Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
La société par actions simplifiée (SAS) Thyssenkrupp Ascenseurs a demandé au tribunal administratif de Nantes de condamner l'Etat à lui verser la somme de 68 820,29 euros en réparation des préjudices causés par l'illégalité de la décision du 11 mai 2011 par laquelle le ministre du travail a autorisé le licenciement de M. B... pour motif disciplinaire.
Par un jugement n° 1607312 du 1er mars 2019, le tribunal administratif de Nantes a condamné l'Etat à verser à la SAS Thyssenkrupp Ascenseurs la somme de 22 000 euros et a rejeté le surplus des conclusions de la demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête enregistrée le 2 mai 2019, la ministre du travail demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de Nantes du 1er mars 2019 en tant qu'il a condamné l'Etat à verser à la SAS Thyssenkrupp Ascenseurs la somme de 22 000 euros ;
2°) de rejeter la demande indemnitaire de la SAS Thyssenkrupp Ascenseurs présentée devant le tribunal administratif de Nantes.
Elle soutient que :
- c'est à tort que le tribunal a condamné uniquement l'Etat et qu'il n'a pas tenu compte de la faute de l'employeur dans la réalisation de son préjudice, au regard de l'application par la juridiction prudhommale des dispositions de l'article L. 2422-4 du code du travail ;
- le fait de la victime et la force majeure sont deux causes exonératoires dans tous les régimes de responsabilité ;
- l'employeur ayant commis une faute en sollicitant de l'administration le licenciement du salarié protégé alors que les motifs qu'il invoquait à l'appui de sa demande n'étaient pas suffisants, il n'y a pas lieu de rechercher, comme l'ont fait les premiers juges, s'il a également commis une faute en sollicitant l'accord de l'inspection du travail dans des circonstances abusives telles que " des manoeuvres destinées à altérer son pouvoir d'appréciation " ;
- la faute imputable à l'employeur de M. B..., qui a sollicité l'autorisation de licencier ce dernier, salarié protégé, est de nature à exonérer, au moins partiellement, l'Etat de sa responsabilité.
Par un mémoire en défense, enregistré le 26 juin 2019, la SAS Thyssenkrupp Ascenseurs, représentée par la Me C..., conclut au rejet de la requête et, par la voie de l'appel incident :
1°) à la réformation du jugement du 1er mars 2019 en ce qu'il a limité l'indemnisation de ses préjudices à la somme de 22 000 euros ;
2°) à la condamnation de l'Etat à lui verser la somme de 68 820,29 euros au titre de la réparation de son préjudice résultant de l'illégalité de la décision du 11 mai 2011 par laquelle le ministre du travail a autorisé le licenciement de M. B... pour motif disciplinaire ;
3°) à ce que soit mise à la charge de l'Etat la somme de 5 000 euros au titre des dispositions de l'article L.761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que les moyens soulevés par la ministre du travail ne sont pas fondés et qu'elle est fondée à solliciter la réparation du préjudice direct et certain résultant pour elle de l'annulation de la décision illégale.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 ;
- la loi n° 84-16 du 11 janvier 1984 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. A...,
- les conclusions de M. Lemoine, rapporteur public,
- les observations de Me D... pour la SAS Thyssenkrupp Ascenseurs.
Considérant ce qui suit :
1. Le ministre chargé du travail a autorisé la SAS Thyssenkrupp Ascenceurs, par décision du 11 mai 2011, à licencier pour faute M. B..., technicien de maintenance employé par l'agence du Mans, titulaire des mandats de délégué du personnel titulaire, de représentant du personnel au comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail ainsi que de délégué syndical. Par un arrêt du 29 décembre 2014 devenu définitif, la cour administrative d'appel de Nantes a annulé cette décision. Par un arrêt du 28 juin 2018, la chambre sociale de la cour d'appel d'Angers a déclaré le licenciement de M. B... dépourvu de cause réelle et sérieuse et a condamné la SAS Thyssenkrupp Ascenceurs à indemniser M. B... des divers préjudices résultant de son licenciement. Par courrier du 29 avril 2016, la SAS Thyssenkrupp Ascenceurs a saisi le ministre chargé du travail d'une demande préalable indemnitaire tendant à la réparation des préjudices résultant de l'illégalité de la décision du 11 mai 2011 autorisant le licenciement de M. B.... Cette demande a été rejetée par une décision implicite. Par sa requête, la ministre du travail relève appel du jugement du tribunal administratif de Nantes du 1er mars 2019 en tant qu'il a condamné l'Etat à verser à la SAS Thyssenkrupp Ascenseurs la somme de 22 000 euros. Par la voie de l'appel incident, la SAS Thyssenkrupp Ascenseurs demande à la cour de réformer le jugement du tribunal administratif de Nantes en ce qu'il a limité l'indemnisation de ses préjudices à la somme de 22 000 euros et de condamner l'Etat à lui verser la somme de 68 820,29 euros au titre de la réparation de son entier préjudice résultant de l'illégalité de la décision du 11 mai 2011.
