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08/01/2021 | FRANCE | N°19NT03721

France | France, Cour administrative d'appel de Nantes, 2ème chambre, 08 janvier 2021, 19NT03721


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme A... F... a demandé au tribunal administratif de Nantes d'annuler la décision du 15 décembre 2016 par laquelle la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a rejeté le recours formé contre la décision des autorités consulaires françaises en poste à Yaoundé rejetant la demande de visa de long séjour présentée pour l'enfant C... I....

Par un jugement n° 1701375 du 19 juillet 2019, le tribunal administratif de Nantes a rejeté sa demande.

Procédu

re devant la cour :

Par une requête et des mémoires, enregistrés le 17 septembre 2019, le 1...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme A... F... a demandé au tribunal administratif de Nantes d'annuler la décision du 15 décembre 2016 par laquelle la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a rejeté le recours formé contre la décision des autorités consulaires françaises en poste à Yaoundé rejetant la demande de visa de long séjour présentée pour l'enfant C... I....

Par un jugement n° 1701375 du 19 juillet 2019, le tribunal administratif de Nantes a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête et des mémoires, enregistrés le 17 septembre 2019, le 18 février 2020 et le 12 mars 2010, Mme F..., représentée par Me E..., demande à la cour, dans le dernier état de ses écritures :

1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de Nantes du 19 juillet 2019 ;

2°) d'annuler la décision contestée ;

3°) d'enjoindre au consul général de France à Yaoundé de délivrer le visa sollicité dans un délai de cinq jours à compter de l'arrêt à intervenir, sous astreinte de 200 euros par jour de retard ou, à défaut, de procéder à un réexamen de la demande, dans les mêmes conditions de délai et d'astreinte ;

4°) de condamner l'Etat à lui verser une somme de 5 000 euros en réparation du préjudice moral qu'elle estime avoir subi du fait du refus de visa opposé à l'enfant C... I... ;

5°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 5 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- elle a respecté les exigences procédurales camerounaises pour adopter sa fille, l'apparentement par le MINAS n'étant pas alors requis et aucun organisme autorisé pour l'adoption n'existant au Cameroun ; alors que le Cameroun n'est pas partie à la Convention de la Haye du 29 mai 1993, la pré-identification n'est pas prohibée par la convention internationale relative aux droits de l'enfant ;

- cette adoption est conforme aux articles 343 à 370 du code civil camerounais, dénuée de tout caractère frauduleux et respectueuse de la conception française de l'ordre public international en matière d'adoption ;

- il n'appartient pas à la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France de se prononcer sur la validité de l'adoption mais exclusivement sur la demande de visa ;

- il n'y a aucun doute sur la filiation biologique entre sa fille et la personne qui a donné son consentement à l'adoption

- le refus de visa méconnaît les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et celles de l'article 3-1 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant ;

- il méconnaît la liberté d'aller et venir de son enfant ;

- il lui a causé un préjudice moral devant être réparé à hauteur de 5 000 euros.

Par des mémoires en défense, enregistrés le 27 janvier 2020 et le 4 mars 2020, le ministre de l'Europe et des affaires étrangères conclut au rejet de la requête.

Il fait valoir que les moyens soulevés ne sont pas fondés.

Les parties ont été informées, en application des dispositions de l'article R. 611-7 du code de justice administrative, de ce que l'arrêt était susceptible d'être fondé sur un moyen relevé d'office, tiré de l'irrecevabilité des conclusions indemnitaires présentées par Mme F....

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- la convention internationale relative aux droits de l'enfant ;

- le code civil ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- le code de justice administrative.

Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Le rapport de Mme G... a été entendu au cours de l'audience publique.

Des notes en délibéré présentées par Mme F... ont été enregistrées le 8 décembre 2020.

Considérant ce qui suit :

1. Mme F..., ressortissante française, a adopté en 2011 l'enfant de nationalité camerounaise, C... I..., née le 28 mai 2006. A ce titre, un visa de long séjour a été sollicité pour cet enfant. Le refus opposé par les autorités consulaires françaises le 6 septembre 2016 a été confirmé par la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France le 2 novembre 2016. Mme F... relève appel du jugement du 19 juillet 2019 par lequel le tribunal administratif de Nantes a rejeté sa demande tendant à l'annulation de la décision de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France.

Sur les conclusions à fin d'annulation :

2. L'intérêt d'un enfant est en principe de vivre auprès de la personne qui, en vertu d'une décision de justice, est titulaire à son égard de l'autorité parentale. L'adoptant, bénéficiaire d'un jugement d'adoption, est seul investi à l'égard de l'adopté de tous les droits d'autorité parentale. Dès lors, dans le cas où un visa d'entrée et de long séjour en France est sollicité en vue de permettre à l'adopté de rejoindre sa famille d'adoption, ce visa ne peut en règle générale, eu égard notamment aux stipulations du paragraphe 1 de l'article 3 de la convention du 26 janvier 1990 relative aux droits de l'enfant, être refusé pour un motif tiré de ce que l'intérêt de l'enfant serait au contraire de demeurer auprès de ses parents ou d'autres membres de sa famille. En revanche, et sous réserve de ne pas porter une atteinte disproportionnée au droit de l'intéressé au respect de sa vie privée et familiale, l'autorité chargée de la délivrance des visas peut se fonder, pour rejeter la demande dont elle est saisie, non seulement sur l'atteinte à l'ordre public qui pourrait résulter de l'accès de l'enfant au territoire national, mais aussi sur le motif tiré de ce que les conditions d'accueil de celui-ci en France seraient, compte tenu notamment des ressources et des conditions de logement de l'adoptant, contraires à son intérêt.

