Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. A... D... a demandé au tribunal administratif de Nantes d'annuler les arrêtés du 20 février 2020 par lesquels le préfet de Maine-et-Loire, d'une part a décidé son transfert aux autorités néerlandaises, d'autre part, l'a assigné à résidence.
Par un jugement n° 202509 du 12 mars 2020 le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Nantes a rejeté sa demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 26 juin 2020, M. D... représenté par Me C... demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Nantes du 12 mars 2020 ;
2°) d'annuler les arrêtés du 20 février 2020 du préfet de Maine-et-Loire ;
3°) d'enjoindre au préfet de Maine-et-Loire, à titre principal, de prendre en charge sa demande d'asile et de lui remettre une attestation de demandeur d'asile en procédure normale, à titre subsidiaire, de procéder à un nouvel examen de sa situation dans un délai de quarante-huit heures à compter de l'arrêt à intervenir, et en tout état de cause de lui remettre une attestation de demandeur d'asile ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat le versement à son conseil d'une somme de 1 500 euros sur le fondement des dispositions combinées des articles 37 de la loi du 10 juillet 1991 et L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
en ce qui concerne l'arrêté de transfert :
- l'arrêté est insuffisamment motivé en droit et en fait ; la seule lecture de la décision laisse apparaître que la préfecture a pris une décision de transfert Dublin " automatique " sans procéder à un examen de la situation particulière du requérant ;
- l'arrêté procède d'une application manifestement erronée de l'article 17 du règlement (UE) n°604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 qui permet de déroger aux critères de détermination de l'Etat responsable de l'examen d'une demande d'asile et des stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. Le préfet n'a pas pris en considération l'existence d'une décision de rejet de sa demande d'asile aux Pays-Bas et partant n'a pas examiné la situation actuelle de la Somalie où il risque d'être renvoyé en cas de transfert aux autorités néerlandaises ;
en ce qui concerne la décision d'assignation à résidence :
- elle est illégale en raison de l'illégalité de la décision portant transfert auprès des autorités néerlandaises ;
- la décision est insuffisamment motivée ;
- elle méconnait les dispositions de l'article L. 561-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.
Par deux mémoires, enregistrés les 11 août et 21 septembre 2020, le préfet de Maine-et-Loire conclut au non-lieu à statuer sur les conclusions dirigées contre l'arrêté de transfert et au rejet du surplus des conclusions de la requête.
Il expose que la France est devenue responsable de l'examen de la demande d'asile de M. D... et que les moyens soulevés par M. D... ne sont pas fondés.
M. D... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 15 juin 2020.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le règlement (UE) n° 603/2013 du 26 juin 2013 ;
- le règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le rapport de M. B... a été entendu au cours de l'audience publique.
1. M. D..., ressortissant somalien né le 7 juin 1969, est entré irrégulièrement sur le territoire français le 17 janvier 2020 et y a sollicité l'asile auprès des services de la préfecture de la Loire-Atlantique le 20 janvier suivant. Suite au relevé de ses empreintes digitales, il a été constaté que ses empreintes avaient été relevées le 19 mars 2015 aux Pays-Bas, puis le 1er décembre 2016 en Belgique, et enfin le 2 octobre 2018 dans le cadre d'une seconde demande d'asile aux Pays-Bas. Consécutivement à leur saisine par le préfet de Maine-et-Loire, les autorités néerlandaises ont, le 29 janvier 2020, explicitement accepté son transfert. Par deux arrêtés du 20 février 2020, le préfet de Maine-et-Loire a décidé de transférer M. D... à ces autorités et l'a assigné à résidence pour une durée de 45 jours. Par un jugement du 12 mars 2020, dont M. D... relève appel, le tribunal administratif de Nantes a rejeté sa demande d'annulation de ces décisions.
Sur l'étendue du litige :
En ce qui concerne la décision de transfert :
2. D'une part, aux termes de l'article 29 du règlement n° 604-2013 du 26 juin 2013 : " Le transfert du demandeur ou d'une autre personne visée à l'article 18, paragraphe 1, point c) ou d), de l'Etat membre requérant vers l'Etat membre responsable s'effectue conformément au droit national de l'Etat membre requérant, après concertation entre les Etats membres concernés, dès qu'il est matériellement possible et, au plus tard, dans un délai de six mois à compter de l'acceptation par un autre Etat membre de la requête aux fins de prise en charge ou de reprise en charge de la personne concernée ou de la décision définitive sur le recours ou la révision lorsque l'effet suspensif est accordé conformément à l'article 27, paragraphe 3. / 2. Si le transfert n'est pas exécuté dans le délai de six mois, l'Etat membre responsable est libéré de son obligation de prendre en charge ou de reprendre en charge la personne concernée et la responsabilité est alors transférée à l'Etat membre requérant. Ce délai peut être porté à un an au maximum s'il n'a pas pu être procédé au transfert en raison d'un emprisonnement de la personne concernée ou à dix-huit mois au maximum si la personne concernée prend la fuite. ".
