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23/02/2021 | FRANCE | N°20NT02416

France | France, Cour administrative d'appel de Nantes, 2ème chambre, 23 février 2021, 20NT02416


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. G... D... a demandé au tribunal administratif de Nantes d'annuler la décision du 22 février 2017 par laquelle la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a rejeté le recours formé contre la décision du 24 octobre 2016 par laquelle l'autorité consulaire française à Port-au-Prince (Haïti) a refusé de délivrer à Mme B... D..., sa fille alléguée, un visa de long séjour au titre du regroupement familial.

Par un jugement n°1703769 du 18 décembre 2019, l

e tribunal administratif de Nantes a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. G... D... a demandé au tribunal administratif de Nantes d'annuler la décision du 22 février 2017 par laquelle la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a rejeté le recours formé contre la décision du 24 octobre 2016 par laquelle l'autorité consulaire française à Port-au-Prince (Haïti) a refusé de délivrer à Mme B... D..., sa fille alléguée, un visa de long séjour au titre du regroupement familial.

Par un jugement n°1703769 du 18 décembre 2019, le tribunal administratif de Nantes a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 6 août 2020, M. G... D... et Mme B... D..., représentés par Me C..., demandent à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Nantes du 18 décembre 2019 ;

2°) d'annuler la décision de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France du 22 février 2017 ;

3°) d'enjoindre, sous astreinte, à l'administration de délivrer un visa de long séjour à Mme B... D..., dans le délai de quinze jours à compter de la notification de l'arrêt à intervenir, ou, subsidiairement, de réexaminer la demande de visa de long séjour ;

Il soutient que :

­ le jugement de déclaration tardive de naissance présenté à l'appui de la demande de visa a été rendu conformément au droit local ; l'acte de naissance produit est un extrait délivré par les archives nationales qui constitue le document officiel et qui a force probante ; la venue de Mme B... D... a été faite de concert avec la mère de cette dernière ; l'administration ne saurait utilement invoquer la circonstance que l'acte de naissance n'a pas été produit au moment du baptême :

­ la possession d'état est établie au regard des pièces versées au dossier ;

­ la décision contestée méconnaît les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et celles de l'article 3-1 de la convention internationale de New-York du 26 janvier 1990 relative aux droits de l'enfant.

Par un mémoire en défense, enregistré le 13 janvier 2021 et non communiqué, le ministre de l'intérieur conclut au rejet de la requête.

Il s'en remet à ses écritures de première instance.

M. G... D... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 11 juin 2020.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu

­ la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales

­ la convention internationale de New-York du 26 janvier 1990 relative aux droits de l'enfant

­ le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

­ le code des relations entre le public et l'administration ;

­ le code de justice administrative.

Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Le rapport de M. A...'hirondel a été entendu au cours de l'audience publique.

Considérant ce qui suit :

1. M. G... D..., de nationalité haïtienne, a sollicité le bénéfice du regroupement familial pour sa fille alléguée Rosy D..., ressortissante haïtienne née le 19 octobre 1997 à Port-au-Prince (Haïti). Par une décision du 17 septembre 2015, le préfet de la Seine-Saint-Denis a fait droit à sa demande. Par une décision rendue en octobre 2016, les autorités consulaires françaises à Port-au-Prince ont rejeté la demande de visa. Saisie d'un recours contre cette décision consulaire, la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France l'a rejeté par une décision du 22 février 2017. M. G... D... et Mme B... D... relèvent appel du jugement du 18 décembre 2019 par lequel le tribunal administratif de Nantes a rejeté leur demande tendant à l'annulation de la décision de la commission de recours.

Sur les conclusions à fin d'annulation :

2. En premier lieu, et d'une part, il n'appartient pas aux autorités administratives françaises de mettre en doute le bien-fondé d'une décision rendue par une autorité juridictionnelle étrangère, hormis le cas où le document produit aurait un caractère frauduleux.

