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19/01/2021 | FRANCE | N°20NT01190

France | France, Cour administrative d'appel de Nantes, 6ème chambre, 19 janvier 2021, 20NT01190


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. et Mme D... ont demandé au tribunal administratif de Rennes d'annuler les décisions du 9 mars 2020 par lesquelles le préfet du Morbihan les a obligés à quitter le territoire français sans délai, a fixé l'Albanie, ou tout autre pays dans lequel ils seraient légalement admissibles, comme pays de destination et a prononcé à leur encontre une interdiction de retour sur le territoire français de deux ans.

Par un jugement n° 2001194, 2001195 du 17 mars 2020, le magistrat désigné du tribunal admi

nistratif de Rennes a rejeté leurs demandes.

Procédure devant la cour :

I - Par u...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. et Mme D... ont demandé au tribunal administratif de Rennes d'annuler les décisions du 9 mars 2020 par lesquelles le préfet du Morbihan les a obligés à quitter le territoire français sans délai, a fixé l'Albanie, ou tout autre pays dans lequel ils seraient légalement admissibles, comme pays de destination et a prononcé à leur encontre une interdiction de retour sur le territoire français de deux ans.

Par un jugement n° 2001194, 2001195 du 17 mars 2020, le magistrat désigné du tribunal administratif de Rennes a rejeté leurs demandes.

Procédure devant la cour :

I - Par une requête enregistrée le 2 avril 2020, sous le n° 20NT01190, Mme D..., représentée par Me F..., demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Rennes du 17 mars 2020 ;

2°) d'annuler les décisions du 9 mars 2020 ;

3°) d'enjoindre, sous astreinte de 200 euros par jour de retard, au préfet du Morbihan de lui délivrer un titre de séjour dans le délai de 8 jours à compter de la notification de l'arrêt à intervenir et, à titre subsidiaire, de procéder à un nouvel examen de sa situation dans un délai de quinze jours et dans l'attente de lui délivrer une autorisation provisoire de séjour ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat le versement à son conseil, qui renonce à percevoir la part contributive de l'Etat au titre de l'aide juridictionnelle, d'une somme de 1 500 euros sur le fondement des dispositions combinées des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991.

Elle soutient que :

- l'arrêté du 9 mars 2020, qui ne mentionne pas la demande de titre de séjour pour raison de santé qu'elle a déposée le 13 novembre 2019, est insuffisamment motivé et révèle un défaut d'examen de sa situation ;

- pour les mêmes motifs, l'arrêté contesté est entaché d'une erreur de droit dès lors que sa demande de titre de séjour pour raison de santé est en cours d'instruction ;

- la décision prononçant une interdiction de retour de deux mois est contraire aux stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- la décision fixant son pays de renvoi, qui est insuffisamment motivée, est contraire aux stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et aux dispositions de l'article L. 513-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile dès lors qu'elle ne tient pas compte des risques qu'elle encourt en cas de renvoi en Albanie.

Par un mémoire en défense, enregistré le 7 mai 2020, le préfet du Morbihan conclut au rejet de la requête.

Il soutient que les moyens soulevés par Mme D... ne sont pas fondés.

II - Par une requête enregistrée le 2 avril 2020, sous le n° 20NT01191, M. D..., représenté par Me F..., demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Rennes du 17 mars 2020 ;

2°) d'annuler les décisions du 9 mars 2020 ;

3°) d'enjoindre, sous astreinte de 200 euros par jour de retard, au préfet du Morbihan de lui délivrer un titre de séjour dans le délai de 5 jours à compter de la notification de l'arrêt à intervenir et, à titre subsidiaire, de procéder à un nouvel examen de sa situation dans un délai de quinze jours et dans l'attente de lui délivrer une autorisation provisoire de séjour ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat le versement à son conseil, qui renonce à percevoir la part contributive de l'Etat au titre de l'aide juridictionnelle, d'une somme de 1 500 euros sur le fondement des dispositions combinées des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991.

Il soutient que :

- l'arrêté portant refus de titre de séjour, qui ne mentionne ni la demande de titre de séjour pour raison de santé présentée par son épouse, ni la demande d'autorisation de travail jointe à sa demande de titre de séjour et qui ne se prononce ni sur sa qualification, son expérience, ses diplômes, ni sur les caractéristiques de l'emploi auquel il postule, est insuffisamment motivé et révèle un défaut d'examen de sa situation ;

- pour les mêmes motifs, cette décision est entachée d'une erreur de droit ;

- elle est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation et contraire aux dispositions de l'article L. 313-14 et au 7° de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et aux stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- la décision portant obligation de quitter le territoire français, qui ne mentionne pas la demande de titre de séjour pour raison de santé présentée par son épouse le 4 février 2019, est insuffisamment motivée et révèle un défaut d'examen de sa situation ;

- cette décision est illégale à raison de l'illégalité de la décision portant refus de titre de séjour ;

- la décision fixant son pays de destination est insuffisamment motivée et révèle un défaut d'examen particulier de sa situation par le préfet lequel n'est pas lié par les décisions de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides et de la cour nationale du droit d'asile ;

- cette décision est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation et est contraire aux stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et aux dispositions de l'article L. 513-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile dès lors qu'elle ne tient pas compte des risques qu'il encourt en cas de renvoi en Albanie.

