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09/04/2021 | FRANCE | N°19NT04298

France | France, Cour administrative d'appel de Nantes, 3ème chambre, 09 avril 2021, 19NT04298


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. A... E... a demandé au tribunal administratif de Rennes d'annuler les décisions implicites de refus de procéder aux travaux de réparation de la digue des étangs de Boëssel qui lui ont été opposées par les maires des communes d'Andouillé-Neuville et Sens-de-Bretagne, d'enjoindre aux communes d'Andouillé-Neuville et Sens-de-Bretagne de procéder aux travaux de réfection de cette digue et de mettre les frais d'expertise à la charge conjointe et solidaire des deux communes.

Par un jugement no 170

2800 du 11 septembre 2019, le tribunal administratif de Rennes a rejeté ses demand...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. A... E... a demandé au tribunal administratif de Rennes d'annuler les décisions implicites de refus de procéder aux travaux de réparation de la digue des étangs de Boëssel qui lui ont été opposées par les maires des communes d'Andouillé-Neuville et Sens-de-Bretagne, d'enjoindre aux communes d'Andouillé-Neuville et Sens-de-Bretagne de procéder aux travaux de réfection de cette digue et de mettre les frais d'expertise à la charge conjointe et solidaire des deux communes.

Par un jugement no 1702800 du 11 septembre 2019, le tribunal administratif de Rennes a rejeté ses demandes.

Procédure devant la cour :

Par une requête enregistrée le 8 novembre 2019 M. E..., représenté par Me Lahalle, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Rennes du 11 septembre 2019 ;

2°) d'annuler les décisions lesquelles les maires des communes d'Andouillé-Neuville et de Sens-de-Bretagne ont implicitement refusé de procéder aux travaux de réparation de la digue des étangs de Boëssel ;

3°) d'enjoindre aux communes d'Andouillé-Neuville et Sens-de-Bretagne de procéder aux travaux de réparation de la digue des étangs de Boëssel dans un délai de deux mois à compter de l'arrêt à intervenir et sous astreinte de 300 euros par jour de retard ;

4°) de mettre à la charge conjointe et solidaire des communes d'Andouillé-Neuville et Sens-de-Bretagne le remboursement à M. E... de la somme de 2 921,40 euros correspondant aux frais et honoraires d'expertise ;

5°) de mettre à la charge conjointe et solidaire des communes d'Andouillé-Neuville et Sens-de-Bretagne la somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- le jugement est irrégulier, le sens des conclusions du rapporteur public mis en ligne n'exposant pas les motifs du rejet préconisé de la requête, en méconnaissance de l'article R. 711-3 du code de justice administrative ;

- les communes ont méconnu les articles L. 2212-2 et L. 2212-4 du code général des collectivités territoriales, l'état de la digue constituant un péril grave et imminent ; les mesures prises par les communes sont insuffisantes ;

- en tout état de cause, la responsabilité sans faute pour dommage de travaux publics des communes doit être engagée, la digue constituant un ouvrage public dès lors les deux communes sont copropriétaires du chemin rural qui emprunte sa crête et qui est affecté à la circulation publique ;

- il existe un lien de causalité entre l'ouvrage public et le préjudice qu'il a subi en tant que tiers par rapport à cet ouvrage.

Par un mémoire en défense enregistré le 17 avril 2020 les communes

d'Andouillé-Neuville et Sens-de-Bretagne, représentées par Me Bonnat, concluent au rejet de la requête et à ce que soit mis à la charge de M. E... le versement de la somme de 2 000 euros chacune au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elles soutiennent que les moyens soulevés par M. E... ne sont pas fondés.

