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27/11/2020 | FRANCE | N°20NT01212

France | France, Cour administrative d'appel de Nantes, 2ème chambre, 27 novembre 2020, 20NT01212


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. H... F... et Mme I... J... D... épouse F... ont demandé au tribunal administratif de Nantes d'annuler la décision implicite par laquelle la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a rejeté le recours formé devant elle contre la décision du consul général de France à Bangui (Centrafrique) rejetant la demande de visa de long séjour présentée pour Mme D... épouse F... et l'enfant K... F..., en qualité de membres de famille de réfugié.

Par un jugement n

° 1905026 du 22 octobre 2019, le tribunal administratif de Nantes a rejeté leur demand...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. H... F... et Mme I... J... D... épouse F... ont demandé au tribunal administratif de Nantes d'annuler la décision implicite par laquelle la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a rejeté le recours formé devant elle contre la décision du consul général de France à Bangui (Centrafrique) rejetant la demande de visa de long séjour présentée pour Mme D... épouse F... et l'enfant K... F..., en qualité de membres de famille de réfugié.

Par un jugement n° 1905026 du 22 octobre 2019, le tribunal administratif de Nantes a rejeté leur demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête enregistrée le 4 avril 2020, M. H... F... et Mme I... J... D... épouse F..., agissant en leur nom propre et nom de leur enfant allégué K... F..., représentés par Me E..., demandent à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du 22 octobre 2019 ;

2°) d'annuler la décision implicite de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France ;

3°) d'enjoindre, sous astreinte, au ministre de l'intérieur de délivrer à Mme C... F... et à l'enfant K... F... les visas de long séjour sollicités dans le délai de huit jours à compter de la notification de l'arrêt à intervenir ou, subsidiairement, de lui enjoindre, dans le même délai et sous astreinte, de réexaminer les demandes de visa ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 200 euros à verser à leur conseil en application des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique.

Ils soutiennent que :

- la décision contestée est irrégulière dès lors que l'administration ne saurait renverser utilement la présomption de validité des actes d'état civil établis par une autorité étrangère instituée par l'article 47 du code civil alors qu'il n'a pas été procédé aux vérifications prévues par l'article 1er du décret 2015-1740 du 24 décembre 2015 ;

- compte tenu du conflit dont a fait l'objet la République centrafricaine au cours de l'année 2013, ils ont été dans la nécessité de solliciter, peu de temps avant leur mariage, des jugements de reconstitution d'actes de naissance pour pouvoir se marier ;

- les jugements rendus par le tribunal de grande instance de Bangui ordonnant la reconstitution de leur acte de naissance sont produits dans la présente instance ;

- l'administration ne saurait utilement retenir le motif tiré du non-respect du délai d'appel prévu aux articles 189 et 502 du code de procédure civile centrafricain et de l'établissement de tels jugements plusieurs années après la naissance ;

- Leur mariage a été attesté par un certificat établi par le directeur général de l'OFPRA ;

- la possession d'état est établie par les pièces versées au dossier.

Par un mémoire en défense, enregistré le 20 juillet 2020, le ministre de l'intérieur conclut au rejet de la requête.

Il soutient qu'aucun des moyens de la requête n'est fondé en s'en remettant pour l'essentiel à ses écritures de première instance.

M. F... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 4 février 2020.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu

­ le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

­ le code civil ;

­ la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

­ le code de justice administrative.

Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Le rapport de M. A...'hirondel a été entendu au cours de l'audience publique.

Considérant ce qui suit :

1. M. H... F..., ressortissant centrafricain né le 9 avril 1993, s'est vu admis au bénéfice de la protection subsidiaire par une décision de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA) du 30 septembre 2016. Le 31 août 2017, Mme I... J... D..., qui se présente comme son épouse née le 5 septembre 1993, et leur enfant allégué K... F..., née le 19 mars 2015, ont sollicité des visas de long séjour en qualité de membres de bénéficiaire de la protection subsidiaire. Par une décision du 20 juillet 2018, les autorités consulaires françaises à Bangui (Centrafrique) ont rejeté leurs demandes. Saisie d'un recours contre cette décision consulaire le 20 septembre 2018, la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France l'a rejeté par une décision implicite. M. et Mme F... relèvent appel du jugement du 22 octobre 2019 par lequel le tribunal administratif de Nantes a rejeté la demande tendant à l'annulation de la décision de la commission de recours.

Sur les conclusions à fin d'annulation :

2. Pour refuser de délivrer les visas sollicités, la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France s'est fondée, ainsi qu'il résulte de son courrier du 26 mars 2019 exposant aux requérants les motifs de sa décision, sur les circonstance tirées du caractère apocryphe de l'acte de naissance produit par Mme F... dès lors qu'il a été dressé moins d'un mois après le jugement de reconstitution de l'acte, qui n'avait au demeurant pas été produit, et plus de vingt ans après la naissance de l'intéressée, ce qui révèle une intention frauduleuse et ne permet pas d'établir son identité et, par suite, le lien familial allégué.

