Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
Mme A... C... a demandé au tribunal administratif d'Orléans de condamner l'établissement d'hébergement pour personnes âgées dépendantes (EHPAD) de Villecante à lui verser la somme de 270 247,70 euros en réparation de divers préjudices.
Par un jugement n° 1701954 du 4 juin 2019, le tribunal administratif d'Orléans a rejeté sa demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête et un mémoire enregistrés les 27 juin 2019 et 4 juin 2020 Mme C..., représentée par Me D..., demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif d'Orléans du 4 juin 2019 ;
2°) de condamner l'EHPAD de Villecante à lui verser la somme de 276 988,42 euros ;
3°) de mettre à la charge de l'EHPAD de Villecante la somme de 2 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- à titre principal, et contrairement à ce qu'a jugé le tribunal administratif d'Orléans, l'existence d'un lien contractuel avec l'EHPAD de Villecante est incontestable ; la responsabilité contractuelle de l'établissement est donc engagée ;
- à titre subsidiaire, la responsabilité de l'EHPAD de Villecante est engagée pour défaut d'entretien normal du sol de cet ouvrage public ;
- la réalité de son préjudice est établie ; elle a droit aux indemnités suivantes :
1 106,30 euros au titre du déficit fonctionnel temporaire, 3 500 euros au titre des souffrances endurées, 4 320 euros au titre du déficit fonctionnel permanent, 10 000 euros au titre du préjudice d'agrément, 945 euros au titre du besoin en assistance par une tierce personne, 2 399,94 euros au titre de la perte de gains professionnels actuels, 107,66 euros au titre des dépenses de santé restées à sa charge, 253 769,65 euros au titre de la perte de gains professionnels futurs et 839,86 euros au titre des dépenses de santé futures.
Par un mémoire en défense enregistré le 26 septembre 2019 l'EHPAD de Villecante, représenté par la SCP Guillauma-Pesme, conclut à titre principal au rejet de la requête, à titre subsidiaire à ce que l'indemnité accordée à Mme C... n'excède pas la somme de 2 775,23 euros, et demande à la cour de mettre à la charge de Mme C... la somme de 2 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que les moyens soulevés par Mme C... ne sont pas fondés.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code de l'action sociale et de la famille ;
- le code de la santé publique ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. B...,
- et les conclusions de M. Gauthier, rapporteur public.
Considérant ce qui suit :
1. Mme C..., masseur-kinésithérapeute, intervenait le 18 août 2015 à titre libéral au sein de l'EHPAD de Villecante, établissement public doté de la personnalité morale, lorsqu'elle a fait une chute. Elle a souffert d'une entorse de la cheville droite et d'une fracture du 5ème métatarsien. L'assureur de l'EHPAD de Villecante a diligenté une expertise, confiée à un médecin expert dans l'évaluation du dommage corporel, qui s'est déroulée le 14 mai 2016. Le
9 février 2017, Mme C... a adressé à l'EHPAD de Villecante une réclamation indemnitaire à laquelle cet établissement n'a pas répondu. Mme C... a alors saisi le tribunal administratif d'Orléans d'un recours indemnitaire qui a été rejeté par un jugement du 4 juin 2019.
Mme C... relève appel de ce jugement.
Sur la responsabilité de l'EHPAD de Villecante :
En ce qui concerne la responsabilité contractuelle :
2. Aux termes de l'article L. 314-12 du code de l'action sociale et des familles : " Des conditions particulières d'exercice des professionnels de santé exerçant à titre libéral destinées notamment à assurer l'organisation, la coordination et l'évaluation des soins, l'information et la formation sont mises en oeuvre dans les établissements d'hébergement pour personnes âgées dépendantes. Ces conditions peuvent porter sur des modes de rémunération particuliers autres que le paiement à l'acte et sur le paiement direct des professionnels par l'établissement. (...) Un contrat portant sur ces conditions d'exercice est conclu entre le professionnel et l'établissement. Sont présumés ne pas être liés par un contrat de travail avec l'établissement les professionnels intervenant dans les conditions prévues au présent article. ".
