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06/04/2021 | FRANCE | N°20NT03019

France | France, Cour administrative d'appel de Nantes, 6ème chambre, 06 avril 2021, 20NT03019


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. A... B... a demandé au tribunal administratif de Nantes d'annuler les arrêtés du 2 juin 2020 du préfet de Maine-et-Loire décidant son transfert aux autorités italiennes et l'assignant à résidence pour une durée de quarante-cinq jours.

Par un jugement n° 2006244 du 9 juillet 2020, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Nantes a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 24 septembre 2020, M. B..., représenté par

Me C..., demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement en tant qu'il rejette sa demande d'annulat...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. A... B... a demandé au tribunal administratif de Nantes d'annuler les arrêtés du 2 juin 2020 du préfet de Maine-et-Loire décidant son transfert aux autorités italiennes et l'assignant à résidence pour une durée de quarante-cinq jours.

Par un jugement n° 2006244 du 9 juillet 2020, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Nantes a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 24 septembre 2020, M. B..., représenté par Me C..., demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement en tant qu'il rejette sa demande d'annulation de l'arrêté de transfert aux autorités italiennes ;

2°) d'annuler cet arrêté de transfert ;

3°) d'enjoindre au préfet de Maine-et-Loire de lui remettre une attestation de demandeur d'asile ou, à titre subsidiaire, de réexaminer sa situation dans les meilleurs délais ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat le versement à son conseil d'une somme de 2 000 euros sur le fondement des dispositions combinées des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991.

Il soutient que :

- l'arrêté est insuffisamment motivé en l'absence de mention du critère sur la base duquel les autorités italiennes ont été saisies et d'éléments d'appréciation sur sa situation de vulnérabilité et sur le risque de renvoi par ricochet ;

- l'article 4 du règlement du 26 juin 2013 a été méconnu dès lors que les informations ont été délivrées par le biais d'un interprète par téléphone sans en justifier le cas de nécessité conformément à l'article L. 111-8 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- il n'est pas établi que l'entretien individuel dont il a bénéficié s'est déroulé dans des conditions prévues par l'article 5 du règlement du 26 juin 2013 avec une personne qualifiée en droit national et dans des conditions permettant la confidentialité des échanges ;

- l'arrêté méconnaît les stipulations des articles 4 de la charte des droits fondamentaux de l'union européenne et 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et 3§2 du règlement du 26 juin 2013 compte tenu des difficultés rencontrées par l'Italie pour la prise en charge des demandeurs d'asile ;

- le préfet a entaché sa décision d'une erreur manifeste d'appréciation au regard des stipulations de l'article 17 du règlement du 26 juin 2013 dès lors qu'il est vulnérable, que l'accès au territoire italien n'était pas possible au 2 juin 2020 et que les conditions de prise en charge des demandeurs d'asile sont défaillantes en Italie.

Par deux mémoires, enregistrés les 22 octobre 2020 et 5 janvier 2021, le préfet de Maine-et-Loire conclut au rejet de la requête.

Il soutient qu'aucun des moyens de la requête n'est fondé et précise que la décision de transfert a été exécutée le 18 décembre 2020.

M. B... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 31 août 2020.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ;

- le règlement (UE) n° 603/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 ;

- le règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

- le code de justice administrative.

Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Le rapport de Mme D... a été entendu au cours de l'audience publique.

Considérant ce qui suit :

1. M. B..., ressortissant érythréen, né le 25 mars 1993, relève appel du jugement du 9 juillet 2020 du magistrat désigné du tribunal administratif de Nantes en tant qu'il a rejeté sa demande tendant à l'annulation de l'arrêté du 2 juin 2020 par lequel le préfet de Maine-et-Loire a décidé son transfert aux autorités italiennes.

2. En premier lieu, la décision litigieuse vise notamment les articles 3 et 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, la convention de Genève du 28 juillet 1951, les règlements (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 et n°1560/2003 du 2 septembre 2003 ainsi que le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, en particulier son article L. 742-3. Elle relève le caractère irrégulier de l'entrée en France du requérant, rappelle le déroulement de la procédure suivie lorsque celui-ci s'est présenté à la préfecture de la Loire-Atlantique, précise que la consultation du système Eurodac a fait apparaître qu'il a franchi irrégulièrement la frontière italienne dans la période précédant les douze mois du dépôt de sa première demande d'asile et mentionne que ces autorités ont implicitement accepté la prise en charge de l'intéressé et doivent être regardées comme responsables de la demande d'asile de M. B.... Il est également précisé que l'intéressé a déclaré être célibataire et ne pas avoir de membre de sa famille résidant en France, qu'il déclare ne pas avoir de problèmes de santé et que sa situation ne présente pas une vulnérabilité particulière et qu'il n'établit pas de risque personnel constituant une atteinte grave au droit d'asile en cas de remise aux autorités italiennes. Par suite, elle est suffisamment motivée en droit et en fait. Le moyen doit être écarté.

