Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
La société civile d'exploitation agricole (SCEA) C... a demandé au tribunal administratif de Nantes d'annuler la décision du 3 mars 2017 par laquelle le préfet de
Maine-et-Loire lui a infligé une pénalité de 100 % sur les aides directes perçues dans le cadre de la politique agricole commune, ainsi que la décision du 16 mai 2017 par laquelle le même préfet a rejeté le recours gracieux formé contre cette décision.
Par un jugement n° 1706292 du 17 janvier 2019, le tribunal administratif de Nantes a annulé ces deux décisions.
Procédure devant la cour :
Par une requête et un mémoire enregistrés les 12 avril et 18 octobre 2019 le ministre de l'agriculture et de l'alimentation demande à la cour d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Nantes du 17 janvier 2019.
Il soutient que :
- sa requête n'est pas tardive ;
- le signataire de la requête a reçu délégation à cette fin ;
- c'est à tort que les premiers juges ont estimé que la SCEA C... n'avait pas opposé de refus de contrôle à l'administration le 21 décembre 2016 ;
- il résulte de la jurisprudence de la Cour de justice de l'Union européenne que les termes " empêche la réalisation d'un contrôle sur place " correspondent à une notion autonome de droit de l'Union européenne qui recouvre, outre les comportements intentionnels, tout acte ou toute omission imputable à la négligence de l'agriculteur ou de son représentant ayant eu pour conséquence d'empêcher la réalisation du contrôle sur place dans son intégralité, lorsque cet agriculteur ou son représentant n'a pas pris toute mesure pouvant raisonnablement être requise de sa part pour garantir que ce contrôle se réalise intégralement " (arrêt de la CJCE du 16 juin 2011, Marija Omejc, aff. C-536/09) ;
- non seulement M. C... s'est opposé au report du contrôle sans prendre aucune mesure pour que ce contrôle se réalise, mais encore il a refusé expressément qu'il soit effectué ;
- les circonstances que le contrôleur ne s'est pas rendu sur place après l'opposition exprimée par M. C... et que ce dernier se serait présenté, postérieurement au courrier contradictoire du 29 décembre 2016 et à ses observations formulées le 6 janvier 2017, à une réunion du 17 février 2017 relative à la mise en conformité de son exploitation sont sans incidence à cet égard.
Par un mémoire en défense enregistré le 10 juillet 2019 la SCEA C..., représentée par Me A..., conclut au rejet de la requête et à ce que soit mis à la charge de l'Etat le versement de la somme de 3 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- la requête n'a pas été déposée dans le délai d'appel ;
- elle n'était pas accompagnée d'une copie du jugement attaqué ;
- elle n'était pas signée par une personne compétente pour le faire ;
- les moyens soulevés par le ministre ne sont pas fondés.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le règlement (UE) n° 1306/2013 ;
- le règlement (UE) n° 809/2014 ;
- le code rural et de la pêche maritime ;
- le décret n° 2005-850 du 27 juillet 2005 ;
- l'arrêt de la CJUE du 16 juin 2011, Marija Omejc, aff. C-536/09 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme D...,
- et les conclusions de M. Gauthier, rapporteur public.
Considérant ce qui suit :
1 Une visite réalisée par le contrôleur de l'environnement le 23 octobre 2015 dans l'exploitation de vaches laitières de la SCEA C..., sise au lieu-dit " Le Pin " à Feneu dans le Maine-et-Loire, au titre de la conditionnalité environnementale à laquelle est subordonné le versement des aides sollicitées dans le cadre de la politique agricole commune, a fait apparaître des manquements aux dispositions relatives à la réduction de la pollution des eaux par les nitrates d'origine agricole. Par une décision du 4 avril 2016, le préfet de Maine-et-Loire a en conséquence mis la SCEA C... en demeure de faire réaliser un calcul de la capacité de stockage des effluents d'élevage dans un délai de quatre mois et des travaux de mise aux normes de ses surfaces de stockage avant le 1er septembre suivant. Le préfet ayant informé la SCEA C..., par un courrier du 29 novembre 2016, de ce qu'un nouveau contrôle était prévu le 6 décembre 2016, M. C..., gérant de la SCEA du même nom, après avoir demandé par un courriel du 5 décembre 2016 à être recontacté, a finalement opposé un refus au nouveau courriel adressé par l'agent de contrôle le
20 décembre 2016, informant l'intéressé qu'un contrôle sur place aurait lieu le lendemain
21 décembre. Par une décision du 3 mars 2017, le préfet de Maine-et-Loire a infligé à la
SCEA C... une pénalité de 100 % sur les aides directes perçues dans le cadre de la politique agricole commune. Après avoir formé un recours gracieux, rejeté par une décision du 16 mai 2017, la SCEA C... a saisi le tribunal administratif de Nantes qui, par un jugement du 17 janvier 2019 dont le ministre de l'agriculture et de l'alimentation relève appel, a annulé les décisions du préfet de Maine-et-Loire des 3 mars et 16 mai 2017.
