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01/12/2020 | FRANCE | N°19NT02157

France | France, Cour administrative d'appel de Nantes, 6ème chambre, 01 décembre 2020, 19NT02157


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme C... F... a demandé au tribunal administratif de Caen d'annuler la décision du 8 janvier 2018 par laquelle l'inspecteur d'académie, directeur académique des services de l'éducation nationale du Calvados, l'a suspendue à titre conservatoire pour une durée de quatre mois.

Par un jugement n° 1800257 du 4 avril 2019, le tribunal administratif de Caen a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête enregistrée le 6 juin 2019, Mme F..., représentée par Me E..., dema

nde à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Caen du 4 avril 2019 ;...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme C... F... a demandé au tribunal administratif de Caen d'annuler la décision du 8 janvier 2018 par laquelle l'inspecteur d'académie, directeur académique des services de l'éducation nationale du Calvados, l'a suspendue à titre conservatoire pour une durée de quatre mois.

Par un jugement n° 1800257 du 4 avril 2019, le tribunal administratif de Caen a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête enregistrée le 6 juin 2019, Mme F..., représentée par Me E..., demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Caen du 4 avril 2019 ;

2°) d'annuler la décision du 8 janvier 2018 ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat le versement de la somme de 1 500 euros au titre de l'article L.761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- le jugement attaqué, qui ne se réfère pas à la pièce produite à l'appui de son mémoire du 13 mars 2019, est insuffisamment motivé au regard des dispositions de l'article R. 741-2 du code de justice administrative ; le tribunal a préféré se fonder sur les cinq attestations produites par le recteur alors même qu'elles n'étaient pas assorties des pièces d'identité de leurs auteurs ;

- la décision contestée est contraire aux dispositions de l'article 30 de la loi du 13 juillet 1983 ; elle est entachée d'une erreur de fait et d'une erreur manifeste d'appréciation ; la suspension suppose la réunion de deux conditions : la gravité de la faute reprochée et sa vraisemblance ; la gravité de la faute ne peut ressortir d'un évènement isolé mais doit résulter de comportements répétés ; or en l'espèce, seule la plainte déposée pour harcèlement moral à son encontre par Mme A... a justifié la décision contestée alors que les témoignages qu'elle a apportés sont de nature à remettre en cause la réalité des faits allégués ; au contraire, elle s'est montrée bienveillante à l'égard de sa collègue compte tenu de sa fragilité et de sa charge de travail ; les parents d'élèves ont attesté de la qualité de son travail d'enseignante.

Par un mémoire en défense, enregistré le 24 août 2020, le ministre de l'éducation nationale, de la jeunesse et des sports conclut au rejet de la requête.

Il soutient que les moyens soulevés par Mme F... ne sont pas fondés.

Les parties ont été informées par une lettre du 17 juillet 2020 que l'affaire était susceptible, à compter du 24 août 2020, de faire l'objet d'une clôture d'instruction à effet immédiat en application des dispositions de l'article R. 611-11-1 du code de justice administrative. La clôture de l'instruction est intervenue le 19 octobre 2020, par une ordonnance du même jour.

Le mémoire en réplique, enregistré le 4 novembre 2020, présenté pour Mme F..., n'a pas été communiqué.

Vu la note en délibéré, présentée le 13 novembre 2020, pour Mme F....

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 ;

- le décret n° 82-453 du 28 mai 1982 ;

- le code de l'éducation ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme D...,

- les conclusions de M. Lemoine, rapporteur public.

- et les observations de Me E..., représentant Mme F....

Considérant ce qui suit :

1. Par une décision du 8 janvier 2018, l'inspecteur d'académie, directeur académique des services de l'éducation nationale (DASEN) du Calvados, a suspendu provisoirement de ses fonctions pour une durée de quatre mois, Mme F..., professeur des écoles à l'école maternelle " les Verts Près " à Cormelles-Le-Royal. Une décision identique a été prise à l'encontre de sa collègue, Mme B..., les intéressées ayant été accusées de faits de harcèlement moral à l'encontre de la directrice de cet établissement, Mme A..., nommée dans ses fonctions à compter de la rentrée scolaire 2017/2018. Mme F... relève appel du jugement du 4 avril 2019 par lequel le tribunal administratif de Caen a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cette décision.

