17 du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013, de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, de l'article L. 742-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et de l'article 53-1 alinéa 2 de la Constitution ;

en ce qui concerne l'arrêté de transfert :

- il n'est pas suffisamment motivé, attestant ainsi d'un examen défaillant de sa situation ;

- la préfète n'a pas procédé à un examen de sa situation personnelle, au regard de son état de santé et des articles 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et 4 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ;

- l'arrêté procède d'une application manifestement erronée de l'article 17 du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 qui permet de déroger aux critères de détermination de l'Etat responsable de l'examen d'une demande d'asile avec un risque de violation de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- les stipulations des articles 2 et 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ont été méconnues ;

en ce qui concerne la décision d'assignation à résidence :

- elle est illégale du fait de l'illégalité de la décision portant transfert en Espagne.

Par des mémoires en défense, enregistrés les 5, 7 janvier 2021 et 13 avril 2021, le préfet d'Ille-et-Vilaine conclut, à titre principal, au non-lieu à statuer et, subsidiairement, au rejet de la requête.

Il soutient que :

- le décès du requérant entraine un non-lieu à statuer ;

- M. D... n'est pas recevable à présenter en appel les moyens tirés de la violation des articles 4, 21, 22 et 29 du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 dès lors qu'il a explicitement renoncé à les invoquer lors de l'audience devant le tribunal administratif ;

- les moyens soulevés par M. D... ne sont pas fondés ;

- M. D... a été déclaré en fuite et le délai de transfert a été prolongé jusqu'au 13 avril 2022.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la Constitution ;

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ;

- le règlement (UE) n° 603/2013 du 26 juin 2013 ;

- le règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- le code de justice administrative.

Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Le rapport de M. B... a été entendu au cours de l'audience publique.

Considérant ce qui suit :

1. M. D..., ressortissant camerounais né le 25 septembre 1984, déclare être entré en France le 10 octobre 2019. Il a sollicité l'asile auprès des services de la préfecture d'Ille-et-Vilaine le 3 juin 2020. La consultation du fichier " eurodac " ayant révélé qu'il avait franchi irrégulièrement la frontière espagnole en provenance du Maroc dans les douze mois précédant le dépôt de sa demande d'asile, la préfète d'Ille-et-Vilaine a sollicité, le 27 juillet 2020, sa prise en charge par les autorités espagnoles, lesquelles l'ont expressément acceptée le 30 juillet suivant sur le fondement de l'article 13.1 du règlement n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013. Par deux arrêtés du 5 octobre 2020, la préfète d'Ille-et-Vilaine a alors décidé, d'une part, le transfert de M. D... aux autorités espagnoles, responsables de l'examen de sa demande d'asile, et, d'autre part, de l'assigner à résidence pour une durée maximale de quarante-cinq jours renouvelable. M. D... a été déclaré en fuite par la France le 9 novembre 2020. Par un jugement du 13 octobre 2020, dont M. D... relève appel, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Rennes a rejeté sa demande d'annulation de ces deux arrêtés.

Sur l'exception de non-lieu à statuer :

2. Aux termes de l'article R. 634-1 du code de justice administrative : " Dans les affaires qui ne sont pas en état d'être jugées, la procédure est suspendue par la notification du décès de l'une des parties ou par le seul fait du décès, de la démission, de l'interdiction ou de la destitution de son avocat. Cette suspension dure jusqu'à la mise en demeure pour reprendre l'instance ou constituer un avocat. ".

3. Le préfet d'Ille-et-Vilaine soutient qu'il n'y a plus de lieu de statuer sur la requête de M. D... du fait du décès de ce dernier survenu le 11 avril 2021, sa décision de transfert n'ayant pas été exécutée. Toutefois, cette circonstance ne rend pas sans objet les conclusions tendant à l'annulation des décisions préfectorales du 5 octobre 2020 dès lors que l'affaire était en état d'être jugée à la date du décès, la défense ayant présenté ses observations et une date d'audience ayant été fixée. Il y a lieu, dès lors, de statuer sur la requête visée ci-dessus.

Sur le bien-fondé du jugement attaqué :

4. Aux termes de l'article 17 du règlement n° 604/2013 du 26 juin 2013 : " 1. Par dérogation à l'article 3, paragraphe 1, chaque État membre peut décider d'examiner une demande de protection internationale qui lui est présentée par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, même si cet examen ne lui incombe pas en vertu des critères fixés dans le présent règlement. / L'État membre qui décide d'examiner une demande de protection internationale en vertu du présent paragraphe devient l'État membre responsable et assume les obligations qui sont liées à cette responsabilité. (...) ". Il résulte de ces dispositions que si une demande d'asile est examinée par un seul Etat membre et qu'en principe cet Etat est déterminé par application des critères d'examen des demandes d'asile fixés par son chapitre III, dans l'ordre énoncé par ce chapitre, l'application de ces critères est toutefois écartée en cas de mise en oeuvre de la clause dérogatoire énoncée au paragraphe 1 de l'article 17 du règlement, qui procède d'une décision prise unilatéralement par un Etat membre. Cette faculté laissée à chaque Etat membre est discrétionnaire et ne constitue nullement un droit pour les demandeurs d'asile.

