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16/03/2021 | FRANCE | N°20NT02039

France | France, Cour administrative d'appel de Nantes, 6ème chambre, 16 mars 2021, 20NT02039


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. A... a demandé au tribunal administratif de Nantes d'annuler l'arrêté du 14 janvier 2020 par lequel le préfet de Maine-et-Loire a décidé son transfert aux autorités italiennes, responsables de l'examen de sa demande d'asile, ainsi que l'arrêté du même jour l'assignant à résidence dans le département de la Loire-Atlantique.

Par un jugement n° 2001367 du 11 février 2020, le magistrat désigné du tribunal administratif de Nantes a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :
>Par une requête enregistrée le 16 juillet 2020, M. A..., représenté par Me E... D..., demande à la...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. A... a demandé au tribunal administratif de Nantes d'annuler l'arrêté du 14 janvier 2020 par lequel le préfet de Maine-et-Loire a décidé son transfert aux autorités italiennes, responsables de l'examen de sa demande d'asile, ainsi que l'arrêté du même jour l'assignant à résidence dans le département de la Loire-Atlantique.

Par un jugement n° 2001367 du 11 février 2020, le magistrat désigné du tribunal administratif de Nantes a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête enregistrée le 16 juillet 2020, M. A..., représenté par Me E... D..., demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Nantes du 11 février 2020 ;

2°) d'annuler les arrêtés du 14 janvier 2020 ;

3°) d'enjoindre au préfet de Maine-et-Loire de lui délivrer une autorisation provisoire de séjour d'une durée minimale d'un mois dans le délai de 8 jours à compter de la notification de l'arrêt à intervenir et de transmettre sa demande d'asile à l'Office français de protection des réfugiés et apatrides pour examen ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat le versement à son conseil, qui renonce à percevoir la part contributive de l'Etat au titre de l'aide juridictionnelle, d'une somme de 1 800 euros sur le fondement des dispositions combinées des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991.

Il soutient que :

- la décision portant transfert est contraire aux stipulations de l'article 4 du règlement du 26 juin 2013 ; il ne s'est vu remettre aucune information, ni aucune brochure lors de son passage au centre de pré-accueil ;

- le préfet ne démontre pas que les dispositions de l'article 5 du même règlement ainsi que celles prévues à l'article L. 111-8 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ont été respectées ; il n'est pas établi que son entretien ait été réalisé par un agent qualifié et dans des conditions de confidentialité et qu'il en ait compris le sens ;

- la décision contestée est contraire aux stipulations de l'article 4 de la charte des droits fondamentaux de l'union européenne et de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- le préfet a méconnu les stipulations de l'article 17 du règlement du 26 juin 2013 ;

- l'arrêté d'assignation à résidence est illégal en raison de l'illégalité de l'arrêté de transfert.

Par un mémoire en défense, enregistré le 4 septembre 2020, le préfet de Maine-et-Loire conclut au rejet de la requête.

Il indique que l'Italie est libérée de son obligation de prise en charge en application de l'article 29 du règlement du 26 juin 2013 de sorte qu'il y a lieu de prononcer un non-lieu à statuer sur les conclusions dirigées contre l'arrêté de transfert.

Il soutient en outre que les moyens soulevés par M. A... ne sont pas fondés.

M. A... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 11 juin 2020.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ;

- le règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991, modifiée, relative à l'aide juridique ;

- le décret n° 91-1266 du 19 décembre 1991 modifié ;

- le code de justice administrative.

Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Le rapport de Mme B... a été entendu au cours de l'audience publique.

Considérant ce qui suit :

1. M. A..., ressortissant érythréen, relève appel du jugement du 11 février 2020 par lequel le magistrat désigné du tribunal administratif de Nantes a rejeté sa demande tendant à l'annulation de l'arrêté du 14 janvier 2020 par lequel le préfet de Maine-et-Loire a décidé son transfert aux autorités italiennes, responsables de l'examen de sa demande d'asile, ainsi que de l'arrêté du même jour l'assignant à résidence.