Sur la régularité du jugement attaqué :

2. Le jugement attaqué vise l'ensemble des mémoires produits en première instance pour Mme F... et notamment celui du 13 mars 2019. Si en annexe de ce mémoire, l'intéressée a communiqué les comptes rendus des conseils d'école qui se sont tenus entre le mois de novembre 2012 et le mois de juin 2017, ces documents concernaient une période antérieure à la nomination de Mme A... en qualité de directrice de l'école maternelle. Par suite, ils ne pouvaient attester de la nature des relations entretenues entre ces trois enseignantes. La requérante ne peut dès lors utilement reprocher au tribunal administratif de Caen de ne pas avoir fait référence à ces pièces. Par ailleurs, il ne ressort pas de ce jugement, que les premiers juges auraient pris en compte les seuls témoignages produits par le recteur d'académie dans le cadre de l'enquête administrative ouverte à compter du 9 novembre 2017, sans examiner ceux que Mme F... avait apportés à l'appui de ses dires. Dès lors, l'intéressée n'est pas fondée à soutenir que le jugement attaqué serait entaché d'irrégularité à raison de ces motifs.

Sur les conclusions à fin d'annulation de la décision contestée :

3. Aux termes de l'article 6 quinquies de la loi du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires : " Aucun fonctionnaire ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel (...) ". Aux termes de l'article 30 du même texte : " En cas de faute grave commise par un fonctionnaire, qu'il s'agisse d'un manquement à ses obligations professionnelles ou d'une infraction de droit commun, l'auteur de cette faute peut être suspendu par l'autorité ayant pouvoir disciplinaire qui saisit, sans délai, le conseil de discipline (...) ". Par ailleurs, l'article 2-1 du décret du 28 mai 1982 relatif à l'hygiène et à la sécurité du travail ainsi qu'à la prévention médicale dans la fonction publique : " Les chefs de service sont chargés, dans la limite de leurs attributions et dans le cadre des délégations qui leur sont consenties, de veiller à la sécurité et à la protection de la santé des agents placés sous leur autorité. ".

4. Eu égard à la nature de l'acte de suspension et à la nécessité d'apprécier, à la date à laquelle cet acte a été pris, la condition de légalité tenant au caractère vraisemblable de certains faits, il appartient au juge de l'excès de pouvoir de statuer au vu des informations dont disposait effectivement l'autorité administrative au jour de sa décision. Les éléments nouveaux qui seraient, le cas échéant, portés à la connaissance de l'administration postérieurement à sa décision, ne peuvent ainsi, alors même qu'ils seraient relatifs à la situation de fait prévalant à la date de l'acte litigieux, être utilement invoqués au soutien d'un recours en excès de pouvoir contre cet acte.

5. Il ressort des pièces du dossier que le 6 octobre 2017, Mme A... a été reçue, à sa demande, par l'inspectrice académique en charge de l'établissement dont elle était directrice. Elle a confirmé par écrit les termes de cet entretien, le jour même, en sollicitant son changement d'affectation " pour cause de harcèlement moral " sur son lieu de travail. Elle dénonce, dans ce courrier, les difficultés relationnelles rencontrées avec Mmes F... et F..., adjointes d'enseignement de l'école maternelle, qui, selon ses propres termes, étaient " impossibles à réunir et ne respect[ai]ent aucun cadre règlementaire ". Elle les accuse de colères et de réflexions vexatoires quasi-quotidiennes. Elle indique se sentir isolée et déstabilisée et ajoute que les intéressées, dont la requérante a exercé quelques années auparavant les fonctions de directrice au sein du même établissement, souhaiteraient que l'école soit dirigée comme elles l'entendent et selon leurs propres règles. Elle a également fait valoir à cette occasion que les intéressées ne la saluaient qu'en présence de témoins, ne l'associaient pas aux récréations, lesquelles étaient sciemment organisées en décalé et se liguaient parfois même avec certains parents d'élèves pour remettre en cause ses propres décisions concernant la gestion de l'école. Le 10 novembre 2017, Mme A... a complété ses déclarations en faisant allusion aux propos obscènes et aux insultes proférés par Mme F... à l'encontre des élus et de l'inspection d'académie. Le 14 novembre 2017, Mme A..., réitérant ses propos, a porté plainte auprès de la police pour harcèlement moral.