3. En deuxième lieu, aux termes de l'article 4 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 : " Droit à l'information /1. Dès qu'une demande de protection internationale est introduite au sens de l'article 20, paragraphe 2, dans un Etat membre, ses autorités compétentes informent le demandeur de l'application du présent règlement, et notamment: /a) des objectifs du présent règlement et des conséquences de la présentation d'une autre demande dans un Etat membre différent ainsi que des conséquences du passage d'un Etat membre à un autre pendant les phases au cours desquelles l'Etat membre responsable en vertu du présent règlement est déterminé et la demande de protection internationale est examinée; /b) des critères de détermination de l'Etat membre responsable (...); /c) de l'entretien individuel en vertu de l'article 5 (...) ; /d) de la possibilité de contester une décision de transfert et, le cas échéant, de demander une suspension du transfert;/e) du fait que les autorités compétentes des Etats membres peuvent échanger des données le concernant aux seules fins d'exécuter leurs obligations découlant du présent règlement; /f) de l'existence du droit d'accès aux données le concernant (...). /2. Les informations visées au paragraphe 1 sont données par écrit, dans une langue que le demandeur comprend ou dont on peut raisonnablement supposer qu'il la comprend. Les Etats membres utilisent la brochure commune (...). Cette brochure commune comprend également des informations relatives à l'application du règlement (UE) n° 603/2013 et, en particulier, à la finalité pour laquelle les données relatives à un demandeur peuvent être traitées dans Eurodac. La brochure commune est réalisée de telle manière que les Etats membres puissent y ajouter des informations spécifiques aux Etats membres. Ces actes d'exécution sont adoptés en conformité avec la procédure d'examen visée à l'article 44, paragraphe 2, du présent règlement. / 3. Si c'est nécessaire à la bonne compréhension du demandeur, les informations lui sont également communiquées oralement, par exemple lors de l'entretien individuel visé à l'article 5. ". Aux termes des dispositions de l'article 5 du même règlement : " 1. Afin de faciliter le processus de détermination de l'Etat membre responsable, l'Etat membre procédant à cette détermination mène un entretien individuel avec le demandeur. Cet entretien permet également de veiller à ce que le demandeur comprenne correctement les informations qui lui sont fournies conformément à l'article 4 (...) / 5. L'entretien individuel a lieu dans des conditions garantissant dûment la confidentialité. Il est mené par une personne qualifiée en vertu du droit national. (...) ". L'article L. 111-8 du même code dispose que : " Lorsqu'il est prévu aux livres II, V et VI et à l'article L. 742-3 du présent code qu'une décision ou qu'une information doit être communiquée à un étranger dans une langue qu'il comprend, cette information peut se faire soit au moyen de formulaires écrits, soit par l'intermédiaire d'un interprète. L'assistance de l'interprète est obligatoire si l'étranger ne parle pas le français et qu'il ne sait pas lire. / En cas de nécessité, l'assistance de l'interprète peut se faire par l'intermédiaire de moyens de télécommunication. Dans une telle hypothèse, il ne peut être fait appel qu'à un interprète inscrit sur l'une des listes mentionnées à l'article L. 111-9 ou à un organisme d'interprétariat et de traduction agréé par l'administration. Le nom et les coordonnées de l'interprète ainsi que le jour et la langue utilisée sont indiqués par écrit à l'étranger ".

4. D'une part, il ressort du résumé de l'entretien individuel produit en première instance et que l'intéressé a signé que M. B..., qui a reçu l'assistance d'un interprète qualifié en langue tigrina, a eu la possibilité, lors de celui-ci, de faire part de toute information pertinente relative à la détermination de l'Etat responsable. Aucun élément du dossier n'établit que cet entretien réalisé par un agent de la préfecture, qui doit être regardé comme ayant la qualité, au sens de l'article 5 précité du règlement n° 604/2013, de " personne qualifiée en vertu du droit national " pour mener l'entretien prévu à cet article, n'aurait pas été mené par une personne qualifiée. Par ailleurs, il ne ressort pas des pièces du dossier que cet entretien individuel aurait été conduit dans des conditions qui n'en auraient pas garanti la confidentialité.

5. D'autre part, à l'appui du moyen tiré de la méconnaissance de l'article 4 du règlement précité, M. B... ne saurait utilement se prévaloir de ce que les services de l'interprète ont été fournis par téléphone sans que le préfet n'en justifie la nécessité, conformément aux dispositions précitées de l'article L. 111-8 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, dès lors que les modalités techniques du déroulement de l'entretien ne l'ont pas privé de la garantie liée au bénéfice d'un interprète.

