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02/02/2021 | FRANCE | N°20NT02076

France | France, Cour administrative d'appel de Nantes, 6ème chambre, 02 février 2021, 20NT02076


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. D... A... a demandé au tribunal administratif de Nantes d'annuler les arrêtés du 16 janvier 2020 par lesquels le préfet de Maine-et-Loire a décidé son transfert aux autorités espagnoles et de l'assigner à résidence dans le département de la Loire-Atlantique pour une durée de quarante-cinq jours.

Par un jugement n° 2001364 du 12 février 2020, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Nantes a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requ

ête, enregistrée le 15 juillet 2020, M. A..., représenté par Me B..., demande à la cour :

1°) d'a...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. D... A... a demandé au tribunal administratif de Nantes d'annuler les arrêtés du 16 janvier 2020 par lesquels le préfet de Maine-et-Loire a décidé son transfert aux autorités espagnoles et de l'assigner à résidence dans le département de la Loire-Atlantique pour une durée de quarante-cinq jours.

Par un jugement n° 2001364 du 12 février 2020, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Nantes a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 15 juillet 2020, M. A..., représenté par Me B..., demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement ;

2°) d'annuler ces arrêtés ;

3°) d'enjoindre au préfet de lui délivrer une autorisation provisoire de séjour d'une durée minimale d'un mois dans un délai de huit jours à compter de l'arrêt à intervenir, de transmettre sa demande d'asile à l'office français de protection des réfugiés et apatrides pour examen et de réexaminer sa situation ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat le versement à son conseil de la somme de 1 500 euros sur le fondement des dispositions combinées des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991.

Il soutient que :

S'agissant du jugement attaqué :

- il est insuffisamment motivé dès lors que le tribunal n'a pas répondu à la première branche d'un moyen entachant son jugement d'un défaut de motivation ;

S'agissant de la décision de transfert :

- elle est illégale du fait de l'incompétence de l'agent qui a conduit la procédure de détermination de l'Etat responsable et a procédé à l'entretien individuel ;

- elle a été prise à l'issue d'une procédure qui méconnaît l'article du 4 règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 dès lors qu'alors qu'il ne dispose pas d'une maîtrise suffisante du français et qu'il ne sait ni lire ni écrire, les brochures lui ont été remises dans cette langue et il n'est pas établi que l'interprète a procédé à leur traduction ;

- il n'est pas justifié qu'il a bénéficié d'un entretien par une personne qualifiée conformément à l'article 5 du règlement n° 604/2013 du 26 juin 2013 ;

- elle méconnaît les articles 17 et 3 du règlement n° 604/2013, les articles 3 et 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et l'article 4 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne dès lors qu' il existe des raisons sérieuses de croire qu'il pourra être soumis à des traitements contraires à la dignité humaine en cas de transfert vers l'Espagne compte tenu du flux croissant de migrants dans ce pays, ce qui compromet les possibilités d'examen attentif de sa demande d'asile, risque aggravé compte tenu de son état de santé ;

S'agissant de l'arrêté l'assignant à résidence :

- il s'en rapporte à ses écritures de première instance.

Par un mémoire, enregistré le 26 août 2020, le préfet de Maine-et-Loire conclut au rejet de la requête.

Il fait valoir que les moyens soulevés ne sont pas fondés.

M. A... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par décision du 15 juin 2020.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ;

- le règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

- le code de justice administrative.

Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Le rapport de Mme C... a été entendu au cours de l'audience publique.

