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16/03/2021 | FRANCE | N°19NT03907

France | France, Cour administrative d'appel de Nantes, 6ème chambre, 16 mars 2021, 19NT03907


Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

­ le code du travail ;

­ le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

­ le rapport de M. A...,

­ les conclusions de M. Lemoine, rapporteur public.

Considérant ce qui suit :

1. M. C... a été embauché le 22 août 2011 par la société Orne location transport, spécialisée dans la location de camions avec chauffeurs, en qualité de chauffeur poids lourd grand routier. Il est

titulaire du mandat de délégué du personnel depuis le 18 juin 2015. A la suite de plaintes de deux clients de l'entreprise...

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

­ le code du travail ;

­ le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

­ le rapport de M. A...,

­ les conclusions de M. Lemoine, rapporteur public.

Considérant ce qui suit :

1. M. C... a été embauché le 22 août 2011 par la société Orne location transport, spécialisée dans la location de camions avec chauffeurs, en qualité de chauffeur poids lourd grand routier. Il est titulaire du mandat de délégué du personnel depuis le 18 juin 2015. A la suite de plaintes de deux clients de l'entreprise, les sociétés Vitraglass et MPO au mois de décembre 2015 et de septembre 2016, il a été placé en dispense d'activité rémunérée à compter du mois de septembre 2016, avec obligation de se présenter chaque lundi matin afin de signer une feuille de présence. Il a, à cette occasion, été amené à côtoyer M. D..., chef d'exploitation représentant la direction de la société Orne location transport. Ce dernier s'est plaint auprès de la direction de l'entreprise des agissements de M. C... à son égard, par deux courriels des 19 mai et 31 juillet 2017. La société Orne location transport a alors demandé à l'inspecteur du travail, le 6 septembre 2017, l'autorisation de licencier M. C... pour motif disciplinaire, lui reprochant des faits constitutifs de harcèlement moral à l'égard de M. D.... Par une décision du 7 novembre 2017, l'inspecteur du travail a rejeté cette demande. La société a exercé un recours hiérarchique contre cette décision, le 9 janvier 2018, qui a été rejeté par une décision expresse de la ministre du travail du 14 juin 2018, venue se substituer à une précédente décision implicite de rejet. Par sa requête visée ci-dessus, M. C... relève appel du jugement du 5 août 2019 par lequel le tribunal administratif de Caen a annulé la décision du 7 novembre 2017 de l'inspecteur du travail de la 9ème section de l'unité départementale de l'Orne de la direction régionale des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi de Normandie ayant refusé à la société Orne location transport l'autorisation de licencier M. C....

Sur le bien-fondé du jugement attaqué :

2. D'une part, en vertu des dispositions du code du travail, les salariés légalement investis de fonctions représentatives bénéficient, dans l'intérêt de l'ensemble des salariés qu'ils représentent, d'une protection exceptionnelle. Lorsque le licenciement d'un de ces salariés est envisagé, ce licenciement ne doit pas être en rapport avec les fonctions représentatives normalement exercées ou l'appartenance syndicale de l'intéressé. Dans le cas où la demande de licenciement est motivée par un comportement fautif, il appartient à l'inspecteur du travail, et le cas échéant au ministre, de rechercher, sous le contrôle du juge de l'excès de pouvoir, si les faits reprochés au salarié sont d'une gravité suffisante pour justifier son licenciement, compte tenu de l'ensemble des règles applicables au contrat de travail de l'intéressé et des exigences propres à l'exécution normale du mandat dont il est investi.

3. D'autre part, aux termes de l'article L. 1235-1 du code du travail, dans sa version applicable : " En cas de litige (...) /, le juge, à qui il appartient d'apprécier la régularité de la procédure suivie et le caractère réel et sérieux des motifs invoqués par l'employeur, forme sa conviction au vu des éléments fournis par les parties après avoir ordonné, au besoin, toutes les mesures d'instruction qu'il estime utiles. (...) / Si un doute subsiste, il profite au salarié ".

4. En l'espèce, il est fait grief à M. C... des agissements répétés de harcèlement moral envers un des salariés de l'entreprise, M. D..., chef d'exploitation, entraînant la dégradation de ses conditions de travail et portant atteinte à ses droits et à sa dignité, ces agissements ayant altéré sa santé mentale et compromis son avenir professionnel au sein de l'entreprise.

5. Pour annuler la décision du 7 novembre 2017 de l'inspecteur du travail de la 9ème section de l'unité départementale de l'Orne de la direction régionale des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi de Normandie ayant refusé l'autorisation de licencier M. C..., le tribunal a estimé que, si les pièces du dossier ne permettaient pas d'établir l'existence d'un harcèlement moral dès lors que l'atteinte à la dignité de M. D..., l'altération de sa santé mentale et la compromission de son avenir professionnel au sein de la société n'étaient pas démontrées, la société produisait néanmoins des éléments concrets et circonstanciés pour établir les faits reprochés à son salarié et que ni le ministre, ni M. C... n'apportaient d'éléments de nature à susciter un doute quant à la matérialité des faits reprochés à l'intéressé.