Sur les fins de non-recevoir opposées par la SCEA C... :
2. Il résulte de l'instruction que le jugement attaqué a été notifié au ministre de l'agriculture et de l'alimentation le 14 février 2019. Par suite, la requête du ministre, enregistrée le 12 avril 2019, avant l'expiration du délai d'appel de deux mois fixé par l'article R.811-2 du code de justice administrative, n'était pas tardive.
3. Aux termes de l'article 1er du décret du 27 juillet 2005 relatif aux délégations de signature des membres du gouvernement : " A compter du jour suivant la publication au Journal officiel de la République française de l'acte les nommant dans leurs fonctions ou à compter du jour où cet acte prend effet, si ce jour est postérieur, peuvent signer, au nom du ministre ou du secrétaire d'Etat et par délégation, l'ensemble des actes, à l'exception des décrets, relatifs aux affaires des services placés sous leur autorité : / (...) 2° Les chefs de service, directeurs adjoints, sous-directeurs, les chefs des services à compétence nationale mentionnés au deuxième alinéa de l'article 2 du décret du 9 mai 1997 susvisé ainsi que les hauts fonctionnaires et les hauts fonctionnaires adjoints mentionnés aux articles R. 1143-1 et R. 1143-2 du code de la défense ; (...) ". Il résulte de ces dispositions que M. B..., nommé sous-directeur du droit des produits, des politiques sectorielles et des exploitations au service des affaires juridiques du secrétariat général du ministère de l'agriculture et de l'alimentation par un arrêté du 23 août 2018 publié au journal officiel de la République française, avait qualité pour signer le recours présenté au nom du ministre de l'agriculture et de l'alimentation. Par suite, la fin de non-recevoir opposée par la SCEA C..., tirée de l'incompétence du signataire du recours, doit être écartée.
4. Enfin, contrairement à ce que soutient la SCEA C..., la requête du ministre était accompagnée d'une copie du jugement attaqué comme l'exige l'article R. 412-1 du code de justice administrative, applicable en vertu de l'article R. 811-13 du même code.
Sur le moyen d'annulation retenu par le tribunal administratif :
5. D'une part, aux termes de l'article 91 du règlement (UE) n° 1306/2013 : " 1. Lorsqu'un bénéficiaire visé à l'article 92 ne respecte pas les règles de conditionnalité énoncées à l'article 93, une sanction administrative lui est imposée. (...) ". Aux termes de l'article 92 de ce règlement : " L'article 91 s'applique aux bénéficiaires recevant des paiements directs au titre du règlement (UE) n° 1307/2013. (...) ". Aux termes de l'article 93 du même règlement : " 1. Les règles relatives à la conditionnalité sont les exigences réglementaires en matière de gestion prévues par le droit de l'Union et les normes relatives aux bonnes conditions agricoles et environnementales des terres, établies au niveau national et énumérées à l'annexe II, en ce qui concerne les domaines suivants: / a) environnement, changement climatique et bonnes conditions agricoles des terres ; / b) santé publique, santé animale et végétale ; (...) ".
6. D'autre part, aux termes de l'article 59 du même règlement : " 1. Le système mis en place par les États membres conformément à l'article 58, paragraphe 2, comprend, sauf disposition contraire, le contrôle administratif systématique de toutes les demandes d'aide et de toutes les demandes de paiement. Des contrôles sur place s'ajoutent à ce système. / (...) 7. Une demande d'aide ou une demande de paiement est rejetée si le bénéficiaire ou son représentant empêche la réalisation d'un contrôle sur place, sauf en cas de force majeure ou de circonstances exceptionnelles ". Aux termes du paragraphe 1 de l'article 24 du règlement (UE) n° 809/2014 : " Les contrôles administratifs et les contrôles sur place prévus par le présent règlement sont effectués de façon à assurer une vérification efficace : / (...) c) des exigences et des normes applicables en matière de conditionnalité ". Enfin, aux termes du dernier alinéa de l'article D. 615-59 du code rural et de la pêche maritime dans sa rédaction applicable : " En cas de refus d'un contrôle conduit au titre de la conditionnalité, le taux de réduction des aides soumises aux règles de conditionnalité prévues par la politique agricole commune est fixé à 100 % ".
7. La Cour de justice de l'Union européenne a dit pour droit, dans son arrêt du 16 juin 2011 Marija Omejc (aff. C-536/09), que les termes " empêche la réalisation du contrôle sur place ", figurant à l'article 23, paragraphe 2, du règlement (CE) n° 796/2004 de la Commission du 21 avril 2004 et qui ont été repris au paragraphe 7 de l'article 59 du règlement (UE) n° 1306/2013 précité, correspondent à une notion autonome du droit de l'Union devant être interprétée d'une manière uniforme dans tous les États membres en ce sens qu'elle recouvre, outre les comportements intentionnels, tout acte ou toute omission imputable à la négligence de l'agriculteur ou de son représentant ayant eu pour conséquence d'empêcher la réalisation du contrôle sur place dans son intégralité, lorsque cet agriculteur ou son représentant n'a pas pris toute mesure pouvant raisonnablement être requise de sa part pour garantir que ce contrôle se réalise intégralement.
