La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

06/04/2021 | FRANCE | N°19NT03784

France | France, Cour administrative d'appel de Nantes, 6ème chambre, 06 avril 2021, 19NT03784


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme B... D... épouse A... a demandé au tribunal administratif de Rennes, d'une part, de condamner la commune d'Auray à lui verser la somme totale de 182 700 euros en réparation des préjudices qu'elle estime avoir subis du fait de la maladie imputable au service dont elle est atteinte, d'autre part, de désigner, avant dire droit, un expert, afin que soit fixée la date de consolidation de son état de santé et que soient déterminés et évalués les préjudices extra patrimoniaux subis, avant et après conso

lidation, enfin de mettre à la charge de la commune les entiers dépens ainsi ...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme B... D... épouse A... a demandé au tribunal administratif de Rennes, d'une part, de condamner la commune d'Auray à lui verser la somme totale de 182 700 euros en réparation des préjudices qu'elle estime avoir subis du fait de la maladie imputable au service dont elle est atteinte, d'autre part, de désigner, avant dire droit, un expert, afin que soit fixée la date de consolidation de son état de santé et que soient déterminés et évalués les préjudices extra patrimoniaux subis, avant et après consolidation, enfin de mettre à la charge de la commune les entiers dépens ainsi que la somme de 2 500 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Par un jugement n° 1701632 du 4 juillet 2019, le tribunal administratif de Rennes a rejeté les conclusions relatives à l'engagement de la responsabilité pour faute de la commune d'Auray ainsi que celles relatives à la réparation des préjudices patrimoniaux (article 1er), a diligenté une expertise (articles 2 et 3) et réservé jusqu'à la fin de l'instance les autres droits et moyens des parties (article 4).

Procédure devant la cour :

Par une requête et des mémoires, enregistrés les 24 septembre 2019, 4 juillet 2020 et 4 mars 2021, Mme A..., représentée par Me C..., demande à la cour :

1°) d'annuler l'article 1er de ce jugement ;

2°) de condamner la commune d'Auray à lui verser la somme totale de 52 700 euros en réparation des préjudices subis du fait de la faute qu'elle a commise ;

3°) de mettre à la charge de la commune d'Auray une somme de 2 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- la responsabilité pour faute de la commune d'Auray doit être engagée pour méconnaissance de son obligation de sécurité en raison de sa négligence à avoir installé l'école de musique dans un local non adapté sans démarche d'évaluation des caractéristiques acoustiques des bâtiments, de sa négligence pour avoir ignoré les mises en garde qui lui ont été adressées et de sa tardiveté de la mise en oeuvre des investigations ayant confirmé le caractère dangereux du bâtiment et, particulièrement, de la salle Chopin qu'elle occupait ainsi que de la réalisation des travaux d'insonorisation ; les caractéristiques de la salle Chopin ne répondaient pas aux normes prévues par l'arrêté du 25 avril 2003 ;

- elle est fondée à solliciter l'indemnisation, à hauteur de la somme de 40 000 euros, de la perte de chance de poursuivre et de terminer sa carrière dans des conditions normales ;

- elle subit un préjudice de 2 700 euros lié aux soins de psychothérapie qu'elle a dû suivre pendant une période d'au moins deux années ;

- en raison de la précarité de sa situation, elle s'est vue refuser le prêt immobilier qu'elle sollicitait pour faire l'acquisition de la maison qu'elle loue ; ce préjudice doit être indemnisé à hauteur de la somme de 10 000 euros.