Par un mémoire en intervention enregistré le 28 juillet 2020 la société civile immobilière (SCI) de Boëssel, représentée par Me David, demande à la cour de faire droit à la requête de M. E... et de mettre à la charge conjointe et solidaire des communes

d'Andouillé-Neuville et Sens-de-Bretagne la somme de 2 400 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- la partie basse de la digue constitue un ouvrage public qui a déjà fait l'objet de travaux de la part de l'une des communes et relève des pouvoirs de police du maire compte tenu de l'existence d'un péril constaté par l'expert ;

- en se bornant à signaler le danger et interdire le passage sur la digue, les maires des deux communes en cause n'ont pas adopté les mesures de sûreté exigées par les circonstances ;

- il doit être enjoint aux communes de procéder aux travaux préconisés par l'expert judiciaire.

La requête a été communiquée le 25 novembre 2019 à la commune de Feins, qui n'a pas produit de mémoire.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code général des collectivités territoriales ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Le Barbier,

- les conclusions de M. Gauthier, rapporteur public,

- les observations de M. F..., représentant M. E..., de Me Carmès, représentant la SCI de Boëssel et de Me Bonnat, représentant les communes d'Andouillé-Neuville et de

Sens-de-Bretagne.

Considérant ce qui suit :

1. M. E... est propriétaire, depuis 1992, d'un ensemble immobilier dit " Moulin de Boëssel " comprenant notamment un ancien moulin à eau à l'état de ruine situé sur la parcelle cadastrée section ZE n° 1 du territoire de la commune d'Andouillé-Neuville (Ille-et-Vilaine), parcelle séparée de l'étang de Boëssel, situé sur le territoire de la commune de Sens-de-Bretagne (Ille-et-Vilaine) et propriété de la SCI de Boëssel, par une digue. Cette digue, dont le fondement est également la propriété de la SCI, est adossée pour partie au moulin et supporte un chemin rural appartenant pour moitié, selon un découpage longitudinal, à chacune des deux communes, le reste de la digue et du chemin se situant sur le territoire de la commune de Feins

(Ille-et-Vilaine). Constatant des infiltrations d'eau dans la structure du moulin, imputables selon lui au mauvais état de la digue, M. E... a saisi le juge des référés du tribunal administratif de Rennes qui a, par une ordonnance du 23 avril 2013, désigné un expert dont le rapport a été remis le 17 octobre suivant. Sur la base des conclusions de l'expert, M. E... a mis les communes d'Andouillé-Neuville et de Sens-de-Bretagne en demeure de procéder à des travaux de réparation de cette digue au titre des pouvoirs de police municipale. Les communes n'ayant pas répondu à sa demande, M. E... a demandé au tribunal administratif de Rennes d'annuler les décisions implicites de rejet nées de ce silence, d'enjoindre aux deux communes de réaliser les travaux de réparation de la digue et de mettre les frais d'expertise à la charge conjointe et solidaire de ces dernières. M. E... relève appel du jugement du 11 septembre 2019 par lequel le tribunal administratif de Rennes a rejeté sa demande.

Sur l'intervention de la SCI de Boëssel :

2. La SCI de Boëssel a intérêt à l'annulation du jugement attaqué et l'arrêt à rendre sur la requête de M. E... est susceptible de préjudicier à ses droits. Par suite, l'intervention de la SCI de Boëssel est recevable.

Sur la régularité du jugement attaqué :

3. Aux termes du premier alinéa de l'article R. 711-3 du code de justice administrative : " Si le jugement de l'affaire doit intervenir après le prononcé de conclusions du rapporteur public, les parties ou leurs mandataires sont mis en mesure de connaître, avant la tenue de l'audience, le sens de ces conclusions sur l'affaire qui les concerne ". La communication aux parties du sens des conclusions prévues par ces dispositions a pour objet de les mettre en mesure d'apprécier l'opportunité d'assister à l'audience publique, de préparer, le cas échéant, les observations orales qu'elles peuvent y présenter, après les conclusions du rapporteur public, à l'appui de leur argumentation écrite et d'envisager, si elles l'estiment utile, la production, après la séance publique, d'une note en délibéré. En conséquence, les parties ou leurs mandataires doivent être mis en mesure de connaître, dans un délai raisonnable avant l'audience, l'ensemble des éléments du dispositif de la décision que le rapporteur public compte proposer à la formation de jugement d'adopter, à l'exception de la réponse aux conclusions qui revêtent un caractère accessoire, notamment celles qui sont relatives à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Cette exigence s'impose à peine d'irrégularité de la décision rendue sur les conclusions du rapporteur public. Par ailleurs, il appartient au rapporteur public de préciser, en fonction de l'appréciation qu'il porte sur les caractéristiques de chaque dossier, les raisons qui déterminent la solution qu'appelle, selon lui, le litige, et notamment d'indiquer, lorsqu'il propose le rejet de la requête, s'il se fonde sur un motif de recevabilité ou sur une raison de fond, et de mentionner, lorsqu'il conclut à l'annulation d'une décision, les moyens qu'il propose d'accueillir, la communication de ces informations n'étant toutefois pas prescrite à peine d'irrégularité de la décision.

