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11/12/2020 | FRANCE | N°20NT01543

France | France, Cour administrative d'appel de Nantes, 2ème chambre, 11 décembre 2020, 20NT01543


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. H... B... agissant en son nom et en qualité de représentant légal de ses enfants mineurs allégués, Oumar B... et F... B..., et Mme I... B... ont demandé au tribunal administratif de Nantes d'annuler la décision du 21 décembre 2016 par laquelle la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a rejeté le recours formé devant elle contre la décision des autorités consulaires françaises à Conakry (Guinée) du 7 octobre 2016 refusant de délivrer à Mme I... B... et a

ux enfants E... B... et F... B... des visas de long séjour en qualité de membres ...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. H... B... agissant en son nom et en qualité de représentant légal de ses enfants mineurs allégués, Oumar B... et F... B..., et Mme I... B... ont demandé au tribunal administratif de Nantes d'annuler la décision du 21 décembre 2016 par laquelle la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a rejeté le recours formé devant elle contre la décision des autorités consulaires françaises à Conakry (Guinée) du 7 octobre 2016 refusant de délivrer à Mme I... B... et aux enfants E... B... et F... B... des visas de long séjour en qualité de membres de famille de refugié.

Par un jugement n° 1703724 du 6 décembre 2019, le tribunal administratif de Nantes a annulé la décision de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France en tant qu'elle porte refus de délivrance d'un visa à Mme I... B..., a enjoint au ministre de l'intérieur de faire délivrer à l'intéressée le visa de long séjour sollicité dans le délai de deux mois à compter de la notification du jugement et a rejeté le surplus de la demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête enregistrée le 25 mai 2020, M. H... B..., agissant en son nom et en qualité de représentant légal de ses enfants mineurs allégués, Oumar B... et F... B... et Mme I... B..., représentés par Me G..., demandent à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du 6 décembre 2019 en tant qu'il ne fait pas droit aux conclusions à fin d'annulation dirigées contre les refus de visas opposés à leurs enfants ;

2°) d'annuler la décision de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France du 21 décembre 2016 ;

3°) d'enjoindre, sous astreinte, au ministre de l'intérieur de délivrer les visas de long séjour sollicités, dans le délai de quinze jours à compter de la notification de l'arrêt à intervenir ou, subsidiairement, de lui enjoindre, dans les mêmes conditions, de réexaminer les demandes de visa ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 2 000 euros à verser à leur conseil au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.

Ils soutiennent que :

- la décision contestée est entachée d'un vice de procédure faute pour l'administration d'établir que la commission était régulièrement composée ;

- elle est irrégulière faute pour la commission de ne pas avoir procédé à un examen sérieux de leur situation en omettant de se prononcer sur la possession d'état, entachant par suite la décision d'une insuffisante motivation ;

- c'est à tort que le tribunal administratif, dans le jugement attaqué, s'est fondé, pour retenir le caractère inauthentique des jugements supplétifs et des actes d'état civil présentés à l'appui des demandes de visa sur les dispositions de l'article 196 du code civil guinéen qui ne sont pas applicables en l'espèce ; de même, il ne pouvait se fonder pour apprécier les jugements supplétifs sur les dispositions de l'article 175 du même code, dès lors que les jugements supplétifs sont régis par l'article 899 du code de procédure civile, économique et administrative guinéen ;

- l'administration ne saurait remettre en cause le caractère exécutoire d'un jugement rendu par des autorités étrangères sans méconnaître les dispositions de l'article 509 du code de procédure civile ;

- la commission a fait une inexacte appréciation des circonstances de l'espèce en dénaturant les pièces du dossier dès lors que l'identité et les liens familiaux étaient établis par les actes d'état civil et les passeports présentés ;

- la possession d'état est établie par les pièces versées au dossier ;

- la décision contestée porte atteinte au droit à la vie privée et familiale ainsi qu'aux intérêts supérieurs de l'enfant garantis par l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et par les stipulations du premier paragraphe de l'article 3 de la convention internationale de New-York du 26 janvier 1990 relative aux droits de l'enfant.

Par ordonnance du 17 septembre 2020, la clôture d'instruction a été fixée au 26 octobre 2020, en application de l'article R. 613-1 du code de justice administrative.

Un mémoire, présenté par le ministre de l'intérieur, a été enregistré le 18 novembre 2020, après la clôture de l'instruction.

M. H... B... été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 15 juin 2020.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu

­ la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

­ la convention internationale de New-York du 26 janvier 1990 relative aux droits de l'enfant ;

­ le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

­ le code civil ;

­ la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

­ le code de justice administrative.

