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16/02/2021 | FRANCE | N°20NT03617

France | France, Cour administrative d'appel de Nantes, 6ème chambre, 16 février 2021, 20NT03617


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme O... L..., Mme BM... BG..., Mme T... K..., Mme U... BJ..., Mme AK... Z..., Mme BE... AL..., Mme AY... BB..., M. I... AM..., Mme X... P..., Mme G... AB..., M. BA... AN..., M. AF... BL..., M. H... C..., Mme AT... AC..., M. AH... Q..., Mme BH... D..., Mme BC... AQ..., Mme AV... BD..., Mme AI... AS..., Mme O... AE..., Mme AP... AU..., Mme Y... AR..., Mme S... B..., Mme AA... BI..., Mme AJ... AW..., M. BC... V..., Mme BF... W... et M. A... AZ... ont demandé au tribunal administratif de Caen, d'une part, d'annuler l

a décision du 22 janvier 2020 par laquelle le directeur de l'un...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme O... L..., Mme BM... BG..., Mme T... K..., Mme U... BJ..., Mme AK... Z..., Mme BE... AL..., Mme AY... BB..., M. I... AM..., Mme X... P..., Mme G... AB..., M. BA... AN..., M. AF... BL..., M. H... C..., Mme AT... AC..., M. AH... Q..., Mme BH... D..., Mme BC... AQ..., Mme AV... BD..., Mme AI... AS..., Mme O... AE..., Mme AP... AU..., Mme Y... AR..., Mme S... B..., Mme AA... BI..., Mme AJ... AW..., M. BC... V..., Mme BF... W... et M. A... AZ... ont demandé au tribunal administratif de Caen, d'une part, d'annuler la décision du 22 janvier 2020 par laquelle le directeur de l'unité départementale de la Manche de la direction régionale des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi (DIRECCTE) de Normandie a homologué le document unilatéral relatif au plan de sauvegarde de l'emploi de la société Remade et d'autre part, de mettre à la charge de l'Etat une somme de 120 euros à verser à chaque requérant au titre des frais liés au litige.

Par un jugement n° 2000660 du 30 septembre 2020, le tribunal administratif de Caen a annulé la décision du 22 janvier 2020 du DIRECCTE de Normandie.

Procédure devant la cour :

Par une requête enregistrée le 20 novembre 2020 et un mémoire enregistré le 15 janvier 2021 et non communiqué, la SASU REMADE, Me Merly pour la SELARL A.J.I.R.E et Me Bourbouloux pour la SELARL FHB, en leur qualité de co-administrateurs judiciaires de la SAS Remade, Me Pascual, et Me Cambon pour la SELARL SBCMJ en leur qualité de co-mandataires liquidateurs de la SAS Remade, représentés par Me AD..., demandent à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Caen du 30 septembre 2020 ;

2°) de rejeter la demande tendant à l'annulation de la décision du 22 janvier 2020 par laquelle le directeur de l'unité départementale de la Manche de la direction régionale des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi (DIRECCTE) de Normandie a homologué le document unilatéral relatif au plan de sauvegarde de l'emploi de la société Remade ;

3°) de mettre à la charge des requérants, au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, le versement d'une somme de 500 euros.

Ils soutiennent que :

- c'est à tort que les premiers juges ont estimé que le document unilatéral valant plan de sauvegarde de l'emploi de la société Remade n'avait pas mis en oeuvre le critère relatif à la qualité professionnelle des salariés qui est énoncé au 4° de l'article L. 1233-5 du code du travail ;

- dans le cadre de son contrôle, le tribunal aurait dû vérifier l'absence de détournement de procédure par l'employeur et déterminer si les éléments d'évaluation existants étaient vérifiables et objectifs permettant de les retenir pour l'appréciation des qualités professionnelles ; en tout état de cause, cette vérification n'a pas été effectuée par les premiers juges puisqu'aucun de ces points n'apparait dans la motivation du jugement, le tribunal qui a dégagé de nouveaux principes d'appréciation du critère de la qualité professionnelle à la fois très contestables juridiquement et inapplicables en pratique, a " dénaturé " l'article L. 1233-5 du code du travail en lui imposant une interprétation qui souffre de plusieurs manquements ;