3. En premier lieu, à supposer même que Mme C... et l'EHPAD de Villecante puissent être regardés comme collaborant dans le cadre défini par les dispositions rappelées au point 2, il est constant qu'aucun contrat écrit n'a été conclu entre les deux parties. En tout état de cause, un tel contrat, qui a pour seul objet de déterminer les modes d'intervention et de rémunération du professionnel de santé dans l'établissement, ne saurait emporter aucune obligation de l'établissement de santé en matière de sécurité. Il ne saurait donc servir de fondement à une action en responsabilité contractuelle de Mme C... à l'encontre de l'EHPAD de Villecante.
4. En second lieu, en vertu des mêmes dispositions, qui précisent que les professionnels de santé ne sont pas liés par un contrat de travail avec l'établissement, Mme C... n'est pas davantage fondée à rechercher la responsabilité contractuelle de l'EHPAD de Villecante en qualité d'employeur.
En ce qui concerne la responsabilité pour défaut d'entretien normal de l'ouvrage :
5. Il appartient à l'usager d'un ouvrage public qui demande réparation d'un préjudice qu'il estime imputable à cet ouvrage de rapporter la preuve de l'existence d'un lien de causalité entre le préjudice invoqué et l'ouvrage. Le maître de l'ouvrage ne peut être exonéré de l'obligation d'indemniser la victime qu'en rapportant, à son tour, la preuve soit de l'entretien normal de l'ouvrage, soit que le dommage est imputable à une faute de la victime ou à un cas de force majeure.
6. Il résulte de l'instruction, en particulier d'une attestation établie par une
aide-soignante qui était présente lors de l'accident du 18 août 2015, que Mme C..., alors qu'elle intervenait pour aider une patiente qui perdait l'équilibre, a chuté en raison de l'état du sol, décrit par l'aide-soignante comme " extrêmement collant ". Ce témoignage sur l'état du sol est d'ailleurs confirmé par celui d'une cadre de santé qui s'est immédiatement déplacée sur les lieux. Le lien de causalité entre l'accident et l'ouvrage public est donc établi.
7. La production par l'EHPAD de Villecante d'une fiche d'intervention selon laquelle le sol sur lequel Mme C... a chuté avait été nettoyé pour la dernière fois le 14 août 2015 ne suffit pas à établir qu'il ne présentait pas un danger pour les usagers quatre jours plus tard. Par conséquent, l'EHPAD de Villecante ne rapporte pas la preuve, qui lui incombe, de l'entretien normal de l'ouvrage.
8. Il résulte de ce qui précède que, contrairement à ce qu'ont estimé les premiers juges, la responsabilité de l'EHPAD de Villecante est engagée envers Mme C....
Sur la faute exonératoire de Mme C... :
9. Contrairement à ce que soutient l'EHPAD de Villecante, Mme C... n'a, en tentant de secourir sa patiente, commis aucune faute de nature à exonérer l'établissement d'une part de sa responsabilité.
Sur les préjudices :
En ce qui concerne les préjudices patrimoniaux :
10. Il résulte de l'instruction que Mme C... a subi un déficit fonctionnel temporaire de 50% du 18 août au 27 octobre 2015 et de 10% du 28 octobre 2015 au 1er mars 2016, date de consolidation de son état de santé. Il sera fait une juste appréciation de ce préjudice en condamnant l'EHPAD de Villecante à lui verser la somme de 600 euros.
11. Mme C... justifie d'un reste à charge de 107,66 euros au titre de dépenses de santé exposées jusqu'à la date du présent arrêt. Il y a donc lieu de condamner l'EHPAD de Villecante à lui rembourser cette somme. Pour l'avenir, il résulte de l'instruction que
Mme C... devra dépenser à titre viager 27 euros par an pour faire l'acquisition d'une paire d'orthèses plantaires. Après capitalisation de cette rente par application d'un coefficient de 32,397 issu du barème 2018 de la Gazette du Palais correspondant à une victime âgée de 50 ans à la date du présent arrêt, le préjudice s'élève à la somme de 874,72 euros.
12. L'expert a évalué à une heure par jour pendant neuf semaines le besoin de
Mme C... en assistance par une tierce personne non spécialisée. Sur la base d'un taux horaire moyen de rémunération, tenant compte des charges patronales et des majorations de rémunération pour travail du dimanche, fixé à 13 euros, et d'une année de 412 jours incluant les congés payés et les jours fériés, le préjudice de Mme C... s'élève à la somme de
923,83 euros (13 euros x 63 jours x 1,128).