3. D'autre part, l'introduction d'un recours devant le tribunal administratif contre la décision de transfert a pour effet d'interrompre le délai de six mois fixé à l'article 29 du règlement n° 604/2013 du 26 juin 2013, qui courait à compter de l'acceptation du transfert par l'Etat requis, délai qui recommence à courir intégralement à compter de la date à laquelle le tribunal administratif statue au principal sur cette demande, quel que soit le sens de sa décision. Ni un appel, ni d'ailleurs le sursis à exécution du jugement accordé par le juge d'appel sur une demande présentée en application de l'article R. 811-15 du code de justice administrative n'ont pour effet d'interrompre ce nouveau délai. Son expiration a pour conséquence qu'en application des dispositions du paragraphe 2 de l'article 29 du règlement, l'Etat requérant devient responsable de l'examen de la demande de protection internationale.
4. Le délai initial de six mois dont disposait le préfet de Maine-et-Loire pour procéder à l'exécution de la décision de transfert du requérant vers les Pays-Bas a été interrompu par la saisine du tribunal administratif de Nantes. Ce délai a recommencé à courir intégralement à compter de la notification à l'administration, le 12 mars 2020, du jugement attaqué. Il ressort des pièces du dossier que ce délai n'a pas fait l'objet d'une prolongation et que cet arrêté n'a pas non plus reçu exécution pendant sa période de validité. Par suite, l'arrêté en cause est caduc à la date du présent arrêt. La France est donc devenue responsable de la demande d'asile de l'intéressé, sur le fondement des dispositions du 2 de l'article 29 du règlement n° 604-2013 du 26 juin 2013. Le litige ayant perdu son objet il n'y a pas lieu de statuer sur les conclusions de M. D... tendant à l'annulation du jugement du 12 mars 2020 en tant qu'il a rejeté ses conclusions en annulation de l'arrêté de transfert du 20 février 2020.
En ce qui concerne l'arrêté portant assignation à résidence :
5. L'arrêté portant assignation à résidence de l'intéressé ayant été exécuté et ayant reçu application, il y a lieu de statuer sur les conclusions tendant à son annulation présentées par M. D....
Sur le bien-fondé du jugement attaqué en ce qu'il concerne l'arrêté portant assignation à résidence :
En ce qui concerne le moyen tiré de l'illégalité de la décision de transfert :
6. En premier lieu, le requérant reprend en appel le moyen invoqué en première instance tiré de l'insuffisance de la motivation de l'arrêté de transfert et du défaut d'examen de sa situation. Il y a lieu d'écarter ce moyen par les mêmes motifs que ceux retenus à bon droit par le premier juge au point 3 du jugement attaqué.
7. En second lieu, aux termes de l'article 3 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 susvisé : " 1. Les Etats membres examinent toute demande de protection internationale présentée par un ressortissant de pays tiers ou par un apatride sur le territoire de l'un quelconque d'entre eux (...). La demande est examinée par un seul État membre, qui est celui que les critères énoncés au chapitre III désignent comme responsable. (...) ". L'application de ces critères peut toutefois être écartée en vertu de l'article 17 du même règlement, aux termes duquel : " 1. Par dérogation à l'article 3, paragraphe 1, chaque État membre peut décider d'examiner une demande de protection internationale qui lui est présentée par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, même si cet examen ne lui incombe pas en vertu des critères fixés dans le présent règlement. / L'État membre qui décide d'examiner une demande de protection internationale en vertu du présent paragraphe devient l'État membre responsable et assume les obligations qui sont liées à cette responsabilité. (...) ". Par ailleurs, l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales stipule que : " Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants ".