- le système d'évaluation mis en place ne pouvait être considéré comme présentant les caractères objectif et vérifiable ; il faut préciser que les administrateurs judiciaires sont intervenus dans un contexte d'urgence au cours duquel les organes de la procédure ont seulement quelques semaines pour maîtriser tous les aspects d'une société (social, économique, environnemental...) ; ils ont pris connaissance des éléments soumis pour l'évaluation des qualités professionnelles et ont fait le constat que, d'une part, les évaluations concernaient l'année 2018 ; or l'application des critères s'est faite début 2020 et une évolution des salariés étaient donc fortement probable en 2 ans ; d'autre part, les évaluations faisaient parfois l'objet de contestation puisque des notes différentes étaient attribuées entre le salarié et la direction ; enfin, seulement 60% des effectifs de la société avait bénéficié d'entretien professionnel, rendant impossible matériellement l'établissement d'une grille de qualification ; les discussions au sujet des qualités professionnelles ont ainsi été réellement approfondies et lors de la réunion du 10 décembre 2019 les élus ont déclaré " qu'ils ne pouvaient que déplorer l'absence de tout système sur le plan RH objectif et vérifiable. " ; il était impossible d'évaluer l'ensemble des salariés par catégorie professionnelle ; ainsi, parmi les catégories professionnelles où une mise en oeuvre des critères était nécessaire, seulement trois catégories professionnelles avaient un taux d'évaluation à 100% (agent de sécurité : 2 salariés ; préparateurs de commande : 4 salariés et responsable de production : 5 salariés, soit 11 salariés sur les 199 salariés concernés par l'application des critères) ; sur ces 199 salariés, seulement 58% avaient été évalués (116 salariés) ; sur 18 catégories professionnelles concernées par l'application des critères d'ordre, 15 catégories ne pouvaient prendre en compte ces évaluations en raison de l'absence de réalisation de celles-ci pour l'ensemble du personnel de la catégorie ; il n'était pas possible en conséquence de retenir les entretiens d'évaluation pour définir les qualités professionnelles ; le système d'évaluation était donc inexistant ;

- il convient de revenir à la lettre du texte édicté par l'article L. 1233-5 du code du travail qui non seulement vise la procédure de consultation des représentants du personnel dans l'établissement des critères d'ordre et n'impose aucunement que le premier projet de PSE emporte sacralisation sur les critères discutés ; il n'y a eu, à ces deux titres, aucune méconnaissance de l'article L. 1233-5 du code du travail ;

- les autres moyens présentés devant le tribunal ne sont pas fondés.

Par une intervention, enregistrée le 18 décembre 2020, la ministre du travail, de l'emploi, et de l'insertion, demande que la cour fasse droit aux conclusions de la requête.

Elle soutient que :

- le motif d'annulation retenu par le tribunal administratif ne saurait être confirmé et que les autres moyens présentés en première instance par les requérants ne sont pas fondés ;

- les plans de sauvegarde d'entreprises en liquidation ou en redressement judiciaire sont encadrés par une disposition spécifique, l'article L. 1233-58 du code du travail du fait du cadre d'urgence dans lequel se déroule la procédure ; la prise en charge de l'entreprise par un liquidateur judiciaire, les délais extrêmement courts dans lesquels la procédure se déroule sont des éléments à prendre en considération dans l'appréciation du plan et du contrôle opéré par l'administration ; les délais d'homologation ou de validation sont ramenés à 8 ou 4 jours selon le degré de difficulté de l'entreprise ;

- au regard de ce contexte, au vu des éléments dont disposait le liquidateur pour procéder au PSE et en considérant le délai de contrôle de la DIRECCTE dans le cadre d'une procédure de liquidation, la décision de remettre en question le système d'évaluation, voire de le considérer inexistant, n'apparaissait pas incohérente ; la question de l'appréciation des critères d'ordre se posait au vu d'un système d'évaluation particulièrement lacunaire. En effet, presque la moitié des salariés en a été privée, ce système était par ailleurs contesté, enfin le CSE avait choisi de ne pas le retenir pour apprécier les qualités professionnelles ; dans ce cadre, estimer que ce système d'évaluation ne répondait pas aux attentes pour fonder un critère d'ordre et opter pour le critère objectif et vérifiable tel celui de l'absentéisme ne semble pas contrevenir à la procédure des PSE ; ce critère est objectif et vérifiable est retenu par la jurisprudence administrative ; la décision d'homologation ne souffrait donc pas d'illégalité sur ce point ;