Par un mémoire en défense, enregistré le 7 mai 2020, le préfet du Morbihan conclut au rejet de la requête.

Il soutient que les moyens soulevés par M. D... ne sont pas fondés.

M. et Mme D... ont été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par deux décisions du 8 juin 2020.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991, modifiée, relative à l'aide juridique ;

- le décret n° 91-1266 du 19 décembre 1991 modifié ;

- le code de justice administrative.

Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Le rapport de Mme B... a été entendu au cours de l'audience publique.

Considérant ce qui suit :

1. M. et Mme D..., ressortissants albanais, relèvent appel du jugement du 17 mars 2020 par lequel le magistrat désigné du tribunal administratif de Rennes a rejeté leurs demandes tendant à l'annulation des arrêtés du 9 mars 2020 par lesquels le préfet du Morbihan les a obligés à quitter le territoire français sans délai, a fixé l'Albanie comme pays de destination et a prononcé à leur encontre une interdiction de retour sur le territoire français pendant un délai de deux ans.

2. Les requêtes n° 20NT01190 et 20NT01191 présentées respectivement par Mme D... et son époux sont dirigées contre le même jugement et ont fait l'objet d'une instruction commune. Il y a lieu de les joindre pour statuer par un seul arrêt.

Sur les conclusions à fin d'annulation :

3. D'une part, aux termes de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Sauf si sa présence constitue une menace pour l'ordre public, la carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale " est délivrée de plein droit : (...) 11° A l'étranger résidant habituellement en France, si son état de santé nécessite une prise en charge médicale dont le défaut pourrait avoir pour lui des conséquences d'une exceptionnelle gravité et si, eu égard à l'offre de soins et aux caractéristiques du système de santé dans le pays dont il est originaire, il ne pourrait pas y bénéficier effectivement d'un traitement approprié. La condition prévue à l'article L. 313-2 n'est pas exigée. La décision de délivrer la carte de séjour est prise par l'autorité administrative après avis d'un collège de médecins du service médical de l'Office français de l'immigration et de l'intégration, dans des conditions définies par décret en Conseil d'Etat. Sous réserve de l'accord de l'étranger et dans le respect des règles de déontologie médicale, les médecins de l'office peuvent demander aux professionnels de santé qui en disposent les informations médicales nécessaires à l'accomplissement de cette mission. Les médecins de l'office accomplissent cette mission dans le respect des orientations générales fixées par le ministre chargé de la santé. Si le collège de médecins estime dans son avis que les conditions précitées sont réunies, l'autorité administrative ne peut refuser la délivrance du titre de séjour que par une décision spécialement motivée (...) ". Aux termes de l'article L. 511-4 du même code : " Ne peuvent faire l'objet d'une obligation de quitter le territoire français : (...) 10° L'étranger résidant habituellement en France si son état de santé nécessite une prise en charge médicale dont le défaut pourrait avoir pour lui des conséquences d'une exceptionnelle gravité et si, eu égard à l'offre de soins et aux caractéristiques du système de santé du pays de renvoi, il ne pourrait pas y bénéficier effectivement d'un traitement approprié (...). ".

4. D'autre part, aux termes de l'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile dans sa rédaction en vigueur à la date de la décision contestée : " I. L'autorité administrative peut obliger à quitter le territoire français un étranger non ressortissant d'un Etat membre de l'Union européenne (...) lorsqu'il se trouve dans l'un des cas suivants :1° Si l'étranger ne peut justifier être entré régulièrement sur le territoire français, à moins qu'il ne soit titulaire d'un titre de séjour en cours de validité (...)3° Si la délivrance ou le renouvellement d'un titre de séjour a été refusé à l'étranger ou si le titre de séjour qui lui avait été délivré lui a été retiré(...)".

5. L'arrêté du 9 mars 2020 portant obligation de quitter le territoire français sans délai pris par le préfet du Morbihan à l'encontre de Mme D... vise les articles 3 et 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, l'arrêté du 22 octobre 2018 portant refus de titre de séjour et obligation de quitter le territoire français avec un délai de départ volontaire de 30 jours et le jugement du tribunal administratif de Rennes du 5 décembre 2018 rejetant la demande de l'intéressée tendant à l'annulation de cette décision. Il fait état de sa situation familiale et du rejet de sa demande d'asile par l'Office français de protection des réfugiés et apatrides le 23 janvier 2017 puis la cour nationale du droit d'asile le 26 juin 2017. Il précise que l'intéressée a déposé " une demande de titre de séjour à titre exceptionnel pour raison de santé le 12 août 2017 ", vise l'avis du 3 mars 2018 du collège de médecins de l'Office français de l'immigration et de l'intégration et indique que cette demande a été rejetée par un arrêté du 22 octobre 2018. Il ajoute que l'intéressée a " déposé une demande de titre de séjour à titre exceptionnel pour raison de santé le 9 août 2019 " et vise " l'avis du 4 décembre 2018 du collège de médecins de l'Office français de l'immigration et de l'intégration ". Il précise que Mme D... a fait l'objet d'une obligation de quitter le territoire français avec un délai de départ volontaire par un arrêté du 22 octobre 2018. La requérante soutient que cette décision, qui ne fait pas état de sa demande de titre de séjour présentée le 13 novembre 2019 à raison de son état de santé révèle un défaut d'examen particulier de sa situation.