Par trois mémoires, enregistrés les 4 juin 2020, 18 novembre 2020 et 11 mars 2021, la commune d'Auray, représentée par Me F..., conclut au rejet de la requête et demande que soit mise à la charge de Mme A... la somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle fait valoir que :

- aucune faute n'a été commise ;

- à titre subsidiaire, si la cour estimait qu'une faute a été commise, les préjudices ne sont établis ni dans leur réalité ni dans leur étendue ; les dépenses de santé ne sont ni certaines ni actuelles.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la code du travail ;

- la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 ;

- la loi n° 84-53 du 26 janvier 1984 ;

- le décret n° 85-603 du 10 juin 1985 ;

- l'arrêté du 25 avril 2003 relatif à la limitation du bruit dans les établissements d'enseignement ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme E...,

- les conclusions de M. Lemoine, rapporteur public,

- et les observations de Me C..., représentant Mme A....

Considérant ce qui suit :

1. Mme A... a été recrutée à compter du 1er janvier 1992 par la commune d'Auray en qualité d'assistante territoriale d'enseignement artistique pour assurer les fonctions de professeur de piano à l'école de musique municipale. Elle a été titularisée par un arrêté du 20 septembre 2000. Après plusieurs malaises survenus en juin et septembre 2009 associés à des acouphènes, elle a été placée en congé de maladie. Par un premier arrêté du 7 mai 2015, sa pathologie a été reconnue comme imputable au service à compter du 3 juin 2009. Par un second arrêté du même jour, elle a été placée en congé pour maladie professionnelle survenue dans l'exercice de ses fonctions pour différentes périodes. Enfin, par un arrêté du 23 novembre 2015, elle a été admise à la retraite pour invalidité à compter du 1er septembre 2015. Par courrier reçu le 26 décembre 2016 par les services de la commune d'Auray, elle a demandé la réparation des préjudices résultant de son invalidité en lien avec la pathologie auditive dont elle souffre. Le 3 février 2017, le maire d'Auray a rejeté sa demande. Elle a alors, le 4 avril 2017, sollicité du tribunal administratif de Rennes la condamnation de la commune d'Auray à lui verser la somme totale de 182 700 euros en réparation des différents préjudices qu'elle estime avoir subis du fait de la maladie imputable au service dont elle est atteinte. Elle relève appel de l'article 1er du jugement du 4 juillet 2019 par lequel le tribunal administratif de Rennes a rejeté ses conclusions relatives à l'engagement de la responsabilité pour faute de la collectivité et à la réparation de ses préjudices patrimoniaux.

Sur la responsabilité pour faute :

2. Les dispositions qui instituent, en faveur des fonctionnaires victimes d'accidents de service ou de maladies professionnelles, une rente viagère d'invalidité en cas de mise à la retraite et une allocation temporaire d'invalidité en cas de maintien en activité, doivent être regardées comme ayant pour objet de réparer les pertes de revenus et l'incidence professionnelle résultant de l'incapacité physique causée par un accident de service ou une maladie professionnelle. Elles déterminent forfaitairement la réparation à laquelle les fonctionnaires concernés peuvent prétendre, au titre de ces chefs de préjudice, dans le cadre de l'obligation qui incombe aux collectivités publiques de garantir leurs agents contre les risques qu'ils peuvent courir dans l'exercice de leurs fonctions. Ces dispositions ne font obstacle ni à ce que le fonctionnaire qui subit, du fait de l'invalidité ou de la maladie, des préjudices patrimoniaux d'une autre nature ou des préjudices personnels, obtienne de la personne publique qui l'emploie, même en l'absence de faute de celle-ci, une indemnité complémentaire réparant ces chefs de préjudice ni à ce qu'une action de droit commun pouvant aboutir à la réparation intégrale de l'ensemble du dommage soit engagée contre la collectivité, dans le cas notamment où l'accident ou la maladie serait imputable à une faute de nature à engager la responsabilité de cette collectivité.