La présidente de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Le président de la cour a désigné Mme D..., présidente assesseur, pour présider les formations de jugement en cas d'absence ou d'empêchement de M. Pérez, président de la 2ème chambre, en application de l'article R. 222-26 du code de justice administrative.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

­ le rapport de M. A...'hirondel,

­ et les observations de Me C..., substituant Me G..., représentant M. et Mme B....

Considérant ce qui suit :

1. M. H... B..., ressortissant guinéen né le 1er janvier 1988, a déclaré être entré en France le 31 décembre 2012 et s'est vu reconnaître la qualité de réfugié par une décision de la Cour nationale du droit d'asile du 10 décembre 2014. Le 10 décembre 2015, Mme I... B..., qui se présente comme son épouse née le 10 avril 1990, et leurs enfants allégués F... B... et Oumar B..., nés respectivement les 5 janvier 2010 et 10 juin 2012, ont sollicité des visas de long séjour en qualité de membres de famille de réfugié. Par une décision du 7 octobre 2016, les autorités consulaires françaises à Conakry ont rejeté leurs demandes. Par une décision du 21 décembre 2016, la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a rejeté le recours formé par M. H... B... contre cette décision consulaire. Les requérants ont contesté cette dernière décision devant le tribunal administratif de Nantes. Par un jugement du 6 décembre 2019, le tribunal administratif a annulé la décision de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France en tant qu'elle porte refus de délivrance d'un visa à Mme I... B..., a enjoint au ministre de l'intérieur de faire délivrer à l'intéressée le visa de long séjour sollicité dans le délai de deux mois à compter de la notification du jugement et a rejeté le surplus de la demande. M. H... B... et Mme I... B... relèvent appel de ce jugement en tant qu'il rejette leurs conclusions tendant à l'annulation de la décision de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France en ce qu'elle concerne les enfants F... B... et Oumar B....

Sur les conclusions à fin d'annulation :

2. L'article L. 111-6 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile prévoit, en son premier alinéa, que la vérification des actes d'état civil étrangers doit être effectuée dans les conditions définies par l'article 47 du code civil. L'article 47 du code civil dispose quant à lui que : " Tout acte de l'état civil des Français et des étrangers fait en pays étranger et rédigé dans les formes usitées dans ce pays fait foi, sauf si d'autres actes ou pièces détenus, des données extérieures ou des éléments tirés de l'acte lui-même établissent, le cas échéant après toutes vérifications utiles, que cet acte est irrégulier, falsifié ou que les faits qui y sont déclarés ne correspondent pas à la réalité ".

3. Il résulte de ces dispositions que la force probante d'un acte d'état civil établi à l'étranger peut être combattue par tout moyen susceptible d'établir que l'acte en cause est irrégulier, falsifié ou inexact. En cas de contestation par l'administration de la valeur probante d'un acte d'état civil établi à l'étranger, il appartient au juge administratif de former sa conviction au vu de l'ensemble des éléments produits par les parties. Pour juger qu'un acte d'état civil produit devant lui est dépourvu de force probante, qu'il soit irrégulier, falsifié ou inexact, le juge doit en conséquence se fonder sur tous les éléments versés au dossier dans le cadre de l'instruction du litige qui lui est soumis. Ce faisant, il lui appartient d'apprécier les conséquences à tirer de la production par l'étranger d'une carte consulaire ou d'un passeport dont l'authenticité est établie ou n'est pas contestée, sans qu'une force probante particulière puisse être attribuée ou refusée par principe à de tels documents.

4. Pour refuser de délivrer les visas sollicités aux enfants F... B... et Oumar B..., la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France s'est fondée sur le motif tiré de ce que les actes de naissance présentés à l'appui des demandes de visas ne sont pas conformes à la législation locale, de sorte que l'identité des demandeurs ainsi que le lien familial à l'égard de M. H... B... ne sont pas établis.

5. Il ressort des pièces du dossier qu'ont été notamment présentés à l'appui des demandes de visa, pour le jeune F... B..., l'extrait d'acte de naissance n° 004 du 14 janvier 2010 délivré par l'officier de l'état civil de la commune de Ratoma, Conakry et, pour le jeune E... B..., l'extrait d'acte de naissance n°1199 du 27 novembre 2012 dressé par la même autorité. Toutefois, devant le tribunal administratif, ont été produits pour la première fois le jugement du tribunal de grande instance de Conakry 2 du 7 mars 2017 annulant les actes de naissance des enfants présentés à l'appui des demandes de visas ainsi que les jugements supplétifs du même jour, tenant lieu d'actes de naissance, pris par le même tribunal et les actes de naissance dressés le 10 mars 2017 par l'officier de l'état civil de la commune de Ratoma, Conakry au vu de ces jugements supplétifs.

