Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
Mme D... G... épouse B... et M. E... B... ont demandé au tribunal administratif de Nantes d'annuler la décision en date du 19 juin 2019 par laquelle la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a confirmé la décision de l'autorité consulaire française à Kinshasa (République démocratique du Congo) refusant des visas d'entrée et de long séjour à Mme G... et aux enfants F... B... H..., Jhovie Nsimba B... et Jaden Nzuzi B... au titre du regroupement familial.
Par un jugement n° 1908921 du 20 février 2020, le tribunal administratif de Nantes a rejeté leur demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête enregistrée le 20 mars 2020, M. B... et Mme G..., représentés par Me C..., demandent à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Nantes du 20 février 2020 ;
2°) d'annuler la décision de la commission de recours contre les refus de visa d'entrée en France en date du 19 juin 2019 et celle de l'autorité consulaire ;
3°) d'enjoindre au ministre de l'intérieur de réexaminer leur demande et de délivrer les visas d'entrée et de long séjour sollicités ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat le versement de la somme de 3 500 euros sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et dire que cette somme sera recouvrée par Me C....
Ils demandent à la cour d'ordonner une expertise biologique avant dire droit et soutiennent que :
- M. B... a refusé de verser une somme d'argent demandée par les gardes du consulat de France à Kinshasa ; le refus de visa est curieusement intervenu dans ce contexte, au cours de la procédure de référé intentée devant le tribunal administratif évitant ainsi au consulat d'avoir à s'expliquer sur les pratiques de ses agents ;
- la décision attaquée ne respecte pas l'autorisation de regroupement familial ;
- elle est insuffisamment motivée dès lors qu'elle ne précise pas les irrégularités reprochées aux documents d'état civil présentés à l'appui de la demande de visas ;
- elle n'a pas été précédée d'un examen particulier ;
- elle est entachée d'erreur d'appréciation ; le mariage coutumier a été célébré avant le mariage civil, ce qui est courant en République démocratique du Congo ; les déclarations des naissances des enfants sont intervenues dans le délai de 90 jours prévu à l'article 116 du code de la famille congolais ; l'officier d'état civil de la commune de Kimbaseke à Kinshasa confirme l'authenticité de ces actes ;
- M. B... est disposé à effectuer des analyses génétiques afin d'établir la filiation de ses enfants ;
- la décision attaquée méconnait l'autorité de la chose jugée.
Par un mémoire en défense, enregistré le 8 juillet 2020, le ministre de l'intérieur conclut au rejet de la requête et à la suppression, sur le fondement de l'article L. 741-2 du code de justice administrative, d'un passage des écritures des requérants.
Il soutient que :
- les moyens soulevés par Mme G... et M. B... ne sont pas fondés ;
- une partie des écritures des requérants revêt un caractère outrageant et injurieux pour l'administration.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code civil ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le rapport de Mme A... a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. M. B..., ressortissant de la République démocratique du Congo, est entré en France en 1992. Par une décision en date du 24 août 2017, le préfet de Seine-et-Marne a autorisé le regroupement familial de Mme G... et des enfants F... B... H..., Jhovie Nsimba B... et Jaden Nzuzi B.... Par une décision en date du 3 avril 2019, l'autorité consulaire française à Kinshasa a refusé de délivrer des visas d'établissement à Mme G... et à ces trois enfants. Le recours formé devant la commission de recours contre les refus de visa d'entrée en France a été rejeté le 19 juin 2019. M. B... et Mme G... relèvent appel du jugement du 20 février 2020 par lequel le tribunal administratif de Nantes a rejeté leur demande tendant à l'annulation de la décision du 19 juin 2019.
2. Lorsque la venue d'une personne en France a été autorisée au titre du regroupement familial, l'autorité consulaire n'est en droit de rejeter la demande de visa dont elle est saisie à cette fin que pour un motif d'ordre public. Figure au nombre de ces motifs l'absence de caractère probant des actes de mariage ou de filiation produits.
3. D'une part, aux termes de l'article L. 111-6 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " (...) La vérification de tout acte d'état civil étranger est effectuée dans les conditions définies par l'article 47 du code civil " et aux termes de l'article 47 du code civil : " Tout acte de l'état civil des Français et des étrangers fait en pays étranger et rédigé dans les formes usitées dans ce pays fait foi, sauf si d'autres actes ou pièces détenus, des données extérieures ou des éléments tirés de l'acte lui-même établissent, le cas échéant après toutes vérifications utiles, que cet acte est irrégulier, falsifié ou que les faits qui y sont déclarés ne correspondent pas à la réalité ". Il résulte de ces dispositions que la force probante d'un acte d'état civil établi à l'étranger peut être combattue par tout moyen susceptible d'établir que l'acte en cause est irrégulier, falsifié ou inexact. En cas de contestation par l'administration de la valeur probante d'un acte d'état civil établi à l'étranger, il appartient au juge administratif de former sa conviction au vu de l'ensemble des éléments produits par les parties. D'autre part, il n'appartient pas aux autorités administratives françaises, hormis les cas de fraude, de mettre en doute le bien-fondé d'une décision rendue par une autorité juridictionnelle étrangère.