3. En premier lieu, si les jugements rendus par un tribunal étranger relativement à l'état et à la capacité des personnes produisent, sauf dans la mesure où ils impliquent des actes d'exécution matérielle sur des biens ou de coercition sur des personnes, leurs effets en France indépendamment de toute déclaration d'exequatur, il appartient à l'autorité administrative, sous le contrôle du juge de l'excès de pouvoir, de ne pas fonder sa décision sur des éléments issus d'un jugement étranger qui révélerait l'existence d'une fraude ou d'une situation contraire à la conception française de l'ordre public international.

4. Il ressort des pièces du dossier que par un jugement du 7 septembre 2011, le tribunal de grande instance du Mfoundi a prononcé l'" adoption plénière " par Mme F... de l'enfant C... I..., née le 28 mai 2006 à Yaoundé. Pour confirmer le refus de visa opposé à la demande de l'adoptée, la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France s'est fondée, d'une part, sur le caractère apocryphe de l'acte de naissance de la mère naturelle de l'enfant et, d'autre part, sur la non-conformité de l'adoption aux " exigences procédurales camerounaises ".

5. Le jugement d'adoption mentionné au point précédent a été rendu au vu d'un acte signé devant notaire le 10 mai 2011 par Mme H... D..., se présentant comme la mère de la jeune C... I.... La levée d'acte effectuée à des fins de vérification, le 19 janvier 2015, par les autorités consulaires françaises auprès des services camerounais de l'état civil a, d'une part, fait apparaître la non existence de la souche de l'acte de naissance n° 10276/79 de Mme H... D... et, d'autre part, conduit à la délivrance, sous le numéro de référence n° 10276, d'un acte de naissance concernant une autre personne. Toutefois, Mme F... verse à l'instance une attestation de non-existence de souche d'acte, un jugement du 20 mars 2017 par lequel le tribunal de première instance de Yaoundé a ordonné l'établissement de l'acte de naissance de Mme H... D..., née le 12 juin 1979 ainsi qu'un acte de naissance concernant cette dernière dressé le 2 septembre 2019. Par ailleurs, l'acte de naissance produit à la suite de la levée d'acte et concernant un tiers porte une référence différente de celui soumis à vérification. Dans ces conditions, l'identité de Mme H... D... doit être tenue pour établie. Ainsi, l'irrégularité de l'acte de naissance antérieurement produit devant l'administration ne permet pas de démontrer que le jugement d'adoption du 7 septembre 2011 serait frauduleux ni qu'il aurait été rendu au mépris du consentement de la mère naturelle de l'enfant, en méconnaissance de la conception française de l'ordre public international.

6. Toutefois, si Mme F..., qui ne conteste pas ne pas s'être adressée aux services du ministère camerounais des affaires sociales antérieurement au jugement du 7 septembre 2011, soutient qu'elle a entièrement respecté les procédures camerounaises, qu'elle s'est adressée à une assistante sociale et que le consentement de la mère naturelle de la jeune C... a été recueilli devant un notaire, elle n'apporte aucune justification ni même aucune précision sur les conditions dans lesquelles ont été entreprises et suivies les démarches ayant précédé le jugement d'adoption, plus particulièrement, les modalités suivant lesquelles a été réalisé l'apparentement. Il ne ressort ainsi pas des pièces du dossier que l'adoption de la jeune C... ait été prononcée sans procéder à l'identification directe de l'enfant, laquelle est contraire aux principes éthiques de l'adoption internationale tels qu'énoncés par la convention internationale relative aux droits de l'enfant et porte atteinte à la conception française de l'ordre public international. Pour la même raison, il ne ressort pas des pièces du dossier que le principe de subsidiarité, qui relève également de la conception française de l'ordre public international, ait été respecté.

7. En outre, le jugement a prononcé " l'adoption plénière " de l'enfant, ce qui, selon Mme F..., correspond à la légitimation adoptive prévue à l'article 368 du code civil. Pourtant, alors que le ministre indique, sans être contredit, que l'adoption, qui est révocable et maintient l'adopté dans sa famille naturelle, est régie par les articles 343 à 367 du code civil camerounais tandis que la légitimation adoptive, qui est irrévocable et met un terme à l'appartenance de l'adopté à sa famille naturelle, relève des articles 368 à 370 du même code, il ressort des énonciations tant du jugement d'adoption du 7 septembre 2011 que de l'acte notarié par lequel la mère naturelle a donné son consentement, que ces deux actes sont fondés sur la première série d'articles relatifs à l'adoption. Il n'est ainsi pas certain que la mère biologique de l'enfant ait consenti à l'adoption de manière parfaitement éclairée et informée, notamment quant au type d'adoption et à ses effets.

