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11/12/2020 | FRANCE | N°20NT01187

France | France, Cour administrative d'appel de Nantes, 2ème chambre, 11 décembre 2020, 20NT01187


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme D... K..., agissant en son nom et pour le compte de ses trois enfants mineurs, B... E... J..., Jezreel Aziegbemwin Osezua-G... et Zamar Osekhuemwen Osezua-G..., a demandé au tribunal administratif de Nantes d'annuler la décision implicite par laquelle la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a rejeté le recours formé contre les décisions du 27 juin 2019 par lesquelles les autorités consulaires françaises à Tananarive ont refusé de délivrer des visas de long s

éjour aux trois enfants.

Par un jugement n° 1910331 du 26 février 2020, l...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme D... K..., agissant en son nom et pour le compte de ses trois enfants mineurs, B... E... J..., Jezreel Aziegbemwin Osezua-G... et Zamar Osekhuemwen Osezua-G..., a demandé au tribunal administratif de Nantes d'annuler la décision implicite par laquelle la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a rejeté le recours formé contre les décisions du 27 juin 2019 par lesquelles les autorités consulaires françaises à Tananarive ont refusé de délivrer des visas de long séjour aux trois enfants.

Par un jugement n° 1910331 du 26 février 2020, le tribunal administratif de Nantes a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête enregistrée le 2 avril 2020, Mme D... K..., agissant en son nom et pour le compte de ses trois enfants mineurs, B... E... J..., Jezreel Aziegbemwin Osezua-G... et Zamar Osekhuemwen Osezua-G..., représentée par Me H..., demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du 26 février 2020 ;

2°) d'annuler la décision implicite de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France ;

3°) d'enjoindre au ministre de l'intérieur, à titre principal, de délivrer, sous astreinte, les visas sollicités dans un délai de quinze jours à compter de la notification du jugement, ou, à titre subsidiaire, de procéder au réexamen de la situation des enfants dans les mêmes conditions de délai et d'astreinte ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

Sur la régularité du jugement attaqué :

­ le jugement est irrégulier dès lors que les premiers juges ont dénaturé les pièces du dossier et qu'il méconnaît les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et celles du premier paragraphe de l'article 3 de la convention internationale de New-York du 26 janvier 1990 relative aux droits de l'enfant ;

Sur la légalité de la décision contestée :

­ le motif retenu par la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France et tiré du défaut de production de déchéance de l'autorité parentale ou de délégation de l'exercice de l'autorité parentale manque en fait ;

­ il est justifié de circonstances exceptionnelles de nature à permettre à ses trois enfants de rejoindre en France leur mère sans avoir à attendre l'issue d'une procédure de regroupement familial ;

­ la décision contestée méconnaît les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et celles du premier paragraphe de l'article 3 de la convention internationale de New-York du 26 janvier 1990 relative aux droits de l'enfant.

Par un mémoire en défense, enregistré le 4 mai 2020, le ministre de l'intérieur conclut au rejet de la requête.

Il soutient qu'aucun des moyens soulevés par Mme K... n'est fondé et s'en remet, pour le surplus, à ses écritures de première instance.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu

­ la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

­ la convention internationale de New-York du 26 janvier 1990 relative aux droits de l'enfant ;

­ le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

­ le code de justice administrative.

La présidente de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Le président de la cour a désigné Mme C..., présidente assesseur, pour présider les formations de jugement en cas d'absence ou d'empêchement de M. Pérez, président de la 2ème chambre, en application de l'article R. 222-26 du code de justice administrative.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

­ le rapport de M. A...'hirondel,

­ et les observations de Me F..., substituant Me H..., représentant Mme K....

Considérant ce qui suit :

1. Mme K..., ressortissante malgache née le 17 janvier 1986, est entrée en France, le 17 mai 2019, sous couvert d'un passeport revêtu d'un visa de long séjour mention " salarié " (type D), valable du 10 mai 2019 au 10 mai 2020, en vue d'occuper, à compter du 1er juillet 2019, un emploi à durée indéterminée de directrice de l'audit interne du groupe de la société Baobab, dont le siège social est situé à Paris. Le 24 juin 2019, ses trois enfants, B... E..., né le 22 avril 2009, Jezreel Aziegbemwin, né le 25 novembre 2015, et Zamar Osekhuemwen, né le 24 juillet 2018, ont sollicité des visas de long séjour en qualité de visiteur auprès des autorités consulaires françaises à Tananarive. Les autorités consulaires ont rejeté ces demandes par des décisions du 27 juin suivant. Un recours a été formé le 15 juillet 2019 contre ces décisions devant la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France. Une décision implicite de rejet, née du silence gardé par la commission de recours, est intervenue le 15 septembre 2019. Par un courrier du 16 octobre 2019, la commission de recours a communiqué à la requérante, sur sa demande, les motifs de sa décision. Mme K... relève appel du jugement du tribunal administratif de Nantes du 26 février 2020 qui a rejeté sa demande tendant à l'annulation de la décision implicite de la commission de recours.