4. A l'appui de la demande de visa de Mme G... ont été produits un acte de naissance, établi sur la base d'un jugement supplétif rendu le 18 mai 2017 par le tribunal de paix de Kinshasa/ N'djili, et un acte de mariage du 24 mai 2013.
5. Le ministre fait valoir dans ses écritures que le jugement supplétif d'acte de naissance de Mme G... comporte des irrégularités et anomalies remettant en cause son caractère authentique. Il soutient que ce jugement supplétif n'est pas conforme au droit local dès lors que le défaut d'acte de naissance de Mme G... aurait dû être suppléé par un acte de notoriété, prévu à l'article 153 du code de la famille congolaise, et non par un jugement supplétif. Il ressort des pièces du dossier que l'article 153 de ce code, issu de la loi congolaise du 1er aout 1987 portant code de la famille, dispose qu'" à défaut d'acte de l'état civil constatant la naissance, le décès ou le mariage, sur la base des dispositions légales ou réglementaire antérieures à la présente loi, toute personne y ayant intérêt peut demander à l'officier de l'état civil du lieu de naissance, de décès ou de mariage, d'établir un acte de notoriété le suppléant ". Toutefois, la possibilité prévue par cet article, pour les personnes nées, comme Mme G..., avant l'entrée en vigueur de la loi du 1er août 1987 et dont la naissance n'a pas été déclarée à l'état civil, de faire établir un acte de notoriété par un officier d'état civil ne prive pas ces personnes de la faculté qui leur est offerte par l'article 106 du même code, sur le fondement duquel le jugement supplétif du 18 mai 2017 a été rendu, de rechercher un jugement supplétif d'acte de naissance et ne permet pas non plus d'établir le caractère frauduleux de ce jugement. Par ailleurs, ni le caractère tardif de ce jugement ni les circonstances que son contenu serait déclaratif, que la date de la requête varierait dans le jugement (3 mai 2017 ou 16 mai 2017) et qu'il n'indiquerait pas les prénoms des parents de l'intéressée ne suffisent à établir que ce jugement serait frauduleux. Enfin, si l'acte dressé en transcription de ce jugement comporte des indications relatives aux dates de naissance, nationalité, profession et adresse des parents qui ne figurent pas dans le jugement supplétif, cette circonstance n'est pas de nature à retirer à l'acte sa valeur probante en l'absence de toute contradiction ou incohérence entre ces documents, et à défaut pour le ministre d'établir que la loi étrangère s'y opposerait.
6. Cependant, le ministre de l'intérieur soutient également que l'acte de mariage de Mme G... est irrégulier au regard de l'article 373 de la loi congolaise du 1er août 1987 selon lequel l'officier de l'état civil exige, pour enregistrer un mariage, la remise d'un extrait de l'acte de naissance de chacun des époux ou, à défaut, un acte de notoriété délivré par le juge de paix de son lieu de naissance, de son domicile ou de sa résidence. Il ressort en effet des mentions portées sur l'acte de mariage du 24 mai 2013 que Mme G... a justifié de son identité par la seule production d'un certificat de coutume. En se bornant à alléguer que leur mariage coutumier était antérieur à la date du 24 mai 2013, les requérants ne fournissent aucune explication pour expliquer cette anomalie. Cette circonstance est de nature à remettre en cause l'authenticité de l'acte de mariage ainsi produit et par suite, le lien matrimonial.
7. Pour justifier de l'identité et du lien de filiation des enfants F..., née le 10 septembre 2009, et Jhovie et Jaden, nés le 19 janvier 2013, ont été produites des copies intégrales d'actes de naissance respectivement dressés le 28 octobre 2009 pour F... et le 20 mars 2013 pour Jhovie et Jaden. Il ressort des pièces produites par le ministre de l'intérieur que le délai de déclaration des naissances, fixé à 30 jours par l'article 116 du code de la famille, dans sa version issue de la loi du 1er août 1987, a été porté à 90 jours par la loi congolaise du 15 juillet 2016. Les actes de naissance des trois enfants, dressés antérieurement à cette modification du délai de déclaration, ne sont donc pas conformes aux dispositions du droit local régissant le délai de déclaration des naissances et ne pouvaient être dressés sans jugement supplétif préalable. S'il ressort enfin des pièces du dossier que l'authenticité de la signature de l'officier d'état civil apposée sur ces actes est attestée par notaire, cette circonstance ne permet pas de regarder ces actes comme probants, dès lors que cette formalité n'opère aucune vérification des informations contenues dans l'acte. Dans ces conditions, l'identité des enfants et leur filiation à l'égard de M. B... ne peuvent être regardées comme établies par la production de ces actes.