4. Il ressort du relevé de l'application Sagace et il est au demeurant constant que, trois jours avant l'audience du tribunal administratif de Rennes qui s'est tenue le 1er juillet 2019, le sens des conclusions du rapporteur public a été porté à la connaissance des parties avec la mention " rejet au fond ". Ainsi qu'il a été exposé précédemment, le rapporteur public n'était pas tenu à peine d'irrégularité du jugement d'indiquer les motifs qui le conduisaient à proposer cette solution de rejet. Par suite, le moyen tiré de l'irrégularité du jugement attaqué en ce que le sens des conclusions aurait été porté à la connaissance de requérant de manière incomplète ne peut qu'être écarté.

Sur le bien-fondé du jugement attaqué :

En ce qui concerne la légalité des décisions implicites de rejet des maires des communes d'Andouillé-Neuville et de Sens-de-Bretagne :

5. Aux termes de l'article L. 2212-4 du code général des collectivités territoriales : " En cas de danger grave ou imminent, tel que les accidents naturels prévus au 5° de l'article

L. 2212-2, le maire prescrit l'exécution des mesures de sûreté exigées par les circonstances. / Il informe d'urgence le représentant de l'Etat dans le département et lui fait connaître les mesures qu'il a prescrites ". Aux termes de l'article L. 2212-2 du même code : " La police municipale a pour objet d'assurer le bon ordre, la sûreté, la sécurité et la salubrité publiques. Elle comprend notamment : (...) 5° Le soin de prévenir, par des précautions convenables, et de faire cesser, par la distribution des secours nécessaires, (...) les inondations, les ruptures de digues (...), de pourvoir d'urgence à toutes les mesures d'assistance et de secours et, s'il y a lieu, de provoquer l'intervention de l'administration supérieure (...) ". Le refus opposé par un maire à une demande tendant à ce qu'il fasse usage des pouvoirs de police que lui confère le code général des collectivités territoriales n'est entaché d'illégalité que dans le cas où, en raison de la gravité ou de l'imminence du péril résultant d'une situation particulièrement dangereuse pour le bon ordre, la sécurité ou la salubrité publique, cette autorité, en n'ordonnant pas les mesures indispensables pour faire cesser ce péril grave, méconnaît ses obligations légales.

6. Le rapport de l'expertise ordonnée par le président du tribunal administratif de Rennes révèle que la digue est affectée de désordres consistant, d'une part, dans une fissuration transversale nette de la crête à gauche au sud du moulin ainsi qu'au niveau du bief où des affaissements peuvent être observés et, d'autre part, dans un affouillement localisé dans cette même crête au droit de la porte d'accès centrale du moulin. Il ne ressort toutefois pas des pièces du dossier, et notamment du même rapport, qui n'évoque le risque de rupture de la digue découlant de ces désordres et les conséquences susceptibles d'en découler qu'en termes généraux et hypothétiques dénués de tout lien avec la situation particulière de l'espèce, que l'ouvrage hydraulique serait sur le point de céder ou que la rupture de la digue, dont aucun élément au dossier ne permet au demeurant de déterminer l'endroit où elle se produirait, serait susceptible d'avoir des conséquences graves. Par suite, en l'absence de danger grave ou imminent à la date des décisions contestées et de risque pour la sécurité publique, les maires des communes d'Andouillé-Neuville et de Sens-de-Bretagne n'ont pas méconnu l'obligation de faire usage de leurs pouvoirs de police générale que leur imposent les dispositions du code général des collectivités territoriales rappelées au point 5 en ne procédant pas à la réparation de la digue litigieuse.