2. Il résulte du courrier du président de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France du 16 octobre 2019 que la décision contestée est fondée sur les motifs tirés de ce que le dossier était incomplet faute de justifier d'une assurance maladie pour la totalité du séjour (entre six mois et un an) et de produire un jugement de déchéance de l'autorité parentale ou de délégation de l'exercice de l'autorité parentale de la part des pères des intéressés et, subsidiairement, par la circonstance que Mme K... pouvait, compte tenu de sa résidence en France, solliciter une demande de regroupement familial par l'intermédiaire de l'Office français de l'immigration et de l'intégration (OFII).

3. En premier lieu, aux termes de l'article L. 211-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Pour entrer en France, tout étranger doit être muni : / 1° Des documents et visas exigés par les conventions internationales et les règlements en vigueur ; / 2° Sous réserve des conventions internationales, du justificatif d'hébergement prévu à l'article L. 211-3, s'il est requis, et des autres documents prévus par décret en Conseil d'Etat relatifs, d'une part, à l'objet et aux conditions de son séjour et, d'autre part, s'il y a lieu, à ses moyens d'existence, à la prise en charge par un opérateur d'assurance agréé des dépenses médicales et hospitalières, y compris d'aide sociale, résultant de soins qu'il pourrait engager en France, ainsi qu'aux garanties de son rapatriement ; (...) ". Aux termes de l'article L. 211-2-1 de ce code : " La demande d'un visa pour un séjour d'une durée supérieure à trois mois donne lieu à la délivrance par les autorités diplomatiques et consulaires d'un récépissé indiquant la date du dépôt de la demande. / Tout étranger souhaitant entrer en France en vue d'y séjourner pour une durée supérieure à trois mois doit solliciter auprès des autorités diplomatiques et consulaires françaises un visa de long séjour. La durée de validité de ce visa ne peut être supérieure à un an. / Dans les conditions définies par décret en Conseil d'Etat, ce visa confère à son titulaire les droits attachés à une carte de séjour temporaire ou à la carte de séjour pluriannuelle prévue aux articles L. 313-20 et L. 313-21. (...) ". Aux termes de l'article L. 212-2 du même code : " Les documents mentionnés aux 2° et 3° de l'article L. 211-1 ne sont pas exigés : / (...) 2° Des enfants mineurs de dix-huit ans venant rejoindre leur père ou leur mère régulièrement autorisé à résider en France ; (...) ".

4. La circonstance que les enfants pour lesquels les visas ont été sollicités n'ont pas justifié d'une assurance maladie pour la totalité de leur séjour ne saurait faire regarder leurs demandes comme incomplètes, dès lors que, par application combinée des dispositions des articles L. 211-1 et L. 212-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, les enfants mineurs de dix-huit ans venant rejoindre leur père ou leur mère régulièrement autorisé à résider en France sont notamment dispensés de présenter les justificatifs quant à la prise en charge par un opérateur d'assurance agréé des dépenses médicales et hospitalières, y compris d'aide sociale, résultant de soins qu'ils pourraient engager en France.

5. Ces dispositions n'interdisent pas aux enfants mineurs de solliciter un visa de long séjour d'une durée comprise entre 3 mois et un an pour rejoindre leur père ou leur mère étranger régulièrement autorisé à séjourner en France alors même que l'article L. 411-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile prévoit également la possibilité, pour une installation de plus longue durée, de solliciter un regroupement familial dès que l'accueillant étranger aura rempli la condition de séjour régulier de dix-huit mois fixé par ce texte. Mme K... séjournait régulièrement en France sous couvert d'un visa valable un an qui lui confère les droits attachés à une carte de séjour temporaire. Par suite, alors que l'administration n'établit pas, ni même n'allègue un risque de détournement de l'objet du visa afin de permettre aux enfants de s'installer durablement en France, le ministre faisant seulement valoir la possibilité qui leur est offerte de solliciter des visas de court séjour afin de pouvoir visiter leur mère en France, la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France ne pouvait valablement opposer le motif, qu'elle retient au demeurant à titre subsidiaire, tiré de la possibilité offerte aux intéressés de solliciter un regroupement familial.