6. Le certificat du médecin traitant de Mme A... en date du 2 octobre 2017 confirme que l'intéressée souffrait d'une dépression nerveuse qu'elle attribuait à un harcèlement moral au travail et qu'elle n'avait connu aucun épisode anxio-dépressif avant cette date. De même, la conseillère municipale déléguée aux affaires scolaires, qui exerce la profession d'infirmière cadre de santé en hôpital psychiatrique, et qui a reçu Mme A... le 3 octobre 2017, a indiqué qu'elle avait constaté que l'intéressée présentait des signes de souffrance morale immense et de stress et qu'elle se sentait dévalorisée professionnellement. Le certificat du médecin de prévention de l'académie a confirmé, le 27 novembre 2017, que Mme A... ne pourrait reprendre son travail en présence de ses deux collègues.

7. Plusieurs témoignages figurent au dossier. Le nom et la qualité des personnes ayant produit ces attestations figurent sur les documents concernés et ne laissent aucun doute sur leur identité et leur qualité. Par ailleurs, ils ont été produits au cours de l'enquête administrative qui a précédé la décision contestée de sorte qu'ils n'avaient pas à revêtir de forme particulière, ni à être assortis d'une pièce d'identité. Contrairement à ce que soutient la requérante, ils n'ont donc pas à être écartés des débats. Le 20 novembre 2017, la directrice de l'école élémentaire la Vallée de Cormelles-le-Royal, a confirmé auprès de l'inspectrice d'académie les difficultés qu'elle avait pu observer au sein de l'école maternelle et le fait que sa collègue, Mme A..., lui avait confiée qu'elle se sentait mise à l'écart par Mmes F... et B.... Elle précise que le précédent directeur de l'école maternelle, ainsi que deux autres enseignantes, lui avaient également fait part des difficultés qu'ils avaient éprouvées à travailler avec les intéressées. Il n'est pas établi que ce témoignage aurait été effectué dans un but de vengeance à l'encontre de la requérante ou de sa collègue. Le 21 novembre 2017, le directeur de l'école maternelle en fonction à la rentrée 2016 a confirmé que son départ de l'établissement l'année suivante était lié aux difficultés relationnelles avec Mmes F... et B.... De même, dans un courriel adressé le 21 décembre 2017 à l'inspectrice académique, le remplaçant de Mme A... a fait savoir qu'il ne souhaitait pas continuer à assurer ses fonctions de directeur de l'école maternelle par intérim en ajoutant que " les deux adjointes pourtant rompues à l'exercice de la direction ont préféré se retrancher dans leur rancoeur et dans une opposition quasi obsessionnelle " plutôt que de lui venir en aide. Le comportement " malsain " de Mmes F... et B... envers Mme A... est confirmé, selon les termes employés, par l'agent en contrat emploi vie scolaire et l'auxiliaire de vie scolaire qui travaillaient à cette période au sein de l'école maternelle. Même si elles n'étaient pas en permanence avec les intéressées, leurs témoignages ne peuvent être écartés dès lors qu'elles étaient nécessairement amenées à les côtoyer. Elles confirment en outre, que le parcours de motricité était démonté avant que Mme A... n'ait pu l'utiliser et qu'elles n'avaient aucun contact lors des récréations. Si Mme F... apporte des témoignages, d'agents territoriaux spécialisés des écoles maternelles (Atsem) notamment, qui lui sont favorables, et qui ont été rédigés au cours de l'enquête administrative, certains d'entre eux se bornent à indiquer qu'ils n'avaient pas constaté de faits de harcèlement moral à l'encontre de Mme A..., ce qui ne suffit pas à ôter aux allégations et témoignages produits toute vraisemblance. De même, si plusieurs de ces attestations indiquent que Mmes F... et B... se sont montrées chaleureuses envers Mme A... en déjeunant avec elle le jour de la pré-rentrée alors qu'elle était affectée par une mauvaise nouvelle d'ordre familial, ce seul témoignage de sympathie et de bienveillance à l'encontre de la directrice de l'école, au tout début de sa prise de fonction, tend à confirmer sa mise à l'écart par la suite.