Considérant ce qui suit :

1. M. D... A..., ressortissant guinéen né 1er janvier 1999, est entré en France, selon ses déclarations, le 16 novembre 2019. Sa demande d'asile a été enregistrée le 25 novembre 2019 par les services de la préfecture de Loire-Atlantique. Les recherches entreprises sur le fichier Eurodac ont révélé que ses empreintes ont été enregistrées en Espagne dans le cadre du franchissement irrégulier de la frontière espagnole depuis une période de moins de douze mois. Consécutivement à leur saisine le 27 novembre 2019, les autorités espagnoles ont accepté de prendre en charge l'intéressé le 18 décembre 2019. Par deux arrêtés du 16 janvier 2020, le préfet de Maine-et-Loire a ordonné le transfert de M. A... en Espagne et l'a assigné à résidence pour une durée de quarante-cinq jours. M. A... a sollicité auprès du tribunal administratif de Nantes l'annulation de ces deux arrêtés. Il relève appel du jugement du 12 février 2020 par lequel le magistrat désigné du tribunal administratif de Nantes a rejeté sa demande.

Sur la régularité du jugement attaqué :

2. Il ressort du jugement attaqué que le premier juge a répondu avec une suffisante précision dans ses points 2 et 9 aux moyens tirés d'une prétendue incompétence tant du signataire de la décision portant transfert de M. A... aux autorités espagnoles que de l'agent de la préfecture qui a conduit la procédure d'entretien de l'intéressé. Par suite, le jugement n'est pas entaché d'irrégularité.

Sur la légalité de la décision de transfert :

3. En premier lieu, aux termes de l'article 5 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 : " 1. Afin de faciliter le processus de détermination de l'Etat membre responsable, l'Etat membre procédant à cette détermination mène un entretien individuel avec le demandeur. Cet entretien permet également de veiller à ce que le demandeur comprenne correctement les informations qui lui sont fournies conformément à l'article 4. (...) / 5. L'entretien individuel a lieu dans des conditions garantissant dûment la confidentialité. Il est mené par une personne qualifiée en vertu du droit national (...) ".

4. Aucune disposition n'impose la mention sur le compte rendu de l'entretien individuel prévu à l'article 5 du règlement du 26 juin 2013 de l'identité de l'agent qui a mené l'entretien. Par suite, les services de la préfecture de Loire-Atlantique, et en particulier les agents recevant les étrangers au sein du guichet unique des demandeurs d'asile mis en place dans cette préfecture, doivent être regardés comme ayant la qualité, au sens de l'article 5 précité du règlement n° 604/2013, de " personne qualifiée en vertu du droit national " pour mener l'entretien prévu à cet article.

5. En deuxième lieu, aux termes de l'article 4 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 : " Droit à l'information /1. Dès qu'une demande de protection internationale est introduite au sens de l'article 20, paragraphe 2, dans un Etat membre, ses autorités compétentes informent le demandeur de l'application du présent règlement, et notamment: /a) des objectifs du présent règlement et des conséquences de la présentation d'une autre demande dans un Etat membre différent ainsi que des conséquences du passage d'un Etat membre à un autre pendant les phases au cours desquelles l'Etat membre responsable en vertu du présent règlement est déterminé et la demande de protection internationale est examinée; /b) des critères de détermination de l'Etat membre responsable (...); /c) de l'entretien individuel en vertu de l'article 5 (...) ; /d) de la possibilité de contester une décision de transfert et, le cas échéant, de demander une suspension du transfert;/e) du fait que les autorités compétentes des Etats membres peuvent échanger des données le concernant aux seules fins d'exécuter leurs obligations découlant du présent règlement; /f) de l'existence du droit d'accès aux données le concernant (...). /2. Les informations visées au paragraphe 1 sont données par écrit, dans une langue que le demandeur comprend ou dont on peut raisonnablement supposer qu'il la comprend. Les Etats membres utilisent la brochure commune (...). Cette brochure commune comprend également des informations relatives à l'application du règlement (UE) n° 603/2013 et, en particulier, à la finalité pour laquelle les données relatives à un demandeur peuvent être traitées dans Eurodac. La brochure commune est réalisée de telle manière que les Etats membres puissent y ajouter des informations spécifiques aux Etats membres. Ces actes d'exécution sont adoptés en conformité avec la procédure d'examen visée à l'article 44, paragraphe 2, du présent règlement. / 3. Si c'est nécessaire à la bonne compréhension du demandeur, les informations lui sont également communiquées oralement, par exemple lors de l'entretien individuel visé à l'article 5. ". Enfin selon les dispositions de l'article 5 du même règlement : " 1. Afin de faciliter le processus de détermination de l'Etat membre responsable, l'Etat membre procédant à cette détermination mène un entretien individuel avec le demandeur. Cet entretien permet également de veiller à ce que le demandeur comprenne correctement les informations qui lui sont fournies conformément à l'article 4. (...) ".