8. Il ressort des pièces du dossier que M. C..., gérant de la SCEA C..., a été informé par un courrier du préfet de Maine-et-Loire du 29 novembre 2016 qu'un contrôle sur place de l'exploitation de la SCEA C... était prévu le 6 décembre 2016 afin de vérifier le respect des exigences réglementaires en matière de protection des eaux par les nitrates d'origine agricole, dans le cadre de la conditionnalité environnementale imposée au titre de la politique agricole commune. M. C... ayant, par un courriel du 5 décembre suivant, demandé que les services le recontactent, un nouveau contrôle a été programmé le 21 décembre 2016 et annoncé à M. C... par courriel du 20 décembre l'invitant à indiquer s'il acceptait ou refusait le contrôle. Il est constant que ce dernier a alors fait savoir par retour de courriel qu'il était pris par une réunion le 21 décembre au matin, qu'il serait " au travail " l'après-midi et qu'il " refus[ait] le contrôle de la DDAF ".
9. La SCEA C... n'établit pas ni même n'allègue que M. C... aurait tenté de se rendre disponible ou de se faire représenter, et ne peut utilement se prévaloir de la circonstance que son gérant était engagé de longue date pour assister à une réunion de travail à la maison familiale rurale de Maine-et-Loire. Elle ne saurait dès lors être regardée comme ayant pris toute mesure pouvant raisonnablement être requise de sa part pour garantir que le contrôle se réalise intégralement et ne justifie ainsi ni de circonstances exceptionnelles au sens du §7 de l'article 59 du règlement 1306/2013, ni que son gérant aurait été confronté à un cas de force majeure. Par suite, c'est sans commettre d'erreur d'appréciation que le préfet a estimé que la SCEA C... avait opposé un refus de contrôle au sens de l'article D. 615-59 précité du code rural et de la pêche maritime et a appliqué la sanction contestée. La circonstance que M. C... s'est présenté, à la suite d'un échange avec l'administration, à une réunion du 17 février 2017 relative à la mise en conformité de son exploitation est sans incidence sur la légalité de la décision contestée, et la SCEA C... ne saurait davantage tirer argument de ce que le contrôleur ne s'est pas rendu sur place le 21 décembre 2016 pour constater l'impossibilité de procéder au contrôle. La société requérante ne peut enfin utilement se prévaloir de la circonstance qu'un précédent contrôle de son exploitation avait été diligenté trois mois plus tôt, contrôle dont le ministre en tout état de cause soutient sans être sérieusement contredit qu'il ne portait pas sur la protection des eaux contre la pollution par les nitrates à partir de sources agricoles, mais sur la santé des végétaux.
10. Il résulte de ce qui précède que c'est à tort que le tribunal administratif de Nantes a jugé, pour les annuler, que les décisions contestées procédaient d'une erreur de qualification juridique des faits.
11. Il appartient toutefois à la cour, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés par la SCEA C... devant le tribunal administratif de Nantes.
Sur les autres moyens invoqués par la SCEA C... :
12. A supposer que la SCEA C..., qui soutient que la décision contestée méconnaît les dispositions du règlement (UE) n° 9809/2014 dans la mesure où " il est prévu par ce texte que les contrôles sur place doivent être effectués conjointement avec d'autres contrôles prévus par la législation de l'Union ", ait ainsi entendu soulever le moyen tiré de la méconnaissance des dispositions de l'article 26 de ce règlement, elle ne saurait en tout état de cause utilement se prévaloir de ces dispositions qui se bornent à recommander que les contrôles sur place prévus par ce règlement soient, le cas échéant, effectués conjointement avec d'autres contrôles prévus par la législation de l'Union.
13. La société C... ne peut par ailleurs pas utilement se prévaloir, à l'appui de ses conclusions tendant à l'annulation des décisions contestées, des conséquences financières que la sanction administrative litigieuse est susceptible d'avoir sur la pérennité de l'exploitation.
14. Il résulte de tout ce qui précède que le ministre de l'agriculture et de l'alimentation est fondé à demander l'annulation du jugement du tribunal administratif de Nantes du 17 janvier 2019.
Sur les frais de l'instance :
15. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mis à la charge de l'État, qui n'est pas la partie perdant dans la présente instance, le versement de la somme demandée par la SCEA C... à ce titre.
DÉCIDE :
Article 1er : Le jugement n° 1706292 du tribunal administratif de Nantes du 17 janvier 2019 est annulé.
Article 2 : La demande présentée par la SCEA C... devant le tribunal administratif de Nantes est rejetée.
Article 3 : Les conclusions présentées par la SCEA C... au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l'agriculture et de l'alimentation et à la SCEA C....
Copie en sera adressée au préfet de Maine-et-Loire.
Délibéré après l'audience du 7 janvier 2021 à laquelle siégeaient :
- Mme Perrot, président,
- Mme Brisson, président-assesseur,
- Mme D..., premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 22 janvier 2021.
Le rapporteur
M. D...Le président
I. PerrotLe greffier
R. Mageau
La République mande et ordonne au ministre de l'agriculture et de l'alimentation en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N°19NT01466