6. Il n'appartient pas aux autorités administratives françaises de mettre en doute le bien-fondé d'une décision rendue par une autorité juridictionnelle étrangère, hormis le cas où le document produit aurait un caractère frauduleux. Dans ces conditions, si, dans ses écritures de première instance, le ministre a mis en cause la " fiabilité de l'état civil guinéen " dès lors que les jugements sont rendus sans aucune vérification et sur simple déclaration de deux témoins, le jour même ou le lendemain de la saisine du tribunal et qu'ils ont été pris à tort sur le fondement des dispositions de l'article 242 du code civil guinéen, ces circonstances ne sont pas de nature à établir le caractère frauduleux des jugements présentés. Par ailleurs, si les dispositions de l'article 196 du code civil guinéen prévoient que les actes d'état civil doivent mentionner l'heure à laquelle ils ont été établis, les lieux et dates de naissance des parents, leur profession et domicile, il ne résulte pas de ces dispositions que celles-ci seraient applicables à l'établissement des jugements supplétifs, en application des dispositions de l'article 193 de ce même code. En outre, la circonstance que les actes de naissance ont été dressés dans le délai d'appel prescrit par l'article 601 du code de procédure civil guinéen, ne sont pas de nature à remettre en cause l'authenticité des mentions portées dans les documents d'état civil présentés. Dans ces conditions, et alors qu'il avait été également produit le suivi de grossesse, les certificats d'accouchement et les carnets de santé de chacun de ces deux enfants, que les déclarations du requérant sur la composition de sa famille sont constantes depuis le dépôt de sa demande d'asile en France et que les nouveaux actes d'état civil comportent les mêmes mentions d'état civil que celles contenus dans les documents présentés à l'appui de la demande de visa, la production de ces nouvelles pièces ne saurait caractériser une manoeuvre frauduleuse destinée à tromper l'administration sur l'identité réelle des intéressés. En estimant que le lien de filiation entre M. B... et les enfants E... B... et F... B... n'était pas établi, la commission de recours contre les refus de visa d'entrée en France a fait une inexacte application des dispositions précitées.

7. Il résulte de tout ce qui précède, et sans qu'il besoin d'examiner les autres moyens de la requête, que M. et Mme B... sont fondés à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nantes a rejeté leur demande en tant qu'elle concluait à l'annulation de la décision de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France en ce qu'elle concerne les enfants E... B... et F... B....

Sur les conclusions à fin d'injonction :

8. Eu égard au motif d'annulation retenu, le présent arrêt implique nécessairement, sous réserve d'un changement dans les circonstances de droit ou de fait, la délivrance aux jeunes Oumar B... et F... B..., d'un visa d'entrée et de long séjour en France. Il y a lieu d'enjoindre au ministre de l'intérieur d'y procéder dans un délai d'un mois à compter de la notification du présent arrêt sans qu'il y ait lieu, en l'espèce, d'assortir cette injonction d'une astreinte.

Sur les frais liés au litige :

9. M. H... B... a obtenu le bénéfice de l'aide juridictionnelle. Par suite, son avocat peut se prévaloir des dispositions de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat le versement de la somme de 1 000 euros à Me G... dans les conditions fixées à l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 et à l'article 108 du décret du 19 décembre 1991.

D É C I D E:

Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Nantes du 6 décembre 2019 en tant qu'il rejette les conclusions des requérants tendant à l'annulation de la décision de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France en ce qu'elle porte refus de délivrance de visas aux enfants F... et Omar B... est annulé.

Article 2 : La décision de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France du 21 décembre 2016 est annulée.

Article 3 : Il est enjoint au ministre de l'intérieur de délivrer un visa de long séjour aux jeunes Oumar B... et F... B... dans un délai d'un mois à compter de la notification du présent arrêt.

Article 4 : Le versement de la somme de 1 000 euros à Me G... est mis à la charge de l'Etat dans les conditions fixées à l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 et à l'article 108 du décret du 19 décembre 1991.

Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à M. H... B..., à Mme I... B... et au ministre de l'intérieur.

Délibéré après l'audience du 24 novembre 2020, à laquelle siégeaient :

- Mme D..., présidente de la formation de jugement en application de l'article R. 222-26 du code de justice administrative,

- M. A...'hirondel, premier conseiller,

- Mme Bougrine, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 11 décembre 2020.

Le rapporteur,

M. J...La présidente,

H. D...

Le greffier,

A. BRISSET

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

1

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N° 20NT01543


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Nantes
Formation : 2ème chambre
Numéro d'arrêt : 20NT01543
Date de la décision : 11/12/2020
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : Mme DOUET
Rapporteur ?: M. Michel LHIRONDEL
Rapporteur public ?: M. GIRAUD
Avocat(s) : CABINET POLLONO

Origine de la décision
Date de l'import : 26/12/2020
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.nantes;arret;2020-12-11;20nt01543 ?
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