En ce qui concerne l'engagement de la responsabilité des communes

d'Andouillé-Neuville et de Sens-de-Bretagne :

7. La mise en jeu de la responsabilité sans faute d'une collectivité publique pour dommages de travaux publics à l'égard d'un justiciable, qui est tiers par rapport à un ouvrage public ou une opération de travaux publics, est subordonnée à la démonstration par le requérant de l'existence d'un lien de causalité entre son préjudice et cet ouvrage ou cette opération.

8. Si M. E..., dont il ne résulte pas de l'instruction qu'il aurait subi un préjudice du fait des désordres affectant la digue, soutient qu'il existe " un lien de causalité entre les désordres sur la digue et les risques pesant sur sa propriété ", il ne précise ni la nature ni l'ampleur du préjudice qu'il estime avoir subi ou auquel il estime être exposé, qu'il ne chiffre au demeurant pas, et n'en établit donc ni la réalité ni le caractère certain. Par suite, eu égard au caractère hypothétique du préjudice allégué, la responsabilité des communes d'Andouillé-Neuville et de Sens-de-Bretagne ne saurait, en tout état de cause, être engagée.

9. Il résulte de ce qui précède que M. E... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Rennes a rejeté ses demandes. Ses conclusions à fin d'injonction sous astreinte ne peuvent par voie de conséquence qu'être rejetées.

Sur les frais liés au litige :

10. En premier lieu, il y a lieu de maintenir les frais de l'expertise à la charge de M. E....

11. En deuxième lieu, les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge conjointe et solidaire des communes d'Andouillé-Neuville et de Sens-de-Bretagne, qui ne sont pas parties perdantes dans la présente espèce, la somme que réclame M. E... au titre des frais d'instance. Elles font obstacle également à ce qu'il soit fait droit aux conclusions présentées au même titre par la SCI de Boëssel, qui n'aurait pas été recevable à former tierce opposition à la décision si celle-ci avait rejeté la requête et si elle n'avait pas été présente à l'instance et, qui, par suite, ne peut être regardée comme une partie pour l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

12. Enfin, dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de mettre à la charge de M. E... le versement aux communes d'Andouillé Neuville et Sens de Bretagne de la somme de 1 000 euros chacune au titre des frais exposés par elles et non compris dans les dépens.

DÉCIDE :

Article 1er : L'intervention de la SCI de Boëssel est admise.

Article 2 : La requête de M. E... est rejetée.

Article 3 : M. E... versera aux communes d'Andouillé-Neuville et Sens-de-Bretagne la somme de 1 000 euros chacune au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : Les conclusions présentées par la SCI de Boëssel au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 5 : Le présent arrêt sera notifié M. A... E..., à la commune d'Andouillé-Neuville, à la commune de Sens-de-Bretagne, à la commune de Feins et à la société civile immobilière de Boëssel.

Délibéré après l'audience du 25 mars 2021, à laquelle siégeaient :

- Mme Perrot, président de chambre,

- M. Berthon, président-assesseur,

- Mme Le Barbier, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 9 avril 2021.

Le rapporteur

M. Le BarbierLe président

I. Perrot

Le greffier

R. Mageau

La République mande et ordonne au ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

No 19NT042982


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Nantes
Formation : 3ème chambre
Numéro d'arrêt : 19NT04298
Date de la décision : 09/04/2021
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : Mme PERROT
Rapporteur ?: Mme Muriel LE BARBIER
Rapporteur public ?: M. GAUTHIER
Avocat(s) : CABINET LEXCAP RENNES

Origine de la décision
Date de l'import : 20/04/2021
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.nantes;arret;2021-04-09;19nt04298 ?
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