Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. A... E... a demandé au tribunal administratif de Rennes d'annuler l'arrêté du 19 septembre 2019 par lequel le préfet du Morbihan a refusé de lui délivrer un titre de séjour, l'a obligé à quitter le territoire français et a fixé le pays à destination duquel il pourra être reconduit d'office.
Par un jugement n° 1905178 du 31 janvier 2020, le tribunal administratif de Rennes a rejeté sa demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête enregistrée le 19 février 2020 M. E..., représenté par Me D..., demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Rennes du 31 janvier 2020 ;
2°) d'annuler l'arrêté du préfet du Morbihan du 19 septembre 2019 ;
3°) d'enjoindre au préfet du Morbihan de lui délivrer un titre de séjour portant la mention " vie privée et familiale " ou, à défaut, de réexaminer sa situation, sous astreinte de 100 euros par jour de retard ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat au titre de l'article L.761-1 du code de justice administrative la somme de 1 500 euros à verser à son conseil dans les conditions fixées à l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 et à l'article 108 du décret du 19 décembre 1991.
Il soutient que :
- l'arrêté contesté révèle un défaut d'examen de sa situation particulière ;
- le préfet s'est cru à tort lié par la circulaire du 28 novembre 2012 et a méconnu les dispositions du 7° de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- l'arrêté contesté est entaché d'une erreur manifeste d'appréciation de ses conséquences sur sa situation personnelle ;
- l'obligation de quitter le territoire français est privée de base légale en raison de l'illégalité du refus de délivrance d'un titre de séjour.
Par un mémoire en défense enregistré le 10 septembre 2020 le préfet du Morbihan conclut au rejet de la requête.
Il soutient que les moyens soulevés par M. E... ne sont pas fondés.
M. E... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 9 mars 2020.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code des relations entre le public et l'administration ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le décret n°91-1266 du 19 décembre 1991 ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. C...
- et les observations de Me D... pour M. E....
Considérant ce qui suit :
1. M. E..., ressortissant camerounais né le 28 juillet 1998, est entré en France le
18 juillet 2015. Il a demandé un titre de séjour le 28 mars 2018. Par un arrêté du 19 septembre 2019, le préfet du Morbihan a rejeté sa demande, l'a obligé à quitter le territoire français et a fixé le pays à destination duquel il pourra être renvoyé d'office. M. E... relève appel du jugement du 31 janvier 2020 par lequel le tribunal administratif de Rennes a rejeté son recours tendant à l'annulation de cet arrêté.
Sur la légalité de l'arrêté contesté du préfet du Morbihan :
2. Aux termes de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Sauf si sa présence constitue une menace pour l'ordre public, la carte de séjour temporaire portant la mention "vie privée et familiale" est délivrée de plein
droit : (...) 7° A l'étranger ne vivant pas en état de polygamie, qui n'entre pas dans les catégories précédentes ou dans celles qui ouvrent droit au regroupement familial, dont les liens personnels et familiaux en France, appréciés notamment au regard de leur intensité, de leur ancienneté et de leur stabilité, des conditions d'existence de l'intéressé, de son insertion dans la société française ainsi que de la nature de ses liens avec la famille restée dans le pays d'origine, sont tels que le refus d'autoriser son séjour porterait à son droit au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée au regard des motifs du refus ; (...) ". Aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1° Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance ; 2° Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui ".
3. M. E... est entré en France à l'âge de 16 ans et y résidait depuis plus de quatre ans lorsqu'est intervenu l'arrêté contesté. Depuis son arrivée en France, il vit chez sa mère, titulaire d'une carte de résident valable jusqu'au 20 août 2021 et son beau-père français, qui subviennent à ses besoins. Il entretient également des relations suivies avec sa grand-mère maternelle et sa cousine, qui vivent également en France en situation régulière, et avec la famille de son beau-père. Il a été scolarisé en France dès septembre 2015, d'abord au collège
Saint-Maurice à Guer pour une remise à niveau, puis au lycée La Mennais de Ploërmel en CAP " Agent polyvalent de restauration ". Il a obtenu au cours de sa scolarité de très bons résultats et d'excellentes appréciations de ses professeurs et maîtres de stage. Il est titulaire du CAP " Agent polyvalent de restauration " depuis juin 2018 et s'est inscrit en septembre 2018 en troisième année de CAP pour parfaire sa formation et se donner de meilleures chances d'obtenir un emploi. Il justifie aussi, par plusieurs attestations dont la valeur probante n'est pas contestée, qu'il prend soin de son beau-père, qui a été victime d'un AVC en 2009 et requiert l'assistance permanente de son entourage. Enfin, il produit de nombreux témoignages de proches, d'amis, de professeurs et de responsables associatifs, qui attestent tous de son sérieux, de ses qualités humaines et de ses capacités d'adaptation et d'insertion. Dans ces conditions, alors même qu'il a vécu jusqu'à l'âge de 16 ans au Cameroun où résident sa soeur et sa tante, l'arrêté contesté a porté au droit au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée, contraire aux dispositions et aux stipulations rappelées au point précédent et doit, pour ce motif, être annulé.
4. Il résulte de ce qui précède, sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de la requête, que M. E... est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Rennes a rejeté sa demande.
Sur les conclusions à fin d'injonction :
5. Pour l'application des articles L. 911-1 et suivants du code de justice administrative, l'annulation prononcée par le présent arrêt, eu égard au motif qui la fonde, implique que le préfet du Morbihan délivre à M. E... une carte de séjour temporaire portant la mention
" vie privée et familiale ". Il y a lieu d'adresser au préfet une injonction en ce sens et de fixer à deux mois le délai imparti pour son exécution. Il n'y a pas lieu, en revanche, d'assortir cette mesure d'exécution de l'astreinte demandée par la requérant.
Sur les frais liés au litige :
6. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 000 euros à verser au conseil de M. E... dans les conditions fixées à l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 et à l'article 108 du décret du 19 décembre 1991.
DÉCIDE :
Article 1er : Le jugement n°1905178 du tribunal administratif de Rennes du 31 janvier 2020 et l'arrêté du 19 septembre 2019 du préfet du Morbihan sont annulés.
Article 2 : Il est enjoint au préfet du Morbihan de délivrer à M. E... une carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale " dans un délai de deux mois à compter de la date de notification du présent arrêt.
Article 3 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.
Article 4 : L'Etat versera la somme de 1 000 euros au conseil de M. E... dans les conditions fixées à l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 et à l'article 108 du décret du
19 décembre 1991.
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à M. B... E... et au ministre de l'intérieur.
Copie sera adressée au préfet du Morbihan.
Délibéré après l'audience du 19 novembre 2020, à laquelle siégeaient :
- Mme Perrot, président de chambre
- M. C..., premier conseiller,
- Mme Le Barbier, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 18 décembre 2020.
Le rapporteur
E. C...Le président
I. Perrot
Le greffier
R. Mageau
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 20NT00617