8. D'une part, M. D... fait valoir que sa demande d'asile ayant été rejetée par les autorités néerlandaises, celles-ci ayant accepté de le reprendre en charge sur le fondement des dispositions du d) du 1 de l'article 18 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 applicable aux ressortissants de pays tiers dont la demande a été rejetée, il craint pour sa vie en cas de renvoi par ces autorités en Somalie en raison de la situation de violence généralisée qui prévaut dans ce pays. Toutefois l'arrêté contesté n'a ni pour objet ni pour effet d'éloigner l'intéressé vers la Somalie, mais seulement de prononcer son transfert aux Pays-Bas et il ne justifie pas qu'il ne serait pas en mesure de faire valoir devant les autorités néerlandaises tout élément nouveau relatif à l'évolution de sa situation personnelle et à la situation qui prévaut en Somalie. L'arrêt d'une juridiction néerlandaise du 2 décembre 2019 qu'il produit statue sur sa demande de titre de séjour en qualité de demandeur d'asile mais ne présente pas de caractère définitif et ne constitue pas une décision de renvoi vers la Somalie. D'autre part, les documents médicaux dont il se prévaut font état d'une fracture du coude survenue en 2019 aux Pays-Bas pour laquelle il a reçu les premiers soins avant son départ de ce pays. Ces éléments ne sont pas de nature à établir que son état de santé le placerait dans une situation de particulière vulnérabilité au sens des dispositions précitées. Ainsi M. D... n'est pas fondé à soutenir qu'en ne mettant pas en oeuvre la clause dérogatoire prévue au point 1 de l'article 17 du règlement (UE) n° 604/2013, le préfet de Maine-et-Loire aurait méconnu les dispositions de l'article 17 du règlement précité, ainsi que les stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et entaché sa décision d'une erreur manifeste d'appréciation.
En ce qui concerne les autres moyens soulevés contre la décision d'assignation à résidence :
9. En premier lieu, l'article L. 561-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile dispose que : " (...) La décision d'assignation à résidence est motivée. Elle peut être prise pour une durée maximale de six mois, renouvelable une fois dans la même limite de durée, par une décision également motivée (...) ". La décision portant assignation à résidence de M. D... comporte l'exposé des considérations de droit et de fait qui la fondent. Elle est ainsi suffisamment motivée au regard des exigences des dispositions de l'article L. 561-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, alors même qu'elle ne précise pas les possibilités effectives d'éloignement de l'intéressé.
10. En second lieu, aux termes de l'article L. 561-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " I.-L'autorité administrative peut prendre une décision d'assignation à résidence à l'égard de l'étranger qui ne peut quitter immédiatement le territoire français mais dont l'éloignement demeure une perspective raisonnable, lorsque cet étranger (...) 1° bis Fait l'objet d'une décision de transfert en application de l'article L. 742-3 ou d'une requête aux fins de prise en charge ou de reprise en charge en application du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissant les critères et mécanismes de détermination de l'Etat membre responsable de l'examen d'une demande de protection internationale introduite dans l'un des Etats membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride ". Il résulte de ces dispositions que le préfet peut prendre à l'encontre d'un étranger qui fait l'objet d'une décision de transfert et qui présente des garanties propres à prévenir le risque de soustraction à l'exécution de cette mesure d'éloignement, une mesure d'assignation à résidence.
11. Par l'arrêté contesté le préfet de Maine-et-Loire assigne notamment M. D... à résidence dans le département de la Loire-Atlantique pour une durée de quarante-cinq jours et l'oblige à se présenter au commissariat central de Nantes trois fois par semaine, à 8 heures, dès lors qu'à cette date son éloignement demeurait une perspective raisonnable. Ces circonstances ne sont pas de nature à établir que la décision contestée, à la date de son intervention, méconnait les dispositions de l'article L. 561-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ou porte à l'exercice de la liberté de circulation, garantie par l'article 2 du quatrième protocole additionnel à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, une atteinte disproportionnée au regard du but poursuivi.
12. Il résulte de tout ce qui précède que M. D... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Nantes a rejeté sa demande tendant à l'annulation de l'arrêté du 20 février 2020 décidant son assignation à résidence.
Sur les conclusions à fin d'injonction :
13. Si, compte tenu de la caducité de la décision de transfert attaquée, la France est l'Etat membre responsable de l'examen de la demande d'asile présentée par M. D..., le présent arrêt, n'implique, par lui-même, aucune mesure d'exécution. Par suite, les conclusions aux fins d'injonction doivent être rejetées.
Sur les frais liés au litige :
14. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce de faire droit aux conclusions présentées par M. D... au profit de son avocate au titre des dispositions des articles L.761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.
D E C I D E :
Article 1er : Il n'y a pas lieu de statuer sur les conclusions de la requête de M. D... aux fins d'annulation de la décision du 20 février 2020 du préfet de Maine-et-Loire portant transfert auprès des autorités néerlandaises.
Article 2 : Le surplus des conclusions de la requête de M. D... est rejeté.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à M. A... D... et au ministre de l'intérieur.
Une copie en sera transmise pour information au préfet de Maine-et-Loire.
Délibéré après l'audience du 17 novembre 2020, à laquelle siégeaient :
- M. B..., président de la formation de jugement,
- M. Jouno, premier conseiller,
- Mme E..., première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 4 décembre 2020.
Le président rapporteur,
C. B... L'assesseur le plus ancien,
T. Jouno
La greffière,
V. Desbouillons
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N°20NT01792
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