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15/01/2021 | FRANCE | N°20NT02123

France | France, Cour administrative d'appel de Nantes, 2ème chambre, 15 janvier 2021, 20NT02123


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. E... C... a demandé au tribunal administratif de Nantes d'annuler la décision du 18 septembre 2019 par laquelle la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a rejeté le recours formé devant elle contre la décision de l'autorité consulaire française à Conakry (Guinée) du 7 juin 2019 rejetant les demandes de visa de long séjour présentées par les jeunes H... C... et G... C..., qu'il présente comme ses enfants, au titre du regroupement familial.

Par un juge

ment n° 1912330 du 5 juin 2020, le tribunal administratif de Nantes a rejeté sa dem...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. E... C... a demandé au tribunal administratif de Nantes d'annuler la décision du 18 septembre 2019 par laquelle la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a rejeté le recours formé devant elle contre la décision de l'autorité consulaire française à Conakry (Guinée) du 7 juin 2019 rejetant les demandes de visa de long séjour présentées par les jeunes H... C... et G... C..., qu'il présente comme ses enfants, au titre du regroupement familial.

Par un jugement n° 1912330 du 5 juin 2020, le tribunal administratif de Nantes a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête enregistrée le 10 juillet 2020, M. E... C..., représenté par Me D..., demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du 5 juin 2020 ;

2°) d'annuler la décision de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France du 18 septembre 2019 ;

3°) d'enjoindre, sous astreinte, à l'administration de délivrer aux jeunes H... C... et G... C... les visas de long séjour sollicités ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 200 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

­ les actes d'état civil produits étant authentiques , la décision contestée est entachée d'une erreur d'appréciation et méconnaît les dispositions de l'article L. 111-6 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et de l'article 47 du code civil ;

- cette décision porte une atteinte disproportionnée au droit au respect de sa vie privée et familiale en méconnaissance des stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

­ elle méconnaît les stipulations du premier paragraphe de l'article 3 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant.

Par un mémoire en défense, enregistré le 14 septembre 2020, le ministre de l'intérieur conclut au rejet de la requête.

Il soutient qu'aucun des moyens soulevés par les requérants n'est fondé.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu

­ la convention internationale de New-York du 26 janvier 1990 relative aux droits de l'enfant ;

­ le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

­ le code civil ;

­ le code de justice administrative.

Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Le rapport de M. A...'hirondel a été entendu au cours de l'audience publique.

Considérant ce qui suit :

1. M. E... C..., né le 25 août 1974 et de nationalité guinéenne, est entré en France en juillet 2012 où il séjourne sous le couvert d'une carte de séjour pluriannuelle. Sa demande de regroupement familial formée le 26 septembre 2016 au profit des jeunes H... C... et G... C..., nés respectivement les 19 juillet 2005 et 21 juillet 2009, qu'il présente comme ses enfants, a été accueillie favorablement par le préfet de l'Essonne. Les demandes de délivrance de visa de long séjour déposées le 1er novembre 2018 pour ces enfants auprès des autorités consulaires françaises à Conakry ont donné lieu à une décision de refus notifiée le 7 juin 2019. Le 19 juillet 2019, M. C... a saisi la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France d'un recours contre la décision consulaire qui a été rejeté par une décision du 18 septembre 2019. M. C... relève appel du jugement du tribunal administratif de Nantes du 5 juin 2020 qui a rejeté sa demande tendant à l'annulation de la décision de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France.

Sur les conclusions à fin d'annulation :

2. En premier lieu, pour refuser de délivrer les visas de long séjour sollicités, la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France s'est fondée sur le motif tiré de ce que les actes de naissances produits à l'appui de ces demandes étaient inauthentiques au motif qu'ils ont été dressés en méconnaissance des dispositions des articles 175 et 196 du code civil guinéen et de l'article 601 du code de procédure civile économique et administrative guinéen. Toutefois, en cours d'instance devant le tribunal administratif, le ministre de l'intérieur a reconnu que ce motif était erroné mais a sollicité une substitution de motifs en faisant valoir le caractère frauduleux des documents d'état civil produits dès lors que la transcription des actes de naissance établis sur la base de jugements supplétifs n'a pas été opérée dans les conditions prévues à 1'article 899 du code de procédure civile économique et administrative guinéen et qu'ils ne sont, par suite, pas conformes aux dispositions de l'article 201 du code civil guinéen.

