Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. B... D... a demandé au tribunal administratif de Nantes de condamner l'Etat à lui verser la somme de 99 108,46 euros, assortie des intérêts au taux légal à compter du 29 décembre 2016 et de la capitalisation de ces intérêts, en réparation des préjudices subis du fait de l'explosion d'une grenade lacrymogène instantanée, dite " GLI ", lors d'une manifestation le 29 janvier 2009 à Saint-Nazaire, de mettre à la charge de l'Etat les entiers dépens, notamment les frais d'expertise, ainsi qu'une somme de 3 000 euros, au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Par un jugement n° 1703203 du 3 juillet 2020, le tribunal administratif de Nantes a rejeté la demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête et un mémoire, enregistrés les 14 août et 30 décembre 2020, M. D..., représenté par Me C..., demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du 3 juillet 2020 du tribunal administratif de Nantes ;
2°) de condamner l'Etat à lui verser la somme de 99 108,46 euros, assortie des intérêts au taux légal à compter du 29 décembre 2016 avec capitalisation, en réparation des préjudices subis du fait de l'explosion d'une grenade lacrymogène instantanée, dite " GLI ", lors d'une manifestation le 29 janvier 2009 à Saint-Nazaire ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat les dépens, comprenant les frais d'expertise ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros à verser à son avocat au titre des dispositions des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991, sous réserve de sa renonciation à percevoir la part contributive de l'Etat, et, si sa demande était rejetée, de lui accorder la même somme en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- la responsabilité sans faute de l'administration est engagée dès lors que les forces de l'ordre ont recouru à une arme dangereuse, une grenade GLI F4, qui est directement à l'origine des dommages subis ; il est un tiers au regard des opérations de police, alors même qu'il a été imprudent ;
- les préjudices subis sont indemnisables dont 742 euros au titre de ses préjudices patrimoniaux temporaires, 50 142,46 euros au titre de ses préjudices patrimoniaux permanents (assistance par une tierce personne), 3 624 euros au titre de son déficit fonctionnel temporaire, 15 000 euros au titre des souffrances endurées, 1 000 euros au titre de son préjudice esthétique temporaire, 21 600 euros au titre de son déficit fonctionnel permanent, 2 000 euros au titre de son préjudice esthétique permanent, 5 000 euros au titre de son préjudice d'agrément.
Par un mémoire en défense, enregistré le 14 décembre 2020, le ministre de l'intérieur conclut au rejet de la requête.
Il soutient que :
- les moyens soulevés par M. D... ne sont pas fondés, pour les motifs notamment présentés par le préfet de la Loire-Atlantique en première instance ;
- en tout état de cause, les grenades GLI F4 ne constituant pas une arme dangereuse, la responsabilité sans faute de l'Etat n'est pas engagée ;
- subsidiairement, si les conditions d'engagement de la responsabilité pour risque de l'Etat devaient être regardées comme remplies, M. D... sera alors regardé comme ayant accepté le risque à l'origine de son dommage ;
- la juridiction ne pourra retenir d'office la responsabilité de l'Etat du fait des attroupements dès lors que les conditions de l'article L. 211-10 du code de la sécurité intérieure ne sont pas remplies, puisque les forces de l'ordre ont été confrontées à une action préméditée et organisée d'un groupe structuré, et que M. D... a commis une faute de nature à exonérer totalement l'Etat de toute responsabilité dès lors qu'il s'est maintenu sur les lieux de l'attroupement alors qu'il avait connaissance du caractère violent des protestations et que les forces de l'ordre avaient procédé aux sommations d'usage.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code de la sécurité intérieure ;
- le code de la sécurité sociale ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. A...,
- les conclusions de M. Besse, rapporteur public,
- et les observations de Me C..., représentant M. D....
Considérant ce qui suit :
1. Le 29 janvier 2009, une manifestation s'est déroulée dans le centre-ville de Saint-Nazaire, à l'occasion d'une journée nationale de protestation contre les orientations de la politique gouvernementale en matière économique. Dans l'après-midi, de violents affrontements ont éclaté entre certains manifestants et les forces de l'ordre aux abords de la sous-préfecture. Au cours de ces échauffourées, M. B... D... a été grièvement blessé au pied droit par l'explosion d'une grenade lacrymogène instantanée (GLI) de type F4 lancée par les forces de police. M. D... a alors demandé au tribunal administratif de Nantes, sur le fondement de la responsabilité sans faute de l'Etat du fait de l'utilisation par les forces de police de dispositifs comportant des risques exceptionnels, de déclarer l'Etat responsable du préjudice ainsi subi et de le condamner à lui verser, en réparation de ce dommage, une somme de 99 108,46 euros. M. D... relève appel du jugement de ce tribunal du 3 juillet 2020 rejetant sa demande et sollicite d'être indemnisé dans la même proportion des préjudices subis, ainsi que la condamnation de l'Etat aux entiers dépens.
