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16/03/2021 | FRANCE | N°19NT02642

France | France, Cour administrative d'appel de Nantes, 6ème chambre, 16 mars 2021, 19NT02642


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. F... a demandé au tribunal administratif de Rennes d'annuler l'arrêté du 6 février 2017 par lequel le maire de Fougères a refusé de reconnaître l'imputabilité au service de sa pathologie et l'a placé en congé de maladie ordinaire du 19 juin 2015 au 18 juin 2016.

Par un jugement n° 1701449 du 9 mai 2019, le tribunal administratif de Rennes a annulé cette décision et a enjoint au maire de Fougères de reconnaître la pathologie anxio-dépressive de M. F... comme imputable au service et de proc

éder à la reconstitution des droits de l'intéressé dans un délai de deux mois à comp...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. F... a demandé au tribunal administratif de Rennes d'annuler l'arrêté du 6 février 2017 par lequel le maire de Fougères a refusé de reconnaître l'imputabilité au service de sa pathologie et l'a placé en congé de maladie ordinaire du 19 juin 2015 au 18 juin 2016.

Par un jugement n° 1701449 du 9 mai 2019, le tribunal administratif de Rennes a annulé cette décision et a enjoint au maire de Fougères de reconnaître la pathologie anxio-dépressive de M. F... comme imputable au service et de procéder à la reconstitution des droits de l'intéressé dans un délai de deux mois à compter de la notification de ce jugement.

Procédure devant la cour :

Par une requête et des mémoires enregistrés les 5 juillet 2019, 10 février 2020, 3 mars 2020 et 10 avril 2020, la commune de Fougères, représentée par Me D..., demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Rennes du 9 mai 2019 ;

2°) de rejeter la demande présentée devant le tribunal administratif de Rennes par M. F... ;

3°) de mettre à la charge de M. F... le versement de la somme de 3 000 euros au titre de l'article L.761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- le jugement attaqué est insuffisamment motivé et entaché de contradictions ;

- le caractère avéré des faits dénoncés par M. F... n'est pas établi ; l'intéressé, qui a fait preuve d'un manque d'investissement et de désinvolture et qui est à l'origine de la dégradation de ses conditions de travail, ne saurait se prévaloir de sa propre turpitude ;

- l'arrêté a été pris par une autorité compétente ;

- cette décision est motivée ;

- il n'est pas établi que l'absence du rapport du médecin de prévention, à la supposer avérée, aurait exercé une influence sur le sens de l'avis de la commission de réforme, d'autant que la commune n'était pas en situation de compétence liée, ou qu'elle aurait privé M. F... d'une garantie, ce dernier ayant pu saisir le tribunal administratif.

Par des mémoires en défense, enregistrés les 13 janvier, 26 février et 14 mars 2020, M. B... F..., représenté par Me E..., conclut au rejet de la requête, à ce qu'il soit enjoint au maire de Fougères, sous astreinte de 100 euros par jour de retard, de reconnaître l'imputabilité au service de sa pathologie et de réexaminer sa situation au regard notamment de ses droits à congés de maladie dans un délai de deux mois à compter de la notification de l'arrêt à intervenir et à ce que la somme de 3 000 euros soit mise à la charge de la commune de Fougères au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que les moyens soulevés par la commune de Fougères ne sont pas fondés.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la loi n° 84-53 du 26 janvier 1984 ;

- le code des pensions civiles et militaires de retraite ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme C...,

- les conclusions de M. Lemoine, rapporteur public ;

- les observations de Me A..., substituant Me D..., représentant la commune de Fougères ;

- et les observations de Me E..., représentant M. F....

Considérant ce qui suit :

1. M F... a été recruté le 1er janvier 1998 par la commune de Fougères en qualité d'agent d'entretien stagiaire pour exercer ses fonctions au service de la voirie de la ville. Titularisé le 28 janvier 1999, il a bénéficié, le 1er novembre 2009, d'un avancement au 6ème échelon du grade d'adjoint technique de 2ème classe. Entre le 7 octobre et le 8 novembre 2009, l'intéressé a été placé en arrêt de maladie professionnelle pour un syndrome du canal carpien et a bénéficié, lors de sa reprise, d'un reclassement. A la suite de sa réussite à l'examen d'adjoint technique territorial de 1ère classe, il a été promu à ce grade avec effet au 1er novembre 2011. M. F..., qui a été placé en arrêt de travail à compter du 19 juin 2015, a sollicité la reconnaissance du trouble anxio-dépressif dont il souffre au titre de la maladie professionnelle. La commune de Fougères relève appel du jugement du 9 mai 2019, par lequel le tribunal administratif de Rennes a annulé l'arrêté du 6 février 2017 par lequel le maire a rejeté sa demande et l'a placé en congé de maladie ordinaire du 19 juin 2015 au 18 juin 2016.