3. Aux termes de l'article 2 du décret du 10 juin 1985 relatif à l'hygiène et à la sécurité du travail ainsi qu'à la médecine professionnelle et préventive dans la fonction publique territoriale : " Dans les collectivités et établissements mentionnés à l'article 1er, les locaux et installations de service doivent être aménagés, les équipements doivent être réalisés et maintenus de manière à garantir la sécurité des agents et des usagers. Les locaux doivent être tenus dans un état constant de propreté et présenter les conditions d'hygiène et de sécurité nécessaires à la santé des personnes. ". Aux termes de l'article 2-1 du même décret : " Les autorités territoriales sont chargées de veiller à la sécurité et à la protection de la santé des agents placés sous leur autorité. ". Les autorités administratives ont l'obligation de prendre les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et morale de leurs agents. Il leur appartient à ce titre, sauf à commettre une faute de service, d'assurer la bonne exécution des dispositions législatives et réglementaires qui ont cet objet, ainsi que le précise l'article 2-1 introduit par le décret du 16 juin 2000 dans le décret du 10 juin 1985 précité.

4. En premier lieu, Mme A... soutient que la commune d'Auray a commis une faute en la faisant travailler, en méconnaissance des règles de sécurité applicables, dans des locaux inadaptés et dangereux en l'absence de traitement acoustique de la salle Chopin de l'école de musique dans laquelle elle dispensait des cours de piano. Toutefois, la requérante ne saurait tout d'abord, pour établir l'existence d'un manquement à l'obligation de sécurité et de protection de la santé, utilement invoquer la méconnaissance des seuils prévus par l'arrêté du 25 avril 2003 relatif à la limitation du bruit dans les établissements d'enseignement s'appliquant aux bâtiments neufs ou parties nouvelles de bâtiments existants dans ces établissements au nombre desquels ne figure pas l'école de musique. Ensuite, Mme A... n'établit pas que, tant lors de l'installation de l'école de musique que par la suite, les dispositions du code du travail relatives aux obligations de l'employeur en matière de prévention des risques dus au bruit alors applicables auraient été méconnues en raison du dépassement des seuils fixés qu'elles prévoient. Ainsi en est-il notamment des prescriptions des articles R. 232-8 et suivants du code du travail avant le 20 juillet 2006, figurant après cette date aux articles R. 231-125 et suivants du même code, et reprises enfin aux articles R. 4431-2 et suivants à la suite de la nouvelle codification, dont elle n'allègue pas d'ailleurs davantage du caractère insuffisant. Par suite, elle n'est pas fondée à soutenir que la commune d'Auray a commis une faute au regard des obligations qui lui incombaient de bonne exécution des dispositions législatives et réglementaires applicables en matière de bruit.

5. En deuxième lieu, s'il ressort des pièces du dossier que la commune d'Auray avait été informée dès 2001 des conditions acoustiques défavorables de la salle Chopin et que la collectivité s'est limitée, avant le mois de juin 2009, à diligenter une étude réalisée en interne sur le bruit, laquelle n'a été accompagnée d'aucune mesure audiométrique se bornant à préconiser l'utilisation de protections individuelles, il y a lieu cependant de constater qu'aucun des éléments recueillis ne faisait état d'une alerte des services de la commune sur un réel danger susceptible de compromettre la sécurité ou la sécurité des agents nécessitant la mise en place de mesures urgentes, à laquelle il n'aurait pas été donné suite. S'agissant de la situation de Mme A..., il ne ressort pas des éléments versés aux débats et n'est pas soutenu que le médecin du travail, qui a attesté le 26 mars 2010 que l'intéressée présentait depuis 2006 une accentuation de la perte en décibels, ait alerté la commune d'Auray sur sa situation particulière et préconisé des mesures qui n'auraient pas été suivies d'effet en raison de l'inaction de la collectivité. La note du 3 juin 2009 de la directrice des affaires culturelles, établie le jour où la requérante a fait son premier malaise, et dont cette dernière se prévaut, rappelle au demeurant, ce qu'aucun élément ne permet de remettre en cause, que les locaux en question " ont fait l'objet par les services techniques de quelques améliorations acoustiques ". Par suite, la faute invoquée tenant à la négligence dont aurait fait preuve la commune d'Auray dans la prise en compte des alertes émises antérieurement aux malaises de Mme A..., survenus en juin et septembre 2009 comme il a été indiqué aux point 1, n'est pas établie.