3. Aux termes de l'article L. 752-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " I. - Sauf si sa présence constitue une menace pour l'ordre public, le ressortissant étranger qui s'est vu reconnaître la qualité de réfugié ou qui a obtenu le bénéfice de la protection subsidiaire peut demander à bénéficier de son droit à être rejoint, au titre de la réunification familiale : / 1° Par son conjoint ou le partenaire avec lequel il est lié par une union civile, âgé d'au moins dix-huit ans, si le mariage ou l'union civile est antérieur à la date d'introduction de sa demande d'asile ; / 2° Par son concubin, âgé d'au moins dix-huit ans, avec lequel il avait, avant la date d'introduction de sa demande d'asile, une vie commune suffisamment stable et continue / (...) Pour l'application du troisième alinéa du présent II, ils produisent les actes de l'état civil justifiant de leur identité et des liens familiaux avec le réfugié ou le bénéficiaire de la protection subsidiaire. En l'absence d'acte de l'état civil ou en cas de doute sur leur authenticité, les éléments de possession d'état définis à l'article 311-1 du code civil et les documents établis ou authentifiés par l'Office français de protection des réfugiés et apatrides, sur le fondement de l'article L. 721-3 du présent code, peuvent permettre de justifier de la situation de famille et de l'identité des demandeurs. Les éléments de possession d'état font foi jusqu'à preuve du contraire. Les documents établis par l'office font foi jusqu'à inscription de faux. (...) ".

4. Aux termes de l'article L. 721-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " L'office est habilité à délivrer, après enquête s'il y a lieu, aux réfugiés et bénéficiaires de la protection subsidiaire les pièces nécessaires pour leur permettre soit d'exécuter les divers actes de la vie civile, soit de faire appliquer les dispositions de la législation interne ou des accords internationaux qui intéressent leur protection, notamment les pièces tenant lieu d'actes d'état civil. Le directeur général de l'office authentifie les actes et documents qui lui sont soumis. Les actes et documents qu'il établit ont la valeur d'actes authentiques. Ces diverses pièces suppléent à l'absence d'actes et de documents délivrés dans le pays d'origine. Les pièces délivrées par l'office ne sont pas soumises à l'enregistrement ni au droit de timbre ".

5. Aux termes de l'article L. 111-6 du même code : " La vérification de tout acte d'état civil étranger est effectuée dans les conditions définies par l'article 47 du code civil ", ce dernier disposant que " Tout acte de l'état civil des Français et des étrangers fait en pays étranger et rédigé dans les formes usitées dans ce pays fait foi, sauf si d'autres actes ou pièces détenus, des données extérieures ou des éléments tirés de l'acte lui-même établissent, le cas échéant après toutes vérifications utiles, que cet acte est irrégulier, falsifié ou que les faits qui y sont déclarés ne correspondent pas à la réalité ".

6. Il résulte des dispositions citées aux points 3 à 5 que les actes établis par l'Office français des réfugiés et des apatrides (OFPRA) sur le fondement des dispositions de l'article L. 721-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, en cas d'absence d'acte d'état civil ou de doute sur leur authenticité, et produits à l'appui d'une demande de visa d'entrée pour un séjour d'une durée supérieure à trois mois, présentée pour les membres de la famille d'un réfugié ou d'un bénéficiaire de la protection subsidiaire dans le cadre d'une réunification familiale, ont, dans les conditions qu'elles prévoient, valeur d'actes authentiques qui fait obstacle à ce que les autorités consulaires en contestent les mentions, sauf en cas de fraude à laquelle il appartient à l'autorité administrative de faire échec.

7. Il ressort des pièces du dossier que l'OFPRA a délivré le 20 juin 2017, en application de l'article L. 721-3 précité, un certificat de mariage tenant lieu d'acte d'état civil célébré le 19 septembre 2014 à Bangui (Centrafrique) entre M. H... F... et Mme I... J... D.... Si le ministre soutient que cet acte de mariage aurait été obtenu frauduleusement dès lors que M. F... séjournait en France et non en Centrafrique à la date du mariage supposé, il ressort des pièces du dossier que, dès sa demande d'asile, l'intéressé a déclaré Mme D... comme son épouse, avec laquelle il a eu une fille, K..., née le 19 mars 2015, a précisé dans son récit que son épouse et sa fille étaient restées à Bangui et qu'il souhaitait les avoir à ses côtés et a, enfin, indiqué, lors de l'entretien avec l'officier de l'OFPRA, être retourné spécialement en Centrafrique le 17 juin 2014 et y être resté un mois pour pouvoir se marier, remettant à cette occasion, à l'officier, les documents concernant son mariage. Si la date du séjour en Centrafrique ne coïncide pas exactement avec celle mentionnée dans l'acte de mariage établi par l'OFPRA, cette circonstance, alors que le requérant avait produit les justificatifs de son mariage lors de l'entretien, ne saurait établir que le certificat de l'OFPRA aurait été obtenu frauduleusement. Dans ces conditions, faute, pour l'administration, d'établir l'existence d'une fraude, l'acte de mariage établi par l'OFPRA sur le fondement de l'article L. 721-3 précité a valeur d'acte authentique établissant le lien matrimonial allégué.