- la question qui se pose en l'espèce est celle d'apprécier la pertinence de retenir ou non un système d'évaluation certes existant mais particulièrement lacunaire dont le contenu ne permet pas d'apporter équitablement les informations indispensables à l'appréciation des qualités professionnelles ; concernant l'appréciation des qualités professionnelles l'examen du système d'évaluation afin de déterminer son aptitude pour fonder ce critère, a révélé qu'il n'était pas objectif et vérifiable ; le système d'évaluation n'a donc pas été considéré assez solide pour forger une idée fiable sur les qualités professionnelles de l'ensemble des salariés. Utiliser une partie seulement des évaluations et neutraliser son effet concernant presque la moitié des salariés n'apparait en aucun cas une solution équitable et égalitaire.

Par un mémoire en défense, enregistré le 29 décembre 2020, Mme O... L..., Mme BM... BG..., Mme T... K..., Mme U... BJ..., Mme AK... Z..., Mme BE... AL..., Mme AY... BB..., M. I... AM..., Mme X... P..., Mme G... AB..., M. BA... AN..., M. AF... BL..., M. H... C..., Mme AT... AC..., M. AH... Q..., Mme BH... D..., Mme BC... AQ..., Mme AV... BD..., Mme AI... AS..., Mme O... AE..., Mme AP... AU..., Mme Y... AR..., Mme S... B..., Mme AA... BI..., Mme AJ... AW..., M. BC... V..., Mme BF... W... et M. A... AZ..., représentés par Me Hollande, concluent au rejet de la requête et à ce que soit mis à la charge de l'Etat le versement d'une somme de 120 euros à verser à chaque intimé sur le fondement des dispositions de l'article L.761-1 du code de justice administrative.

Ils font valoir que les moyens soulevés par la SASU REMADE, Me Merly pour la SELARL A.J.I.R.E et Me Bourbouloux pour la SELARL FHB, en leur qualité de co-administrateurs judiciaires de la SAS Remade, Me Pascual, et Me Cambon pour la SELARL SBCMJ en leur qualité de co-mandataires liquidateurs de la SAS Remade, ne sont pas fondés.

Par un mémoire en intervention, enregistré le 29 décembre 2020, Mmes J..., R..., F... et MM. BN..., BO... et BP... concluent aux mêmes fins par les mêmes moyens que les intimés et demandent que soit mis à la charge de l'Etat le versement d'une somme de 120 euros à verser à chacun d'entre eux sur le fondement des dispositions de l'article L.761-1 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- l'ordonnance n°2017-1718 du 20 décembre 2017, notamment son article 1er ;

- la loi n°2017-1837 du 30 décembre 2017, notamment son article 86 ;

- le code du travail ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Coiffet, président-assesseur,

- les conclusions de M. Lemoine, rapporteur public,

- et les observations de Me Signoret, substituant Me Hollande, représentant Mme L... et autres.

Considérant ce qui suit :

1. La société Remade, filiale de la société Remade Group, société holding du groupe Remade, a pour activité la réparation et le reconditionnement de téléphones portables. Au 28 novembre 2019, elle employait 357 salariés dans son établissement unique situé à Poilley (50). Par un jugement du 30 septembre 2019, le tribunal de commerce de Rouen a ouvert une procédure de redressement judiciaire à son encontre ainsi qu'à l'égard d'autres sociétés du groupe, procédure qui a été convertie en liquidation judiciaire de la société Remade par un nouveau jugement le 28 novembre suivant avec poursuite d'activité jusqu'au 20 décembre 2019. Par un jugement du 9 janvier 2020, il a été ordonné au profit de la société Fourth Wave Technology Ldt la cession totale des actifs de la société Remade ainsi que le transfert des contrats de 116 salariés occupant un poste parmi les catégories professionnelles définies dans l'offre de reprise, et autorisé le licenciement de 202 salariés en contrat à durée indéterminée. Les administrateurs judiciaires de la société Remade ont établi un document unilatéral portant plan de sauvegarde de l'emploi et l'ont soumis au comité social et économique les 8 et 16 janvier 2020. Ils l'ont adressé le 20 janvier 2020 au directeur de l'unité départementale de la Manche de la direction régionale des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi (DIRECCTE) de Normandie qui, par une décision du 22 janvier 2020, a homologué ce document unilatéral portant plan de sauvegarde de l'emploi (PSE) de la société Remade.