8. Enfin, sont sans incidence sur la légalité de la décision contestée, les circonstances postérieures au 8 janvier 2018 que Mmes F... et B..., après avoir été entendues en mars 2018 au commissariat de police de Caen, n'ont pas été poursuivies pénalement, que la plainte pour harcèlement moral déposée par Mme A... a été classée sans suite par le Procureur de la République de Caen pour infraction insuffisamment caractérisée, que l'intéressée n'a pas contesté cette décision, ni déposé de citation directe auprès du tribunal de grande instance de Caen, que Mmes F... et B... ont porté plainte contre Mme A... pour dénonciation calomnieuse et qu'elles n'ont en définitive fait l'objet que d'un avertissement. De même, la requérante ne peut utilement se prévaloir du témoignage favorable de certains parents d'élèves ou d'autres collègues ou des comptes rendus des conseils de classe, dès lors que le litige ne remet pas en cause ses compétences professionnelles mais uniquement ses relations de travail avec la directrice de l'école maternelle. Enfin, la circonstance que Mme B..., a elle-même été placée en arrêt de travail pour un état anxio-dépressif à compter du 9 novembre 2017, à la suite des accusations portées contre elle et sa collègue dont elle a eu connaissance au cours d'un entretien qui s'est tenu à cette date avec des représentants de l'inspection d'académie, n'est pas de nature à minimiser la souffrance psychologie subie par Mme A....

9. Compte tenu de tout ce qui vient d'être dit, à la date de la décision contestée, l'inspecteur d'académie, directeur académique des services de l'éducation nationale (DASEN) du Calvados disposait d'éléments présentant un caractère de gravité et de vraisemblance suffisant pour suspendre à titre conservatoire Mme F... de ses fonctions pour une durée de quatre mois.

10. Il résulte de ce qui précède que Mme F... n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Caen a rejeté sa demande.

Sur les frais liés au litige :

11. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mis à la charge de l'Etat, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, le versement à Mme F... de la somme qu'elle demande au titre des frais exposés et non compris dans les dépens.

DÉCIDE :

Article 1er : La requête de Mme F... est rejetée.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à Mme C... F... et au ministre de l'éducation nationale, de la jeunesse et des sports.

Délibéré après l'audience du 12 novembre 2020, à laquelle siégeaient :

- M. Gaspon, président de chambre,

- M. Coiffet, président-assesseur,

- Mme D..., premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 1er décembre 2020.

Le rapporteur,

V. GELARDLe président,

O. GASPON

La greffière,

P.CHAVEROUX

La République mande et ordonne au ministre de l'éducation nationale, de la jeunesse et des sports en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

N° 19NT02157


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Nantes
Formation : 6ème chambre
Numéro d'arrêt : 19NT02157
Date de la décision : 01/12/2020
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : M. GASPON
Rapporteur ?: Mme Valérie GELARD
Rapporteur public ?: M. LEMOINE
Avocat(s) : CAVELIER

Origine de la décision
Date de l'import : 16/12/2020
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.nantes;arret;2020-12-01;19nt02157 ?
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