Sur le bien-fondé du jugement attaqué :
2. D'une part, en application des dispositions du code du travail, le licenciement d'un salarié protégé ne peut intervenir que sur autorisation de l'autorité administrative. L'illégalité de la décision autorisant un tel licenciement, à supposer même qu'elle soit imputable à une simple erreur d'appréciation de l'autorité administrative, constitue une faute de nature à engager la responsabilité de la puissance publique quelle que puisse être par ailleurs la responsabilité encourue par l'employeur. Ce dernier est en droit d'obtenir la condamnation de l'Etat à réparer le préjudice direct et certain résultant pour lui de cette décision illégale. D'autre part, la responsabilité encourue par l'Etat peut se trouver atténuée à raison du fait du tiers, notamment du fait de la faute que l'employeur a pu commettre en soumettant à l'administration une demande reposant sur des motifs qui ne pouvaient justifier le licenciement d'un salarié protégé.
3. Il ressort des termes même du jugement attaqué que pour rejeter la faute de l'employeur de nature à exonérer l'Etat de sa responsabilité, le tribunal s'est fondé sur la circonstance que la ministre chargée du travail n'établissait pas, ni même n'alléguait, que la SAS Thyssenkrupp Ascenceurs, lorsqu'elle a saisi l'administration de la demande d'autorisation de licenciement pour faute de M. B..., aurait usé de " manoeuvres destinées à altérer son pouvoir d'appréciation " lors de l'examen de cette demande. En estimant que la faute de l'Etat ne pouvait être atténuée qu'en cas de " manoeuvres " de l'employeur destinées à altérer son pouvoir d'appréciation, alors même que la faute de l'employeur peut résulter de motifs ne pouvant légalement justifier le licenciement non constitutifs de manoeuvres particulières en ce sens, c'est à tort que le tribunal administratif de Nantes s'est fondé sur ce motif.
4. Il appartient à la cour, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés par la SAS Thyssenkrupp Ascenseurs devant le tribunal administratif de Nantes.
Sur la fin de non recevoir opposée par le ministre :
5. La fin de non recevoir opposée par le ministre, tirée de ce que l'identité du représentant légal de la société requérante n'aurait pas été précisée, sera écartée par adoption des motifs retenus par les premiers juges.
Sur le principe de la responsabilité :
6. En premier lieu, l'arrêt du 29 décembre 2014 annulant la décision du 11 mai 2011 du ministre chargé du travail autorisant le licenciement de M. B... est devenu définitif. Par suite, l'illégalité ainsi constatée doit être tenue pour établie et constitue une faute de nature à engager la responsabilité de l'Etat.
7. En second lieu, aux termes de l'article L. 2422-4 du code du travail : " Lorsque l'annulation d'une décision d'autorisation est devenue définitive, le salarié investi d'un des mandats mentionnés à l'article L. 2422-1 a droit au paiement d'une indemnité correspondant à la totalité du préjudice subi au cours de la période écoulée entre son licenciement et sa réintégration, s'il en a formulé la demande dans le délai de deux mois à compter de la notification de la décision. L'indemnité correspond à la totalité du préjudice subi au cours de la période écoulée entre son licenciement et l'expiration du délai de deux mois s'il n'a pas demandé sa réintégration. Ce paiement s'accompagne du versement des cotisations afférentes à cette indemnité qui constitue un complément de salaire. "
8. Il résulte de ces dispositions que l'employeur est tenu de verser cette indemnité ainsi que les cotisations y afférentes lorsqu'une autorisation de licenciement a été annulée et que cette annulation est devenue définitive. D'une part, l'annulation de la décision administrative autorisant le licenciement étant une condition légale pour ouvrir droit à cette indemnité, le préjudice consistant pour la SAS Thyssenkrupp Ascenceurs à avoir versé à M. B... une somme sur le fondement de l'article L. 2422-4 du code du travail, en exécution de l'arrêt de la cour d'appel d'Angers du 28 juin 2018, présente un lien de causalité direct et certain avec l'illégalité dont était entachée la décision autorisant le licenciement de ce salarié. Mais, d'autre part, il résulte de l'arrêt de la cour du 29 décembre 2014, revêtu de l'autorité absolue de la chose jugée, que l'autorisation de licenciement a été annulée au motif que le grief retenu par le ministre du travail pour autoriser le licenciement de M. B... reposait sur des faits qui, bien qu'étant fautifs, ne présentaient pas le caractère d'une faute d'une gravité suffisante de nature à justifier le licenciement de ce salarié. Par suite, la SAS Thyssenkrupp Ascenseurs en formulant une demande d'autorisation de licenciement qui présentait un caractère injustifié au regard des dispositions du code du travail, a elle-même commis une faute de nature à exonérer l'Etat de la moitié de la responsabilité encourue.