8. Par ailleurs, aux termes de l'article L. 2111 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Pour entrer en France, tout étranger doit être muni : / 1° Des documents et visas exigés par les conventions internationales et les règlements en vigueur (...) ". Aux termes du premier alinéa de l'article R. 2111 du même code : " Un arrêté du ministre chargé de l'immigration détermine la nature des documents prévus au 1° de l'article L. 211-1 sous le couvert desquels les étrangers sont admis à franchir la frontière (...) ". Le 2ème alinéa de l'article 4 de l'arrêté du 10 mai 2010 relatif aux documents et visas exigés pour l'entrée des étrangers sur le territoire européen de la France dispose que " 2. Tout étranger souhaitant entrer en France dans le but d'y séjourner pendant une période d'une durée supérieure à trois mois doit se faire préalablement délivrer par une autorité française sur son document de voyage un visa pour un long séjour, valide pour ce territoire. ". En application de ces dispositions, outre la copie intégrale des actes d'état civil, les membres de famille de réfugié qui souhaitent venir en France au titre du regroupement familial, devaient notamment produire un passeport. Ce document de voyage et d'identité est ainsi de nature à permettre de contrôler l'identité du demandeur. Il est constant que l'intéressée a produit un tel document ainsi qu'il ressort des pièces du dossier. Dans ces conditions, la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a fait une inexacte appréciation des circonstances de l'espèce en retenant comme motif l'absence de justificatif de l'identité du demandeur.

9. Au surplus, les requérants produisent le jugement de reconstitution d'acte de naissance de Mme I... J... D... rendu par le tribunal de grande instance de Bangui le 29 août 2014 qui leur était nécessaire, ainsi que le font valoir les intéressés, pour pouvoir se marier. Compte tenu de l'objet d'un tel jugement qui a pour objet de suppléer la perte de l'acte original, les circonstances que l'acte de naissance dressé au vu de cette décision juridictionnelle ait été rendu plus de vingt ans après la naissance de l'intéressée et avant l'expiration du délai d'appel prévu par l'article 189 du code de la famille centrafricain et par l'article 502 du code de procédure civil centrafricain ne sont pas de nature à ôter tout caractère probant aux actes produits, ni par suite, l'intention frauduleuse de l'intéressée. Par suite, l'administration n'établit, en tout état de cause, ni le caractère frauduleux du jugement du 29 août 2014 rendu par le tribunal de grande instance de Bangui, ni le caractère inauthentique de l'acte de naissance dressé au vu de ce jugement.

10. Dès lors que, ainsi qu'il a été dit, l'identité de Mme I... J... D... est établie, la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France ne pouvait, pour ce seul motif, refuser de délivrer à l'enfant K... F... le visa sollicité.

11. Il résulte de ce qui précède que la commission de recours contre les refus de visa d'entrée en France a fait une inexacte application des dispositions précitées.

Sur les conclusions à fin d'injonction :

12. Le présent arrêt, eu égard à ses motifs, et sous réserve d'un changement dans les circonstances de droit ou de fait, implique de délivrer à Mme I... J... D... et à la jeune K... F... les visas de long séjour sollicités. Il y a lieu d'enjoindre au ministre de l'intérieur d'y procéder dans un délai d'un mois à compter de la notification du présent arrêt sans qu'il y ait lieu, en l'espèce, d'assortir cette injonction d'une astreinte.

Sur les frais liés au litige :

13. M. H... F... a obtenu le bénéfice de l'aide juridictionnelle. Par suite, son avocat peut se prévaloir des dispositions de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat le versement de la somme de 1 200 euros à Me E... dans les conditions fixées à l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 et à l'article 108 du décret du 19 décembre 1991.

D É C I D E:

Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Nantes du 22 octobre 2019 et la décision implicite de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France du 6 octobre 2016 sont annulés.

Article 2 : Il est enjoint au ministre de l'intérieur de délivrer à Mme I... J... D... et à la jeune K... F..., sous réserve d'un changement dans les circonstances de droit ou de fait, un visa de long séjour dans le délai d'un mois à compter de la notification du présent arrêt.

Article 3 : Le versement de la somme de 1 200 euros à Me E... est mis à la charge de l'Etat dans les conditions fixées à l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 et à l'article 108 du décret du 19 décembre 1991.

Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à M. H... F..., à Mme I... J... D... épouse F... et au ministre de l'intérieur.

Délibéré après l'audience du 10 novembre 2020 , à laquelle siégeaient :

- M. Couvert-Castéra, président de la cour,

- Mme B..., présidente-assesseur,

- M. A...'hirondel, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 27 novembre 2020.

Le rapporteur,

M. G...Le président,

O. COUVERT-CASTÉRA

Le greffier,

A. BRISSET

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

1

2

N° 20NT01212


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Nantes
Formation : 2ème chambre
Numéro d'arrêt : 20NT01212
Date de la décision : 27/11/2020
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : M. le Pdt. COUVERT-CASTERA
Rapporteur ?: M. Michel LHIRONDEL
Rapporteur public ?: M. GIRAUD
Avocat(s) : VIBOUREL

Origine de la décision
Date de l'import : 16/12/2020
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.nantes;arret;2020-11-27;20nt01212 ?
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