5. Il ressort des pièces du dossier que M. D... souffrait depuis plusieurs années d'épilepsie et présentait des troubles d'ordre psychiques, avec des problèmes mnésiques établis importants. Divers certificats médicaux, circonstanciés, font état d'une épilepsie invalidante, à l'origine de crises survenant mensuellement et que les traitements médicamenteux dispensés, à doses élevées, ne permettaient pas de juguler. Par ailleurs, divers certificats médicaux font état d'un syndrome dépressif avec des idéations suicidaires. Pour cette raison M. D... a été pris en charge peu après son entrée sur le territoire français par un réseau de santé lui permettant une prise en charge coordonnée et active comprenant notamment un médecin généraliste, un psychologue et un médecin neurologue. Les documents médicaux produits soulignent tous la nécessité d'un suivi médical strict pour un patient aux pathologies non stabilisées, disposant par ailleurs d'une prise en charge personnelle efficace par des familiers. Enfin, en admettant même que M. D... pouvait bénéficier d'une prise en charge médicale en Espagne, les pièces aux dossiers n'établissent pas que celle-ci aurait pu être assurée sans aucune rupture de soins ainsi que le requérait la gravité de sa situation sanitaire et l'absence de stabilisation de son état. Par suite, eu égard à la particulière vulnérabilité de M. D... et aux risques personnels en résultant pour sa santé, la préfète d'Ille-et-Vilaine a entaché sa décision de transfert en Espagne du 5 octobre 2020 d'une erreur manifeste dans l'appréciation de la situation de l'intéressé en ne faisant pas usage de la faculté d'instruire sa demande d'asile en France en application des dispositions précitées du 1 de l'article 17 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013.

6. Il résulte de ce qui précède, sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de la requête, que M. D... est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Rennes a rejeté sa demande tendant à l'annulation de l'arrêté de la préfète d'Ille-et-Vilaine du 5 octobre 2020 décidant son transfert aux autorités espagnoles, ainsi que, par voie de conséquence, de l'arrêté du même jour l'assignant à résidence.

Sur les conclusions aux fins d'injonction :

7. Aux termes de l'article L. 911-1 du code de justice administrative : " Lorsque sa décision implique nécessairement qu'une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d'un service public prenne une mesure d'exécution dans un sens déterminé, la juridiction, saisie de conclusions en ce sens, prescrit, par la même décision, cette mesure assortie, le cas échéant, d'un délai d'exécution. / La juridiction peut également prescrire d'office cette mesure. ".

8. Eu égard au décès de M. D..., ses conclusions tendant à se voir délivrer une attestation de demande d'asile ne peuvent qu'être rejetées. Par ailleurs, le présent arrêt n'implique pas nécessairement que le préfet d'Ille-et-Vilaine restitue son passeport, ou divers documents administratifs au demeurant non cités.

Sur les frais liés au litige :

9. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 500 euros, au bénéfice de M. D..., au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

D E C I D E :

Article 1er : Le jugement n° 2004295 du 13 octobre 2020 du tribunal administratif de Rennes et les deux arrêtés du 5 octobre 2020 par lesquels la préfète d'Ille-et-Vilaine, d'une part, a décidé de transférer M. D... aux autorités espagnoles et d'autre part l'a assigné à résidence, sont annulés.

Article 2 : Le surplus des conclusions des parties est rejeté.

Article 3 : L'Etat versera aux ayants droit de M. D... la somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : Le présent arrêt sera notifié aux ayant-droits de M. C... D... et au ministre de l'intérieur.

Une copie en sera transmise pour information au préfet d'Ille-et-Vilaine.

Délibéré après l'audience du 20 avril 2021, à laquelle siégeaient :

- M. Lainé, président de chambre,

- M. B..., président assesseur,

- Mme E..., première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 19 mai 2021.

Le rapporteur,

C. B...

Le président,

L. Lainé

La greffière,

S. Levant

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

N° 20NT03524


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Nantes
Formation : 4ème chambre
Numéro d'arrêt : 20NT03524
Date de la décision : 19/05/2021
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : M. LAINE
Rapporteur ?: M. Christian RIVAS
Rapporteur public ?: M. BESSE
Avocat(s) : MARAL

Origine de la décision
Date de l'import : 25/05/2021
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.nantes;arret;2021-05-19;20nt03524 ?
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