Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. B... a demandé au tribunal administratif d'Orléans d'annuler l'arrêté du 5 avril 2019 par lequel la préfète du Cher a refusé de lui délivrer un titre de séjour, a assorti ce refus d'une obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays à destination duquel il pourrait être reconduit d'office à défaut de se conformer à cette obligation.
Par un jugement n° 1901631 du 5 novembre 2019, le tribunal administratif d'Orléans a rejeté cette demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 3 avril 2020, M. A... B..., représenté par Me C..., demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement n° 1901631 du tribunal administratif d'Orléans du 5 novembre 2019 ;
2°) d'annuler, pour excès de pouvoir, les décisions du 5 avril 2019 par lesquelles la préfète du Cher a refusé de lui délivrer un titre de séjour, a assorti ce refus d'une obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays à destination duquel il pourrait être reconduit d'office à défaut de se conformer à cette obligation ;
3°) d'enjoindre à la préfète du Cher de lui délivrer une carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale " ou portant la mention " travail " dans un délai de deux mois, sous astreinte de 200 euros par jour de retard, et de lui délivrer, dans l'intervalle, une autorisation provisoire de séjour, ou à défaut, de réexaminer sa demande de titre de séjour après avoir procédé à la consultation de la commission du titre de séjour et de lui délivrer, dans l'attente, une autorisation provisoire de séjour ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de mille cinq cents euros à verser à son avocat au titre des dispositions des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991, sous réserve de sa renonciation à percevoir la part contributive de l'Etat, ou subsidiairement à son profit s'il ne bénéficie pas de l'aide juridictionnelle, tant pour la première instance que l'appel.
Il soutient que :
- le jugement du tribunal administratif d'Orléans est insuffisamment motivé en méconnaissance des dispositions de l'article L. 9 du code de justice administrative :
o il répond insuffisamment au moyen tiré de l'incompétence du signataire de l'arrêté alors que ce moyen était clair ; les premiers juges se sont bornés à relever la mention d'une délégation de signature dans les visas de la décision sans rechercher si l'administration justifiait de l'existence de cette délégation ;
o il répond insuffisamment au moyen tiré de l'absence d'avis de la commission du titre de séjour alors que le moyen était clair et qu'il faisait expressément valoir qu'il a été privé d'une garantie ; les premiers juges n'ont pas rappelé les textes applicables et ne se sont pas appuyés sur les éléments produits en défense par le préfet ;
o il répond insuffisamment au moyen tiré de ce que la préfète du Cher n'avait pas pleinement examiné sa situation en ayant omis d'analyser l'atteinte que pourrait porter un refus de séjour sur sa vie privée et familiale ;
o le jugement omet de répondre à un moyen opérant tiré de la composition irrégulière de la commission du titre de séjour ;
- le jugement omet d'analyser un moyen en méconnaissance des dispositions de l'article R. 741-2 du code de justice administrative ; il a omis d'analyser le moyen tiré de l'irrégularité de la composition de la commission du titre de séjour soulevé dans son mémoire en réplique ;
. en ce qui concerne le refus de séjour :
- il n'y a pas eu d'examen des conséquences de la décision de refus de séjour sur son droit au respect de sa vie privée et familiale alors que les dispositions du 7° de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile imposent à l'administration d'examiner le degré d'atteinte que porterait un refus de séjour sur le droit au respect de la vie privée et familiale ; seuls les motifs des décisions portant obligation de quitter le territoire français et fixant le pays de destination font état d'une absence disproportionnée à son droit de mener une vie privée et familiale ; la motivation révèle que la préfète n'a pas examiné l'atteinte de sa décision de refus de séjour sur ce droit ;
- la décision méconnait les dispositions de l'article L. 313-11 7° du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ; il réside en France de façon continue depuis au moins 10 ans puisqu'il est entré en France en 2003 ; ayant vécu de façon stable à Vierzon, il a développé un réseau personnel et amical ; il entretient une relation amoureuse depuis un an avec une ressortissante française ; il s'est également intégré par le travail ; il n'a, à l'exception de ses parents, plus aucune attache familiale dans son pays d'origine, la majorité des membres de sa famille vivant en France ;
. en ce qui concerne l'obligation de quitter le territoire français :
- la décision est illégale en raison de l'illégalité du refus de séjour ;
. en ce qui concerne le pays d'éloignement :
- la décision est illégale en raison de l'illégalité de la décision portant obligation de quitter le territoire français.
Par un mémoire en défense, enregistré le 7 octobre 2020, le préfet du Cher conclut au rejet de la requête.
Il soutient que les moyens soulevés par M. B... ne sont pas fondés.
M. B... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du bureau d'aide juridictionnelle du 5 mars 2020.
Par une ordonnance du 17 septembre 2020, la clôture de l'instruction a été fixée au 16 octobre 2020.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- la convention internationale relative aux droits de l'enfant ;
- la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code des relations entre le public et l'administration ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le décret n° 91-1266 du 19 décembre 1991 ;
- le décret n° 2004-374 du 29 avril 2004 ; relatif aux pouvoirs des préfets, à l'organisation et à l'action des services de l'Etat dans les régions et départements
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le rapport de Mme D..., première conseillère, a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. M. A... B..., ressortissant turc né en octobre 1976, serait entré en France selon ses déclarations en 2003. En février 2018, il a demandé la délivrance d'un titre de séjour. Par un arrêté du 5 avril 2019, la préfète du Cher a refusé de délivrer à M. B... un titre de séjour, a assorti ce refus d'une obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays à destination duquel il pourrait être reconduit d'office à défaut de se conformer à cette obligation. M. B... relève appel du jugement du 5 novembre 2019 par lequel le tribunal administratif d'Orléans a rejeté sa demande tendant à l'annulation des décisions du 5 avril 2019.