8. Enfin, la production de bordereaux d'envois d'argent de M. B... à Mme G... épouse B..., postérieurs à la décision attaquée, de preuves de voyages de celui-ci dans son pays d'origine, et de photographies ne suffisent pas non plus à établir les liens familiaux allégués par les requérants par la possession d'état.
9. Toutefois, aux termes de l'article R. 621-1 du code de justice administrative : " la juridiction peut, soit d'office, soit sur la demande des parties ou de l'une d'elles, ordonner, avant-dire droit, qu'il soit procédé à une expertise sur les points déterminés par sa décision ". Il incombe, en principe, au juge administratif de statuer au vu des pièces du dossier, le cas échéant après avoir demandé aux parties les éléments complémentaires qu'il juge nécessaires à son appréciation. Il ne lui appartient d'ordonner une expertise que lorsqu'il n'est pas en mesure de se prononcer au vu des pièces et éléments qu'il a recueillis et que l'expertise présente ainsi un caractère utile.
10. M. B... se dit disposé à effectuer des analyses génétiques pour établir son lien de filiation avec les enfants F... B... H..., Jhovie Nsimba B... et Jaden Nzuzi B.... Il est dans l'intérêt des enfants F... B... H..., Jhovie Nsimba B... et Jaden Nzuzi B... que leur lien de filiation à l'égard de M. B... et de Mme G... épouse B..., qui n'a pu être établi par les documents d'état civil ou par la possession d'état, soit établi ou écarté avec certitude. Une expertise afin de déterminer ce lien de filiation présente ainsi, dans les circonstances de l'espèce, un caractère d'utilité.
11. Par suite, il y a lieu d'ordonner une expertise sur ce point, à fin d'examen comparatif des empreintes génétiques entre, d'une part, M. E... B..., et les enfants F... B... H..., Jhovie Nsimba B... et Jaden Nzuzi B... et, d'autre part, Mme D... G... épouse B... et les enfants F... B... H..., Jhovie Nsimba B... et Jaden Nzuzi B... dans les conditions ci-après définies.
DECIDE :
Article 1er : Il sera, avant de statuer sur les conclusions de la requête de M. B... et Mme G..., procédé à une expertise à fin d'examen comparatif des empreintes génétiques entre, d'une part, M. B..., et les enfants F... B... H..., Jhovie Nsimba B... et Jaden Nzuzi B... et, d'autre part, Mme G... épouse B... et les enfants F... B... H..., Jhovie Nsimba B... et Jaden Nzuzi B....
Article 2 : L'expert aura pour mission :
1°) de recueillir le consentement de M. B... et de Mme G... ;
2°) de faire procéder à tous prélèvements utiles sur la personne de M. B... ;
3°) de faire procéder à tous prélèvements utiles sur les personnes de Mme G..., et des enfants F... B... H..., Jhovie Nsimba B... et Jaden Nzuzi B... et de déterminer les modalités d'envoi des échantillons en France pour analyse ;
4°) d'analyser ces prélèvements et de procéder à une comparaison des profils génétiques de ces personnes ;
5°) de dire si la paternité de M. B... à l'égard des enfants F... B... H..., Jhovie Nsimba B... et Jaden Nzuzi B... est exclue ou au contraire si elle est probable, en évaluant le pourcentage de probabilité ;
6°) de dire si la maternité de Mme G... à l'égard des enfants F... B... H..., Jhovie Nsimba B... et Jaden Nzuzi B... est exclue ou au contraire si elle est probable, en évaluant le pourcentage de probabilité ;
7°) de faire toutes observations utiles à la solution du litige.
Article 3 : L'expert sera désigné par le président de la cour administrative d'appel. Après avoir prêté serment, il accomplira sa mission dans les conditions prévues par les articles R. 621-2 à R. 621-4 du code de justice administrative. Il ne pourra recourir à un sapiteur sans l'autorisation préalable du président de la cour.
Article 4: L'expert déposera son rapport en deux exemplaires au greffe de la cour dans un délai de six mois au plus à compter de sa désignation. Il en notifiera des copies aux parties intéressées. Avec leur accord, cette notification pourra s'opérer sous forme électronique. L'expert n'établira un pré-rapport que s'il l'estime indispensable.
Article 5 : Tous droits et moyens des parties sur lesquels il n'est pas expressément statué par le présent arrêt sont réservés jusqu'en fin d'instance.
Article 6 : Le présent arrêt sera notifié à Mme D... G..., à M. E... B... et au ministre de l'intérieur.
Délibéré après l'audience du 26 janvier 2021 à laquelle siégeaient :
- M. Pérez, président de chambre,
- Mme A..., présidente assesseur,
- Mme Bougrine, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe de la cour le 23 mars 2021.
Le rapporteur,
H. A...
Le président,
A. PÉREZ
Le greffier,
A. BRISSET
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
N° 20NT01058 2