Sur les préjudices :
9. En premier lieu, les conclusions indemnitaires de la SAS Thyssenkrupp Ascenseurs demandant à l'Etat le remboursement de la somme de 25 000 euros qu'elle a été condamnée à verser à M. B..., en exécution de l'arrêt de la cour d'appel d'Angers du 28 juin 2018, à titre d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, de la somme de 5 590 euros au titre de l'indemnité compensatrice de préavis, de la somme de 559 euros au titre de l'indemnité de congés payés afférents au préavis, de la somme de 17 701,66 euros au titre de l'indemnité conventionnelle de licenciement, de la somme de 191,10 euros à titre du rappel de salaires pour la période durant laquelle l'intéressé a été mis à pied du 24 et 25 mai 2011, assortie d'une somme de 19,11 euros au titre des congés payés afférents et de la somme de 2 450 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, sont rejetées par adoption des motifs retenus par les premiers juges, en raison de l'absence de lien de causalité direct avec la faute de l'administration, seule en cause.
10. En second lieu, il résulte de l'instruction que la cour d'appel d'Angers a condamné la SAS Thyssenkrupp Ascenseurs à verser à M. B... une indemnité de 22 000 euros, en application de l'article L. 2422-4 du code du travail, au titre du préjudice résultant de la perte de salaire subie par l'intéressé pendant la période comprise entre son licenciement, le 24 mai 2011, et l'expiration de la période de deux mois suivant la notification de l'arrêt de la cour administrative d'appel de Nantes du 28 décembre 2014 annulant l'autorisation du licenciement, soit le 28 février 2015, M. B... n'ayant pas demandé sa réintégration dans l'entreprise. Le versement de cette indemnité est en relation directe avec l'annulation de la décision du ministre chargé du travail du 11 mai 2011 autorisant le licenciement de l'intéressé. Dès lors qu'il n'est pas contesté que la société requérante a indemnisé M. B... de ce chef de préjudice, il y a lieu de condamner l'Etat à verser à la SAS Thyssenkrupp Ascenseurs une somme de 11 000 euros à ce titre, eu égard au partage de responsabilité retenu au point 8 du présent arrêt.
11. Il résulte de ce qui précède que les conclusions incidentes de la SAS Thyssenkrupp Ascenseurs doivent être rejetées et que la ministre du travail est seulement fondée à demander l'annulation du jugement du tribunal administratif de Nantes du 1er mars 2019 en tant qu'il a condamné l'Etat à verser à la SAS Thyssenkrupp Ascenseurs la somme de 22 000 euros.
Sur les frais liés au litige :
12. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'il soit mis à la charge de l'Etat, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, la somme réclamée par la SAS Thyssenkrupp Ascenseurs au titre des frais liés au litige.
DECIDE :
Article 1er : L'Etat est condamné à verser à la SAS Thyssenkrupp Ascenseurs une somme de 11 000 euros.
Article 2 : Le jugement du tribunal administratif de Nantes du 5 juillet 2018 est réformé en ce qu'il est contraire à l'article 1er du présent arrêt.
Article 3 : Le surplus des conclusions des parties est rejeté.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à la SAS Thyssenkrupp Ascenseurs et à la ministre du travail, de l'emploi et de l'insertion.
Délibéré après l'audience du 27 novembre 2020, à laquelle siégeaient :
- M. Gaspon, président de chambre,
- M. Coiffet, président-assesseur,
- M. A..., premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe, le 15 décembre 2020.
Le rapporteur,
F. A...Le président,
O. GASPON
La greffière,
E. HAUBOIS
La République mande et ordonne à la ministre du travail, de l'emploi et de l'insertion, en ce qui la concerne, ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 19NT01663