Sur les conclusions à fin d'annulation :

En ce qui concerne l'arrêté de transfert aux autorités italiennes :

2. Aux termes de l'article 29 du règlement n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil en date du 26 juin 2013 : " Le transfert du demandeur ou d'une autre personne visée à l'article 18, paragraphe 1, point c) ou d), de l'Etat membre requérant vers l'Etat membre responsable s'effectue conformément au droit national de l'Etat membre requérant, après concertation entre les Etats membres concernés, dès qu'il est matériellement possible et, au plus tard, dans un délai de six mois à compter de l'acceptation par un autre Etat membre de la requête aux fins de prise en charge ou de reprise en charge de la personne concernée ou de la décision définitive sur le recours ou la révision lorsque l'effet suspensif est accordé conformément à l'article 27, paragraphe 3. /2. Si le transfert n'est pas exécuté dans le délai de six mois, l'Etat membre responsable est libéré de son obligation de prendre en charge ou de reprendre en charge la personne concernée et la responsabilité est alors transférée à l'Etat membre requérant. Ce délai peut être porté à un an au maximum s'il n'a pas pu être procédé au transfert en raison d'un emprisonnement de la personne concernée ou à dix-huit mois au maximum si la personne concernée prend la fuite. ".

3. Il résulte de ces dispositions que lorsque le délai de six mois fixé pour l'exécution de la mesure de transfert a été interrompu par l'introduction d'un recours, il recommence à courir à compter de la décision juridictionnelle qui n'est plus susceptible de faire obstacle à la mise en oeuvre de la procédure de remise. Quel que soit le sens de la décision rendue par le premier juge, ce délai court à compter du jugement qui, l'appel étant dépourvu de caractère suspensif, rend à nouveau la mesure de transfert susceptible d'exécution.

4. Il ressort des pièces du dossier que le délai initial de six mois dont disposait le préfet de Maine-et-Loire pour procéder à l'exécution de sa décision de transférer M. A... aux autorités italiennes a été interrompu par la saisine du magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Nantes. Ce délai a recommencé à courir à compter de la notification à l'administration du jugement du 11 février 2020 rendu par ce dernier et n'a fait l'objet d'aucune prolongation, ainsi qu'il ressort du mémoire adressé à la cour le 4 septembre 2020 par le préfet. Par suite, la décision de transfert du 14 janvier 2020, qui n'a reçu aucun commencement d'exécution, est devenue caduque et les conclusions de M. A... aux fins d'annulation sont devenues sans objet. Il n'y a plus lieu d'y statuer.

En ce qui concerne la décision d'assignation à résidence :

5. En premier lieu, le requérant se borne à reprendre en appel, sans apporter d'élément nouveau de fait ou de droit, les moyens invoqués en première instance et tirés de ce que l'arrêté de transfert aux autorités italiennes méconnaît les dispositions des articles 4 et 17 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013. Il y a lieu d'écarter ces moyens par adoption des motifs retenus à bon droit par le premier juge.

6. En deuxième lieu, aux termes de l'article 5 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 susvisé : " 1. Afin de faciliter le processus de détermination de l'Etat membre responsable, l'Etat membre procédant à cette détermination mène un entretien individuel avec le demandeur. Cet entretien permet également de veiller à ce que le demandeur comprenne correctement les informations qui lui sont fournies conformément à l'article 4. / (...) / 5. L'entretien individuel a lieu dans des conditions garantissant dûment la confidentialité. Il est mené par une personne qualifiée en vertu du droit national. (...) ". Aux termes de l'article L. 111-8 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Lorsqu'il est prévu aux livres II, V et VI et à l'article L. 742-3 du présent code qu'une décision ou qu'une information doit être communiquée à un étranger dans une langue qu'il comprend, cette information peut se faire soit au moyen de formulaires écrits, soit par l'intermédiaire d'un interprète. L'assistance de l'interprète est obligatoire si l'étranger ne parle pas le français et qu'il ne sait pas lire. / En cas de nécessité, l'assistance de l'interprète peut se faire par l'intermédiaire de moyens de télécommunication. Dans une telle hypothèse, il ne peut être fait appel qu'à un interprète inscrit sur l'une des listes mentionnées à l'article L. 111-9 ou à un organisme d'interprétariat et de traduction agréé par l'administration. Le nom et les coordonnées de l'interprète ainsi que le jour et la langue utilisée sont indiqués par écrit à l'étranger. ".