6. Il résulte de ces dispositions que le demandeur d'asile auquel l'administration entend faire application du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 doit se voir remettre, en temps utile pour lui permettre de faire valoir ses observations, c'est-à-dire au plus tard lors de l'entretien prévu par les dispositions de l'article 5 du même règlement, entretien qui doit notamment permettre de s'assurer qu'il a compris correctement ces informations, l'ensemble des éléments prévus au paragraphe 1 de l'article 4 du règlement. Eu égard à la nature de ces informations, la remise par l'autorité administrative de la brochure prévue par les dispositions de l'article 4 du règlement du 26 juin 2013 citées au point précédent constitue pour le demandeur d'asile une garantie.

7. Il ressort des pièces du dossier que M. A... s'est vu remettre, le 25 novembre 2019, lors de l'enregistrement de sa demande d'asile dans les services de la préfecture, et à l'occasion de son entretien individuel, les brochures A et B conformes aux modèles figurant à l'annexe X du règlement d'exécution (UE) n° 118/2014 de la Commission du 30 janvier 2014, et qui contiennent l'ensemble des informations prescrites par les dispositions précitées. Ces documents lui ont été remis en langue française qu'il a déclaré comprendre et les informations contenues dans ces brochures lui ont été communiquées oralement par le truchement d'un interprète en langue soussou, ainsi qu'il ressort du compte-rendu d'entretien qu'il a signé le 25 novembre 2019. Par suite, le moyen tiré de la méconnaissance du droit à l'information du demandeur d'asile énoncé à l'article 4 du règlement (UE) n° 604/2013 doit être écarté.

8. En troisième lieu, aux termes du paragraphe 2 de l'article 3 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 : " Lorsqu'il est impossible de transférer un demandeur vers l'Etat membre initialement désigné comme responsable parce qu'il y a de sérieuses raisons de croire qu'il existe dans cet Etat membre des défaillances systémiques dans la procédure d'asile et les conditions d'accueil des demandeurs, qui entraînent un risque de traitement inhumain ou dégradant au sens de l'article 4 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, l'Etat membre procédant à la détermination de l'Etat membre responsable poursuit l'examen des critères énoncés au chapitre III afin d'établir si un autre Etat membre peut être désigné comme responsable. Lorsqu'il est impossible de transférer le demandeur en vertu du présent paragraphe vers un Etat membre désigné sur la base des critères énoncés au chapitre III ou vers le premier Etat membre auprès duquel la demande a été introduite, l'Etat membre procédant à la détermination de l'Etat membre responsable devient l'Etat membre responsable. ". Aux termes de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants. ".

9. M. A... soutient que les autorités espagnoles sont confrontées à un afflux massif de migrants, sans précédent, entraînant de grandes difficultés pour traiter les demandes d'asiles correspondantes et fait état d'une situation dégradée de l'accueil des demandeurs d'asile en Espagne. Toutefois, l'Espagne est un Etat membre de l'Union européenne et partie tant à la convention de Genève du 28 juillet 1951 sur le statut des réfugiés, complétée par le protocole de New-York, qu'à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. Il doit alors être présumé que le traitement réservé aux demandeurs d'asile dans cet Etat membre est conforme aux exigences de ces deux conventions internationales. Si cette présomption peut être renversée lorsqu'il y a lieu de craindre qu'il existe des défaillances systémiques de la procédure d'asile et des conditions d'accueil des demandeurs d'asile dans l'Etat membre responsable, impliquant un traitement inhumain ou dégradant, M. A... n'établit pas l'existence de défaillances en Espagne qui constitueraient des motifs sérieux et avérés de croire que sa demande d'asile ne serait pas traitée par les autorités espagnoles dans des conditions conformes à l'ensemble des garanties exigées par le respect du droit d'asile. Ensuite, si un rapport du Haut-Commissariat pour les réfugiés, qui est versé aux débats, relève une nouvelle hausse des arrivants en Espagne en 2018 avec 62 479 arrivées au cours de cette année, ce qui fait de ce pays la " première porte d'entrée " vers l'Europe, ce simple constat n'établit aucune difficulté structurelle qui pourrait être regardée comme révélant une défaillance systémique. Ainsi, les circonstances invoquées par M. A... ne suffisent pas à établir que le préfet de Maine-et-Loire aurait ainsi méconnu les dispositions citées au point précédent.