6. Toutefois, la matérialité des faits reprochés à M. C... repose uniquement sur les déclarations de M. D..., récapitulées dans un courriel du 19 mai 2017, dans lequel ce dernier fait part à la direction de l'entreprise du comportement de M. C... et de M. B..., également délégué du personnel, à son égard, en précisant qu'il n'assurerait plus la permanence du lundi matin. Dans ce courriel, M. D... se plaint notamment des faits suivants : " insultes orales à travers les vitres lors de mon passage suivies d'éclats de rire, la surveillance de mes faits et gestes permanente, se cachent dans un angle de bâtiment pour voir ce que je fais, des dérangements réguliers pour une perte de concentration et me faire perdre du temps, leurs sous-entendus constants, leur mauvaise foi, la manière de détourner chaque réponse que je leur apporte (...) ". Par un deuxième courriel du 31 juillet 2017 adressé à la direction de l'entreprise, M. D... évoque de nouveaux agissements de même nature à son égard de la part de MM. C... et B.... Il n'est pas contesté que la direction de la société, ayant eu connaissance des agissements allégués dès le 19 mai 2017, n'a apporté aucune réponse à M. D... et n'a mis en oeuvre aucune enquête pour harcèlement moral ou pour corroborer les faits reprochés à M. C.... Elle s'est, dans ce contexte de tensions, contentée d'autoriser M. D... à ne pas se rendre le lundi matin dans l'entreprise afin d'éviter d'être en contact avec MM. C... et B.... Les attestations de salariés produites par l'employeur, qui n'ont pas été des témoins directs des agissements en cause, se bornent à rapporter des propos confiés par M. D... sur le comportement des deux délégués du personnel à son encontre. De plus, M. C... conteste l'ensemble des faits reprochés et le seul témoin direct des évènements en question, en l'occurrence M. B..., contredit également les faits reprochés. Enfin, un collègue de M. D... atteste que la démission de ce dernier serait sans rapport avec les agissements de MM. C... et B.... Dans ces conditions, il existe un doute sur la réalité des faits retenus à l'encontre du salarié concerné pour justifier son licenciement, alors que ceux-ci n'ont pas été précisément datés et circonstanciés. Dès lors qu'il résulte des dispositions précitées que lorsqu'un doute subsiste sur l'exactitude matérielle des griefs formulés contre un salarié, ce doute doit profiter au salarié, la matérialité des agissements fautifs reprochés par la société Orne location transport à M. C... ne saurait être regardée comme établie.

7. M. C... est donc fondé à soutenir que c'est à tort que le tribunal a estimé que des faits fautifs pouvaient être retenus à son encontre, de nature à justifier la mesure de licenciement en cause. Il appartient dès lors à la cour, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés par la société Orne location transport.

8. La décision du 7 novembre 2017 de l'inspecteur du travail de la 9ème section de l'unité départementale de l'Orne refusant l'autorisation de licenciement sollicitée, comporte les motifs de droit et considérations de fait qui en constituent le fondement. Elle mentionne la procédure suivie, la nature des faits reprochés au salarié ainsi que les éléments à partir desquels elle conclut à l'existence d'un doute sur les faits reprochés. Elle est, par suite, suffisamment motivée.

9. Il résulte de ce qui précède que M. C... et la ministre du travail, de l'emploi et de l'insertion sont fondés à demander l'annulation du jugement du tribunal administratif de Caen du 5 août 2019.

Sur les frais liés au litige :

10. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de M. C..., qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, la somme que la société Orne location transport demande au titre des frais liés au litige. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de la société Orne location transport la somme de 1 500 euros au titre des mêmes dispositions.

DECIDE :

Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Caen du 5 août 2019 est annulé.

Article 2 : La demande de la société Orne location transport devant le tribunal administratif de Caen est rejetée.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à M. E... C..., à la société Orne location transport et à la ministre du travail, de l'emploi et de l'insertion.

Copie en sera adressée pour information à la direction régionale des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi de Normandie.

Délibéré après l'audience du 19 février 2021, à laquelle siégeaient :

- M. Gaspon, président,

- M. Coiffet, président assesseur,

- M. A..., premier conseiller,

Rendu public par mise à disposition au greffe, le 16 mars 2021.

Le rapporteur,

F. A...Le président,

O. GASPON

La greffière,

E. HAUBOIS

La République mande et ordonne à la ministre du travail, de l'emploi et de l'insertion en ce qui la concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

N° 19NT03907


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Nantes
Formation : 6ème chambre
Numéro d'arrêt : 19NT03907
Date de la décision : 16/03/2021
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : M. GASPON
Rapporteur ?: M. François PONS
Rapporteur public ?: M. LEMOINE
Avocat(s) : AARPI LEHOUX et CONDAMINE

Origine de la décision
Date de l'import : 30/03/2021
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.nantes;arret;2021-03-16;19nt03907 ?
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