2. Mmes L..., BG..., K..., BJ..., Z..., AL..., BB..., P..., AB..., AC..., D..., AQ..., BD..., AS..., AE..., AU..., AR..., B..., BI..., AW..., W..., MM. AM..., AN..., BL..., C..., Q..., V..., AZ... ont saisi le tribunal administratif de Caen d'une demande tendant à l'annulation de la décision du 22 janvier 2020. D'autres salariés sont intervenus au soutien de cette demande. Par un jugement du 30 septembre 2020, cette juridiction a fait droit à leur demande. La SAS Remade, Me Merly pour la SELARL A.J.I.R.E et Me Bourbouloux pour la SELARL FHB, en leur qualité de co-administrateurs judiciaires de la SAS Remade, Me Pascual, et Me Cambon pour la SELARL SBCMJ en leur qualité de co-mandataires liquidateurs de la SAS Remade relèvent appel de ce jugement.

Sur la recevabilité des interventions volontaires :

3. Une intervention ne peut être admise que si son auteur s'associe soit aux conclusions du requérant soit à celles du défendeur. L'arrêt à rendre sur la requête de la SAS Remade, des administrateurs et des mandataires judiciaires de cette société est susceptible de préjudicier aux droits de Mme J... et autres, en leur qualité de salariés licenciés aux termes du plan de sauvegarde de l'emploi de la société Remade SAS. Par suite, leur intervention est recevable.

Sur les conclusions aux fins d'annulation :

En ce qui concerne le motif d'annulation retenu par les premiers juges :

4. Aux termes de l'article L. 1233-5 du code du travail : " Lorsque l'employeur procède à un licenciement collectif pour motif économique et en l'absence de convention ou accord collectif de travail applicable, il définit les critères retenus pour fixer l'ordre des licenciements, après consultation du comité social et économique. / Ces critères prennent notamment en compte : / 1° Les charges de famille, en particulier celles des parents isolés ; / 2° L'ancienneté de service dans l'établissement ou l'entreprise ; / 3° La situation des salariés qui présentent des caractéristiques sociales rendant leur réinsertion professionnelle particulièrement difficile, notamment celle des personnes handicapées et des salariés âgés ; / 4° Les qualités professionnelles appréciées par catégorie (...) ". Il résulte de la lettre même de ces dispositions qu'en l'absence d'accord collectif en ayant convenu autrement, l'employeur qui procède à un licenciement collectif pour motif économique est tenu, pour déterminer l'ordre des licenciements, de se fonder sur des critères prenant en compte l'ensemble des critères d'appréciation mentionnés aux 1° à 4° ci-dessus. Par suite, en l'absence d'accord collectif ayant fixé les critères d'ordre des licenciements, le document unilatéral de l'employeur fixant le plan de sauvegarde de l'emploi ne saurait légalement fixer des critères d'ordre des licenciements qui omettraient l'un de ces quatre critères d'appréciation ou neutraliseraient ses effets. Il n'en va autrement que s'il est établi de manière certaine, dès l'élaboration du plan de sauvegarde de l'emploi, que, dans la situation particulière de l'entreprise et pour l'ensemble des personnes susceptibles d'être licenciées, aucune des modulations légalement envisageables pour le critère d'appréciation en question ne pourra être matériellement mise en oeuvre lors de la détermination de l'ordre des licenciements.

5. Pour prononcer l'annulation de la décision du 22 janvier 2020 homologuant le document unilatéral portant plan de sauvegarde de l'emploi de la société Remade, les premiers juges ont estimé qu'en retenant l'indicateur de l'absentéisme non justifié des salariés, alors qu'un système d'évaluation existait au sein de l'entreprise, " le document unilatéral n'avait pas mis en oeuvre le critère relatif à la qualité professionnelle des salariés et méconnu en conséquence l'article L. 1233-5 du code du travail ".