Sur la régularité du jugement attaqué :

2. Le tribunal administratif a indiqué au point 8 du jugement attaqué que, si la commune de Fougères avait produit plusieurs notes et rapports révélant l'existence de difficultés professionnelles de M. F... à l'origine de son changement d'affectation à plusieurs reprises et qui ont, selon son employeur, contribué à la dégradation des relations de travail au sein du service, ces circonstances ne suffisaient pas à constituer un fait personnel de 1'agent de nature à détacher du service la survenance de sa pathologie anxio-dépressive. Ce faisant, il a entendu répondre aux observations de la commune, sans entacher au demeurant son jugement d'une contradiction de motifs. Par ailleurs, les premiers juges, qui se sont appuyés sur les constatations médicales communiquées par les parties, et les faits dénoncés par M. F... non contestés devant eux par la commune, ont suffisamment motivé leur jugement. Par suite, le moyen tiré de ce que ce jugement serait irrégulier ne peut qu'être écarté.

Sur la légalité de l'arrêté du 6 février 2017 :

3. Aux termes de l'article 57 de la loi susvisée du 26 janvier 1984 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique territoriale : " Le fonctionnaire en activité a droit : (...) 2°A des congés de maladie dont la durée totale peut atteindre un an pendant une période de douze mois consécutifs en cas de maladie dûment constatée mettant l'intéressé dans l'impossibilité d'exercer ses fonctions. Celui-ci conserve alors 1'intégralité de son traitement pendant une durée de trois mois ; ce traitement est réduit de moitié pendant les neuf mois suivants. (...). Toutefois, si la maladie provient de l'une des causes exceptionnelles prévues à l'article L. 27 du code des pensions civiles et militaires de retraite, à l'exception des blessures ou des maladies contractées ou aggravées en service, le fonctionnaire conserve l'intégralité de son traitement jusqu'à ce qu'il soit en état de reprendre son service ou jusqu'à la mise à la retraite. Il a droit en outre, au remboursement des honoraires médicaux et des frais directement entraînés par la maladie ou l'accident (...). Dans le cas visé à l'alinéa précédent, l'imputation au service de l'accident ou de la maladie est appréciée par la commission de réforme instituée par le régime des pensions des agents des collectivités locales. (...)4° A un congé de longue durée, en cas de (...) maladie mentale (...) de trois ans à plein traitement et de deux ans à demi-traitement. Le fonctionnaire conserve ses droits à la totalité du supplément familial de traitement et de l'indemnité de résidence (...). Les dispositions du quatrième alinéa du 2° du présent article sont applicables aux congés de longue durée ; ".

4. Ainsi que l'a rappelé le tribunal administratif de Rennes, une maladie contractée par un fonctionnaire, ou son aggravation, doit être regardée comme imputable au service si elle présente un lien direct avec l'exercice des fonctions ou avec des conditions de travail de nature à susciter le développement de la maladie en cause, sauf à ce qu'un fait personnel de l'agent ou toute autre circonstance particulière conduisent à détacher la survenance ou l'aggravation de la maladie du service.

5. Il n'est pas contesté que, lors de son retour de congés maladie au mois de septembre 2014, à la suite d'un accident de vélo, M. F... a retrouvé son bulletin de paie annoté par son supérieur hiérarchique de la mention : " prochainement, la paie sera % 2 = ensemble des conneries ! ", ainsi que plusieurs messages à caractère ironique qui lui étaient directement destinés. Par ailleurs, l'intéressé soutient avoir découvert, le 7 octobre 2014, une corde munie d'un noeud coulant suspendue dans le local technique où il travaillait, laquelle aurait été placée, selon ses dires, à son intention par son supérieur hiérarchique direct et son collègue de travail. Si ce dernier évènement est remis en cause par la commune, qui indique ne pas en avoir été informée à cette date, il ressort des pièces du dossier que M. F... a déposé une main courante pour ce fait le 10 octobre 2014 et que lors de son audition, le 24 décembre 2018, son supérieur hiérarchique a reconnu avoir fait le noeud sur la corde tout en indiquant l'avoir déposée sur une étagère. En outre, la commune ne justifie pas avoir alors diligenté une enquête au sein de son personnel pour connaître l'auteur de cette plaisanterie douteuse révélatrice du climat délétère du service dans lequel était affecté M. F....