3. D'autre part, l'article L. 111-6 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile prévoit, en son premier alinéa, que la vérification des actes d'état civil étrangers doit être effectuée dans les conditions définies par l'article 47 du code civil. L'article 47 du code civil dispose quant à lui que : " Tout acte de l'état civil des Français et des étrangers fait en pays étranger et rédigé dans les formes usitées dans ce pays fait foi, sauf si d'autres actes ou pièces détenus, des données extérieures ou des éléments tirés de l'acte lui-même établissent, le cas échéant après toutes vérifications utiles, que cet acte est irrégulier, falsifié ou que les faits qui y sont déclarés ne correspondent pas à la réalité ". Il résulte de ces dispositions que la force probante d'un acte d'état civil établi à l'étranger peut être combattue par tout moyen susceptible d'établir que l'acte en cause est irrégulier, falsifié ou inexact. En cas de contestation par l'administration de la valeur probante d'un acte d'état civil établi à l'étranger, il appartient au juge administratif de former sa conviction au vu de l'ensemble des éléments produits par les parties. Pour juger qu'un acte d'état civil produit devant lui est dépourvu de force probante, qu'il soit irrégulier, falsifié ou inexact, le juge doit en conséquence se fonder sur tous les éléments versés au dossier dans le cadre de l'instruction du litige qui lui est soumis.

4. Pour rejeter la demande de visa formée pour Mme B... D..., la commission s'est fondée sur les motifs tirés, à titre principal, de ce que l'acte de naissance rendu suivant le jugement supplétif du 4 mai 2009 a été rendu treize ans après la naissance de l'intéressée, sans explication circonstanciée, en violation de la règlementation haïtienne, ce qui lui ôte tout caractère probant et, subsidiairement, de ce qu'elle a été présentée au Temple le 18 août 1997 alors que selon la loi locale, un acte de naissance est nécessaire pour une telle présentation. La commission en conclut que la production d'un tel document relève d'une intention frauduleuse et ne permet pas d'établir l'identité du demandeur et partant, son lien familial allégué avec le regroupant.

5. Il ressort des pièces du dossier qu'a été présentée à l'appui de la demande de visa, l'authentification de l'acte de naissance délivré par la direction des archives nationales d'Haïti (DANH) le 11 juillet 2014.

6. L'article 55 du code civil haïtien prévoit que : " 1°- Les déclarations de naissance seront faites dans le mois de l'accouchement à l'officier de l'état civil du lieu du domicile de la mère ou du lieu de naissance de l'enfant (...) / 2° - Si deux (2) ans après l'expiration du délai prévu au premier alinéa de l'article 1er du présent décret, une naissance n'est pas encore déclarée, 1 'officier de l'étal civil ne pourra la consigner dans ses registres qu'en vertu d'un jugement rendu par le tribunal civil de la juridiction où est né l'enfant ou, à défaut, par le tribunal civil du domicile de celui-ci (... ) / 3° - Si les père et mère légitimes, ou la mère naturelle existent, le jugement sur la requête présentée en Chambre de Conseil du Doyen du Tribunal Civil, le Ministère Public entendu, constatera la filiation déclarée et ordonnera l'inscription de la naissance sur les registres de l'année en cours de l'officier de l'Etat Civil compétent. Une expédition de l'acte rédigé en vertu du jugement dûment légalisé par le Doyen du Tribunal Civil compétent sera annexée au registre de l'année à laquelle remonte la naissance tant au Greffe du Tribunal Civil qu'aux Archives Nationales pour copie, extrait ou expédition en être délivrée conformément à la Loi (...) ".

7. Il résulte de l'acte délivré par la DANH que la naissance de Mme B... D... a été déclarée devant l'officier de l'état civil de Port-au-Prince en vertu d'un jugement rendu en chambre de conseil par le doyen du tribunal civil de Port-au-Prince du 14 mai 2009. Ce jugement, ainsi qu'il ressort des pièces du dossier, a été rendu sur déclaration tardive de naissance après qu'il eût été constaté que l'acte de naissance de l'intéressée n'était pas inscrit sur les registres de l'officier de l'état civil, ni sur ceux détenus par la DANH. Il a été ainsi rendu conformément aux dispositions précitées de l'article 55 du code civil haïtien. Ce jugement n'ayant d'autre objet que de suppléer l'inexistence de l'acte de naissance et compte tenu de la nécessité de présenter un tel acte à l'appui d'une demande de visa, la commission ne pouvait utilement opposer la circonstance que l'acte de naissance établi le 28 mai 2019 en vertu du jugement rendu le 14 mai 2009 a été délivré tardivement. Enfin, si l'article 55 du code civil haïtien impose qu'un extrait d'acte de naissance soit fourni lors du baptême ou lors de la présentation au Temple, la circonstance que Mme B... D... ait été présentée au Temple avant que n'interviennent le jugement et l'acte de naissance n'est pas de nature à remettre en cause l'authenticité de ces documents.