3. L'administration peut, en première instance comme en appel, faire valoir devant le juge de l'excès de pouvoir que la décision dont l'annulation est demandée est légalement justifiée par un motif, de droit ou de fait, autre que celui initialement indiqué, mais également fondé sur la situation existant à la date de cette décision. Il appartient alors au juge, après avoir mis à même l'auteur du recours de présenter ses observations sur la substitution ainsi sollicitée, de rechercher si un tel motif est de nature à fonder légalement la décision, puis d'apprécier s'il résulte de l'instruction que l'administration aurait pris la même décision si elle s'était fondée initialement sur ce motif. Dans l'affirmative il peut procéder à la substitution demandée, sous réserve toutefois qu'elle ne prive pas le requérant d'une garantie procédurale liée au motif substitué.

4. En vertu de l'article 201 du code civil guinéen, lorsque la naissance n'a pas été déclarée dans ces délais légaux, elle ne peut être relatée par l'officier d'état civil sur ses registres qu'en vertu d'un jugement rendu par la juridiction compétente. Aux termes de l'article 899 du code de procédure civile économique et administrative guinéen : " Toute décision dont la transcription ou la mention sur les registres de l'état civil est ordonnée, doit énoncer, dans son dispositif, les noms, prénoms des parties ainsi que, selon le cas, le lieu où la transcription doit être faite ou les lieux et dates des actes en marge desquels la mention doit être portée. / Seul le dispositif de la décision est transmis au dépositaire des registres de l'état civil. Les transcription et mention du dispositif sont aussitôt opérées ".

5. Hormis le cas où le document produit aurait un caractère frauduleux, il n'appartient pas aux autorités administratives françaises de mettre en doute le bien-fondé d'une décision rendue par une autorité juridictionnelle étrangère. Dans ces conditions, si le ministre soutient que la transcription des actes d'état de naissance des enfants a été effectuée en violation des dispositions de l'article 899 du code de procédure civile économique et administrative guinéen, une telle circonstance n'est pas de nature à établir que les jugements supplétifs tenant lieu d'acte de naissance qui ont été rendus, pour chacun des enfants, le 2 mars 2016 par le tribunal de première instance de Conakry II et qui ne sont pas contestés, présenteraient eux-mêmes un caractère frauduleux. La circonstance qu'il serait aisé de se faire délivrer en Guinée des jugements supplétifs, puis la transcription des dispositifs de ces jugements et des actes de naissance ne saurait suffire à établir que ceux présentés à l'appui des demandes de visa des jeunes H... et G... C... seraient frauduleux ou apocryphes.

6. Au surplus, il ressort des pièces du dossier que les mentions figurant dans les extraits des actes de naissance établis pour chacun des deux enfants le 3 juin 2016 par l'officier de l'état civil délégué de la commune de Ratoma, procédant à la transcription des jugements supplétifs du 2 mars 2016, sont conformes à celles contenues dans le dispositif de ces jugements. Dans ces conditions, la circonstance que les copies intégrales d'acte de naissance délivrées le 3 juin 2016 comportent, en sus, la date de naissance et la profession des parents ne saurait, à elle seule, établir le caractère frauduleux des pièces d'état civil présentées à l'appui des demandes de visa. En tout état de cause, ces mentions sont concordantes tant avec celles contenues dans le livret de famille de M. et Mme C... qu'avec, s'agissant de la date de naissance, celles apposées sur les titres de séjour délivrés à ces derniers par les autorités françaises et belges. Il suit de là que le requérant est fondé à soutenir que, par la demande de substitution de motifs sollicitée, le ministre a fait une inexacte appréciation des circonstances de l'espèce dès lors que les justificatifs présentés à l'appui des demandes de visa sont suffisants pour établir le lien de filiation l'unissant aux jeunes H... et G... C....

7. En second lieu, aux termes du premier paragraphe de l'article 3 de la convention internationale de New-York du 26 janvier 1990 relative aux droits de l'enfant : " Dans toutes les décisions qui concernent les enfants, qu'elles soient le fait des institutions publiques ou privées de protection sociale, des tribunaux, des autorités administratives ou des organes législatifs, l'intérêt supérieur de l'enfant doit être une considération primordiale ".