6. Il ressort toutefois des pièces versées au dossier que, si un système d'évaluation des personnels dans la société Remade avait été institué et que son utilisation avait été envisagée au début de l'élaboration du plan de sauvegarde de l'emploi, ce système qui reposait sur des évaluations effectuées à la fin de l'année 2018 ou au début de l'année 2019 souffrait cependant d'insuffisances et de son caractère incomplet. En effet, lors de la réunion du comité social et économique (CSE) du 10 décembre 2019, les élus représentés par 16 membres, assistés par le cabinet SYNDEX, et la direction, représentée par le président et la directrice des ressources humaines de l'entreprise, avaient relevé qu'ils " ne pouvaient que déplorer l'absence de tout système sur le plan RH objectif et vérifiable ". Il avait alors été constaté que les évaluations réalisées n'avaient concerné que 61% de la totalité des 337 salariés de la société, révélant ainsi que les qualités professionnelles des salariés n'avaient pas été appréciées par un entretien d'évaluation pour toutes les catégories socio-professionnelles comprises dans le champ d'application du PSE. La DIRECCTE qui avait fait ce même constat a également relevé, après l'examen des ordres du jour et des procès-verbaux de réunions de CE puis de CSE qui s'étaient déroulés depuis le mois de janvier 2018, qu'il n'était pas démontré que le CSE aurait eu une parfaite connaissance du système d'évaluation qui avait été mis en place. Enfin, il y a lieu de constater qu'il ressort de la réunion évoquée plus haut du 10 décembre 2019 du CSE que c'est à la demande même des élus du personnel qu'il a été décidé d'abandonner l'utilisation des évaluations dès lors que, lacunaires et objet de contestations de la part des salariés, elles ne permettaient pas d'apprécier les qualités professionnelles de l'ensemble des catégories socio-professionnelles des salariés susceptibles d'être licenciés. Il ne ressort par ailleurs d'aucun élément du dossier qu'il aurait été possible, dans le cadre de la procédure de redressement puis de liquidation judiciaire engagée à l'encontre de la société Remade, de procéder en temps utile aux entretiens des 39% des salariés non encore évalués et rattachés aux catégories antérieurement définies, compte tenu notamment des contraintes chronologiques attachées à ces procédures. Dans ces conditions, en l'absence d'un système d'évaluation pouvant être regardé comme objectif et vérifiable, l'appréciation du critère des qualités professionnelles pouvait, sans méconnaitre les dispositions du 4° de l'article L. 1233-5 du code du travail, citées au point précédent, reposer sur l'indicateur de l'absentéisme non justifié des salariés, modalité pertinente d'appréciation au cas d'espèce du critère en cause. C'est donc à tort que les premiers juges ont estimé que le document unilatéral valant plan de sauvegarde de l'emploi de la société Remade n'avait pas mis en oeuvre le critère relatif à la qualité professionnelle des salariés qui y est énoncé au 4° de cet article et que la décision d'homologation du 22 janvier 2020 contestée avait, en conséquence, méconnu ces dispositions.

7. Il résulte de ce qui précède que les requérants sont fondés à soutenir que c'est à tort que le tribunal a, au motif de la méconnaissance des dispositions de l'article L. 1233-5 du code du travail, annulé la décision par laquelle le directeur régional des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi a homologué le document unilatéral valant plan de sauvegarde de l'emploi de la société Remade.

8. Il appartient toutefois à la Cour, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés tant devant le tribunal administratif que devant elle par les demandeurs de première instance.

En ce qui concerne, par l'effet dévolutif de l'appel, les autres moyens soulevés par Mme L... et autres :

9. En premier lieu, aux termes du troisième alinéa de l'article L. 642-5 du code de commerce : " Le jugement qui arrête le plan en rend les dispositions applicables à tous " et aux termes du deuxième alinéa de l'article R. 642-3 du même code : " Lorsque le plan de cession prévoit des licenciements pour motif économique, le liquidateur, ou l'administrateur lorsqu'il en a été désigné, produit à l'audience les documents mentionnés à l'article R. 631-36. Le jugement arrêtant le plan indique le nombre de salariés dont le licenciement est autorisé ainsi que les activités et catégories professionnelles concernées ". Il résulte de ces dispositions que les catégories professionnelles déterminées par le jugement qui arrête le plan de cession et fixe le nombre de licenciements s'imposent au liquidateur ou à l'administrateur judiciaire pour le choix des salariés à licencier, ainsi qu'à l'autorité administrative chargée d'homologuer le document unilatéral de l'employeur déterminant le contenu du plan de sauvegarde de l'emploi.