8. Il résulte de ce qui précède que, par les motifs qu'elle a retenus, la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a fait une inexacte appréciation des circonstances de l'espèce.

9. Il est vrai, que, pour établir que la décision contestée était légale, le ministre de l'intérieur a invoqué, dans son mémoire en défense de première instance, communiqué à M. D..., d'autres motifs pour établir le caractère inauthentique du jugement rendu en chambre de conseil du doyen du tribunal civil. Toutefois, ni les erreurs de plume alléguées, ni l'erreur de domiciliation du déclarant à la date du jugement ne sont de nature à établir le caractère frauduleux des mentions apposées sur le jugement établissant le lien de filiation. En outre, et contrairement à ce que soutient le ministre, le jugement est daté, en l'occurrence du 14 mai 2009. Par ailleurs, il ne ressort pas des pièces du dossier qu'un jugement rendu en chambre de conseil par le doyen du tribunal civil doit impérativement contenir un numéro d'enregistrement alors qu'en tout état de cause, l'absence d'un tel numéro ne serait pas de nature à établir le caractère frauduleux du jugement. Enfin, le ministre ne saurait sérieusement alléguer qu'il eût été nécessaire de recueillir l'accord préalable de la mère de l'enfant pour que son nom apparaisse sur l'acte d'état civil dès lors, et ainsi que le soutient M. D... en produisant son acte de décès, qu'elle est décédée. Au surplus, a été présenté à l'appui de la demande de visa l'extrait d'acte de naissance délivré par la DANH, dont le caractère inauthentique n'est pas établi, ni même allégué, ce qui est de nature à établir, au regard des dispositions précitées du 3° de l'article 55 du code civil haïtien, tant la réalité du jugement rendu par le doyen du tribunal civil de Port-au-Prince que de la déclaration de naissance faite devant l'officier de l'état civil compétent. Par suite, il n'y a pas lieu de procéder à la substitution de motifs demandée.

10. Il résulte de tout ce qui précède, et sans qu'il soit besoin de se prononcer sur les autres moyens de la requête, que les requérants sont fondés à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nantes a rejeté leur demande.

Sur les conclusions à fin d'injonction :

11. Le présent arrêt, eu égard à ses motifs, et sous réserve d'un changement dans les circonstances de droit ou de fait, implique de délivrer à Mme B... D... le visa de long séjour sollicité. Il y a lieu d'enjoindre au ministre de l'intérieur d'y procéder dans un délai de quatre mois à compter de la notification du présent arrêt sans qu'il y ait lieu, en l'espèce, d'assortir cette injonction d'une astreinte.

D É C I D E :

Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Nantes du 18 décembre 2019 et la décision de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France du 22 février 2017 sont annulés.

Article 2 : Il est enjoint au ministre de l'intérieur de délivrer à Mme B... D... un visa d'entrée et de long séjour dans le délai de quatre mois à compter de la notification du présent arrêt.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à M. G... D..., à Mme B... D... et au ministre de l'intérieur.

Délibéré après l'audience du 26 janvier 2021 , à laquelle siégeaient :

- M. Pérez, président,

- Mme Douet, président-assesseur,

- M. A...'hirondel, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 23 février 2021.

Le rapporteur,

M. E...Le président,

A. PEREZ

Le greffier,

A. BRISSET

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

1

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N° 20NT02416


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Nantes
Formation : 2ème chambre
Numéro d'arrêt : 20NT02416
Date de la décision : 23/02/2021
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

335-005-01 Étrangers. Entrée en France. Visas.


Composition du Tribunal
Président : M. PEREZ
Rapporteur ?: M. Michel LHIRONDEL
Rapporteur public ?: M. GIRAUD
Avocat(s) : BOUARD GHISLAINE

Origine de la décision
Date de l'import : 16/03/2021
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.nantes;arret;2021-02-23;20nt02416 ?
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