8. De surcroît, alors que, ainsi qu'il a été dit, il ne ressort pas des pièces du dossier que l'adoptabilité de l'enfant ait été préalablement vérifiée par les services sociaux camerounais, le ministre fait valoir que la jeune C... ne peut être regardée comme une enfant abandonnée au sens de l'article 368 du code civil camerounais, lequel limite le champ de la légitimation adoptive aux enfants " abandonnés par leurs parents ou dont ceux-ci sont inconnus ou décédés ". Mme F..., qui ne contredit pas les affirmations du ministre selon lesquelles aucune disposition du code civil camerounais relative à la légitimation adoptive ne fait référence au consentement des parents naturels, ne conteste pas sérieusement que la jeune C... ne pouvait faire l'objet d'une telle procédure.

9. Il suit de là que, eu égard aux nombreuses incertitudes qui existent quant au respect, par la procédure suivie par Mme F..., des principes gouvernant l'adoption internationale évoqués aux points précédents et tenant au consentement de la famille naturelle, à l'absence de pré-identification et au principe de subsidiarité, lesquels se rattachent à la conception française de l'ordre public international, la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a pu légalement, en dépit de l'existence du jugement d'adoption du 7 septembre 2011, opposer un refus à la demande de visa présentée pour l'enfant C... I....

10. En deuxième lieu, aux termes du paragraphe 1 de l'article 3 de la convention relative aux droits de l'enfant du 26 janvier 1990 : " Dans toutes les décisions qui concernent les enfants, qu'elles soient le fait des institutions publiques ou privées de protection sociale, des tribunaux, des autorités administratives ou des organes législatifs, l'intérêt supérieur de l'enfant doit être une considération primordiale ".

11. Compte tenu des conditions dans lesquelles la jeune C... a été adoptée et des liens que cet enfant conserve avec sa mère naturelle, auprès de laquelle elle vit, en compagnie de sa tante, la décision contestée ne méconnaît pas son intérêt supérieur. Le moyen tiré de la méconnaissance des stipulations du paragraphe 1 de l'article 3 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant doit, dès lors, être écarté.

12. En troisième lieu, aux termes des stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. / 2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui ".

13. Il ressort des pièces du dossier que Mme F... et la jeune C... entretiennent des relations étroites et régulières. La première pourvoit à l'entretien et à l'éducation de la seconde. Toutefois, eu égard à l'intérêt supérieur de C..., lequel suppose notamment le respect de garanties suffisantes dans l'établissement de sa filiation adoptive, et à la conception française de l'ordre public international, la décision contestée ne porte pas au droit au respect de la vie privée et familiale de Mme F... une atteinte disproportionnée aux buts en vues desquels elle est intervenue. De même, il ne ressort pas des pièces du dossier que le refus de visa litigieux porterait une atteinte excessive au droit au respect de la vie privée et familiale de la jeune C... qui, en dépit de l'état de santé dégradé de sa mère, vit dans sa famille.

14. En dernier lieu, le principe de liberté d'aller et venir ne donne pas à un étranger le droit de pénétrer sur le territoire d'un Etat dont il ne possède pas la nationalité.

15. En l'absence d'illégalité établie de la décision de refus de visa en litige, les conclusions indemnitaires présentées par Mme F... doivent, sans qu'il soit besoin d'examiner leur recevabilité, être rejetées. Pour le même motif, les conclusions aux fins d'injonction et d'astreinte ne sauraient être accueillies.

16. Il résulte de tout ce qui précède que Mme F... n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nantes a rejeté sa demande.

Sur les frais liés au litige :

17. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à la mise à la charge de l'Etat, lequel n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, d'une somme au titre des frais exposés par Mme F... et non compris dans les dépens.

D E C I D E :

Article 1er : La requête de Mme F... est rejetée.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à Mme A... F... et au ministre de l'Europe et des affaires étrangères.

Une copie sera adressée au ministre de l'intérieur.

Délibéré après l'audience du 8 décembre 2020, à laquelle siégeaient :

- M. Pérez, président de chambre,

- Mme B..., présidente-assesseur,

- Mme G..., premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe, le 8 janvier 2021.

Le rapporteur,

K. G...

Le président,

A. PEREZLe greffier,

K. BOURON

La République mande et ordonne au ministre de l'Europe et des affaires étrangères en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

N° 19NT03721


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Nantes
Formation : 2ème chambre
Numéro d'arrêt : 19NT03721
Date de la décision : 08/01/2021
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : Mme DOUET
Rapporteur ?: Mme Karima BOUGRINE
Rapporteur public ?: M. GIRAUD
Avocat(s) : REMIGY

Origine de la décision
Date de l'import : 27/01/2021
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.nantes;arret;2021-01-08;19nt03721 ?
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