10. Au cas d'espèce, la décision d'homologation du 22 janvier 2020 contestée rappelle, en sa page 9, que la répartition des effectifs par catégories professionnelles qui " a été définie et arrêtée au cours de la réunion extraordinaire du CSE le 15 octobre 2019 puis modifiée au cours de différentes réunions jusqu'au 10 décembre 2019, ayant fait ensuite l'objet d'une information-consultation lors de la réunion extraordinaire du CSE du 16 décembre 2019 ", a été " arrêtée par le jugement du tribunal de commerce de Rouen validant la reprise par la Société Fourth Wave Technology du 9 janvier 2020 ". Les éléments du dossier permettent de constater que les catégories professionnelles retenues dans le document unilatéral des administrateurs judiciaires ayant fait l'objet de la décision d'homologation litigieuse sont identiques à celles qui ont été arrêtées par le jugement précité du tribunal de commerce de Rouen du 9 janvier 2020, lequel a ordonné la cession totale des actifs de la société Remade et fixé le nombre de licenciements. Ainsi, et en conséquence du principe rappelé au point précédent, Mme L... et autres ne sauraient utilement soutenir que la définition des catégories professionnelles contenue dans le document unilatéral est illégale et que l'autorité administrative a entaché d'illégalité sa décision d'homologation du PSE.

11. En deuxième lieu, Mme L... et autres soutiennent que l'autorité administrative n'aurait pas exercé son contrôle sur le caractère sérieux de la recherche d'offres de reclassement en interne.

12. Aux termes de l'article L. 1233-4 du code du travail modifié par l'ordonnance du 20 décembre 2017 visant à compléter et à mettre en cohérence les dispositions prises en application de la loi n°2017-1340 du 15 septembre 2017 d'habilitation à prendre par ordonnances les mesures pour le renforcement du dialogue social : " Le licenciement pour motif économique d'un salarié ne peut intervenir que lorsque tous les efforts de formation et d'adaptation ont été réalisés et que le reclassement de l'intéressé ne peut être opéré sur les emplois disponibles, situés sur le territoire national dans l'entreprise ou les autres entreprises du groupe dont l'entreprise fait partie et dont l'organisation, les activités ou le lieu d'exploitation assurent la permutation de tout ou partie du personnel. / Pour l'application du présent article, la notion de groupe désigne le groupe formé par une entreprise appelée entreprise dominante et les entreprises qu'elle contrôle dans les conditions définies à l'article L. 233-1, aux I et II de l'article L. 233-3 et à l'article L. 233-16 du code de commerce. / Le reclassement du salarié s'effectue sur un emploi relevant de la même catégorie que celui qu'il occupe ou sur un emploi équivalent assorti d'une rémunération équivalente. A défaut, et sous réserve de l'accord exprès du salarié, le reclassement s'effectue sur un emploi d'une catégorie inférieure. / L'employeur adresse de manière personnalisée les offres de reclassement à chaque salarié ou diffuse par tout moyen une liste des postes disponibles à l'ensemble des salariés, dans des conditions précisées par décret. / Les offres de reclassement proposées au salarié sont écrites et précises. ".

13. Il revient à l'autorité administrative saisie d'une demande d'homologation d'un document fixant le contenu d'un plan de sauvegarde de l'emploi (PSE) de s'assurer que le plan de reclassement intégré au PSE est de nature à faciliter le reclassement des salariés dont le licenciement ne pourrait être évité. L'employeur doit, pour cela, avoir identifié dans le plan l'ensemble des possibilités de reclassement des salariés dans l'entreprise. En outre, lorsque l'entreprise appartient à un groupe, l'employeur doit avoir procédé à une recherche sérieuse des postes disponibles pour un reclassement dans les autres entreprises du groupe.