6. Enfin, aucune disposition législative ou réglementaire n'impose à un mineur venant rejoindre, pour une durée de moins d'un an, son père ou sa mère régulièrement autorisé à séjourner en France, la décision de la juridiction étrangère confiant l'exercice de l'autorité parentale. Le ministre ne saurait invoquer les dispositions de l'article L. 411-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile qui concernent la procédure de regroupement familial. Au surplus, Mme K... produit l'ordonnance du 28 juin 2019 du juge des enfants du tribunal de première instance d'Antananarivo l'autorisant à exercer exclusivement l'autorité parentale sur le jeune B... E... J..., ainsi que, pour les deux autres enfants, l'autorisation de sortie du territoire signée par M. G..., père de ces enfants, afin qu'ils puissent rejoindre leur mère pendant la durée de leur séjour en France.

7. Par suite, Mme K... est fondée à soutenir que la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a fait une inexacte application des dispositions précitées en refusant de délivrer à ses enfants les visas sollicités.

8. En second lieu, l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme dispose : " 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. 2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui ". Aux termes de l'article 3-1 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant : " Dans toutes les décisions qui concernent les enfants, qu'elles soient le fait des institutions publiques ou privées de protection sociale, des tribunaux, des autorités administratives ou des organes législatives, l'intérêt supérieur de l'enfant doit être une considération primordiale. ".

9. Compte tenu de l'objet de la demande de visa qui porte sur un séjour de moins d'un an et de ce que Mme K... n'est pas empêchée de pouvoir voyager afin de rencontrer ses enfants, la décision contestée n'a pas porté au droit des intéressés au respect de leur vie privée et familiale une atteinte disproportionnée par rapport aux buts en vue desquels elle a été prise, ni n'a porté atteinte à l'intérêt supérieur des enfants. Par suite les moyens tirés de la méconnaissance des stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et de celles du premier paragraphe de l'article 3 de la convention internationale de New-York du 26 janvier 1990 relative aux droits de l'enfant ne peuvent être qu'écartés.

10. Il résulte ce qui a été dit au point 7, et sans qu'il soit besoin d'examiner la régularité du jugement attaqué, que Mme K... est fondée à soutenir que c'est à tort que, par ce jugement, le tribunal administratif de Nantes a rejeté sa demande.

Sur les conclusions à fin d'injonction :

11. Eu égard au motif d'annulation retenu, l'exécution du présent arrêt implique seulement qu'il soit procédé au réexamen des demandes de visas formées pour John E... J..., Jezreel Aziegbemwin Osezua-G... et Zamar Osekhuemwen Osezua-G.... Il y a lieu d'enjoindre à la commission d'y procéder dans un délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt sans qu'il y ait lieu, en l'espèce, d'assortir cette injonction d'une astreinte.

Sur les frais liés au litige :

12. Pour l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, il y a lieu de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 200 euros au titre des frais exposés par Mme K... et non compris dans les dépens.

D É C I D E :

Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Nantes du 26 février 2020 et la décision implicite de rejet de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France sont annulés.

Article 2 : Il est enjoint à la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France de réexaminer les demandes de visa de long séjour formées par les jeunes John E... J..., Jezreel Aziegbemwin Osezua-G... et Zamar Osekhuemwen Osezua-G... dans un délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt.

Article 3 : L'Etat versera à Mme K... une somme de 1 200 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à Mme D... K... et au ministre de l'intérieur.

Délibéré après l'audience du 24 novembre 2020, à laquelle siégeaient :

- Mme C..., présidente de la formation de jugement en application de l'article R. 222-26 du code de justice administrative,

- M. A...'hirondel, premier conseiller,

- Mme Bougrine, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 11 décembre 2020.

Le rapporteur,

M. I...La présidente,

H. C...

Le greffier,

A. BRISSET

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

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N° 20NT01187

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N° 17NT00435


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Nantes
Formation : 2ème chambre
Numéro d'arrêt : 20NT01187
Date de la décision : 11/12/2020
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

335-005-01 Étrangers. Entrée en France. Visas.


Composition du Tribunal
Président : Mme DOUET
Rapporteur ?: M. Michel LHIRONDEL
Rapporteur public ?: M. GIRAUD
Avocat(s) : BOURGEOIS

Origine de la décision
Date de l'import : 26/12/2020
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.nantes;arret;2020-12-11;20nt01187 ?
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