13. Après son accident, Mme C... a été placée en congé pour maladie du 18 août 2015 au 31 décembre 2015. Elle a repris son travail à mi-temps pendant un mois puis à temps complet. Elle fait elle-même valoir qu'elle percevait un revenu mensuel net moyen de 2 785,39 euros avant son accident, qu'en 2015 ses gains professionnels, composés pour une part de salaires et pour une autre de prestations de compensation, se sont élevés à la somme de 40 216 euros et qu'elle a perçu environ 3 200 euros entre le 1er janvier 2016 et le 1er mars 2016, date de consolidation de son état de santé. Il en résulte que les revenus professionnels perçus par
Mme C... entre le 18 août 2015 et le 1er mars 2016 se sont élevés à environ 3 000 euros nets par mois, soit une somme supérieure à celle qu'elle percevait avant son accident. Mme C... n'est donc pas fondée à demander la réparation de ce chef de préjudice.
14. Il résulte de l'instruction que Mme C... a pu reprendre son travail de
masseur-kinésithérapeute à temps plein à partir du 1er février 2016. Si elle soutient qu'elle a été contrainte, en raison des séquelles de l'accident du 18 août 2015, de cesser toute intervention à l'EHPAD de Villecante et de réduire le nombre des patients soignés à son cabinet, l'expert a expressément écarté l'existence d'une perte de gains professionnels à partir du 1er mars 2016 après avoir notamment constaté lors de son examen du 14 mai 2016 que la requérante marchait normalement sans boiterie visible et que l'appui monopodal droit était possible et stable. Par suite, Mme C... n'établit pas que la baisse de ses revenus professionnels à partir du 1er mars 2016 seraient en lien direct avec son accident du 18 août 2015.
En ce qui concerne les préjudices personnels :
15. Il résulte de l'instruction que Mme C..., dont la capacité de flexion dorsale de la cheville droite a été réduite, subit un déficit fonctionnel permanent de 3%. Il y a lieu d'évaluer ce préjudice à la somme de 3 300 euros.
16. Les souffrances endurées par Mme C... ont été évaluées à 2,5/7 par l'expert. Il y a lieu de fixer l'indemnité qui lui est due à ce titre à la somme de 2 700 euros.
17. Il résulte de l'instruction qu'après son accident Mme C... n'a pas pu reprendre le judo, sport qu'elle pratiquait avec assiduité. Il y a donc lieu, dans les circonstances de l'espèce, de lui accorder la somme de 1 500 euros au titre de son préjudice d'agrément.
18. Il résulte de ce qui précède que l'EHPAD de Villecante doit être condamné à verser à Mme C... la somme totale de 10 006,21 euros en réparation de ses préjudices.
Sur les frais liés au litige :
19. Il y a lieu, en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, de mettre à la charge de l'EHPAD de Villecante la somme de 1 500 euros au titre des frais exposés par Mme C... et non compris dans les dépens et de rejeter les conclusions présentées par l'EHPAD de Villecante au même titre.
DÉCIDE :
Article 1er : Le jugement n° 1701954 du tribunal administratif d'Orléans du 4 juin 2019 est annulé.
Article 2 : L'EHPAD de Villecante est condamné à verser à Mme C... la somme de 10 006,21 euros.
Article 3 : L'EHPAD de Villecante versera à Mme C... la somme de 1 500 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête et les conclusions présentées par l'EHPAD de Villecante au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetés.
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à Mme A... C..., à l'EHPAD de Villecante, au Groupe Pasteur Mutualiste, à la Carpimko et à la caisse primaire d'assurance maladie de
Loir-et-Cher.
Délibéré après l'audience du 19 novembre 2020, à laquelle siégeaient :
- Mme Perrot, président de chambre,
- M. B..., premier conseiller,
- Mme Le Barbier, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 18 décembre 2020.
Le rapporteur
E. B...Le président
I. Perrot
Le greffier
R. Mageau
La République mande et ordonne au ministre des solidarités et de la santé en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 19NT02513