Sur la régularité du jugement attaqué :
2. Aux termes de l'article L. 9 du code de justice administrative : " Les jugements sont motivés ".
3. Il ressort des pièces du dossier qu'à l'appui de sa demande, M. B... avait invoqué, dans son mémoire en réplique enregistré auprès du greffe du tribunal administratif d'Orléans le 7 juin 2019, un moyen tiré de l'irrégularité de la composition de la commission du titre de séjour qui s'est réunie le 1er mars 2019 pour émettre un avis sur sa demande de titre de séjour. Le tribunal, qui n'a au demeurant pas visé ce moyen, ne s'est pas prononcé sur celui-ci, qui n'était pas inopérant. Par suite, son jugement doit être annulé.
4. Il y a lieu d'évoquer et de statuer immédiatement sur la demande présentée par M. B... devant le tribunal administratif d'Orléans.
Sur la légalité des décisions du 5 avril 2019 :
5. L'article L. 313-14 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile dispose que : " (...) L'autorité administrative est tenue de soumettre pour avis à la commission mentionnée à l'article L. 312-1 la demande d'admission exceptionnelle au séjour formée par l'étranger qui justifie par tout moyen résider en France habituellement depuis plus de dix ans (...) ". Par ailleurs, l'article R. 312-8 du même code dispose : " Devant la commission, l'étranger fait valoir les motifs qu'il invoque à l'appui de sa demande d'octroi ou de renouvellement d'un titre de séjour. Un procès-verbal enregistrant ses explications est transmis au préfet avec l'avis motivé de la commission. L'avis de la commission est également communiqué à l'intéressé ". Il résulte de ces dispositions que l'avis motivé de la commission doit être transmis à l'intéressé et au préfet avant que ce dernier ne statue sur la demande dont il a été saisi. Une telle communication constitue une garantie instituée au profit de l'étranger qui doit connaître le sens et les motifs de l'avis de la commission avant que le préfet ne prenne sa décision.
6. La préfète du Cher avait l'obligation, dès lors qu'elle avait décidé de consulter la commission départementale du titre de séjour, de mettre en oeuvre la procédure prescrite dans les formes et conditions fixées par les dispositions précitées du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Il ressort des pièces du dossier et notamment du procès-verbal de réunion de la commission que cette dernière s'est réunie le 1er mars 2019 pour entendre M. B.... Il ressort également de ce même document que la commission a bien émis un avis à l'issue de cette réunion, avis défavorable à la demande de régularisation de l'intéressé. Néanmoins, alors que M. B... a soutenu, dans son mémoire en réplique enregistré au greffe du tribunal administratif d'Orléans le 7 juin 2019, que l'avis de la commission du titre de séjour ne lui a pas été communiqué et qu'il ne ressort pas des pièces du dossier que la teneur de cet avis lui aurait été donnée oralement, la préfète intimée n'établit ni même ne soutient que cet avis ou sa teneur aurait été communiqué à M. B.... Dans ces conditions, ainsi qu'il a été dit ci-dessus, M. B... a été privé d'une garantie et est fondé à demander, pour ce motif, l'annulation du refus de titre de séjour qui lui a été opposé le 5 avril 2019. L'annulation du refus de séjour entraine par voie de conséquence l'annulation des décisions, du même jour, portant obligation de quitter le territoire français et fixation du pays de destination.
Sur les conclusions à fin d'injonction :
7. L'article L. 911-1 du code de justice administrative dispose que : " Lorsque sa décision implique nécessairement qu'une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d'un service public prenne une mesure d'exécution dans un sens déterminé, la juridiction, saisie de conclusions en ce sens, prescrit, par la même décision, cette mesure assortie, le cas échéant, d'un délai d'exécution (...) ".
8. L'exécution du présent jugement n'implique pas qu'il soit enjoint au préfet du Cher de délivrer à M. B... une carte de séjour temporaire mention " vie privée et familiale " ou mention " salarié ", mais uniquement qu'il soit enjoint au représentant de l'Etat de réexaminer la situation de l'intéressé dans un délai qu'il y a lieu de fixer à trois mois. Il n'y a pas lieu dans les circonstances de l'espèce d'assortir cette injonction d'une astreinte.
Sur les frais du litige :
9. M. B... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle. Par suite, son avocat peut se prévaloir des dispositions de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat le versement de la somme de 1 500 euros à Me C... dans les conditions fixées à l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 et à l'article 108 du décret du 19 décembre 1991.
DECIDE :
Article 1er : Le jugement n° 1901631 du tribunal administratif d'Orléans du 5 novembre 2019 est annulé.
Article 2 : L'arrêté de la préfète du Cher du 5 avril 2019 portant à l'encontre de M. B... refus de séjour, obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours et fixation du pays d'éloignement est annulé.
Article 3 : Il est enjoint au préfet du Cher de réexaminer la situation de M. B... dans un délai de trois mois.
Article 4 : L'Etat versera à Me C... la somme de 1 500 euros dans les conditions fixées à l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 et à l'article 108 du décret du 19 décembre 1991.
Article 5 : Le surplus de la demande de M. B... devant le tribunal administratif d'Orléans et de ses conclusions d'appel est rejeté.
Article 6 : Le présent arrêt sera notifié à M. A... B... et au ministre de l'intérieur.
Une copie en sera adressée pour information au préfet du Cher.
Délibéré après l'audience du 5 janvier 2021, à laquelle siégeaient :
- M. Lainé, président de chambre,
- M. Rivas, président-assesseur,
- Mme D..., première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 22 janvier 2021.
La rapporteure,
M. D...Le président,
L. LAINÉ
La greffière,
V. DESBOUILLONS
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 20NT01219