10. En dernier lieu, en vertu de l'article 17 du règlement du 26 juin 2013 : " 1. Par dérogation à l'article 3, paragraphe 1, chaque Etat membre peut décider d'examiner une demande de protection internationale qui lui est présentée par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, même si cet examen ne lui incombe pas en vertu des critères fixés dans le présent règlement (...) ".

11. Pour soutenir que la décision contestée est intervenue en méconnaissance de l'article 17 du règlement du 26 juin 2013, M. A... invoque son état de santé et les carences du dispositif d'accueil et de traitement des demandes d'asile en Espagne, ce qui le placerait dans une situation de particulière vulnérabilité imposant d'instruire sa demande d'asile en France. Toutefois, s'il a mentionné au cours de l'entretien du 25 novembre 2019 avoir des douleurs au dos et au genou, il n'apporte, en se bornant à produire un justificatif d'un rendez-vous avec un médecin généraliste le 30 décembre 2019, aucun élément précis justifiant de la nécessité d'une prise en charge médicale. Dès lors et pour les motifs exposés au point 9, le préfet n'a pas entaché sa décision d'une erreur manifeste d'appréciation de sa situation personnelle au regard des dispositions de l'article 17 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013.

Sur la légalité de la décision d'assignation à résidence :

12. Compte tenu de ce qui a été précédemment dit, M. A... n'est pas fondé à soutenir que la décision d'assignation à résidence doit être annulée par voie de conséquence de l'annulation de la décision de transfert.

13. M. A... se borne à reprendre devant le juge d'appel les mêmes moyens que ceux invoqués en première instance sans plus de précisions ou de justifications et sans les assortir d'éléments nouveaux. Il y a lieu d'écarter ces moyens, tirés de l'insuffisante motivation de l'arrêté et de l'atteinte excessive portée au respect de sa liberté d'aller et de venir, par adoption des motifs retenus par le premier juge.

14. Il résulte de ce qui précède que M. A... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le magistrat désigné du tribunal administratif de Nantes a rejeté sa demande. Dès lors, sa requête, y compris les conclusions relatives aux frais liés à l'instance, doit être rejetée.

DECIDE :

Article 1er : La requête de M. A... est rejetée.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. D... A... et au ministre de l'intérieur.

Copie en sera adressée, pour information, au préfet de Maine-et-Loire.

Délibéré après l'audience du 15 janvier 2021, à laquelle siégeaient :

- M. Gaspon, président de chambre,

- M. Coiffet, président assesseur,

- Mme C..., premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 2 février 2021.

Le rapporteur,

F. C...Le président,

O. Gaspon

La greffière,

E. Haubois

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

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Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Nantes
Formation : 6ème chambre
Numéro d'arrêt : 20NT02076
Date de la décision : 02/02/2021
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : M. GASPON
Rapporteur ?: Mme Fanny MALINGUE
Rapporteur public ?: M. LEMOINE
Avocat(s) : CABINET MAXIME GOUACHE

Origine de la décision
Date de l'import : 11/02/2021
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.nantes;arret;2021-02-02;20nt02076 ?
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