Sur le bien-fondé du jugement attaqué :
En ce qui concerne la responsabilité sans faute de l'Etat du fait de l'utilisation par les forces de police de dispositifs comportant des risques exceptionnels :
2. Dans le cas où le personnel du service de police fait usage d'armes ou d'engins comportant des risques exceptionnels pour les personnes et les biens, la responsabilité de la puissance publique se trouve engagée, en l'absence même d'une faute, lorsque les dommages subis dans de telles circonstances excèdent, par leur gravité, les charges qui doivent être normalement supportées par les particuliers en contrepartie des avantages résultant de l'existence de ce service public. Il n'en est cependant ainsi que pour les dommages subis par des personnes ou des biens étrangers aux opérations de police qui les ont causés.
3. Il résulte de l'instruction que M. D... a été grièvement blessé au pied droit, le 29 janvier 2009 rue Henri Gautier, près de l'angle avec la rue Charles Brunelière, à Saint-Nazaire du fait de l'explosion d'une grenade lacrymogène instantanée (GLI) de type F4 lancée par les forces de police. Ce même jour s'est tenue dans le centre-ville de Saint-Nazaire, ainsi que dans d'autres lieux du territoire national, une manifestation de protestation, rassemblant plus de 10 000 personnes, contre les orientations de la politique gouvernementale en matière économique. M. D... expose avoir participé à cette manifestation à compter de 14 heures avant de rejoindre son domicile situé rue Jean Jaurès à Saint-Nazaire puis d'en ressortir à 18 heures pour se rendre, à pied, dans un supermarché situé 8 rue Henri Gautier dans la même commune. Surpris par les échauffourées persistantes opposant violemment les forces de l'ordre et les personnes poursuivant la manifestation, il indique avoir vu glisser vers lui, rue H. Gautier, une grenade lacrymogène instantanée qui a explosé à proximité immédiate de son pied. Il résulte toutefois de l'instruction que le lieu de cet accident est situé à environ 300 mètres de la sous-préfecture de Saint-Nazaire qui, depuis plusieurs heures, était le centre d'un affrontement opposant les forces de l'ordre à plusieurs milliers de manifestants. A l'heure de l'accident, les manifestants avaient été repoussés progressivement et difficilement de la sous-préfecture à la place des 4 Z'Horloges, où des barricades enflammées avaient été dressées, en direction de la rue H. Gautier, où 1 000 à 2 000 personnes étaient encore regroupées. Or cet endroit se trouve à seulement environ 150 mètres du lieu de l'accident subi par M. D.... Il résulte par ailleurs de l'instruction, et notamment des documents médicaux produits, que M. D... a été blessé alors qu'il posait son pied droit, qui a été transpercé, sur la grenade. Il est également établi que l'accès des pompiers à M. D... a nécessité le dégagement d'une barricade par les manifestants. Si par ailleurs M. D... expose avoir rencontré une cousine manifestant peu avant son accident, il explique également que celle-ci aurait immédiatement fui face à la violence ambiante, alors que lui-même aurait persisté à vouloir se rendre dans le supermarché. A cet égard, la présence de M. D... rue Henri Gautier, ainsi que le trajet qu'il indique avoir suivi qui n'est pas le plus direct depuis son domicile, demeurent inexpliqués alors qu'il demeurait à plus d'un kilomètre de l'endroit, en zone commerçante. Surtout il ne pouvait sérieusement ignorer, bien avant son arrivée sur le lieu de son accident, la violence des échauffourées à proximité immédiate de son lieu allégué de destination, marquées notamment par la présence de barricades enflammées, de divers jets de projectiles, de déflagrations, de nuages de gaz lacrymogènes et d'affrontements violents entre manifestants et forces de l'ordre. Par ailleurs, il ressort de l'arrêt de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Rennes du 20 septembre 2013, confirmant l'ordonnance de non-lieu rendu par le juge d'instruction sur la plainte pour blessures involontaires déposée par l'intéressé, que M. D... a été vu et entendu comme évoluant au milieu des manifestants. Par suite, il ne résulte pas de l'instruction qu'il aurait été un tiers par rapport aux opérations de police à l'origine du lancer de la grenade qui l'a blessé. En conséquence, la responsabilité sans faute de l'Etat pour rupture de l'égalité devant les charges publiques, du fait de l'utilisation par les forces de l'ordre d'une grenade lacrymogène instantanée F4, n'est pas engagée pour les dommages subis par M. D... le 29 janvier 2009.
En ce qui concerne la responsabilité sans faute de l'Etat sur le fondement de l'article L. 211-10 du code de la sécurité intérieure :
4. Aux termes de l'article L. 211-10 du code de la sécurité intérieure : " L'Etat est civilement responsable des dégâts et dommages résultant des crimes et délits commis, à force ouverte ou par violence, par des attroupements ou rassemblements armés ou non armés, soit contre les personnes, soit contre les biens. (...) ". Ces dispositions visent non seulement les dommages causés directement par les auteurs de ces crimes ou délits, mais encore ceux que peuvent entrainer les mesures prises par l'autorité publique pour le rétablissement de l'ordre.