14. Au cas d'espèce, il ressort des éléments du dossier que les administrateurs judiciaires ont envoyé, le 6 décembre 2019, les courriers de sollicitations de recherches de reclassements internes auprès des différentes entités du groupe - la société Remade Group, propriétaire à hauteur de 100% de la société Remade SAS - et qu'une lettre de relance a bien, contrairement à ce que font valoir les intimés, été effectivement envoyée le 18 décembre suivant, en l'absence de réponse. Le document unilatéral portant plan de sauvegarde de l'emploi récapitule les recherches entreprises ainsi que les réponses reçues, lesquelles indiquent toutes une absence de poste identifié disponible. Alors qu'il est constant qu'au 31 octobre 2019, la quasi-totalité des sociétés opérationnelles étaient placées soit en liquidation, soit en redressement judiciaire, les recherches de reclassement qui se sont poursuivies en janvier 2020 n'ont pas davantage abouti. L'ensemble des démarches engagées par les administrateurs judiciaires a été communiqué à la DIRECCTE qui, dans la décision d'homologation contestée, s'est référée expressément aux recherches de reclassement interne auprès des sociétés, actionnaires et fonds d'investissement du groupe Remade et a rappelé, en page 7, que " le dossier de demande d'homologation précisait et comprenait l'ensemble des éléments mentionnés à l'article L. 1233-14-1 5, notamment les informations permettant de vérifier le contenu du PSE, (...), et les modalités de mise en oeuvre des mesures (...) de reclassement ". La DIRECCTE a ainsi procédé au contrôle de l'existence effective de recherches de reclassements internes, au regard de la définition légale du groupe rappelée à l'article L. 1233-4 précité du code du travail modifié, auprès de la société Remade Group. Dans ces conditions, le moyen ne peut qu'être écarté.

15. En troisième lieu, Mme L... et autres soutiennent que l'autorité administrative n'a pas exercé son contrôle sur le caractère sérieux de la recherche de moyens de financement du plan de sauvegarde de l'emploi au niveau du groupe et de la recherche de reclassements par l'employeur.

16. Aux termes de l'article L. 1233-57-3 du code du travail, dans sa rédaction issue de la loi du 30 décembre 2017 portant loi de finances pour 2018 : " En l'absence d'accord collectif ou en cas d'accord ne portant pas sur l'ensemble des points mentionnés aux 1° à 5° de l'article L. 1233-24-2, l'autorité administrative homologue le document élaboré par l'employeur mentionné à l'article L. 1233-24-4, après avoir vérifié (...) le respect par le plan de sauvegarde de l'emploi des articles L. 1233-61 à L. 1233-63 en fonction des critères suivants : 1° Les moyens dont disposent l'entreprise, l'unité économique et sociale et le groupe ; (...) ". Selon les dispositions de l'article L.1233-58 du même code, dans sa rédaction issue de l'ordonnance n°2017-1718 du 20 décembre 2017 - art.1 I. : " -En cas de redressement ou de liquidation judiciaire, l'employeur, l'administrateur ou le liquidateur, selon le cas, qui envisage des licenciements économiques, met en oeuvre un plan de licenciement dans les conditions prévues aux articles L. 1233-24-1 à L. 1233-24-4. (...) II. (...) / Par dérogation au 1° de l'article L. 1233-57-3, sans préjudice de la recherche, selon le cas, par l'administrateur, le liquidateur ou l'employeur, en cas de redressement ou de liquidation judiciaire, des moyens du groupe auquel l'employeur appartient pour l'établissement du plan de sauvegarde de l'emploi, l'autorité administrative homologue le plan de sauvegarde de l'emploi après s'être assurée du respect par celui-ci des articles L. 1233-61 à L. 1233-63 au regard des moyens dont dispose l'entreprise. (...) ".