7. Il ressort des pièces du dossier que M. A... a bénéficié le 20 novembre 2019 d'un entretien individuel mené par un agent de la préfecture de la Loire-Atlantique assisté d'un interprète de la société ISM Interprétariat agréée par le ministère de l'intérieur, en langue tigrigna, qu'il a déclaré comprendre. L'absence d'indication de l'identité de l'agent ayant conduit l'entretien individuel, qui en a néanmoins signé le résumé, n'a pas privé le requérant de la garantie tenant au bénéfice d'un entretien individuel et de la possibilité de faire valoir toutes observations utiles. Il a pu en effet préciser que sa femme et ses enfants résidaient en Erythrée et qu'il avait refusé que sa demande d'asile soit instruite à Venise. Par ailleurs, aucun élément du dossier n'établit que cet entretien n'aurait pas été mené par une personne qualifiée en vertu du droit national. Il s'ensuit que les moyens tirés de la violation de l'article 5 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 et de l'article L. 111-8 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile doivent être écartés.

8. En troisième lieu, M. A... soutient que les autorités italiennes sont confrontées à un afflux massif de migrants sans précédent, entraînant de grandes difficultés pour traiter les demandes d'asiles correspondantes et que, notamment, plusieurs observateurs ont relevé l'existence de difficultés dans l'accès aux soins en Italie. Toutefois, l'Italie est un Etat membre de l'Union européenne et partie tant à la convention de Genève du 28 juillet 1951 sur le statut des réfugiés, complétée par le protocole de New-York, qu'à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. Il doit alors être présumé que le traitement réservé aux demandeurs d'asile dans cet Etat membre est conforme aux exigences de ces deux conventions internationales. Si cette présomption peut être renversée lorsqu'il y a lieu de craindre qu'il existe des défaillances systémiques de la procédure d'asile et des conditions d'accueil des demandeurs d'asile dans l'Etat membre responsable, impliquant un traitement inhumain ou dégradant, M. A... n'établit pas l'existence de défaillances en Italie qui constitueraient des motifs sérieux et avérés de croire que sa demande d'asile ne serait pas traitée par les autorités italiennes dans des conditions conformes à l'ensemble des garanties exigées par le respect du droit d'asile. Par suite, le moyen tiré de ce que le préfet aurait méconnu les stipulations des articles 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et 4 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ne peuvent qu'être écartés.

9. Il résulte de ce qui vient d'être dit aux points 5 à 8 que la décision de transfert aux autorités italiennes n'étant affectée d'aucune des illégalités invoquées par M. A..., le moyen tiré de l'exception d'illégalité de cette décision, invoqué à l'appui de ses conclusions dirigées contre la décision d'assignation à résidence, ne peut qu'être écarté.

10. Il résulte de ce qui précède que M. A... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le magistrat désigné du tribunal administratif de Nantes a rejeté sa demande.

Sur les conclusions aux fins d'injonction :

11. Si, compte tenu de la caducité de la décision de transfert contestée, la France est l'Etat membre responsable de l'examen de la demande d'asile présentée par M. A... le présent arrêt n'implique, par lui-même, aucune mesure d'exécution. Par suite, les conclusions aux fins d'injonction présentées par le requérant doivent être rejetées.

Sur les frais d'instance :

12. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire droit aux conclusions présentées par M. A... au profit de son avocat au titre des dispositions des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.

DECIDE :

Article 1er : Il n'y a pas lieu de statuer sur les conclusions de la requête de M. A... aux fins d'annulation de la décision de transfert prise à son encontre le 14 janvier 2020 par le préfet de Maine-et-Loire.

Article 2 : Le surplus des conclusions de la requête de M. A... est rejeté.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à M. A... et au ministre de l'intérieur.

Une copie sera adressée pour information au préfet de Maine-et-Loire.

Délibéré après l'audience du 19 février 2021 à laquelle siégeaient :

- M. Gaspon, président de chambre,

- M. Coiffet, président-assesseur,

- Mme B..., premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe, le 16 mars 2021.

Le rapporteur,

V. GELARDLe président,

O. GASPON

La greffière,

E. HAUBOIS

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

N° 20NT02039


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Nantes
Formation : 6ème chambre
Numéro d'arrêt : 20NT02039
Date de la décision : 16/03/2021
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : M. GASPON
Rapporteur ?: Mme Valérie GELARD
Rapporteur public ?: M. LEMOINE
Avocat(s) : RODRIGUES-DEVESAS

Origine de la décision
Date de l'import : 30/03/2021
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.nantes;arret;2021-03-16;20nt02039 ?
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