5. La manifestation qui s'est déroulée à Saint-Nazaire le 29 janvier 2009 s'est tenue à l'initiative d'organisations syndicales, sur un parcours conduisant de la place de l'Amérique Latine à la sous-préfecture de Saint-Nazaire, rue Vincent Auriol. La tête du cortège de cette manifestation est arrivée devant la sous-préfecture vers 15H45 alors que la fin du cortège n'avait pas commencé à s'ébranler. Il résulte notamment du procès-verbal d'audition par l'inspection générale de la police nationale du chef de circonscription du commissariat de sécurité publique de Saint-Nazaire du 3 février 2009 que dès l'arrivée des premiers manifestants devant la sous-préfecture des jets de pétards, bouteilles de verre, fumigènes ont fusé en direction du bâtiment et d'une section d'une compagnie républicaine de sécurité (CRS) disposée dans la cour de l'édifice, suivis de divers autres projectiles, puis en direction d'une seconde section de CRS placée dans une rue parallèle à l'entrée de la sous-préfecture, avec la volonté de pénétrer dans ce bâtiment. Ces violences persistantes émanaient d'environ deux mille personnes se regroupant au fil de l'arrivée des manifestants. Ce même responsable policier indique que vers 18 heures plus d'un millier de personnes issues de la manifestation étaient encore présentes aux abords immédiats de la sous-préfecture et se sont opposées violement aux forces de l'ordre au moins jusqu'à 20 heures. Aussi en admettant même que ces faits de tentatives d'intrusion dans un bâtiment public par la violence, constitutifs d'un délit, présentaient un caractère organisé et prémédité, ils ont été commis à l'occasion d'une manifestation réunie sur la voie publique, organisée à l'initiative d'organisations syndicales, rassemblant des milliers de personnes. Par conséquent, contrairement à ce qui a été jugé en première instance, la responsabilité sans faute de l'Etat est engagée du fait des dommages causés, comme en l'espèce pour M. D..., par les mesures prises par l'autorité publique pour le rétablissement de l'ordre en conséquence de ces actions délictuelles.
6. Il résulte de l'instruction, ainsi qu'il a été exposé au point 3, que M. D... se trouvait à proximité immédiate du lieu des échauffourées les plus fortes qui opposaient les personnes tentant d'envahir la sous-préfecture aux forces de l'ordre lorsqu'il a été blessé. Il résulte d'une part de l'arrêt de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Rennes du 20 septembre 2013 que l'usage de la force par les forces de l'ordre a été précédé des sommations règlementaires et, qu'en tout état de cause, celles-ci n'étaient pas requises dans les circonstances de l'espèce. D'autre part, il résulte du récit même de M. D... qu'il était conscient du danger à rester à l'endroit où il a été accidenté puisque peu avant il avait intimé à une connaissance de fuir les lieux. Enfin les témoignages recueillis relatent que M. D... se trouvait alors parmi les manifestants regroupés autour des barricades incendiées ou affrontant les forces de l'ordre sachant qu'il indique avoir rejoint ce lieu vers 18H, soit à un moment où les affrontements avec les forces de l'ordre étaient extrêmement violents. En conséquence, M. D..., en restant sur les lieux de l'attroupement très violent qu'il avait rejoint et en mettant le pied sur une grenade lacrymogène dont il ne pouvait ignorer le danger qu'elle représentait, a commis une faute qui est de nature à exonérer totalement l'Etat de sa responsabilité au titre de l'article L. 211-10 du code de la sécurité intérieure
7. Il résulte de tout ce qui précède que M. D... n'est pas fondé à se plaindre de ce que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nantes a rejeté sa demande.
Sur les dépens :
8. Il résulte de l'instruction que les frais de l'expertise médicale ordonnée par une ordonnance du président du tribunal administratif de Nantes du 21 septembre 2015 ont été entièrement mis à la charge de l'Etat par une ordonnance de taxation du 22 février 2016. Aussi, M. D... n'est pas fondé à soutenir qu'il devrait être remboursé de ces mêmes frais. Par suite, cette demande ne peut qu'être rejetée.
Sur les frais d'instance :
9. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à l'octroi d'une somme au titre des frais exposés et non compris dans les dépens à la partie perdante. Il y a lieu, dès lors, de rejeter les conclusions présentées à ce titre par M. D....
D E C I D E :
Article 1er : La requête de M. D... est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. B... D... et au ministre de l'intérieur.
Une copie en sera adressée pour information au préfet de la Loire-Atlantique.
Délibéré après l'audience du 20 avril 2021, à laquelle siégeaient :
- M. Lainé, président de chambre,
- M. A..., président assesseur,
- Mme E..., première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 19 mai 2021.
Le rapporteur,
C. A...
Le président,
L. Lainé
La greffière,
S. Levant
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 20NT02603