6. En troisième lieu, il est constant qu'à la suite du premier malaise de Mme A... survenu le 3 juin 2009, la commune d'Auray a diligenté une expertise acoustique qui s'est tenue le 18 juin 2009. Après la remise du rapport de cet expert en août 2009 qui a mis en évidence des performances acoustiques perfectibles de la salle Chopin, les travaux d'amélioration ont débuté, en particulier s'agissant de cette salle, dès le mois d'octobre 2009. Par ailleurs, il ne ressort pas des pièces produites que la commune d'Auray aurait tardé à répondre à la demande de fourniture de protections individuelles, qu'elle a prises en charge en mars 2010. Par suite, la requérante n'est pas fondée à soutenir que la commune d'Auray a, après la survenue de l'accident, tardé à mettre en oeuvre les mesures qu'elle a estimé nécessaires.

7. Il résulte de tout de ce qui précède que Mme A..., dont la reconnaissance de l'imputabilité au service de sa maladie n'impliquait par elle-même aucune reconnaissance d'une faute, n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par l'article 1er du jugement attaqué, le tribunal administratif de Rennes a rejeté ses conclusions tendant à l'engagement pour faute de la responsabilité de la commune d'Auray.

Sur les préjudices :

8. D'une part, il résulte de ce qui précède que Mme A..., en l'absence de toute faute commise par la commune d'Auray, n'est pas fondée à solliciter l'indemnisation du préjudice de carrière qu'elle estime avoir subi.

9. D'autre part, Mme A... se borne à reprendre en appel, sans apporter aucun élément nouveau de fait ou de droit, les moyens invoqués devant le tribunal administratif de Rennes et tirés de ce que la commune d'Auray doit être condamnée à lui verser une somme de 2 700 euros au titre du coût des soins de psychothérapie, préjudice dont le caractère certain n'est pas établi, et une somme de 10 000 euros en réparation du préjudice qu'elle estime subir du fait du refus de prêt qui lui a été opposé pour l'acquisition de son habitation, alors qu'aucun lien direct et certain n'est établi entre le préjudice allégué et la maladie professionnelle dont est atteinte la requérante. Il y a lieu d'écarter ces moyens par adoption des motifs par lesquels les premiers juges les ont, à bon droit, écartés.

10. Il résulte de ce qui précède que Mme A... n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par l'article 1er du jugement attaqué, le tribunal administratif de Rennes a rejeté ses demandes d'indemnisation des préjudices patrimoniaux.

Sur les frais liés au litige :

11. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de la commune d'Auray, qui n'est pas la partie perdante, la somme sollicitée par Mme A... sur ce fondement.

12. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire droit à la demande présentée par la commune d'Auray sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

DECIDE :

Article 1er : La requête de Mme D... épouse A... est rejetée.

Article 2 : Les conclusions de la commune d'Auray présentées sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à Mme B... D... épouse A... et à la commune d'Auray.

Délibéré après l'audience du 19 mars 2021, à laquelle siégeaient :

- M. Coiffet, président,

- Mme Gélard, premier conseiller,

- Mme E..., premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 6 avril 2021.

Le rapporteur,

F. E...Le président,

O. COIFFET

Le greffier,

P. CHAVEROUX

La République mande et ordonne au ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

1

N° 19NT03784 2

1


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Nantes
Formation : 6ème chambre
Numéro d'arrêt : 19NT03784
Date de la décision : 06/04/2021
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Composition du Tribunal
Président : M. COIFFET
Rapporteur ?: Mme Fanny MALINGUE
Rapporteur public ?: M. LEMOINE
Avocat(s) : RODIER

Origine de la décision
Date de l'import : 14/04/2021
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.nantes;arret;2021-04-06;19nt03784 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award