6. Les expertises médicales produites au dossier attestent des troubles psychiatriques sévères dont souffre M. F..., lesquels ont justifié son arrêt de travail à compter du 19 juin 2015. Si les docteurs Rossignol et Lemarié ont estimé, respectivement les 12 février et 14 novembre 2016, que ce congé ne pouvait être qualifié de maladie professionnelle, en se fondant chacun sur une analyse juridique erronée, plusieurs autres médecins spécialistes ont au contraire conclu à l'origine professionnelle de sa pathologie. Ainsi, dans leurs rapports des 17 mars 2016, 2 janvier 2017 et 26 janvier 2017 notamment, les docteurs Douabin et Quelennec, psychiatres, confirment que la décompensation anxio-dépressive majeure dont l'intéressé est atteint est apparue dans un contexte de souffrance au travail chez un patient qui ne présentait pas d'état antérieur, en dépit de certains traits de personnalité soulignés par l'un de ces spécialistes. Le médecin traitant de M. F... confirme le ressenti de son patient, qui depuis le mois de janvier 2015, nécessite un suivi psychiatrique, associé à un traitement médicamenteux, anxiolytiques et psychotropes.

7. En appel la commune de Fougères soutient que de nombreux rapports attestent que M. F... n'a pas eu un comportement exemplaire dans ses relations de travail. Elle se prévaut notamment de plusieurs courriers qui ont été adressés à l'intéressé les 17 juin 2010 et 29 juin 2011 par l'adjointe au maire déléguée à l'organisation des services et au personnel, lui demandant " des efforts d'intégration dans l'équipe " et de se ressaisir rapidement. La commune produit également une note du responsable du service espaces public et cadre de vie du 2 octobre 2014, soulignant le manque d'investissement professionnel de cet agent et un rapport du directeur des services techniques du 22 juin 2015, indiquant que son supérieur hiérarchique direct ne supporte plus son attitude désinvolte. Enfin, plusieurs notes du directeur des ressources humaines de la commune, en dates des 29 janvier et 30 novembre 2015 notamment, font état du manque d'initiative et d'autonomie de M. F..., de son manque d'attention dans la réalisation des travaux qui lui sont confiés, du danger qu'il représente parfois pour ses collègues et de la nécessité de le changer à plusieurs reprises de service. Si certains de ces griefs auraient pu relever de l'insuffisance professionnelle ou justifier l'engagement d'une procédure disciplinaire, ils ne peuvent être qualifiés de fait personnel de l'agent conduisant à détacher la survenance de sa maladie du service au sens du principe rappelé au point 4, alors qu'il est constant que si l'intéressé n'a pas sollicité le bénéfice des dispositifs psycho-sociaux mis en place par la collectivité, il a en revanche alerté sur les difficultés qu'il rencontrait dans le cadre de son travail en saisissant notamment les autorités judiciaires.

8. Il résulte de tout ce qui précède, que la commune de Fougères n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Rennes a annulé son arrêté du 6 février 2017.

Sur les conclusions à fin d'injonction présentées par M. F... :

9. Aux termes de l'article 2 du jugement attaqué, qui n'est pas annulé par le présent arrêt, il a été enjoint au maire de Fougères de reconnaître l'imputabilité au service de la pathologie anxio-dépressive dont souffre M. F... et de procéder à la reconstitution de ses droits dans un délai de deux mois. Il n'y a par suite pas lieu de réitérer cette injonction, laquelle reste applicable. Dans les circonstances de l'espèce, les conclusions présentées par M. F... tendant à ce que cette injonction soit assortie d'une astreinte sont rejetées.

Sur les frais liés au litige :

10. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mis à la charge de M. F..., qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, le versement à la commune de Fougères de la somme qu'elle demande au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. En revanche, dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de mettre à la charge de la commune de Fougères le versement à M. F... d'une somme de 1 500 euros au titre des mêmes frais.

DECIDE :

Article 1er : La requête de la commune de Fougères est rejetée.

Article 2 : Les conclusions de M. F... tendant à ce que l'injonction prononcée par le tribunal administratif de Rennes soit assortie d'une astreinte sont rejetées.

Article 3 : La commune de Fougères versera à M. F... une somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à la commune de Fougères et à M. B... F....

Délibéré après l'audience du 19 février 2021, à laquelle siégeaient :

- M. Gaspon, président de chambre,

- M. Coiffet, président-assesseur,

- Mme C..., premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe, le 16 mars 2021.

Le rapporteur,

V. GELARDLe président,

O. GASPON

La greffière,

E. HAUBOIS

La République mande et ordonne à la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

N° 19NT02642


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Nantes
Formation : 6ème chambre
Numéro d'arrêt : 19NT02642
Date de la décision : 16/03/2021
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : M. GASPON
Rapporteur ?: Mme Valérie GELARD
Rapporteur public ?: M. LEMOINE
Avocat(s) : CABINET LEXCAP RENNES

Origine de la décision
Date de l'import : 30/03/2021
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.nantes;arret;2021-03-16;19nt02642 ?
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