6. En troisième lieu, aux termes de l'article 3 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 : " 1. Les États membres examinent toute demande de protection internationale présentée par un ressortissant de pays tiers ou par un apatride sur le territoire de l'un quelconque d'entre eux, y compris à la frontière ou dans une zone de transit. La demande est examinée par un seul État membre, qui est celui que les critères énoncés au chapitre III désignent comme responsable. / 2. (...) Lorsqu'il est impossible de transférer un demandeur vers l'État membre initialement désigné comme responsable parce qu'il y a de sérieuses raisons de croire qu'il existe dans cet État membre des défaillances systémiques dans la procédure d'asile et les conditions d'accueil des demandeurs, qui entraînent un risque de traitement inhumain ou dégradant au sens de l'article 4 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, l'État membre procédant à la détermination de l'État membre responsable poursuit l'examen des critères énoncés au chapitre III afin d'établir si un autre État membre peut être désigné comme responsable (...) ". Aux termes de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et 4 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne : " Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants ".

7. Si M. B... invoque les conditions de prise en charge des demandeurs d'asile en Italie, les documents qu'il produit à l'appui de ses allégations ne permettent pas de tenir pour établi que sa demande d'asile serait exposée à un risque sérieux de ne pas être traitée par les autorités italiennes dans des conditions conformes à l'ensemble des garanties exigées par le respect du droit d'asile, alors que l'Italie est un Etat membre de l'Union européenne, partie tant à la convention de Genève du 28 juillet 1951 sur le statut des réfugiés, complétée par le protocole de New-York, qu'à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. Il n'établit ainsi pas encourir le risque de subir dans ce pays un traitement inhumain ou dégradant en méconnaissance des articles 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et 4 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union Européenne.

8. En quatrième et dernier lieu, aux termes de l'article 17 du règlement (UE) n°604/2013 du 26 juin 2013, " 1. Par dérogation à l'article 3, paragraphe 1, chaque État membre peut décider d'examiner une demande de protection internationale qui lui est présentée par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, même si cet examen ne lui incombe pas en vertu des critères fixés dans le présent règlement. / L'État membre qui décide d'examiner une demande de protection internationale en vertu du présent paragraphe devient l'État membre responsable et assume les obligations qui sont liées à cette responsabilité. (...) ". Il résulte de ces dispositions que si le règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 prévoit en principe qu'une demande d'asile est examinée par un seul État membre et que cet État est déterminé par application des critères fixés par son chapitre III, dans l'ordre énoncé par ce chapitre, l'application des critères d'examen des demandes d'asile est toutefois écartée en cas de mise en oeuvre, soit de la clause dérogatoire énoncée au paragraphe 1 de l'article 17 du règlement, qui procède d'une décision prise unilatéralement par un État membre, soit de la clause humanitaire définie par le paragraphe 2 de ce même article 17 du règlement. Cette faculté laissée à chaque État membre par l'article 17 de ce règlement est discrétionnaire et ne constitue nullement un droit pour les demandeurs d'asile.

9. Si M. B... soutient qu'il souffre de stress et n'a pu consulter un médecin, il n'établit pas que cet état de santé ferait obstacle à son transfert ou qu'il ne pourrait pas donner lieu à une prise en charge adaptée en Italie. Par ailleurs, si le requérant se prévaut de la situation sanitaire résultant de l'épidémie de Covid 19 et son impact sur les possibilités de circulation, cette circonstance a trait à l'exécution de la mesure de transfert et non à sa légalité. Par suite, le moyen tiré de ce que le préfet aurait commis une erreur manifeste d'appréciation en ne faisant pas usage de la clause discrétionnaire prévue au 1 de l'article 17 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 doit être écarté.

10. Il résulte de tout ce qui précède que M. B... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Nantes a rejeté sa demande. Par suite, sa requête, y compris ses conclusions relatives aux frais liés au litige, doit être rejetée.

DECIDE :

Article 1er : La requête de M. B... est rejetée.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. A... B... et au ministre de l'intérieur.

Une copie en sera transmise pour information au préfet de Maine-et-Loire.

Délibéré après l'audience du 19 mars 2021, à laquelle siégeaient :

- M. Coiffet, président,

- Mme Gélard, premier conseiller,

- Mme D..., premier conseiller

Rendu public par mise à disposition au greffe le 6 avril 2021.

Le rapporteur, Le président,

F. D... O. COIFFET

La greffière,

P. CHAVEROUX

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

N° 20NT030192

1


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Nantes
Formation : 6ème chambre
Numéro d'arrêt : 20NT03019
Date de la décision : 06/04/2021
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : M. COIFFET
Rapporteur ?: Mme Fanny MALINGUE
Rapporteur public ?: M. LEMOINE
Avocat(s) : BEARNAIS

Origine de la décision
Date de l'import : 13/04/2021
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.nantes;arret;2021-04-06;20nt03019 ?
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