8. L'intérêt d'un enfant est en principe de vivre auprès de la personne qui, en vertu d'une décision de justice qui produit des effets juridiques en France, est titulaire à son égard de l'autorité parentale. Ainsi, dans le cas où un visa d'entrée en France est sollicité en vue de permettre à un enfant de rejoindre un ressortissant français ou étranger qui a reçu délégation de l'autorité parentale dans les conditions qui viennent d'être indiquées, ce visa ne peut en règle générale, eu égard notamment aux stipulations du paragraphe 1 de l'article 3 de la convention du 26 janvier 1990 relative aux droits de l'enfant, être refusé pour un motif tiré de ce que l'intérêt de l'enfant serait au contraire de demeurer auprès de ses parents ou d'autres membres de sa famille B... revanche, et sous réserve de ne pas porter une atteinte disproportionnée au droit de l'intéressé au respect de sa vie privée et familiale, l'autorité chargée de la délivrance des visas peut se fonder, pour rejeter la demande dont elle est saisie, sur l'atteinte à l'ordre public qui pourrait résulter de l'accès de l'enfant au territoire national, ainsi que sur le motif tiré de ce que les conditions d'accueil de celui-ci en France seraient, compte tenu notamment des ressources et des conditions de logement du titulaire de l'autorité parentale, contraires à son intérêt.

9. Il ressort des pièces du dossier que les jeunes H... C... et G... C... vivent en Guinée, sans leurs parents. Selon la loi guinéenne, et ainsi qu'il résulte au demeurant de la note de la conseillère technique du ministre de la justice de Guinée jointe au mémoire du ministre, le détenteur de l'autorité parentale est exclusivement le père. Dans ces conditions, alors que la demande de regroupement familial déposée par M. C... au profit des enfants a été accueillie favorablement après que les enquêtes réglementaires sur les conditions de logement et de ressources aient été effectuées, le requérant est également fondé à soutenir que la décision contestée méconnaît les stipulations du premier paragraphe de l'article 3 de la convention internationale de New-York du 26 janvier 1990 relative aux droits de l'enfant.

10. Il résulte de tout ce qui précède, et sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de la requête, que M. C... est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nantes a rejeté sa demande.

Sur les conclusions à fin d'injonction :

11. L'exécution du présent arrêt implique nécessairement qu'un visa de long séjour soit délivré aux jeunes H... C... et G... C.... Il y a lieu d'enjoindre au ministre de l'intérieur de délivrer un tel visa aux intéressés dans un délai d'un mois à compter de la notification du présent arrêt, sans qu'il soit besoin de prononcer une astreinte.

Sur les frais liés au litige :

12. Pour l'application des dispositions de l'article L.761-1 du code de justice administrative, il y a lieu de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 200 euros au titre des frais exposés par M. C... et non compris dans les dépens.

D É C I D E:

Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Nantes du 5 juin 2020 et la décision de la commission de recours contre les refus de visa d'entrée en France du 18 septembre 2019 sont annulés.

Article 2 : Il est enjoint au ministre de l'intérieur de délivrer aux jeunes H... C... et G... C..., sous réserve d'un changement dans les circonstances de droit ou de fait, un visa de long séjour dans le délai d'un mois à compter de la notification du présent arrêt.

Article 3 : L'Etat versera à M. C... la somme de 1 200 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à M. E... C... et au ministre de l'intérieur.

Délibéré après l'audience du 14 décembre 2020, à laquelle siégeaient :

­ M. Pérez, président,

­ M. A...'hirondel, premier conseiller,

­ Mme Bougrine, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 15 janvier 2021.

Le rapporteur,

M. F...Le président,

A. PEREZ

Le greffier,

A. BRISSET

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

1

2

N° 20NT02123


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Nantes
Formation : 2ème chambre
Numéro d'arrêt : 20NT02123
Date de la décision : 15/01/2021
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

335-005-01 Étrangers. Entrée en France. Visas.


Composition du Tribunal
Président : M. PEREZ
Rapporteur ?: M. Michel LHIRONDEL
Rapporteur public ?: M. GIRAUD
Avocat(s) : MENGELLE

Origine de la décision
Date de l'import : 27/01/2021
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.nantes;arret;2021-01-15;20nt02123 ?
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