6. En défense, le préfet reconnaît une formule " maladroite " et indique que l'avis du collège des médecins de l'Office français de l'immigration et de l'intégration a, en réalité, été rendu le 13 décembre 2019. Il se prévaut de cet avis pour indiquer que, contrairement à ce qu'elle soutient, l'intéressée n'a pas déposé de demande de titre de séjour sur le fondement du 11° de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile mais a seulement fait connaître sa situation médicale en vue d'obtenir une mesure de protection contre l'éloignement dont elle faisait l'objet. Il ressort cependant des pièces du dossier que par un courrier du 8 avril 2019 adressé à la préfecture du Morbihan, qui l'a reçu le 12 avril 2019, Mme D... a clairement présenté une demande de régularisation de sa situation " au regard de son état de santé " sur le fondement du 11° de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile qu'elle a expressément visé. Par suite, la requérante est fondée à soutenir qu'en l'obligeant à quitter le territoire français sans faire état de cette demande et de la suite donnée à celle-ci, le préfet du Morbihan a entaché son arrêté d'une erreur de fait affectant l'examen de sa situation personnelle, révélant ainsi un défaut d'examen circonstancié de cette situation.

7. Eu égard aux motifs développés au point 6., l'arrêté portant obligation de quitter le territoire français sans délai pris par le préfet du Morbihan à l'encontre de M. D..., qui précise que son épouse fait l'objet d'une obligation de quitter le territoire français du même jour et que la cellule familiale pourra être reconstituée dans leur pays d'origine, sans mentionner qu'elle a sollicité un titre de séjour en raison de son état de santé le 8 avril 2019, ni indiquer la suite donnée à cette demande, est également entaché d'une erreur de fait affectant l'examen de la situation personnelle et familiale de l'intéressé, révélant ainsi un défaut d'examen circonstancié de cette situation.

8. Il résulte de ce qui précède que M. et Mme D... sont fondés à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le magistrat désigné du tribunal administratif de Rennes a rejeté leurs demandes tendant à l'annulation des décisions du 9 mars 2020 portant obligation de quitter le territoire français et, par voie de conséquence, des autres décisions contenues dans ces mêmes arrêtés.

Sur les conclusions à fin d'injonction, sous astreinte :

9. L'exécution du présent arrêt implique seulement qu'il soit enjoint au préfet du Morbihan de procéder au réexamen de la situation de M. et Mme D... et ce, dans un délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt. Il n'y a pas lieu d'assortir cette injonction d'une astreinte.

Sur les frais liés au litige :

10. M. et Mme D... ont obtenu le bénéfice de l'aide juridictionnelle. Par suite, leur avocate peut se prévaloir des dispositions des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, et sous réserve que Me F..., avocate de M. et Mme D..., renonce à percevoir les sommes correspondant à la part contributive de l'Etat de ces deux instances, de mettre à la charge de l'Etat le versement à cette avocate de la somme globale de 1 500 euros.

DÉCIDE :

Article 1er : Le jugement n° 2001194, 2001195 du tribunal administratif de Rennes ainsi que les arrêtés du 9 mars 2020 du préfet du Morbihan pris à l'encontre de M. et Mme D... sont annulés.

Article 2 : Il est enjoint au préfet du Morbihan de procéder au réexamen de la situation de M. et Mme D... dans un délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt.

Article 3 : L'Etat versera à Me F... la somme globale de 1 500 euros au titre des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991, sous réserve que celle-ci renonce à percevoir les sommes correspondant à la part contributive de l'Etat des présentes instances.

Article 4 : Le surplus des conclusions des requêtes de M. et de Mme D... est rejeté.

Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à M. et Mme D... et au ministre de l'intérieur.

Une copie sera transmise au préfet du Morbihan.

Délibéré après l'audience du 4 janvier 2021 à laquelle siégeaient :

- M. Gaspon, président de chambre,

- M. Coiffet, président-assesseur,

- Mme B..., premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition du greffe le 19 janvier 2021.

Le rapporteur,

V. GELARDLe président,

O. GASPON

La greffière,

P. CHAVEROUX

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

N° 20NT01190 ; 20NT01191


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Nantes
Formation : 6ème chambre
Numéro d'arrêt : 20NT01190
Date de la décision : 19/01/2021
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : M. GASPON
Rapporteur ?: Mme Valérie GELARD
Rapporteur public ?: M. LEMOINE
Avocat(s) : LE TALLEC

Origine de la décision
Date de l'import : 29/01/2021
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.nantes;arret;2021-01-19;20nt01190 ?
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