17. D'une part, pour l'application des dispositions précitées de l'article L.1233-58 du code du travail applicable à la date du document unilatéral et de la décision litigieuse, en particulier de la dérogation énoncée en son point II, l'autorité administrative n'avait pas à vérifier, dès lors que la société était placée en liquidation judiciaire, si les mesures contenues dans le plan étaient proportionnées aux moyens dont disposait le groupe auquel appartient l'entreprise. Dès lors que le caractère dérogatoire de cet article dans sa nouvelle rédaction n'impliquait pas un tel examen, le respect par l'employeur des articles L. 1233-61 à L. 1233-63 ne devait être apprécié qu'au regard des moyens de l'entreprise elle-même. Le moyen en tant qu'il critique le caractère insuffisant du PSE au regard des moyens du groupe ne peut être utilement invoqué et doit être écarté en cette branche.

18. D'autre part, il ressort des pièces versées au dossier, en particulier des développements aux pages 9 et 10 de la décision d'homologation du PSE par la DIRECCTE, que l'administration s'est prononcée précisément sur le respect par le plan des dispositions des articles L. 1233-61 à L. 1233-63 du code du travail, a qualifié les mesures d'accompagnement, précisément reprises, d'adaptées aux situations personnelle et familiale des salariés, également décrites, a retenu que le plan prévoyait la possibilité d'adhérer au contrat de sécurisation professionnelle conformément aux articles L. 1233-65 et suivants du code du travail, en pointant l'accord de l'Association pour la gestion du régime de Garantie des créances des Salariés (AGS) en date du 10 décembre 2019 pour une contribution au financement des mesures d'accompagnement et, enfin, a rappelé de manière détaillée les mesures prévues pour favoriser le reclassement externe. L'administration a ainsi exercé de manière effective son contrôle sur le caractère sérieux de la recherche de reclassements par l'employeur. La seconde branche du moyen doit, par suite, être écartée, et par voie de conséquence, le moyen dans son ensemble doit être écarté.

19. Il résulte de l'ensemble de ce qui précède que la société requérante est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Caen a annulé la décision du 22 janvier 2020 par laquelle le directeur de l'unité départementale de la Manche de la direction régionale des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi de Normandie a homologué le document unilatéral relatif au plan de sauvegarde de l'emploi de la société Remade.

Sur les frais liés au litige :

20. D'une part, dans les circonstances de l'espèce, il n'y a pas lieu de mettre à la charge de Mme L... et autres la somme que la SAS Remade, Me Merly, Me Bourbouloux, Me Pascual et Me Cambon demandent en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. D'autre part, ces dispositions font obstacle à ce que soit mise à la charge de l'Etat, qui n'a pas dans la présente instance la qualité de partie perdante, la somme que demandent les intimés et les intervenants au titre des frais exposés par eux et non compris dans les dépens.

DECIDE :

Article 1er : L'intervention de Mmes J..., R..., F... et de MM. BN..., BO... et BP... est admise.

Article 2 : Le jugement n° 2000660 du 30 septembre 2020 du tribunal administratif de Caen est annulé.

Article 3 : La demande présentée par Mme L... et autres devant le tribunal administratif de Caen est rejetée.

Article 4 : Les conclusions présentées par la SAS Remade, Me Merly, Me Bourbouloux, Me Pascual et Me Cambon au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 5 : Les conclusions présentées par Mme L... et autres ainsi que par les intervenants à l'instance au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 6 : Le présent arrêt sera notifié à la SASU Remade, première dénommée pour tous ses co-signataires, à Mme O... L..., représentant désigné pour l'ensemble des intimés, à Mme N... J..., intervenante à l'instance, première dénommée pour tous ses co-signataires et à la ministre du travail, de l'emploi et de l'insertion.

Délibéré après l'audience du 29 janvier 2021 à laquelle siégeaient :

- M. Gaspon, président de chambre,

- M. Coiffet, président-assesseur,

- Mme Gélard, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 16 février 2021.

Le rapporteur,

O. COIFFETLe président,

O. GASPON

La greffière

P. CHAVEROUX

La République mande et ordonne à la ministre du travail, de l'emploi et de l'insertion en ce qui la concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

N° 20NT03617 2


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Nantes
Formation : 6ème chambre
Numéro d'arrêt : 20NT03617
Date de la décision : 16/02/2021
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : M. GASPON
Rapporteur ?: M. Olivier COIFFET
Rapporteur public ?: M. LEMOINE
Avocat(s) : KEROUAZ

Origine de la décision
Date de l'import : 16/03/2021
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.nantes;arret;2021-02-16;20nt03617 ?
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